-Où es-tu ?
Je t’avais cherché ; défoncé la porte de ton appartement du Jardin Radieux ; retourné la ville à ta recherche. Je t’avais appelé cent fois, sans jamais laisser de message. Sans doute aurais-je pu te laisser un mot, pour te rassurer, mais je me refusais à avoir cette conversation par écrit, sans être jamais sûre de recevoir une réponse. Non, je te voulais devant moi, pour te dire que je savais, et que, oui, tu l’avais peut-être cru, mais ça ne changeait rien. Enfin si, mais pas pour cette chose qui consumait mon être, à petit feu, jour après jour. Car si tu l’ignorais encore, j’étais prête à traverser cent fois l’enfer pour toi.
Prête à brûler pour entendre la douceur de ta voix en dépit de la violence de tes derniers mots, chaque son une caresse, ton intonation si particulière. Tout cela me rappelait à quel point j’aimais t’entendre vivre chaque jour. Toi, ta voix, t’entendre parler de choses futiles ; toi, ta voix, t’écouter respirer au petit matin alors que tu étais encore assoupi.
Mes pas m’avaient menée vers nos derniers jours heureux. En désespoir de cause, j’avais prié de toutes mes forces tous les dieux en lesquels on pouvait croire dans cet univers pour que tu aies décidé de t’y rendre, et à défaut pouvoir revivre quelques instants douloureux dans des souvenirs presque lointains.
L’écume léchait la peau de mes jambes dans une caresse perpétuelle. Il faisait pratiquement nuit, cela rendrait bientôt l’horizon mêlé au ciel. Je me retournai vers la ville pour observer. De nuit les ravages étaient moins visibles, si ce n’est que la plupart des lumières étaient éteintes dans les restaurants, les hôtels, les boutiques. Etrange pour cette ville faite pour la vie de nuit, les soirées arrosées sur la plage.
J’abandonnai négligemment mes bottes au bord de l’eau et trainant presque mon épée à bout de doigts, je rejoignis la promenade. Je marchais dessus, faisant frotter de temps à autre ma lame sur les pavés, provoquant des bruits stridents et désagréables qui ne parvenaient pas à me réveiller.
Je voulais rejoindre la piscine, l’hôtel, la boutique dans laquelle nous avions trouvé nos maillots, le restaurant dans lequel nous avions trouvé le carnet. Tout refaire comme pour tout réparer.
Je ne le remarquai pas à cet instant mais un bruit montait au loin, des crissements, puis des vibrations de moteur. J’y faisais dos et continuais de progresser, pratiquement invisible dans la nuit, cachée dans mes habits et mes cheveux noirs. Seuls mes pieds nus auraient pu me trahir, ainsi que le reflet de ma lame.
Le bruit ne cessait de croître mais toujours je refusais d’écouter. Un dernier crissement, un virage pris serré, un dérapage, suivi d’un deuxième parce que deux moteurs et deux voitures.
La lumière commençait à éblouir la scène devant moi, j’aurais dû comprendre qu’ils fonçaient dans ma direction et m’écarter, mais non. J’avançais, l’âme indolente.
Au dernier moment, le choc du pied sur le frein, la gomme des pneus qui fond, le cri du moteur. Je finis enfin par me retourner et fis face à un capot, puis un pare-brise derrière lesquels se trouvaient des gens. Je les regardais avec indifférence même si je ne pouvais pas les reconnaître : j’étais totalement illuminée par les phares des deux voitures alignées l’une derrière l’autre.
J’entendis une portière de la première voiture s’ouvrir, puis le mécanisme d’une fenêtre de la deuxième se baisser.
-Rude, qu’est-ce qui se passe ?
C’était la voix d’une femme. L’homme qui se tenait devant moi avait le crâne chauve et des lunettes de soleil, en pleine nuit. Sa tenue était sobre et bien taillée, mais il ressemblait plus à un homme de main qu’à un self-made man. Il devait travailler pour quelqu’un d’important. Et ce convoi de deux voitures semblait le confirmer. Je fis un pas en arrière commençant à comprendre à qui j’avais affaire.