« Miséricorde… »
Son pied était comme entravé par un long cordon qu’elle ne pouvait distinguer à travers l’amas putride dans lequel elle était empêtrée… D’un coup de talon en arrière, elle essaya de s’en débarrasser mais rien n’y fit… et la dernière chose qu’elle désirait, c’était d’éclabousser son visage d’excréments en faisant des mouvements trop brusques, trop énervés. Malheureusement, énervée, elle l’était, seule dans des égoûts qui devaient la conduire au château. Chaque seconde passée dans ce bourbier augmentait sa frustration au-delà de l’acceptable. Elle savait d’ores-et-déjà que son humeur n’allait pas même ressembler à la sienne lors des mauvais jours, toute la semaine à venir. Et il y aurait du sang… Cette énergie, elle allait en faire quelque chose. Garder pour la lumière le chapeau du magicien, étriper Kefka ou massacrer Hans… Il n’y avait que des choix.
Elle continua d’avancer, nullement retenue par le cordon autour de sa botte, seulement gênée, seulement dégoûtée. Si respirer par la bouche fut une solution les dix premières secondes, voilà que les dix dernières minutes lui avaient fait découvrir jusqu’au goût de ces relents, qu’elle avait l’impression de longuement mâcher.
Quel déplorable progrès. Où était cette jeune garde, encore commandante, qui ne pouvait supporter la saleté, les mauvaises odeurs, le contact avec autrui, quelques années plus tôt ? Morte lors de la guerre de Sherwood, qui n’avait comme mérite que de l’avoir endurcie à tout cela. Voilà la plus belle réussite de sa vie de garde de la lumière. Elle avait passé onze de ses vingt-sept printemps une arme à la main pour être capable de marcher dans du purin.
Sa tête bouillait… La moindre chose qu’elle portait la gênait à un point où, si elle s’était laissée emporter par ses émotions, elle aurait sans doute tout jeter dans les égoûts avant de le regretter aussitôt. Son cuir chevelu la démangeait, ses blessures la brûlaient et finalement, la chaleur qu’elle ressentait d’être ainsi fagotée la faisait transpirer. Elle fut tentée plus d’une fois de sortir par un accès plus tôt que prévu mais savait qu’elle devait continuer jusqu’au bout. Et comment savoir jusqu’où aller précisément ? Elle visait le château qui était au sommet de ce mont, si bien qu’elle ne pouvait que monter.
Et à force d’exercice, elle arriva finalement à son but. Ou plus ou moins. Dans ce tunnel sombre, elle aperçut un accès à une trappe, en haut d’une échelle… mais le chemin continuait encore, seulement obstrué par d’épais barreaux séparant sans doute les égoûts des donjons de ceux de la ville. Inutile de forcer les barreaux. Peut-être en était-elle capable mais le bruit produit par une telle tentative réduirait à néant ces quinze minutes de malheurs malodorants, et sans compter sa fatigue, elle refusait de passer une minute supplémentaire dans cet endroit.
Elle commença à gravir l’échelle, agitant ses pieds en-dessous d’elle pour se débarrasser de la boue, des liquides et de toute la misère produite par l’homme, qu’elle avait bien pu accumuler sur ses chaussures. Elle vit ce cordon, en vérité un long tissu déchiré, imbibé de matières fécales, se détacher de sa cheville et ne put arrêter un haut-le-coeur.
Prudente, elle ouvrit délicatement la trappe, à peine assez pour distinguer une aube de la surface. Il y avait des pieds, des dizaines de pieds. Des bottillons, des ballerines, des sabots, voire quelques chaussons, pantoufles, pieds nus. Ces pieds se dirigeaient pour la plupart vers le même endroit.
La générale ne pouvait se risquer à sortir ainsi de sa cachette. Les ennemies étaient en surnombre, leurs renforts infinis. Le combat n’était plus envisageable. Lucas avait raison en parlant de milliers de femmes dans les alentours du chateau, tout comme il disait vrai sur les chances de la jeune femme de réussir son entreprise par une voie commune.
Mais comme elle lui avait sous-entendu, la rapidité et l’agilité n’étaient pas véritablement des atouts qu’elle possédait. Tout comme la discrétion. Mais c’était sur cette dernière qu’elle allait devoir miser. Elle se concentra sur une paire de savates titubant légèrement dans la foule. Hans contrôlait leur esprit à toutes. À la moitié de la population de la galaxie… Son pouvoir psychique était sans commune mesure supérieur, et de loin, à celui qu’elle détenait. Mais il était aussi dispersé. C’était une occasion pour elle de mesurer la puissance de Hans. Si vraiment il avait pris possession de son esprit pour la forcer à voler le chapeau de Maître Yen Sid, s’il était réellement le seul maître à bord de tous ces esprits et si finalement rien ne pouvait interférer dans cette domination qu’il exerçait sur ces femmes, alors elle devait bien admettre qu’il était vain de se battre.
Avant d’agir, elle saisit sa cape grise qu’elle tenait sous le bras, l’enroula autour de sa taille et s’attacha à l’échelle. De ses pouvoirs, elle construit un chemin, un lien entre son cerveau et celui de sa cible aux chaussures noires. Elle ferma les yeux et dans un état de concentration extrême, projeta son esprit dans le sien. Il n’y eut, pendant quelques secondes, plus de sens, d’odeur désagréable, de sensations… seulement cet état douloureux, l’impression d’être une boule d’énergie compressée qui se heurte à un mur. Elle força contre la présence de Hans, chercha des failles dans ce mur, des endroits où l’esprit de Hans ne s’était pas totalement immiscé, des brèches où s’infiltrer. Et elle trouva. Elle pouvait sentir l’esprit de Hans proche du sien, sans doute ne l’avait-il pas repérée… peut-être la prenait-il pour une mère tentant de reprendre le contrôle. Mais elle était à présent dans le corps de cette femme dans la cour, entourée de milliers d’autres. Ravness n’avait pas le temps de traîner en détails. Elle observa les environs, vit la trappe menant aux égouts, et une dizaine de mètres plus loin, les grandes portes menant au château, gardées par deux femmes armées ou du moins… menaçantes. L’une d’elles tenait une lance, tandis que l’autre faisait ses quatre mètres. Général Primus la reconnut immédiatement ou du moins, reconnut sa race. Elle était un géant, de la même acabit qu’Ulthane.
Des centaines de mères parmi la foule semblaient s’éloigner de cette porte et se diriger vers les remparts. Elle aperçut un feu circuler sur le chemin de ronde, et de nombreuses catapultes détruites par les flammes. Ce devait être l’oeuvre de Natsu. Ce dernier avait peut-être trouvé le moyen de distraire l’attention des mères des grandes portes, pour permettre l’accès au château.
Mais non. Ou peut-être, mais ce ne fut pas le mercenaire qu’elle vit. Accroché à un mat au-dessus d’une des tours de guet, se tenait Roxas.
Qu’importe. La générale interrompit son contrôle psychique et revint dans son corps, à moitié suspendu à l’échelle, difficilement retenu par le noeud qu’elle avait fait. Elle ne pouvait prendre plus de temps… si Roxas était là, les autres allaient arriver. Si le combat commençait, elle devait être présente.
La générale rouvrit la trappe légèrement d’une main tandis que de l’autre, elle défit le noeud. Saisissant sa cape, elle la brandit devant elle et se concentra une nouvelle fois. Le tissu gris changea de couleur pour devenir blanc, pour être comme un ciel animé. La brume couvrit chaque pan de la cape en quelques secondes. Et au-dessus de la trappe, depuis le ciel de ce monde, une brume commença à tomber lourdement.
Non, ce n’était pas assez. C’était Hans qui contrôlait ces femmes, pas un esprit à ce point demeuré. Une brume n’était pas assez gênante.
Alors en lieu et en place d’une brume, sur sa cape, le tissu devint blanc mais l’on pouvait distinguer la course frénétique du vent entraînant dans son sillage une neige lourde. Au-dessus de la trappe, en quelques secondes, une tempête de neige fit son apparition, frappant le château. À sa grande satisfaction, même ouvrir la trappe devint compliquée, et elle regretta seulement de ne pas avoir invoqué le déluge pour nettoyer ses habits de cette crasse épouvantable. Mais elle sortit. D’un geste, elle se vêtit de sa cape jadis grise mais à présent, reflet du ciel, la camouflant impeccablement des nombreuses mères. Hans pouvait voir à travers elle, rien ne devait lui permettre de la distinguer à travers une tempête.
La générale vit les portes une fois arrivée à quelques mètres d’elles, toujours défendues par ces deux femmes qui ne l’avaient pas encore vue. Sans attendre, elle se précipita sur la plus petite portant une lance, la saisit par les plaques de son armure et l’écrasa de sa force et de son poids contre la porte avant de l’en dégager et de la laisser tomber à terre.
Elle se retourna prestement vers la géante et vit non pas le visage décidé ou hagard de cette dernière, seulement une énorme botte.
La capitaine des gardes réussit seulement à arrêter le pied de ses mains, dut mettre un genou à terre pour ne pas ployer, et tenta de résister du mieux qu’elle le put à cette force surhumaine. Voilà un aperçu de la force d’Ulthane. Mais forte, elle l’était aussi, davantage encore. Elle pouvait faire plus, plus longtemps. Elle poussa alors sur ses propres pieds, tendit ses bras et fit basculer la géante. Seulement, elle aperçut avec stupeur que cette dernière était aveugle. Elle ne perdit pas de temps, s’approcha du visage aussi gros qu’une baignoire de son adversaire et lui flanqua un coup de talon pour l’assommer.
Elle ouvrit les portes précipitamment, entra dans le chateau et regarda derrière elle. Devait-elle attendre Roxas ? L’avait-il vue passer ? Elle n’avait pas confiance en lui mais avait confiance en sa capacité à trouver une autre voie. Alors elle ferma la porte et de son pouvoir psychique, déplaça en quelques secondes assez de mobiliers dans le hall de ce chateau pour la condamner.
La générale se retourna. Elle n’était pas seule dans ce hall.