Putain de merde ! Erik ne participait même pas aux combats, et pourtant ce tournoi allait avoir sa peau ! Un exploit, un vrai ! Bravo, Hadès ! L’escroc avait survécu à la Cité du Crépuscule, puis à Illusiopolis, et enfin aux tentatives de meurtre de la hiérarchie du Sanctum (tant par abus de paysans, que par envoi dans des lieux sordides)… et le simple fait de se rendre à un événement sportif allait causer sa perte. Erik s’énervait, à défaut de trouver meilleur sentiment pour couvrir la panique stupide qu’il venait d’illustrer, et dont il ressentait encore les griffes agrippées à son dos tendu.
Le combat se poursuivait. Sans le voir, il l’entendait. Ou plutôt, percevait depuis le couloir qu’il avait gagné, les cris excités d’une foule enthousiaste. Fabrizio Valeri n’était donc pas décédé. A la bonne heure ! Bien ! Tu pourras retourner faire chier ton monde, Valeri ! Filer la belle vie à la campagne, draguer des paysannes et boire sur les remparts ! Merde ! Pourquoi allait-il jusqu’à s’emporter contre celui-là même qu’il avait eu le réflexe idiot de vouloir… quoi ? Protéger ? Empêcher de crever ? Ah. Ah. Ah. La bonne blague. Protéger, mais bien sûr ! Arrête de te raconter des histoires, sale con ! Il s’était ridiculisé, et accessoirement foutu dans la merde. Un point, c’est tout. Une vive frustration vint le piquer. Il ne souhaitait ni l’analyser, ni la retenir. « Putain ! » — Son poing frappa le mur, à seul but de défoulement.
… mauvaise idée. Le jeune homme se rétracta immédiatement au contact la matière sinueuse et suppurante qui composait le bâtiment, et qui s’immisçait entre ses doigts. Dégueulasse ! C’est dégueulasse ! pestait-il. Il essuya sa main sur son pantalon. La surprise avait eu pour mérite de briser son irritation. Son souffle repris, Erik sentit à nouveau quelques sueurs froides descendre le long de son dos.
Son visage avait peut-être été filmé. C’était pas bon. Pas bon du tout. Lui qui n’aimait pas tant l’attention, il avait bien joué son coup, c’était certain ! L’escroc se rejouait la scène au ralenti. Il s’entendait même encore prier en son for intérieur — « Etro, toi qui sait. Toi qui vois. Aide-moi à faire quelque chose. N’importe quoi ! » — tandis qu’il repérait le saladier, puis qu’il cessa de réfléchir.
Ridicule. Juste ridicule. Il expira longuement. Si la déesse existait réellement, peut-être lui aurait-elle évité d’être ainsi repéré ! Soyons fous ! Deux années de loyaux services, est-ce que cela ne valait pas une petite aide occasionnelle ? Peu convaincu, Erik s’anima toutefois d’un sourire sarcastique. Les gens finiraient par oublier ses traits, pour ceux qui ne le connaissaient pas. Les autres seraient peut-être surpris, ou le moqueraient un temps. Puis quoi ? S’il avait quitté le Sanctum en de mauvais termes, encore ! Il aurait de vraies raisons de s’inquiéter. Mais il était parti Apostat. Un statut tout à fait réglementaire, qui se valait bien mieux que : « individu de peu de moralité ayant volé l’identité d’un prêtre. »
Il n’avait pas de quoi paniquer, donc. Il affronterait cette mauvaise passe, comme il avait affronté toutes les autres. Jimbo lui poserait peut-être quelques questions, mais rien qu’il ne saurait esquiver.
Ô, comme Erik aurait aimé conserver cette tranquillité relative.
Mais il y avait quelque chose d’autre.
Alors qu’il s’esquivait, l’escroc n’avait pu qu’apercevoir brièvement la demoiselle rousse qui l’avait fustigé du regard. Sur le coup, il s’en était bien fichu, pour être honnête. Il n’avait pas l’esprit prêt à s’en interroger outre mesure. Et puis, son coup d’éclat valait bien quelqu’inimitié.
Et pourtant. Il y avait quelque chose… quelque chose dans son air… mais aussi… ailleurs. Sa voix. Elle lui semblait familière, non ? Mais d’où ?
D’où, oui ?
Il réfléchissait. Puis saisissait.
Ah.
De là. Ca y est. Il s’en souvenait.
L’âme d’Erik lui sembla s’échapper de son corps, en un ultime soupir.
Evidemment. Le Palais des Rêves. Gé - ni - al. Narantuyäa la mercenaire n’était certes pas sortie de derrière un pilier, mais c’était tout comme. Il reconnaissait la rouquine qui avait cherché à éveiller les consciences de nobles dont on se jouait. Un discours qu’il avait à peine entendu. Il n’avait, cependant, pas manqué son recyclage en hochet pour Maréchal de la Lumière. Roxas l’avait saisie, la traitant ensuite comme une arme improvisée — battant tantôt le sol, tantôt un autre. Et elle n’y pouvait rien.
Y repenser le fit frissonner.
Non. L’escroc ne partit pas dans une nouvelle colère ; il ne se teint pas d’agacement, tout en réalisant une fois de plus que le Destin paraissait vouloir se moquer de lui. Il avait déjà trop donné de cela, ces dernières minutes.
Il s’assis, toutefois, sur les marches montant vers la loge VIP. Le combat n’étant pas tout à fait fini, nul n’y circulait. Il était donc seul avec lui-même. Seul, avec de mauvais souvenirs. Les souvenirs d’une mort qu’il avait effleurée. Erik voulut fermer les yeux, un instant. Mais il se retint. Inutile de donner plus d’espace à ces sombres pensées. Voir les marches, voir cet endroit immonde… voilà qui le tiendrait quelques peu dans ses chaussures, et ne le renverrait pas dans cet obscur bois, où il avait manqué de se vider de son sang ; ou dans ce vaisseau cabossé, où il était, alors, entouré de corps inanimés, et avait cru voir la lumière au bout du tunnel. Sa mâchoire se crispa.
Autant le dire, le jeune homme ne recommanderait pas le Palais des Rêves comme destination de vacances… encore moins aujourd’hui. Le monde avait sombré, après tout. Mais il s’en était sorti, de ça aussi ! De quoi pouvait-il encore avoir peur, sérieusement ?
Ses yeux se perdirent sur ses mains.
Elles tremblaient sensiblement, plus honnêtes qu’il ne l’était.
« … j’suis maudit, put… rée. »
« Maudit ? T’es l’seul maître à bord, tu sais ! »
L’escroc pivota, détaillant celui qui l’avait rejoint, et dont la voix lui était tout à fait connue : son patron. « C’est un peu facile de rejeter ça sur une force supérieure. Tu t’es fait ça toi même ! » ajouta-t-il d’ailleurs, presque moqueur.
« — Roh ta…
- Ma ?
- Rien. »
Inutile de chercher à irriter le contrebandier.
« — Qu’est-ce que tu fiches ici ? interrogea néanmoins Erik.
- Le combat est clairement sur la fin. Puis, je t’avoue, l’idée de voir ta tronche après ce coup-là me faisait bien rire !
- Ah, donc c’est pour te payer ma tête.
- T’aurais préféré que ce soit pour te demander ce que c’était que cette merde ? J’ai oscillé entre les deux. Pour être honnête. Et puis je me suis dit que c’était surtout très drôle. Enfin, félicitations ! Tu vas marquer, j’en suis sûr ! »
Jimbo s’emporta, sur ces mots, de quelques applaudissements qui résonnèrent faiblement dans les escaliers. Il s’approchait tranquillement. Erik tâchait, pour sa part, de déchiffrer son expression : il n’était pas énervé, non. Heureusement. Cependant, l’escroc voulait bien croire qu’il avait failli l’être. Le lancer de saladier de son employé était, après tout, un cri d’attention qu’il n’aurait jamais su voir venir. Entre s’agacer de n’avoir pas eu de contrôle, et s’amuser de ce pétage de plombs en règles, il n’y avait pour le contrebandier qu’un (petit) pas. Erik se fendit d’un sourire amer. « Certainement, siffla-t-il. Même si… vu certains regards que je me suis pris, je vais pas retourner dans la loge.
- Et quoi, te faire prendre à parti par tous les esprits et les vivants qui vont se balader dans les couloirs d’ici… oh, même pas une minute ?
- … j’y avais pas pensé.
- Aaaah… j’aurais dû te laisser en fait. Ca aurait été amusant de voir dans quel état je t’aurais retrouvé au RERC. »
… s’il l’avait retrouvé au RERC. En effet, si certains esprits avaient, à son égard, la même envie de meurtre que la rouquine, l’escroc ne doutait pas de finir plongé dans le Styx avant la fin de la journée.
« Putain mais t’es vraiment pâle comme un mort ! » renchérit son patron, arrivé à son niveau. Erik roula des yeux, haussant les épaules, cherchant à évacuer le sujet : « La fatigue des Enfers, j’imagine. »
« — Mouais. On va dire que tu voulais sacrément le voir gagner, ton poulain…
Bon, hop, debout. Comme j’ai encore besoin de toi… on va faire en sorte que tu finisses pas dans un mur, cadeau des supporters de Brown.
- On file, du coup ? demanda l’escroc, touché par l’espoir d’écourter son expérience infernale.
- Quoi ?! — Jimbo ouvrit de grands yeux ronds. Et louper le reste des matchs ?! Non. J’ai gagné nos places. T’assumes ta connerie. Mais… j’ai un plan. »
— — — — —
Erik ne savait pas s’il devait être reconnaissant, ou dépité. Pour sûr, personne ne le reconnaîtrait. Son patron s’en était assuré, avant de le laisser afin de regagner la loge VIP. Débarrassé de sa veste et de sa chemise, l’escroc rejoignait les gradins vêtu d’un sweat-shirt bleu cousu d’un « HELLCOME. » Les lettres rouges, stylisées de petites flammes ça et là, surmontaient un Hadès extatique.
Ce n’était pas tout.
Son visage était dissimulé derrière un masque en papier mâché ; à l’effigie de Kurt Brown, en plus ! … Quel mauvais goût. Jimbo était bien fier de son coup. La chose faisait juste peur, avec ses yeux découpés et sa forme très approximative ! Erik se trouvait, aussi, désormais paré d’une superbe écharpe « Hell Fantasy » sur laquelle Hadès réécrivait l’histoire en étranglant un à un les dieux de l’Olympe. Voilà qui était tout à fait charmant.
Le match suivant allait bientôt commencer. Fabrizio avait perdu son combat, mais respirait encore, du peu qu'il en saisissait. Bien. A défaut de rejoindre la loge, le jeune homme devrait s’imprégner des prochains matchs depuis le tout public. Il prit place calmement. Qu’importe ce qu'il verrait. Il se sentait vidé. Après les trois arrêts cardiaques quasi-consécutifs qu’il avait subi, plus rien ne pourrait l’atteindre, n’est-ce pas ?