Huayan sortit de son petit vaisseau avec l’air grave et le port de tête haut. Les caméras de l’Éclaireur étaient déjà là et allaient scruter le moindre de ses mouvements à partir de maintenant. Francis restait dans l’appareil tandis que des gardes du Consulat allaient escorter la dame jusqu’à l’hémicycle.
« Votre Majesté, quelle est la raison de cette session extraordinaire au Sénat ? »
« Avez-vous la vidéo d’Arthur Rainbow au Château Disney ? S’agit-il d’une fake news ? »
Les questions pleuvaient, mais Huayan ne répondait pas. Pas encore. La Lumière allait voir le nouveau visage de leur adversaire et ils allaient probablement se dire qu’ils auraient dû le laisser repartir comme toute mission diplomatique à défaut de saisir la main tendue.
Ils traversaient les rues avec vigueur. Huayan n’avait pas eu beaucoup de temps pour préparer son allocution. L’improvisation avait du bon. Elle espérait seulement qu’elle ne se laisserait pas emporter par l’opportunité qui se présentait à elle en cette période de crise. Bien sûr, elle chercherait à sauver Arthur.
Mais quelques écarts… Pourraient arriver.
L’esprit concentré sur ses gestes, sa marche… Huayan l’Impératrice conscientisait ce qu’elle s’apprêtait à faire. Le Sénat n’était qu’une formalité à ce stade. Quand elle allait annoncer, vidéo à l’appui, que le Porte-Paroles avait été emprisonné dans le cadre d’une mission diplomatique… L’effet de surprise conjugué aux sentiments de peur et d’incertitude, l’issu du vote était prévisible.
La situation était des plus préoccupantes. Les Cités Dorées du Consulat offrait un cadre de vie paisible aux consuls et aux populations de nos mondes contrairement à d’autres contrées. Un acte qui menacerait cette harmonie si rare en ces temps troublés ? Il était sûr que les votants allaient se joindre aux propositions de l’Impératrice, même si celles-ci n’étaient pas des plus aisées à accepter.
Cependant, en temps de crise, il était bon que le Consulat ait la possibilité de se rassembler derrière une figure forte et influente comme celle de l’Impératrice… Qui était proche du Porte-Parole qui plus est. Huayan n’aimait pas être une « leader ». Elle préférait les seconds rôles, plus propices à pouvoir profiter des opportunités qui se présentaient en demeurant dans l’ombre d’un personnage qui servirait de figure publique ou de bouc émissaire selon les circonstances.
Malheureusement, si elle n’intervenait pas aujourd’hui… Il y avait un risque que d’autres en profitent pour semer le chaos dans les rangs consulaires. Huayan profitait du Consulat autant que ce dernier profitait d’elle et de ses compétences. Si les Cités Dorées s’effondraient, elle trouverait refuge avec l’Empire chez un autre, mais le leadership d’Arthur lui convenait plutôt bien notamment car il lui laissait un contrôle total sur ses terres.
En avançant dans les rues du Jardin Radieux avec son escorte, elle ne pouvait s’empêcher de penser à plein de choses, à de nombreuses personnes. Comment allait réagir Death ? Il avait confié son ultime mission à l’Innommable, donc il ne pourrait pas profiter pleinement des opportunités qui auraient pu se présenter… Mais il allait rire. Ou ricaner plutôt.
Comment Erik Woods, Lenore, Rufus et d’autres qui connaissaient Huayan allaient réagir en voyant son intervention retransmise par l’Éclaireur au Sénat ? Elle s’attendait à recevoir de la visite, elle espérait silencieusement que les ennemis du Consulat ne descendraient pas sur elle comme des rapaces pour la déchiqueter en l’absence d’Arthur.
Ils finirent par arriver au Sommet des Arts. Plusieurs consuls arrivaient comme elle, pressés, inquiets et curieux de savoir ce qui se passait. La panique s’était propagée rapidement dans les rangs des artistes. La peur était et est toujours une composante importante des décisions politiques. Huayan allait leur proposer un marché, face caméra. Cela marcherait… Ou pas.
Les journalistes abandonnèrent leur poursuite tandis que l’escorte se dispersait. Il y avait au Sénat l’agitation des grands jours, cela fourmillait de partout : journalistes, consuls, gardes, assistants. La pression commençait à monter pour l’Impératrice qui était désormais attendue à la tribune d’ici quelques instants. Elle n’allait pas parler uniquement à des membres du Consulat, mais à tous les mondes simultanément. Elle n’avait rien préparé, une improvisation presque totale.
Bien sûr, elle avait déjà envisagé le scénario où Arthur serait tué ou capturé… Mais elle ne pensait pas, ou du moins elle ne souhaitait pas que cela arrive. Elle n’avait plus le choix. Le plan était en route et de son point de vue, c’était la seule chose à faire.
Elle attendait en coulisse, comme une actrice. Derrière des rideaux rouges épais, elle observait d’un œil inquisiteur l’assemblée tout en relisant une des lettres envoyées par la Lumière à tous les membres du Sénat. La somme semblait tellement ridicule par rapport à l’importance du Porte-Parole… Soit ils avaient désespérément besoin d’argent, soit c’était un piège.
C’était bondé et les caméras de l’Éclaireur n’amélioraient rien. Bien vite, le président de séance tapa du marteau pour signifier de faire silence. Son tour approchait. Elle allait pénétrer dans l’arène et faire son « show » devant un public qui attendait des réponses à ses questions.
Elle devait rester calme, ne rien trahir.
« Mes chers confrères, mes chères consœurs, soyez le bienvenu à cette session extraordinaire du Sénat consulat retransmise en direct sur les canaux de l’Éclaireur dans tous les mondes connus. »
Le ton grave et solennel était de mise ici.
« Sans plus attendre, accueillons l’Impératrice Song Huayan dite « Meng Tian », Consule de l’Étiquette à l’origine de cette demande exceptionnelle. » annonça-t-il.
Huayan inspira un grand coup puis entra dans l’hémicycle. Il n’y avait pas d’applaudissements, l’atmosphère était lourde et même si le chaos était monnaie courante dans l’enceinte du Sommet des Arts, on peut dire qu’aujourd’hui, c’était un peu plus posé… Du moins, c’est que l’Impératrice ressentait.
Elle grimpa les quelques marches pour atteindre le pupitre et déposa ses documents, prête à prendre la parole. Le regard au début un peu fuyant, elle posa ses mains contre le bois comme pour s’en servir de point d’ancrage et débuta son plaidoyer :
« J’aimerais, le plus sincèrement du monde, vous remercier à tous d’être venus aujourd’hui en ce moment de crise pour le Consulat et ses habitants. Nous entrons dans des eaux troubles où nos repères sont bouleversés par les actes dégradants d’une minorité qui cherche à survivre en profitant de la générosité et du pardon d’un homme qui ne souhaite que la paix. »
Huayan se redressait alors. Elle tenait son histoire, elle n’avait plus besoin d’appui, elle avait ses ailes et son courant ascendant.
« Comme vous le savez, mon ami, notre ami à tous, le Porte-Parole Arthur Rainbow a été arrêté et est actuellement détenu, d’après les informations dont nous disposons, au Château Disney par les forces de la soi-disante « Lumière ». Arthur a fait une erreur, oui. L’erreur de croire qu’offrir la paix serait bien reçue par cette organisation aveuglée par son idéologie radicale. Il s’est rendu seul, armé uniquement de son courage et de son cœur, demandé une audience à la Générale Cissneï pour parlementer. Il n’a reçu que mépris, dédain et a été accueilli dans des cachots sordides aux côtés de criminels et de délinquants ! Voilà toute la vérité ! »
« Comme vous tous, j’ai reçu cette lettre des deux générales de la Lumière. Apparemment, il est bien plus aisé de réclamer des rançons en échange d’innocents que d’être le phare « des forces du Bien » de nos jours. Les conditions seront discutées, mais bien sûr, le Consulat ira récupérer son Porte-Parole. Nous libèrerons Arthur et nous le ramènerons ici au Sénat ! Nous n’abandonnerons pas notre ami, le Fils d’Erato, qui apporte tant d’éclat sur nos Cités Dorées aux cellules froides et décadentes de la Lumière. Cette bassesse infâme montre au moins que derrière cette « Lumière » se cache une ombre ; une ombre obsédée par une idéologie radicale qui ne la mène nulle part, si ce n’est à se perdre dans des actes indignes comme celui-ci pour survivre. C’est une honte, et je le dis je pense au nom de tous les citoyens et membres du Consulat : je suis indignée ! »
La déclaration fut suivie de nombreuses appréciations des Consuls. Le discours était plutôt incisif, mais Huayan savait que ce n’était que la phase de préparation. Elle devait amener le reste et mieux le terrain est préparé, plus la pilule est facile à faire avaler. Plus c’est gros, plus ça marche.
« Mais qu’en est-il de vous, tous ? » demanda l’Impératrice en observant la foule, croisant l’objectif des caméras de l’Éclaireur.
La foule s’était tue une fois encore.
« Aujourd’hui, le Porte-Parole est enlevé et séquestré. Mais demain ? Les conditions de libération pour le Porte-Parole sont excessivement claires, peut-être même un peu trop si vous voulez mon avis… Mais qui nous dit qu’ils ne recommenceront pas ? Peut-être vous ferez-vous kidnappé lors d’un déplacement ? Peut-être que la Lumière viendra effectuer des pillages sur nos mondes pour financer leur entreprise militaire ? Chaque consul, chaque citoyen des Cités Dorées, a une importance majeure. Arthur Rainbow n’est peut-être que la première victime d’une longue série de rapts visant à rançonner notre organisation ! Je suis peut-être la prochaine. L’un d’entre vous est peut-être le prochain. Nous n’avons plus aucune certitude à ce stade maintenant que nous connaissons la manière dont la Lumière répond aux missions diplomatiques. Nous devons autant sauver Arthur qu’envisager le pire des scénarios pour l’avenir. » continua-t-elle.
L’inquiétude commençait à monter chez certains consuls. Huayan avait affronté bien des choses dans sa courte vie humaine. D’autres consuls n’avaient connu que paix et opulence. La moindre menace, même exagérée comme présentement, créait un sentiment méconnu. La crainte, la peur, la terreur même avec un peu de chance.
« Le Consulat a toujours besoin d’un Porte-Parole. Une voix pour porter le message et la volonté du Sénat. Il nous faut une personne ayant l’habitude de la diplomatie pour mener à bien la libération du Porte-Parole mais également la formation nécessaire pour assurer la bonne tenue du Consulat en l’absence de son véritable guide. En cette heure sombre où notre allié à tous nous manque horriblement, nous n’avons jamais été aussi vulnérables. »
« Le Jardin Radieux sans son Poète, notre cœur à l’unisson avec le désormais otage de la Lumière. Nous pourrions céder à la panique et trembler, voir nous effondrer au profit de puissances étrangères qui convoitent la prospérité et l’harmonie des Cités Dorées. Il n’y a malheureusement pas d’autre alternative. Pour préserver la sécurité du Consulat et de nos peuples, je me vois contrainte de proposer un vote. »
L’attention autant que la tension étaient importantes. Le coup politique était gros.
« Pour assurer la meilleure libération possible au Porte-Parole Rainbow et la continuité du Consulat en son absence, je propose que cette illustre assemblée m’accorde le statut de Porte-Parole des Cités Dorées. Un mandat temporaire de crise qui s’achèvera lorsque notre ami, le Fils d’Erato, sera de nouveau parmi nous : sain et sauf. De plus, je ferais en sorte que lors de cette période de troubles, la sécurité au sein de nos frontières soient rehaussées pour éviter que de telles aberrations surviennent à nouveau ! Ensemble, libérons le Porte-Parole et préservons paix et prospérité ! »
Le ton était volontairement grave. Huayan ne faisait pas d’envolées lyriques pour une élection joyeuse. Elle présentait cela comme une sécurité, une réponse à l’agression de la Lumière. Bien sûr, elle savait que beaucoup de consuls seraient hésitants à sa proposition… Mais Huayan avait les consuls de la Terre des Dragons avec elle et les alliés d’Arthur savaient que les deux avaient de nombreuses accointances politiquement parlant. Ce n’était pas une ennemie, et ils en avaient connaissance.
L’Impératrice espérait que l’émotion suscitée par le rapt d’Arthur aiderait à convaincre les consuls qui suivraient la voix de la majorité. Le Roi Triton pèserait dans la balance également, mais elle espérait que ce dernier suivrait aussi : il l’avait rencontré et ils étaient souverains tous les deux. Les intérêts de l’un rejoignaient de l’autre. Le vote allait être lancé et Huayan restait au pupitre, droite et la tête haute pour montrer toute la fierté qu’elle avait d’être la « sauveuse » du Porte-Parole.
Dans un magnifique moment de démocratie, les mains se levèrent en faveur de la proposition. Oui, elles étaient nombreuses mains. Huayan se retenait de sourire. L’instant devait être solennel, elle résistait à la tentation. Bien sûr, le vote n’était pas unanime, une partie du Sénat n’était pas d’accord avec cette proposition, mais la majorité l’emportait malgré tout.
« La Consule et Impératrice Song Huayan est élue Porte-Parole du Consulat pour un mandat temporaire qui s’achèvera lors du retour d’Arthur Rainbow au Jardin Radieux ! » cria le président du Sénat avant de taper avec un marteau sur sa table.
Une volée d’applaudissement suivirent -du moins pour ceux qui avaient voté en faveur- et Huayan remercia l’assemblée en abaissant la tête respectueusement. Lorsque le silence fut de retour, elle reprit la parole :
« Je vous remercie de la confiance que vous m’accordez mes chers collègues. Ce mandat sera placé sous l’égide de l’ordre et de la sécurité avec pour axe central le retour d’Arthur Rainbow aux commandes, le plus tôt possible et dans les meilleures conditions ! » lâcha-t-elle dans une note de voix désormais plus positive.
« Voici mes premières annonces en tant que Porte-Parole : je vais immédiatement prendre contact avec les forces de la Générale Cissneï après notre assemblée extraordinaire pour négocier la libération au plus vite du Porte-Parole Rainbow. J’annonce également la création du Haut-Commissariat à la Sécurité Consulaire qui aura pour objectif de centraliser et d’unifier la chaîne de commandement des forces du Consulat pour améliorer notre capacité de défense et dont je serais la responsable directe. Aussi, les membres de la Lumière ne seront plus le bienvenu sur les terres consulaires le temps que la libération d’Arthur Rainbow soit effective – toute incursion sera réprimandée d’une arrestation immédiate par les forces de l’ordre- et les consuls entretenant des relations de toute nature avec l’organisation responsable du rapt de notre Porte-parole sont priés de les cesser momentanément, sous peine d’une enquête judiciaire pour collusion avec l’ennemi. »
Les applaudissements revinrent encore une fois. Après la peur qu’elle leur avait mise, les annonces les rassuraient. Faisant mine de mettre en pratique ses décisions, Huayan remercia la foule et les caméras avant de quitter le pupitre et de congédier par conséquent cette assemblée extraordinaire pour contacter la Générale Cissneï par gummiphone.
Dans les coulisses, de nombreux consuls vinrent la voir pour échanger avec elle. Certains n’avaient pas voté en sa faveur. Elle s’en fichait, maintenant que c’était fait, mais elle tâcha d’essayer de les rassurer tandis que l’hémicycle se vidait peu à peu. Elle ne voulait pas croiser les journalistes, si bien qu’elle s’esquiva rapidement.
Mine de rien, elle avait une négociation à mener. Cependant, elle lui restait une dernière chose à faire.
« Gardes ! » s’exclama-t-elle en direction de deux agents de protection du Sénat.
« Oui, Madame ?
- Trouvez le Consul Nikoleis, arrêtez-le pour motif d’une enquête judiciaire pour collusion avec la Lumière dans l’enlèvement du Porte-Parole Rainbow. Transférez-le à l’astroport pour qu’il soit confié à mon agent Francis. Il sera conduit dans mes prisons en détention provisoire.
- À vos ordres ! »
Nous te libérerons Arthur… Nous te libérerons.
Mais… Il faut bien profiter de certaines occasions quand elles se présentent.
« Votre Majesté, quelle est la raison de cette session extraordinaire au Sénat ? »
« Avez-vous la vidéo d’Arthur Rainbow au Château Disney ? S’agit-il d’une fake news ? »
Les questions pleuvaient, mais Huayan ne répondait pas. Pas encore. La Lumière allait voir le nouveau visage de leur adversaire et ils allaient probablement se dire qu’ils auraient dû le laisser repartir comme toute mission diplomatique à défaut de saisir la main tendue.
Ils traversaient les rues avec vigueur. Huayan n’avait pas eu beaucoup de temps pour préparer son allocution. L’improvisation avait du bon. Elle espérait seulement qu’elle ne se laisserait pas emporter par l’opportunité qui se présentait à elle en cette période de crise. Bien sûr, elle chercherait à sauver Arthur.
Mais quelques écarts… Pourraient arriver.
L’esprit concentré sur ses gestes, sa marche… Huayan l’Impératrice conscientisait ce qu’elle s’apprêtait à faire. Le Sénat n’était qu’une formalité à ce stade. Quand elle allait annoncer, vidéo à l’appui, que le Porte-Paroles avait été emprisonné dans le cadre d’une mission diplomatique… L’effet de surprise conjugué aux sentiments de peur et d’incertitude, l’issu du vote était prévisible.
La situation était des plus préoccupantes. Les Cités Dorées du Consulat offrait un cadre de vie paisible aux consuls et aux populations de nos mondes contrairement à d’autres contrées. Un acte qui menacerait cette harmonie si rare en ces temps troublés ? Il était sûr que les votants allaient se joindre aux propositions de l’Impératrice, même si celles-ci n’étaient pas des plus aisées à accepter.
Cependant, en temps de crise, il était bon que le Consulat ait la possibilité de se rassembler derrière une figure forte et influente comme celle de l’Impératrice… Qui était proche du Porte-Parole qui plus est. Huayan n’aimait pas être une « leader ». Elle préférait les seconds rôles, plus propices à pouvoir profiter des opportunités qui se présentaient en demeurant dans l’ombre d’un personnage qui servirait de figure publique ou de bouc émissaire selon les circonstances.
Malheureusement, si elle n’intervenait pas aujourd’hui… Il y avait un risque que d’autres en profitent pour semer le chaos dans les rangs consulaires. Huayan profitait du Consulat autant que ce dernier profitait d’elle et de ses compétences. Si les Cités Dorées s’effondraient, elle trouverait refuge avec l’Empire chez un autre, mais le leadership d’Arthur lui convenait plutôt bien notamment car il lui laissait un contrôle total sur ses terres.
En avançant dans les rues du Jardin Radieux avec son escorte, elle ne pouvait s’empêcher de penser à plein de choses, à de nombreuses personnes. Comment allait réagir Death ? Il avait confié son ultime mission à l’Innommable, donc il ne pourrait pas profiter pleinement des opportunités qui auraient pu se présenter… Mais il allait rire. Ou ricaner plutôt.
Comment Erik Woods, Lenore, Rufus et d’autres qui connaissaient Huayan allaient réagir en voyant son intervention retransmise par l’Éclaireur au Sénat ? Elle s’attendait à recevoir de la visite, elle espérait silencieusement que les ennemis du Consulat ne descendraient pas sur elle comme des rapaces pour la déchiqueter en l’absence d’Arthur.
Ils finirent par arriver au Sommet des Arts. Plusieurs consuls arrivaient comme elle, pressés, inquiets et curieux de savoir ce qui se passait. La panique s’était propagée rapidement dans les rangs des artistes. La peur était et est toujours une composante importante des décisions politiques. Huayan allait leur proposer un marché, face caméra. Cela marcherait… Ou pas.
Les journalistes abandonnèrent leur poursuite tandis que l’escorte se dispersait. Il y avait au Sénat l’agitation des grands jours, cela fourmillait de partout : journalistes, consuls, gardes, assistants. La pression commençait à monter pour l’Impératrice qui était désormais attendue à la tribune d’ici quelques instants. Elle n’allait pas parler uniquement à des membres du Consulat, mais à tous les mondes simultanément. Elle n’avait rien préparé, une improvisation presque totale.
Bien sûr, elle avait déjà envisagé le scénario où Arthur serait tué ou capturé… Mais elle ne pensait pas, ou du moins elle ne souhaitait pas que cela arrive. Elle n’avait plus le choix. Le plan était en route et de son point de vue, c’était la seule chose à faire.
Elle attendait en coulisse, comme une actrice. Derrière des rideaux rouges épais, elle observait d’un œil inquisiteur l’assemblée tout en relisant une des lettres envoyées par la Lumière à tous les membres du Sénat. La somme semblait tellement ridicule par rapport à l’importance du Porte-Parole… Soit ils avaient désespérément besoin d’argent, soit c’était un piège.
C’était bondé et les caméras de l’Éclaireur n’amélioraient rien. Bien vite, le président de séance tapa du marteau pour signifier de faire silence. Son tour approchait. Elle allait pénétrer dans l’arène et faire son « show » devant un public qui attendait des réponses à ses questions.
Elle devait rester calme, ne rien trahir.
« Mes chers confrères, mes chères consœurs, soyez le bienvenu à cette session extraordinaire du Sénat consulat retransmise en direct sur les canaux de l’Éclaireur dans tous les mondes connus. »
Le ton grave et solennel était de mise ici.
« Sans plus attendre, accueillons l’Impératrice Song Huayan dite « Meng Tian », Consule de l’Étiquette à l’origine de cette demande exceptionnelle. » annonça-t-il.
Huayan inspira un grand coup puis entra dans l’hémicycle. Il n’y avait pas d’applaudissements, l’atmosphère était lourde et même si le chaos était monnaie courante dans l’enceinte du Sommet des Arts, on peut dire qu’aujourd’hui, c’était un peu plus posé… Du moins, c’est que l’Impératrice ressentait.
Elle grimpa les quelques marches pour atteindre le pupitre et déposa ses documents, prête à prendre la parole. Le regard au début un peu fuyant, elle posa ses mains contre le bois comme pour s’en servir de point d’ancrage et débuta son plaidoyer :
« J’aimerais, le plus sincèrement du monde, vous remercier à tous d’être venus aujourd’hui en ce moment de crise pour le Consulat et ses habitants. Nous entrons dans des eaux troubles où nos repères sont bouleversés par les actes dégradants d’une minorité qui cherche à survivre en profitant de la générosité et du pardon d’un homme qui ne souhaite que la paix. »
Huayan se redressait alors. Elle tenait son histoire, elle n’avait plus besoin d’appui, elle avait ses ailes et son courant ascendant.
« Comme vous le savez, mon ami, notre ami à tous, le Porte-Parole Arthur Rainbow a été arrêté et est actuellement détenu, d’après les informations dont nous disposons, au Château Disney par les forces de la soi-disante « Lumière ». Arthur a fait une erreur, oui. L’erreur de croire qu’offrir la paix serait bien reçue par cette organisation aveuglée par son idéologie radicale. Il s’est rendu seul, armé uniquement de son courage et de son cœur, demandé une audience à la Générale Cissneï pour parlementer. Il n’a reçu que mépris, dédain et a été accueilli dans des cachots sordides aux côtés de criminels et de délinquants ! Voilà toute la vérité ! »
« Comme vous tous, j’ai reçu cette lettre des deux générales de la Lumière. Apparemment, il est bien plus aisé de réclamer des rançons en échange d’innocents que d’être le phare « des forces du Bien » de nos jours. Les conditions seront discutées, mais bien sûr, le Consulat ira récupérer son Porte-Parole. Nous libèrerons Arthur et nous le ramènerons ici au Sénat ! Nous n’abandonnerons pas notre ami, le Fils d’Erato, qui apporte tant d’éclat sur nos Cités Dorées aux cellules froides et décadentes de la Lumière. Cette bassesse infâme montre au moins que derrière cette « Lumière » se cache une ombre ; une ombre obsédée par une idéologie radicale qui ne la mène nulle part, si ce n’est à se perdre dans des actes indignes comme celui-ci pour survivre. C’est une honte, et je le dis je pense au nom de tous les citoyens et membres du Consulat : je suis indignée ! »
La déclaration fut suivie de nombreuses appréciations des Consuls. Le discours était plutôt incisif, mais Huayan savait que ce n’était que la phase de préparation. Elle devait amener le reste et mieux le terrain est préparé, plus la pilule est facile à faire avaler. Plus c’est gros, plus ça marche.
« Mais qu’en est-il de vous, tous ? » demanda l’Impératrice en observant la foule, croisant l’objectif des caméras de l’Éclaireur.
La foule s’était tue une fois encore.
« Aujourd’hui, le Porte-Parole est enlevé et séquestré. Mais demain ? Les conditions de libération pour le Porte-Parole sont excessivement claires, peut-être même un peu trop si vous voulez mon avis… Mais qui nous dit qu’ils ne recommenceront pas ? Peut-être vous ferez-vous kidnappé lors d’un déplacement ? Peut-être que la Lumière viendra effectuer des pillages sur nos mondes pour financer leur entreprise militaire ? Chaque consul, chaque citoyen des Cités Dorées, a une importance majeure. Arthur Rainbow n’est peut-être que la première victime d’une longue série de rapts visant à rançonner notre organisation ! Je suis peut-être la prochaine. L’un d’entre vous est peut-être le prochain. Nous n’avons plus aucune certitude à ce stade maintenant que nous connaissons la manière dont la Lumière répond aux missions diplomatiques. Nous devons autant sauver Arthur qu’envisager le pire des scénarios pour l’avenir. » continua-t-elle.
L’inquiétude commençait à monter chez certains consuls. Huayan avait affronté bien des choses dans sa courte vie humaine. D’autres consuls n’avaient connu que paix et opulence. La moindre menace, même exagérée comme présentement, créait un sentiment méconnu. La crainte, la peur, la terreur même avec un peu de chance.
« Le Consulat a toujours besoin d’un Porte-Parole. Une voix pour porter le message et la volonté du Sénat. Il nous faut une personne ayant l’habitude de la diplomatie pour mener à bien la libération du Porte-Parole mais également la formation nécessaire pour assurer la bonne tenue du Consulat en l’absence de son véritable guide. En cette heure sombre où notre allié à tous nous manque horriblement, nous n’avons jamais été aussi vulnérables. »
« Le Jardin Radieux sans son Poète, notre cœur à l’unisson avec le désormais otage de la Lumière. Nous pourrions céder à la panique et trembler, voir nous effondrer au profit de puissances étrangères qui convoitent la prospérité et l’harmonie des Cités Dorées. Il n’y a malheureusement pas d’autre alternative. Pour préserver la sécurité du Consulat et de nos peuples, je me vois contrainte de proposer un vote. »
L’attention autant que la tension étaient importantes. Le coup politique était gros.
« Pour assurer la meilleure libération possible au Porte-Parole Rainbow et la continuité du Consulat en son absence, je propose que cette illustre assemblée m’accorde le statut de Porte-Parole des Cités Dorées. Un mandat temporaire de crise qui s’achèvera lorsque notre ami, le Fils d’Erato, sera de nouveau parmi nous : sain et sauf. De plus, je ferais en sorte que lors de cette période de troubles, la sécurité au sein de nos frontières soient rehaussées pour éviter que de telles aberrations surviennent à nouveau ! Ensemble, libérons le Porte-Parole et préservons paix et prospérité ! »
Le ton était volontairement grave. Huayan ne faisait pas d’envolées lyriques pour une élection joyeuse. Elle présentait cela comme une sécurité, une réponse à l’agression de la Lumière. Bien sûr, elle savait que beaucoup de consuls seraient hésitants à sa proposition… Mais Huayan avait les consuls de la Terre des Dragons avec elle et les alliés d’Arthur savaient que les deux avaient de nombreuses accointances politiquement parlant. Ce n’était pas une ennemie, et ils en avaient connaissance.
L’Impératrice espérait que l’émotion suscitée par le rapt d’Arthur aiderait à convaincre les consuls qui suivraient la voix de la majorité. Le Roi Triton pèserait dans la balance également, mais elle espérait que ce dernier suivrait aussi : il l’avait rencontré et ils étaient souverains tous les deux. Les intérêts de l’un rejoignaient de l’autre. Le vote allait être lancé et Huayan restait au pupitre, droite et la tête haute pour montrer toute la fierté qu’elle avait d’être la « sauveuse » du Porte-Parole.
Dans un magnifique moment de démocratie, les mains se levèrent en faveur de la proposition. Oui, elles étaient nombreuses mains. Huayan se retenait de sourire. L’instant devait être solennel, elle résistait à la tentation. Bien sûr, le vote n’était pas unanime, une partie du Sénat n’était pas d’accord avec cette proposition, mais la majorité l’emportait malgré tout.
« La Consule et Impératrice Song Huayan est élue Porte-Parole du Consulat pour un mandat temporaire qui s’achèvera lors du retour d’Arthur Rainbow au Jardin Radieux ! » cria le président du Sénat avant de taper avec un marteau sur sa table.
Une volée d’applaudissement suivirent -du moins pour ceux qui avaient voté en faveur- et Huayan remercia l’assemblée en abaissant la tête respectueusement. Lorsque le silence fut de retour, elle reprit la parole :
« Je vous remercie de la confiance que vous m’accordez mes chers collègues. Ce mandat sera placé sous l’égide de l’ordre et de la sécurité avec pour axe central le retour d’Arthur Rainbow aux commandes, le plus tôt possible et dans les meilleures conditions ! » lâcha-t-elle dans une note de voix désormais plus positive.
« Voici mes premières annonces en tant que Porte-Parole : je vais immédiatement prendre contact avec les forces de la Générale Cissneï après notre assemblée extraordinaire pour négocier la libération au plus vite du Porte-Parole Rainbow. J’annonce également la création du Haut-Commissariat à la Sécurité Consulaire qui aura pour objectif de centraliser et d’unifier la chaîne de commandement des forces du Consulat pour améliorer notre capacité de défense et dont je serais la responsable directe. Aussi, les membres de la Lumière ne seront plus le bienvenu sur les terres consulaires le temps que la libération d’Arthur Rainbow soit effective – toute incursion sera réprimandée d’une arrestation immédiate par les forces de l’ordre- et les consuls entretenant des relations de toute nature avec l’organisation responsable du rapt de notre Porte-parole sont priés de les cesser momentanément, sous peine d’une enquête judiciaire pour collusion avec l’ennemi. »
Les applaudissements revinrent encore une fois. Après la peur qu’elle leur avait mise, les annonces les rassuraient. Faisant mine de mettre en pratique ses décisions, Huayan remercia la foule et les caméras avant de quitter le pupitre et de congédier par conséquent cette assemblée extraordinaire pour contacter la Générale Cissneï par gummiphone.
Dans les coulisses, de nombreux consuls vinrent la voir pour échanger avec elle. Certains n’avaient pas voté en sa faveur. Elle s’en fichait, maintenant que c’était fait, mais elle tâcha d’essayer de les rassurer tandis que l’hémicycle se vidait peu à peu. Elle ne voulait pas croiser les journalistes, si bien qu’elle s’esquiva rapidement.
Mine de rien, elle avait une négociation à mener. Cependant, elle lui restait une dernière chose à faire.
« Gardes ! » s’exclama-t-elle en direction de deux agents de protection du Sénat.
« Oui, Madame ?
- Trouvez le Consul Nikoleis, arrêtez-le pour motif d’une enquête judiciaire pour collusion avec la Lumière dans l’enlèvement du Porte-Parole Rainbow. Transférez-le à l’astroport pour qu’il soit confié à mon agent Francis. Il sera conduit dans mes prisons en détention provisoire.
- À vos ordres ! »
Nous te libérerons Arthur… Nous te libérerons.
Mais… Il faut bien profiter de certaines occasions quand elles se présentent.