Le soleil s’était levé, comme chaque matin depuis bientôt plus d’une année. À la différence qu’aujourd’hui, la rate ne mimait pas le sommeil quand les rayons de l’astre transperçaient la toile de la tente. Avait-elle réussi à fermer l’oeil de la nuit ? Elle l’ignorait, elle avait passé son temps à se retourner dans sa couche et à osciller entre songe et réalité. Ses compagnons de chambrer n’étaient pas encore réveillés, du moins, c’est ce qu’elle pensait. Elle ignorait depuis combien de temps elle s’était assise sur le rebord de son lit, le menton baissé alors qu’elle fixait ses pattes comme elle l’avait fait il y a moins de quelques jours avec Sora. À différence qu’aujourd’hui, elle ne baignait pas dans un doux mensonge loin de ce qui l’horrifiait, tout allait se décider aujourd’hui.
Avec tout cela, sa jambe droite était tendue et son genou ne cessa pas de sauter de bas en haut dans un rythme soutenu alors que son regard se perdait sur sa lance posée dans un coin. Elle était terrifiée de ce qui pouvait se passer aujourd’hui, la guerre allait se jouer avec ou sans elle. Cependant, un seul et unique sentiment la poussait de l’avant pour prendre part à cette bataille. Et cela, depuis le jour où elle posa de nouveau son pied sur les terres l’ayant vu naître.
Un seul et unique désir l’animait ardemment, faire face à cet homme une seconde fois avant que tout ne se termine pour elle.
— Freyja…?
Elle sursauta légèrement, perdant sa concentration alors qu’elle tourna la tête pour apercevoir un raton-laveur dans l’encadrement de l’ouverture de la tente. Elle savait pourquoi il était là, c’était le moment pour eux de partir en direction de Nottingham. Hochant doucement la tête, elle se leva pour attraper la hampe de son arme et quitter, probablement pour la dernière fois, la sécurité des toiles de cette tente dans lesquelles elle n’avait aucun souvenir.
Ils étaient cinq à marcher silencieusement dans la rangée de tentes, cinq rebelles envoyés par le shérif afin de remplir une simple mission avant que l’armée de Primus ne se jette sur les murailles de la ville. Les choses se passèrent simplement. Avant qu’ils ne partent ensemble dans la forêt, l’ours avait rejoint l’escouade pour un dernier briefing et souhaiter à ceux-ci la bonne chance. Une mission de grande importance, sur le papier du moins, à ne pas comprendre pourquoi la rate en faisait partie. Une fois les instructions entendues et répétées, les rebelles attrapèrent une toile en lin ainsi qu’une paire de corde et vérifièrent une dernière fois leurs biens et leurs armes avant de s’en aller dans les bois.
D’un pas lent, Freyja ferma la marche et observa les autres rebelles dont elle allait avoir la chance de côtoyer pour les trois prochaines heures. Un lièvre, deux ratons-laveurs, une marmotte et une rate. Voici de quoi était composée la troupe chargée de franchir en premier l’enceinte de Nottingham, cela faisait faussement sourire la rebelle, cela sonnait comme une mauvaise blague contée par Petit-Jean. Toutefois, elle avait déjà été en mission avec le lièvre et les ratons-laveurs, elle avait au moins la certitude de ne pas se jeter dans la gueule du loup sans la moindre chance de vaincre.
Le soleil continuait sa course alors que les cinq rebelles sortirent enfin de la lisière de la forêt. Immobile, comme frappé par la grandeur de l’espace séparent les bois de la ville, il fallut que le lièvre pousse chacun à avancer en direction de l’est. Loin de la route royale et des chemins pouvant mener aux herses de la ville. Ce n’est qu’au bout d’une heure de marche, rythmée par les paroles des frères ratons-laveurs et des rires aigus de la marmotte, qu’ils arrivèrent à leur point de chute décrit par le shérif. Le fleuve traversant la ville, le Trent, accueillait les rebelles sur ses rivages en ce début de matinée. Son éclat invitait à la baignade alors que le lièvre étala la toile sur l’herbe encore humide de la rosée du matin.
— Bien, vous savez ce qui vous reste à faire.
— Damien, trouve une branche d’arbre assez solide pour servir de radeau.
Les deux rebelles hochèrent la tête avant de déposer leurs arcs ainsi que leurs flèches sur le drap, se dirigeant ensuite vers un arbre risquant de chuter dans le bleu de l’eau.
— Nous allons passer un certain temps dans l’eau…
Freyja avait parlé avant de déposer sa lance sur le drap, en même temps que Denise rangea ses masses d’arme ainsi que son épée courte à proximité de l’arme de la rate. Le lièvre se contenta de sifflet en défaisant sa ceinture pour ensuite la poser à son tour sur le drap.
— Il fallait bien ça pour éviter la surveillance des hommes du régent.
— Nous allons nous fatiguer plus que de raison, et notre contact ?
— Le fils d’Amy nous rejoindra sous le premier pont en amont du fleuve, et nous pourrons nous reposer chez elle.
— Le carrosse est prêt !
Les deux frères arrivèrent à ce moment, accrochés à la moitié d’un tronc flottant sur les eaux du Trent. Ensemble, le lièvre et Freyja refermèrent le drap avec les cordes avant de s’avancer ensemble dans l’eau afin d’accrocher les armes au bout du tronc. Les corps émergés, les cinq rebelles finirent par quitter le rivage et se laissèrent porter par le courant en direction des murailles de Nottingham. La tête hors de l’eau, ils ne pouvaient rien faire d’autre que d’attendre en battant des pattes qu’ils arrivent à destination.
— Les gars, ça va être à nous…
La tête à moitié immerger, Freyja leva les yeux en direction des hauteurs des murailles à l’instant ou l’ombre créer par celle-ci vienne s’abattre sur le fleuve. Plissant les yeux, elle distingua deux silhouettes de loup et elle avertit les quatre rebelles en levant sa main trempée et frappa deux coups sur le tronc. C’était le signal pour qu’il continue le chemin sans le tronc d’arbre et leurs armes. À tour de rôle, ils prirent une grande respiration avant d’enfoncer leurs têtes dans les profondeurs du Trent, la rate étant la dernière à plonger avant de donner une impulsion sur le tronc.
Les joues gonflées, Freyja ouvrit les yeux dans l’eau et laissa quelques secondes se passer pour s’habituer à la teinte sombre obscurcissant sa vue. Elle pouvait voir à sa gauche la marmotte avancer dans l’eau avec facilité alors que le lièvre faisait battre ses pattes à toute allure, les ratons-laveurs étaient en avance par rapport au groupe quand la rate décide enfin de se propulser de ses bras. Battant la mesure, les cinq rebelles avancèrent dans l’eau et laissèrent l’arbre continuer sa route seule alors que la pénombre se faisait de plus en plus oppressante aux rythmes qu’ils approchèrent de la muraille. Elle ignorant combien de mètres ils avaient parcouru, mais à chacune de ses impulsions, de mince bulle d’air s’échappèrent du bout de son museau pour remonter calmement à la surface. Rejoignant ainsi celle que les autres rebelles laissaient derrière eux.
Elle se surprit à appréciée de nager dans le courant de Trent, guidé par la force du fleuve pour rejoindre la muraille. D’ici, comme quand elle sautait dans les airs, tout était calme et silencieux. Comme si, l’espace d’un instant, rien d’autre ne comptait.
Finalement, elle distinguait au loin une masse sombre s’approcher en même temps que la fraternité remontait vers la surface. D’un coup d’oeil sur la gauche, Freyja remarquait aussi le lièvre et la marmotte rejoindre les deux autres rebelles. Laissant échapper de nouvelles bulles, elle se décida à les rejoindre pour trouver ses compagnons reprenant leurs inspirations, ils étaient tous accrochés à la grille de fer empêchant le fleuve de déverser ses déchets dans la ville. Émergeant, passant sa main sur son visage pour y voir claire, Freyja battait des jambes pour s’accrocher à proximité de la marmotte. Rabattant sa chevelure en arrière, soufflant l’eau s’accumulant sur son nez, elle laissa son regard se perdre de l’autre côté à la recherche d’un garde en pleine patrouille.
— Nous avons le champ libre, Damien et moi détacherons les armes et les ferons passer de l’autre côté de la grille dés que l’arbre sera arrivé.
— Je passe déjà de l’autre côté, pour vérifier si le fils d’Amy est présent.
Une fois sa phrase finie, la marmotte replongea pour apparaitre de l’autre côté de la grille avant de faire un signe de plonger de nouveau, le pont étant à une centaine de mètres de la grille présente sous la muraille. Silencieusement, les rebelles attendirent un peu moins de cinq minutes pour que le tronc de l’arbre vienne percuter la grille et doucement prendre la largeur de l’ouverture. Ensemble, l’un des ratons-laveurs et la rate plongèrent dans l’eau à plusieurs mètres pour attraper la toile enroulée dans laquelle se trouvait les armes. De son côté, le lièvre coupa la corde, ce qui laissa peu de temps pour que les deux rebelles attrapent la lourde cache d’armes et fassent passer cette dernière entre les barreaux de la grille de fer.
La rate passa sans difficulté dans les ouvertures, tournant sur elle-même afin d’attraper le bout du pack et tirer celui-ci dans l’eau alors qu’un raton-laveur l’avait rejoint. De l’autre côté, le lièvre et Damien poussèrent de toutes leurs forces, faisant échapper un épais nuage de bulle avant que les armes ne tombent lourdement au sol. Epuisé, ils remontèrent à la surface avant de continuer leur manoeuvre aquatique.
— Où est Damien…?
Le rebelle au côté de Freyja blêmit un instant avant de reprendre sa respiration et plonger de nouveau. Il fut rapidement suivi de la rate et le lièvre qui atteignirent le bas de la grille. Et sous leurs yeux médusés, les rebelles purent voir Damien bloqué entre les grilles de fer. Rapidement, Freyja remarqua que celui-ci avait une patte de prise dans l’une des cordes sensées maintenant le drap en place, et que celui-ci plongeait le raton-laveur par le fond. Le lièvre était de l’autre côté et tenta de le tirer vers le haut alors que les bulles se firent de moins en moins nombreuses. Poussant sur ses jambes, la rate se propulsa à toute allure vers le pack et ouvrit la gueule pour tenter de ronger la corde alors que les deux autres tentèrent de le remonter désespérément le rebelle piégé par les flots.
Elle sentait la corde contre sa langue, ses crocs tentant frénétiquement de défaire les liens, mais rien à faire. Elle tourna la tête rapidement pour voir le corps flotter de lui-même alors qu’elle finit par défaire le noeud de ses longs doigts avant de remonter reprendre de l’air à son tour. Ils étaient tous les quatre à la surface désormais.
— Damien… Damien…
— Ferme là, bon sang !
Le raton-laveur tentait désespérément de ternir la tête de son frère hors de l’eau alors que son corps restait immobile et que son visage était figé dans cette expression de peur.
— C’est trop tard…
Souffla Freyja, posant sa patte sur l’épaule du survivant alors que le lièvre plongea pour aller de l’autre côté de la grille.
— Il savait dans quoi il s’embarquait, maintenant, vient ou sa mort sera inutile.
Les traits du raton-laveur étaient déformés alors qu’il lâcha le corps de son frère qui s’enfonça lentement dans l’eau. Il resta seul un instant avant de plonger à son tour, suivit de la rate et ils allèrent récupérer les armes tombées au fond du fleuve. Finalement, après une dizaine de minutes, le lièvre, le raton-laveur et la rate arrivèrent sous le pont est de la ville et se firent aider par un lapereau et la marmotte pour remonter le paquet sur le rivage. Ils avaient posé pied dans la ville deux heures avant l’assaut de Primus, tout se déroulait selon le plan de bataille. Enfin, presque comme cela était prévu par le commandement.
Ils évitèrent d’en dire trop sur le coup, la marmotte comprenant rapidement ce qu’il en retournait alors que le fils d’Amy indiqua la direction à suivre aux rebelles. Les vêtements trempés, ils longèrent le fleuve sur deux cents mètres avant de remonter dans la rue principale et rentrer dans une petite chaumière dans laquelle un feu ainsi que les tenues des rebelles les attendait.
— Vous ne deviez pas être cinq…?
Amy avait sur elle des draps pour permettre aux rebelles de se sécher en attendant l'heure de l’assaut, elle resta de longues secondes avec la serviette sèche dans les mains avant de la jeter dans un coin de la pièce et amener un bol de soupe à chacun.
— Je… Prenez ça, vous allez en avoir besoin… Vos affaires sont à l’étage, mon fils à été les récupérer à l’entrée de la ville.
Remerciant la lapine, les rebelles restèrent silencieux un instant, observant une minute de recueillement à la première victime de la bataille avant de monter tour à tour pour se revêtir de leurs tenues. Freyja était monté la première et redescendit rapidement avec son chapeau sur la tête ainsi que son long manteau couleur cramoisi avant de soulever la toile sur la table pour ouvrir cette dernière et récupérer son arme. Elle profita de l’hospitalité un instant avant d’aller se poser devant la fenêtre. Dans moins de deux heures, ils allaient devoir se préparer pour la suite de leur mission. Dans moins de deux heures, la bataille allait commencer aux portes de la ville.