Ses pensées, toutes, étaient dirigées vers Alpha. Elle savait pourquoi. Avec le nouveau shérif, Aiden, il était le dernier lieutenant de Kefka. Elle ne le craignait pas autant qu’elle avait pu redouter Cerbère et Roc… mais elle était certaine, absolument convaincue, qu’il lui reviendrait de s’en occuper, avant, juste avant d’éliminer Kefka lui-même. Bien sûr, c’est aussi ce qu’elle avait cru pour Cerbère, mais par raison, non par cœur. Alpha serait peut-être la dernière victime de cette guerre civile, car lorsque lui serait mort, cette bataille redeviendrait ce qu’elle avait toujours été au fond, une guerre de l’humanité contre celui qui martyrisait ces terres. Alpha représentait tout ça. Sans lui et tous les lâches qui étaient à présent morts, ce peuple ne se serait pas déchiré.
Ravness leva les yeux vers le donjon du château de Nottingham. À vrai dire, la plupart des soldats stationnés là regardaient ce même point. Il s’en échappait toujours des gerbes de feu, auxquelles tout le monde s’était habitué, contre toute attente… Et il y avait le régent, bien sûr.
Une dizaine de minutes devaient s’être écoulées depuis qu’ils étaient arrivés sur la ligne de stationnement. Elle aurait pu profiter de ce temps pour préparer les soldats, pour leur donner des ordres. Mais elle était fatiguée, tout comme eux. Et en cet instant, la dernière chose dont elle avait besoin, c’était d’un commandant lui expliquant ce qu’elle devait faire. Comme pour confirmer cette pensée, la générale vit dans le ciel voler un drôle d’oiseau s’approchant bon gré mal gré de la zone de combat, émettant un grésillement que dans le crépitement des flammes l’on pouvait parfois distinguer. Une caméra vidéo, sans doute envoyée par l’éclaireur pour y récolter quelques images du dénouement de cette guerre. Après quelques secondes, la jeune femme prit une décision, interpellant une écureuil, du moins elle eut l’impression que c’était une femelle.
« Aidez-moi s’il vous plait. »
La jeune hybride s’approcha, déposant ses armes à ses côtés.
« Comment je peux vous aider, générale ? »
« Arrangez mes cheveux, s’il vous plait. »
La femme fut surprise mais s’agenouilla prestement devant elle et défit sa coiffure avec précaution, enlevant la barrette en métal dans ses cheveux pour la déposer temporairement à terre.
« Je vous brosse les cheveux ? »
« Si vous avez de quoi. » prononça-t-elle à mi-voix, les yeux rivés sur les traces de goutte. Et elle avait de quoi, d’une certaine façon, glissant avec précaution ses doigts dans la chevelure blonde de la générale. Ayant abandonné la coquetterie en même temps que sa sensibilité sur le champ de bataille, elle pouvait se passer exceptionnellement d’un soin rugueux mais efficace. Les griffes incurvées de son aide de camp venaient gratter son crane, lui procurant une très agréable sensation allant même jusqu’à lui faire fermer les yeux. Jusqu’à une douleur vive.
« Ah désolée. Vous êtes blessée ici, à l’arrière du crâne. »
« Pas de souci. Faites attention. »
« Je ne mets rien ? »
« Non c’est gentil. »
L’écureuil finit son travail, avec cette même précaution, replaçant la barrette de métal dans sa coiffure relâchée. La générale ne voulait pas paraître prétentieuse, même dans ses plus intimes pensées, mais elle supposait que d’une certaine façon, penser à tout autre chose comme à une coiffure, devait aider cette femme à penser à autre chose qu’à la guerre pour quelques minutes.
« Je vous aide à vous laver le visage ? »
« Non merci, ça va. »
À vrai dire, si elle lui avait demandé de l’aide, c’était avant tout pour la caméra. Elle craignait les plaisanteries de Roxas, le simili qui lui menait une vie infernale au château de la lumière, si des images étaient prises d’elle avec des cheveux en bataille et une barrette pendant le long d’une mèche. Pour autant, apparaître sur ces mêmes images avec un visage propre laisserait croire qu’elle s’était tenue éloignée du combat jusqu’à la fin. Elle se leva finalement, remerciant une nouvelle fois l’hybride étant venue à son secours et observa l’ouest, d’où devait venir le signal de Système. Une fois celui-ci tiré, les civils seraient évacués de la partie sud de la ville, et les unités de communication et médicales rejoindraient la ligne de stationnement, ainsi que les hommes étant en retrait près du pont dans la partie nord, y compris le lieutenant Sora. Une fois qu’ils seraient arrivés, le front avancerait, laissant le commandement sur la ligne de stationnement.
Et de l’ouest, précisément, avant même un signal, arrivèrent la sergente et l’officier suivis d’une autre personne. Elle se leva avec facilité, engaillardie par la perspective d’avoir des problèmes supplémentaires au sein de son armée. A bien y réfléchir, la générale excellait dans les moments où les siens, les gardes par exemple, lui faisaient honte. Et si cet homme n’était pas à elle quelques minutes auparavant, il avait franchi le cap d’une nouvelle existence depuis qu’il avait accepté de suivre la rébellion.
Ambre arriva à elle et sans se mettre au garde-à-vous, présenta le nouveau venu d’une voix claire et chantante.
« Heinrich Ventrecroc, générale. C’est un solitaire. » s’empressa-t-elle d’ajouter avec un sourire espiègle. Elle s’écarta ensuite, lui laissant observer cet homme. Ravness s’avança et lui tendit la main, sans détourner son regard du sien. C’était un homme raisonnablement imposant, au visage pâle, à l’air relativement crasseux, ce qu’elle ne jugeait pas vu la situation. Il avait perdu beaucoup de sang, et même une fille aussi coquette que Ambre portait déjà sur son visage les marques du combat.
« Général Primus. Merci de rejoindre le combat. Je vous promets que si vous faites du bon boulot aujourd’hui, la lumière vous récompensera. Vous resterez à mes côtés et je vous dirai quoi faire, c’est entendu ? »
Elle n’attendait pas de réponse mais au-dessus de l’épaule de son interlocuteur, elle vit toutefois dans le ciel le signal de Système, une fusée éclairante, une occasion de clôturer le chapitre des présentations. Sa motivation n’avait jamais failli mais cette pause lui avait rappelé la nécessité de cette journée, le bien fondé de leur action. Aussi voulut-elle faire un geste. Ravness savait que des dizaines de gens s’étaient toujours moqué d’elle, de ses manières, de sa rigueur, de ses crises de nerf. Elle ne s’en moquait pas, à vrai dire, cela la mettait encore davantage en colère… mais de temps en temps, elle arrivait à se dire qu’elle pourrait survivre avec encore un peu moins d’amour propre qu’elle n’en avait déjà. Aussi se dirigea-t-elle vers une maison au milieu de la ligne de stationnement qui s’étirait sur des centaines de mètres. Elle entra sans hésiter, suivie, elle l’espérait, par le solitaire, et… tout en ignorant les flammes commençant timidement à gagner l’escalier, elle fit ce qu’elle put pour atteindre le toit. Quelques brigands la regardaient déjà s’exposer ainsi. Elle ne savait pas faire de discours. Elle fit apparaître son épée, la pointa vers la fusée de lumière projetée par Système… et hurla de sa voix la plus grave et la plus cassée. Quelques secondes suffirent à déformer la hauteur et le ton de sa voix pour en faire un bruit informe… qu’elle répéta encore une fois en ciblant cette fois-ci le château de son épée. L’énergie, voilà ce qu’elle voulait transmettre. Elle recommença encore, consciente d’être le leader le moins captivant que verraient ces soldats. Et encore… jusqu’à ce que les brigands, rieurs ou troublés, décidèrent de crier avec elle, tout du long de cette ligne traversant le quartier.
Ils furent, quelques minutes plus tard, rejoints par le commandement, les unités médicales et de communication, et avancèrent. Robin était devant avec Will l’Écarlate, tandis qu’elle restait au sein du corps de l’armée, vérifiant l’organisation de la suite. Au fil de la marche les rapprochant du château fortifié, des pavois gigantesques de paille et de bois furent distribués à certains volontaires, parmi les plus costauds. Certains durent s’y prendre à plusieurs pour le transporter tout en avançant d’un pas décidé. Les paysans, parmi l’armée rebelle, savaient que contrairement à l’idée admise, une botte de paille n’est pas susceptible de s’embraser. La surface de la botte allait bien entendu brûler, mais l’intérieur non, aussi le rembourrage naturel de ces murs faits de bois arrêterait les flèches et le feu.
Ils arrivèrent finalement devant les murailles, encore hors de portée des tirs.
« Faites une ligne de ces barricades ! » hurla-t-elle. « A une soixantaine de mètre des douves ! Cinquante centimètres entre chaque barricade ! Ne restez pas groupés ! Deux pour maintenir la barricade debout, les archers derrière ! Ceux qui ne tiennent pas la barricade et ceux qui ne tirent pas, en arrière, hors de portée de la muraille ! » Elle répéta chacun des ordres plusieurs fois, bien que tous les brigands avaient été formés à l’exercice. Et alors qu’ils s’approchaient des douves les séparant des murs du château, les tirs ennemis commencèrent. Une distance de plus ou moins soixante-cinq mètres entre leurs tireurs et les rebelles faisait que directement derrière les barricades, un petit groupe n’était pas trop vulnérable. La générale s’arrêta avec une partie de l’armée rebelle restant en retrait. Celle-ci se déploya, sans son ordre. Chacun partit s’abriter des flèches, tandis que d’autres, des archers, décidèrent de leur propre chef de monter sur le toit de maisons parfois en flammes pour tirer, à découvert, de leur position sur les soldats du régent sur le chemin de ronde.
La ligne de barricades prit forme, parsemée de quelques trous ici et là. Une vingtaine de ces pavois avaient été distribués, pour autant de groupes d’assaut. Avant d’atteindre la ligne des soixante mètres, deux étaient tombés.
Pour Ravness, c’était déjà la deuxième fois qu’elle devait assister une opération de loin, en ayant pour ainsi dire le même rôle.
« Ne tirez pas ! » hurla-t-elle à plusieurs reprises, quasiment huée par quelques rebelles en arrière. Elle passa outre toutes les exclamations, continuant à exhorter ses hommes à rester à couvert. Vu l’attaque particulièrement lente qui avait été mise en place, puisqu’ils ne disposaient pas d’un accès direct au château ou même aux murailles de ce château, protégées par des douves… la priorité était de faire tomber le pont-levis. Ils devaient garder ça en mémoire. A traits de flèches, la guerre était déjà perdue… Il fallait suivre le plan et son commandement et… l’ennemi exerçait une pression à peine viable sur les barricades, écrasant ces dernières de tirs. Le moindre archer qui tenterait de se mettre à découvert pour tirer une flèche prendrait le trop grand risque d’être abattu, même par hasard.
« Robin ! » hurla-t-elle encore une fois, la voix cassée par tant d’efforts, jugeant le moment opportun, après trente secondes insupportables à voir ses hommes pris pour cibles. Le roi des voleurs n’attendit pas la suite. Les mains en porte-voix, il imita un animal… pas assez fort pour être entendu à plus de vingt mètres. Heureusement, un compagnon était assez proche et imita le cri, lui-même imité plus loin. Et prenant des directions inattendues, le cri réussit à se répandre.
« Attendez ! » continua-t-elle de bruire sans se décourager… alors que, le regard tourné vers le nord, elle vit un rocher catapulté depuis la ville, vers le château. Celui-ci s’écrasa dans les douves, malheureusement, mais produit l’effet escompté. Les archers sur les murailles se mirent à couvert et pour un peu plus de trois secondes, la pression subie par les brigands se calma. Ils n’eurent besoin d’un ordre et commencèrent à riposter. Toutefois, comme elle l’avait pensé plus tôt, on ne gagne pas un château à traits de flèche.
« Unité communication ! » cria-t-elle en se retournant. Elle trouva un gamin armé d’un sourire et lui ordonna sèchement, sans réussir à lui enlever : « Les cinq catapultes doivent se coordonner. Qu’elles ne tirent pas en même temps ! » Il partit aussitôt alors qu’elle se tourna distraitement vers Heinrich. « Les chaînes retiennent le pont-levis, oui ? » Elle désigna d’un doigt les deux attaches des chaines retenant la passerelle. On ne distinguait pas les chaines, bien sûr, seulement l’endroit où celles-ci retenaient le pont-levis fermé. « On doit les détruire. C’est du métal. » Elle fit un signe. D’un pas lourd arriva l’armure de technologie contrôlée par Système. Son état était déjà loin de celui auquel elle était habituée. Certaines étincelles jaillissaient parfois des plaques de son armure.
« Ouvre le feu. Concentre-toi sur l’attache de droite. »
Système décolla du sol alors que Ravness gronda : « Tirez à volonté ! Doublez la pression sur leurs archers ! Et que Dolce prépare son sort le plus puissant ! »
Dernière édition par Général Primus le Lun 17 Déc 2018 - 0:00, édité 2 fois