Je m’en rappelle encore. Une fin de matinée comportant son lot de rendez-vous, une pile de courrier en attente qui s’entassait de plus en plus. Et un appel.
Un vaisseau venait d’être abattu dans l’espace. L’un des nôtres avait été attaqué et la flotte chargée de sa défense avait riposté, causant quelques dommage collatéraux. D’après le rapport de l’un des soldats à bord, l’un des vaisseaux détruits avait laissé s’échapper un objet des plus intéressants. Selon ses dires il « irradiait l’espace d’une lumière aveuglante ». Bien sûr, après l’avoir observé dériver au loin pendant quelques minutes, ils s’en étaient rapproché et avaient entamé une procédure de récupération.
Ils avaient ramené leur butin sur le vaisseau-mère, sans même se soucier du danger potentiel que pouvait représenter cet artefact. La lumière et les ténèbres étaient les deux forces qui régissaient notre monde et… leur potentiel était illimité. Je n’étais cependant pas dupe. Si l’on assignait la lumière à la création et les ténèbres à la destruction, je me plaisais à croire que c’était l’équilibre entre les deux qui permettait la vie.
Trop de ténèbres amenaient irrémédiablement à la mort et, si les livres n’en parlaient pas, je soupçonnais qu’un surplus de lumière puisse aussi avoir des conséquences néfastes. Les Princesses de Coeur étant évidemment une exception de par leur nature.
Appelé à la fin de cette matinée, je fus informé de la présence de cet objet sur le vaisseau-mère. Je cessai immédiatement toute activité pour rejoindre le laboratoire dans lequel ce qui semblait être un fragment de lumière avait été placé. Je demandai à ce que l’on fasse venir Vexen immédiatement, et dans les minutes qui suivirent il était là.
Nous nous interrogeâmes sur sa nature. Les hypothèses fusèrent dans le laboratoire, jusqu’à ce que notre meilleur scientifique émette celle qui fut retenue. Agrémentant son discours de termes tous plus scientifiques les uns que les autres, il en vint à comparer cette lumière si pure, si puissante à celle d’un autre artefact similaire. Il parlait de la Pierre Angulaire, du Château Disney.
Cette pierre avait été connue pour établir une protection durable contre les ténèbres. Et pour cause, jusqu’à sa destruction, le monde était protégé des sans coeurs. Qu’elle fut détruite en plusieurs fragments lui donna la certitude que ce qui se trouvait sous nos yeux en était un vestige.
Aussi irréel que cela pouvait paraître, nous venions de mettre la main sur l’un des morceaux que composaient autrefois cette pierre.
Je donnais immédiatement mes instructions. Seul Vexen, ainsi qu’une équipe qu’il aurait lui même constituée ne pourraient s’en approcher. Je le chargeais aussi de l’étudier, sous tout ses aspects, de percer ses secrets. Il devait connaître sa résistance, établir une liste de toutes ses exploitations possibles et, surtout, il devait réussir à la reproduire. Comme toute source d’énergie, celle-ci se tarirait au bout d’un moment. Les chances de mettre la main sur un second fragment étant minces, il ne nous fallait pas laisser passer cette chance.
Lorsque j’eus finis, je restais contemplatif. Depuis de longues minutes mon regard s’était posé sur l’artefact. Je me surprenais moi-même à ne pas réussir à m’en détacher. Je fis quelques pas dans sa direction, j’avais la sensation qu’il m’appelait. J’entendis Vexen me dire quelque chose, mais, absorbé par cette lumière je n’entendis qu’un genre de bruit lointain, inintelligible. Une fois suffisamment près, je tendis la main dans sa direction jusqu’à la toucher.
Une étrange sensation me parvint alors, parcourant mon coeur et mon corps dans leur entièreté. C’était une sensation douce, délicate, enveloppante même et… Je me surpris à fermer les yeux. Je me sentais étonnamment bien, le reste tout autour devenait insignifiant. Puis des souvenirs me revinrent. Je me voyais, jeune en train de jouer avec mon père avant qu’il ne parte au travail. Je le revoyais de mes yeux d’enfant, volant du bout de ses bras. C’était peut-être l’une des rares fois où je l’avais vu sourire.
Je me reculais d’un pas, coupant tout contact avec la pierre. De la cour de notre maison au Jardin Radieux, j’avais été transporté dans ce laboratoire où ceux qui étaient encore sur place m’observaient. Le sourire qui s’était dessiné sur mon visage retomba lentement alors que j’ouvrais les yeux.
Immédiatement, Vexen me demanda ce qu’il venait de se passer. Gêné, je ne lui répondis seulement que je venais de revivre un souvenir. Je me sentais vide alors que le pouvoir de la pierre venait de me quitter. Comme une addiction qui n’avait pas été assouvie depuis longtemps. Je m’éloignais de quelques pas, peut-être même apeuré à l’idée de devenir esclave de cette pierre et ne m’arrêtais que lorsque j’atteignis la sortie. Je me retournais une dernière fois pour lui répéter mes directives avant de m’éloigner de ce laboratoire aussi loin qu’il me l’était possible.