La veille au soir.

Il se tenait devant la porte de la chambre, l’air satisfait de son allure. Il s’était affublé d’un fusil en bandoulière et portait une ceinture équipée d’un d’un semi-automatique. Une attitude presque risible si l’on oubliait qu’il se préparait en réalité à la « guerre ».

Je me mordis l’intérieur de la commissure pour éviter de rire, je n’étais pas sûre qu’il s’en remettrait. Il était pourtant le seul être sur terre que je côtoyais encore avec qui  je ressentais  l’envie de rire. Encore assise sur le lit et à peine sortie de mon intense réflexion précédant son arrivée, je pris appui sur mes mains que je posai à plat sur le matelas derrière mon dos.

-Mais où est-ce que t’as trouvé ça ?

Il tourna sur lui-même en agitant en l’air ses mains en très mauvais modèle qu’il était.

-J’ai fait un tour au poste de gardes. Ils ont accepté de me prêter des armes.
-Ils n’ont pas pensé que ça les désavantagerait pour la suite des réjouissances ?

Il s’approcha et encadra avec ses mains l’oval de mon visage. Une attention discrète et simple qui réussit à déclencher en moi un élan de tendresse.

-Je pense qu’ils se sont dit que ça leur ferait gagner des points auprès de la patronne.

Je le repoussai légèrement pour inspecter de bas en haut son équipement.

-Et donc, que comptes-tu faire avec ça ? Tu sais tirer ?
-Vite fait, enfin… ça va.

Il tapota l’arme à feu sur sa ceinture en souriant.

-En tout cas je sais mettre la sécurité.
-Je t’apprendrai si tu veux.

Il me délaissa un instant pour aller s’observer devant le miroir sur pied. Je lui avais toujours connu un style simple, un pantalon foncé, des bottines à lacets des plus classiques, un pull épais à col rond aujourd’hui kaki foncé, toujours des couleurs sobres. Le voir armé ainsi lui donnait un côté presque militaire, les muscles en moins. Rien à voir avec sa vocation initiale.

-C’est drôle, je ne t’ai jamais vue avec une arme à feu. Je ne savais pas que tu étais capable de t’en servir…

Je regardai le mur en face de moi, figée. Quelques secondes passèrent, silencieuses.

-Vesper ?
-Un vieux souvenir de mon temps passé à la Shinra.

J’oubliais souvent qu’il y avait eu une vie avant la Coalition. Aujourd’hui, ce n’était pas tant la haine de mon ex-employeur qui rendait ce souvenir désagréable mais plutôt le souvenir de la douleur que j’avais ressenti le dernier jour passé chez eux. Tout cela était infiniment loin. Avec le temps, toute chose avait tendance à s’atténuer, s’estomper, même la haine, mais pas le souvenir du jour où mon âme s’était fractionnée.

Aussi loin dans mes réflexions que je pusse être, je sentis son malaise. Il resta interdit un instant supplémentaire puis essaya de détourner la conversation.

-Bon. Il faut qu’on commence à s’activer pour préparer la défense du château.

Je souris à cette évocation et me tournai vers lui. Il me faisait déjà face. A nouveau, je le voyais plein d’entrain. Il n’avait définitivement jamais participé à un vrai combat.

-Tu sais que si tu te prends une balle, « jeu ou pas jeu » tu vas en baver ?
-Tu n’auras qu’à m’achever, comme ça je pourrai te regarder décimer la terre entière en guise de vengeance.

Je pris un peu de recul sur cette situation surréaliste et eus l’impression de retomber sur terre.

-Imagine, imagine que tout ça ce soit un gros canular et que les gens s’entretuent pour de bon ?
-Ecoute… Vu tout ce qu’il se passe ces dernières années dans nos mondes, je suis prêt à croire à peu près tout, même en un pouvoir aussi dingue. Mais…

Il tourna son regard vers l’alcôve. Depuis on pouvait voir le précipice, le pont et notre univers enneigé.

-Tout ce qu’on va faire c’est se défendre non ?

Il était peut-être temps pour moi d’arrêter le suspens.

-J’ai dit aux domestiques de faire ce qu’ils veulent du château.
-Quoi ?
-J’ai convoqué Big-Ben et lui ai dit qu’on n’allait pas défendre le château et que les domestiques pouvaient se cloitrer ou se battre entre eux, à leur guise.
-Mais pourquoi ? Tu ne veux pas te battre ?

Il me regardait l’air stupéfait comme si je venais de lui apprendre la plus incompréhensible des nouvelles. Il semblait si préoccupé que je ne pus m’empêcher de sourire pour le rassurer.

-J’ai pensé qu’on pourrait partir, toi et moi.
-Partir ? Pour aller où ?

L’inquiétude avait laissé place à de la curiosité. Il vint s’asseoir à côté, son genou plié à quelques centimètres de moi.

-Je me suis dit que c’était l’occasion de partir et de voir le monde.
-J’avoue que j’ai du mal à comprendre.

Je ne pouvais pas lui en vouloir sur ce point, nous nous apprêtions probablement à vivre dans le chaos le plus total  et je choisissais ce moment pour sortir dans la lumière.

-Réfléchis, on aura pas d’autres occasions d’être aussi libres, on peut mourrir, être blessés, sans conséquence. On peut voir les mondes de nos ennemis, aller où on veut, sans créer un conflit ou sans attirer spécialement l’attention. On pourra rester anonymes, se battre pour notre survie, la plupart des gens ne me connaissent même pas alors…

J’en étais convaincue, l’idée m’était venue assez rapidement lorsque j’avais vue passer l’annonce à la télévision. Et j’avais réfléchi à la faisabilité de mon projet depuis.

-Mais on devra… se battre d’autant plus, si on sort.
-Tant pis…  qui sait combien de temps on restera en vie ? Et puis, combien de temps penses-tu que les ennemis de la Coalition vont mettre pour assiéger le château en guise de représailles ? C’est l’occasion ou jamais pour eux aussi.

Il hocha la tête en guise d’approbation, il était toujours pensif. L’idée d’aller tout droit vers une mort imminente ne devait pas l’enthousiasmer tant que ça, en dépit de son caractère non définitif.

-J’ai envie de faire ça, avec toi.

J’avais pris sa main dans la mienne pour la coller contre ma joue. Il s’en attendrit, réfléchit encore un instant, puis secouant la tête, il se leva du lit.

-D’accord, quand est-ce qu’on part ?
-J’ai déjà préparé des provisions, le minimum de secours, et quelques affaires à moi dans un sac à dos, tu n’as qu’à prendre quelques habits.

Une demi-heure plus tard, alors que la nuit tombait, nous marchions sur le pont, tout droit vers la sortie. Sans doute reverrais-je le château dans un état de destruction avancé quelques jours plus tard sur des images de l’Eclaireur.