Etienne Fabre
Identité
- Nom : Fabre
- Prénom : Etienne
- Titre : Advocatus Deii
- ge : 51 ans
- Camp : Sanctum
- Monde d'Origine : Cité des Rêves
- Race : Humain
- Grade désiré : Raisonnable
Physionomie
« Et tu es sûre… ? »
Annette me regarde, sourcils froncés.
« Je ne peux pas l’être sans jeter un œil. »
Terre à terre, comme toujours. Je réalise bien qu’elle est dubitative, mais son diagnostic m’est…
M’est quoi ?
Important ? Vital ? Absolument putain de fondamental ?
Je lui jette un dernier coup d’œil, vérifie qu’elle ne cache pas une farce, une surprise, une plaisanterie – Même si, sur ce sujet, et de sa part, je sais que c’est illusoire.
Malgré toutes ses qualités, Annette n’a jamais daigné développer un quelconque sens de l’humour. Non, comme toujours, ses traits sont tirés, ses rides marquées par la fatigue plus que l’âge. Pire, peut-être, car elle porte son chignon des longues journées, celui qui laisse déjà s’échapper mèches blondes et blanches, et je réalise que j’ai interrompu une matinée qui s’annonce difficile.
Elle ne me reproche rien, pourtant.
Je note ses mouvements prudents autour de moi, ses allées et venues trop énergiques, la façon dont elle glisse sa langue sur son pouce pour tourner les pages… Tous ces indices qu’au fil des ans j’ai appris à reconnaître.
Elle ne me croit pas.
Elle s’imagine peut-être que je fabule, que les insomnies m’ont rendu instable…
C’est presque rassurant.
Malgré tout, elle a pris le temps de rechercher ma question, rongeant sur ses rares soirées libres pour se documenter, et, un instant, la reconnaissance submerge l’inquiétude.
Si véritablement je deviens fou, au moins aura-t-elle écouté mes dernières paroles.
« Etienne. »
Son ton est posé. Calme. Est-ce à cela que ma voix ressemble, quand je m’adresse aux fidèles ? Non… Elle chante en alto lors des chorales, légère face à mon éternel rôle de baryton. Et puis, Annette a toujours eu un verbe plus incisif, plus tranchant que le mien.
« Dépêche-toi. Je n’ai pas que toi comme patient. »
Revoilà l’Annette que je connais, dure et assurée, celle qui marche d’un pas pressé à travers les cadavres et les mourants même au milieu des pires tourmentes.
Elle a raison, d’ailleurs. Pour l’instant, l’infirmerie est vide, mais ça ne durera pas : elle a une longue journée devant elle, et il ne m’appartient pas de m’imposer.
Mais, égoïstement, j’aurai aimé qu’elle aborde la chose avec un peu plus de délicatesse.
Déjà, se mettre en caleçon devant une collègue, ce n’est que très moyennement plaisant. Surtout une collègue avec laquelle on a longtemps partagé une cellule, un lit, un rêve - beaucoup, donc.
Pire, peut-être, de se voir dans le miroir du fond, décharné par l’angoisse de ces derniers mois. Imaginer son regard sur un corps qui s’est creusé au fil des jours, par le deuil d’abord, puis... par le reste.
Sans parler des deux lits drapés de blanc qui bordent la salle, où à chaque instant je crois voir l’ombre d’un occupant. La vie de prêtre implique une vie en communauté, et je pensais m’être fait à ce manque d’intimité ; toutefois, en cette pâle matinée, l’idée de me faire surprendre me révulse jusqu’à la nausée.
Il y avait des choses que je n'étais pas prêt à accepter. Et encore moins à partager avec le reste du clergé.
Ma présence devant Annette était déjà le résultat de semaines d'angoisses et d’hésitations.
D’une part, parce que l’infirmerie m’évoque quantité de mauvais souvenir. Depuis l’attaque, je l’ai évité comme la peste ; au point qu’Annette et moi avons chacun noyé notre deuil dans nos vocations respectives, n’échangeant qu’un regard au détour des couloirs de la Citadelle.
A travers ces mois... elle n’a pas changé. Je n’aurais pas dû être surpris. Annette a toujours eu un physique à la mesure de son mental : strict, presque ascétique, au point que même à vingt ans ses traits étaient déjà secs et vifs comme ceux d’une femme de deux fois son âge.
Pourtant, ou peut-être justement à cause de cela, je l’avais trouvée… Soyons franc : je la trouve belle. Belle par ses yeux aciers, par son front marqué, par ses sourcils perpétuellement frustrés...
Comme ce lieu fait de dalles grises, de lits de bois brut, de draps tendus et lessivés jusqu’à la pulpe, à peine marqué par un grand miroir vide : Annette est un roc brut, sans concession, salvateur mais mis à nu.
Un roc duquel j’ai glissé.
Difficile, après ceci, après la perte qui nous a brisés, de revenir l’un vers l’autre. Difficile d’aller vers quiconque, après les attaques successives, après l’épuisement résigné qui nous avait pénétré peu à peu.
Était-ce là la cause de mes maux ?
Non. Ils ont commencé presque un an après la dernière attaque sur la Citadelle, et de façon trop marquée pour qu’il y ait un rapport direct…
Ou me fais-je encore des idées ?
Annette me détaille, et je lis en elle une trace d’inquiétude, profondément enfouie sous cette indifférence fatiguée qu’elle érige en muraille face à la douleur de ses patients. Finalement, elle me désigne une chaise, puis s’assoit pour se replonger dans ses notes.
Elle a raison : je n’ai pas le loisir de faire des manières.
Sans pouvoir empêcher un regard nerveux vers la porte d’entrée, je défais ma soutane. J’avais tant de mal, les premiers jours, à porter un col droit. Ce n’est que maintenant que je réalise le réconfort qu’il peut procurer - et donc le désarroi de devoir s’en passer.
Idem pour le noir de mon office, suffisamment informe pour cacher mes côtes devenues saillantes au pire de mes délires. Je déboutonne tout de même, et ma soutane glisse, tissu lourd et épais contre ma chemise.
J’ôte l’étoffe noire, puis la plie sur la chaise avec trop de minutie. Toujours ce regret de quitter mon uniforme. Comme une impression de diminuer, sans le renfort du tissu pour assurer mon rôle.
A peine posée, ma soutane s’affaisse. Un piteux reflet de ma propre attitude.
Inquiet de faire attendre Annette, je ne reprends pas le pli défectueux, et pourtant me vient à l’esprit que de laisser cette chemise ainsi serait inviter une forme de malchance -
Décidément, je ne suis plus moi-même.
J’inspire. Peut-être est-ce une de ces maladies magiques dont on entend parfois parler ? Quelque chose d’exotique, d’absurde…
Je lève les yeux, et le miroir renvoie la forme d’un homme ordinaire. Un visage comme il en a des centaines entre les mondes, suffisamment bruni pour rester inaperçu tant au Domaine que dans les Souks d’Agrabah. Un visage qui si rarement porte une telle expression de désemparement….
Comme un chevalier qui enlève son armure, j’ai quitté ma robe noire pour redevenir un aspirant en chemise.
J’ai peu de souvenirs de ma cérémonie d’intronisation. Peut-être cela vaut-il mieux.
Il n’empêche, je me souviens avoir eu les bras plus musclés que ça, à mon arrivée : des bras capables de souffler une forge pendant la meilleure part de la journée, et de la chair pour remplir mes épaules maintenant trop larges... Même mes mains, autrefois écornées par le contact du métal, sont devenues noueuses et marbrées de veines.
J’étais encore ce qui pouvait passer pour un jeune homme, quand j’ai la première fois passé la porte du Sanctum.
A croire que depuis, tout a fondu…
Pour donner quoi ?
Je serre les mains sur ma chemise.
Je n’ai jamais douté de ma vocation. Ni pendant la guerre, ni pendant l’attaque…
Mais ce qui m’arrive est autrement plus personnel.
Pourtant, semaine après semaine, je l’ai dissimulé avec une facilité déconcertante. Les creux de mon visage sont caché par ma barbe, les rides de mes orbites effacé par mon regard trop noir et trop franc. Franc ! Comme si. Les gens vous croient honnête si vous les regardez dans les yeux, si vous y mettez suffisamment d’intensité…
C’est l’avantage, d’avoir des traits rigides comme les miens : joie comme inquiétude disparaissent, lissés avec les expressions d’effrois, de tristesse ou de colère.
Reste une impression de sérieux et de stabilité qui en rassurent plus d’un.
Ce qui rend mes angoisses d’autant plus ironiques.
Mais Annette n’a jamais été dupe de ma façade. Entrer dans son infirmerie, c’est savoir qu’elle lira en moi quoiqu’il arrive - et donc une bonne excuse pour laisser libre court à toutes mes inquiétudes.
Et puis, elle a toujours été de bon conseil. Tant comme guérisseuse qu’experte de notre foi.
Puisque la foi est tout le problème, ici.
J’enlève ma chemise. Puis, sans un regard pour ce qui depuis des nuits me nargue, je plie le lin en un carré, propre cette fois.
Une fois torse nu, j’inspire à nouveau.
Je lorgne un instant sur mes bottes poussiéreuses. Mes jambes ne tremblent pas, même si je sens que ma chair de poule a contaminé mes mollets - peut être la seule partie de mon corps que les innombrables escaliers de la Citadelle ont su conserver.
Puis, alors que je m’attarde encore un peu sur les larges pierres du sol de l’infirmerie, une exclamation d’Annette me force à lever les yeux.
Face à moi, dans ce grand miroir poussiéreux, se tient le corps d’un homme d’âge mûr. Déjà ?
Ses cheveux, noirs coupés court et parsemés de blanc, sont les miens.
Sa barbe courte et grisonnante, je la rase chaque matin.
Mais, sur son torse droit, un motif se dessine.
Aujourd’hui, c’est un nuage de volutes dorées, contrastant avec ma peau. Deux étoiles d’or se sont fixées au-dessus de mon cœur, et une forme… Un animal ? Quelque chose en tout cas - bondit lentement de nuage en nuage.
« Qu’est-ce que tu en penses … ? »
J’ai encore un dernier espoir. Peut-être qu’elle trouvera une explication logique, un sort étrange, une farce de mon apprenti, un symptôme de la lèpre ou...
Elle s’approche, plissant les yeux.
« Je n’ai jamais rien vu de tel. »
L’espoir grandit, chaleur irrationnelle mais bienvenue sur le pavé de l’infirmerie.
« Mais ça correspond. »
Dans le miroir, ses yeux bleus rencontrent les miens.
« Tes visions, enfin, tes rêves, correspondent aussi. »
Je sais ce qu’elle va dire avant qu’elle n’ouvre la bouche. Elle ne prend pas plaisir à me le dire, mais, comme toujours, elle carre les épaules et reste franche, avec ce menton haut qui lui donne un air perpétuellement buté, et en ce moment je hais ses lèvres si fines, si sèches.
J’ai envie de l’arrêter, de l’empêcher de dire à voix haute une vérité absurde.
Pourtant, je ne bouge pas. Si, je me tends, comme si j'attendais un coup…
« C’est la marque d’un martyr. »
Psychologie
« Qu’est-ce que la marque d’un martyr ? »
Je ne bute pas sur la question. L’habitude, peut être… Après tout, je connais ce texte par cœur. Lui, et tous les autres que j’ai pu trouver sur la question.
En deux ans, j’ai eu le temps de me renseigner.
Et, pendant ces deux années, rien n’a changé. Mes rêves restent incessants et absurdes, la marque poursuit ses schémas incompréhensibles au-dessus de mon cœur... et, quand la nuit se fait trop insupportable, j’esquive le sommeil en relisant tous les grimoires sur le sujet, au point de pouvoir les réciter.
A l’usure, j’ai même appris à occulter. Après tout, c’est ma spécialité… Et puis, je ne peux pas laisser cette épée de Damoclès anéantir tous mes efforts.
Surtout alors que mon apprenti dépend de moi.
Face à moi, ce dernier hésite. Je vois sa tête se pencher sur les réserves alors qu’il sélectionne ses ingrédients. Il finit par peser trois cents grammes d’une épaisse poudre blanche sur une large balance. Ses mains versent le résultat dans un grand bol, et, réalisant le silence, il lève vers moi ses prunelles verticales.
Tout précoce qu’il soit, Cyril est encore trop impatient pour passer ses journées à lire. C’est une des raisons pour lesquelles je préfère l’occuper, et me charger moi-même des lectures les plus sèches.
Annette me dirait laxiste. Je lui répliquerais qu’il est utile, particulièrement pour un prêtre, d’apprendre à créer quelque chose de tangible… et aussi, qu’un petit lynx forcé à rester assis plus d’une demi-journée devient vite intenable.
Pressé par le regard de mon élève, je reviens à mon texte.
« La marque des martyrs est encore méconnue. Son seul exemple fiable est celui de la Martyre Noël Vermillon. »
Cyril sort un autre sac d’ingrédient. Ses oreilles tanguent d’un côté à l’autre, guidées par une pointe de poil noir. Il est pensif… ou impatient.
« Les récits de la vie de Noël citent qu’Etro, Éternel Déesse de l’Ordre et de la Miséricorde, apposa sa marque sur la Martyre, lui confiant ainsi une mission sacrée. Cette mission fut accomplie à l’heure de la mort de Galen Marek, Second Primarque du Sanctum. Signe de la gratitude de la Déesse, Noël fut alors transformée en statue de cristal. Devenue relique, la beauté divine de ladite statue évoque le calme et la sérénité d’Etro chez tous ceux qui la contemplent. »
Impassible au grondement moqueur de Cyril, je continue.
« De nombreuses questions demeurent toutefois.
Notamment, à quel moment est-ce que la marque se manifeste ? Dans le cas de Noël, était-ce en quittant le Colisée pour servir Galenth Dysley, premier Primarque ? Ou plus tard, alors qu’elle embrassait son rôle au sein du Sanctum ? Cette marque est-elle une véritable trace sur son corps, sur son âme, sur son aura magique… ou était-ce une simple allégorie ? Avait-elle véritablement les visions que lui accordent les rumeurs ?
Particulièrement fascinante : quelle était la vocation de Noël en tant que martyr ? »
Et moi, quelle est ma foutue vocation ?
Les visions m’abandonnent à une clairière déserte, à une lune implacable, à une prairie où le temps même s’est arrêté. Personne pour m’expliquer la raison de ma marque - personne pour me guider, aucun indice si ce n’est les dessins successifs qui apparaissent sur ma peau.
Je tourne la page, préférant me concentrer sur le toucher du vélin sur mes doigts que de sombrer encore à la panique. Mes notes s’amassent sur les marges du volume, bribes interdites glanées au fil de mes découvertes… Bien trop dangereuses pour mon jeune apprenti.
Je reprend donc les écrits officiels, voix miraculeusement stable.
« La mission de Noël était-elle liée à Galenth Dysley, son mentor ? Au Sanctum dans son ensemble ? A la mystérieuse disparition du Second Primarque ? »
Je m'interromps, levant un instant les yeux de mon livre pour vérifier que les tiroirs de fioles colorées et soigneusement étiquetées n’aient pas malencontreusement avalé mon apprenti.
Il n’en est rien : Cyril s’affaire toujours à sa tâche, pattes dansantes sur le parquet.
« Plus inquiétant, peut-être : Qu’en est il des rumeurs selon lesquelles la marque du martyr causerait la transformation en Sans-Coeur de son porteur, en cas d’échec de leur divine mission ? »
« ‘Sont bien cruels, pour des dieux... » ricane Cyril, laissant apparaître ses canines dans un sourire effronté. Il a levé la tête de son armoire, et je le regarde, sourcils froncés.
Que dire ? Sa place au Sanctum est délicate, et il ne faut pas qu’il s’habitue à parler trop vite. Mais… en ce moment, et malgré tant d’années au service des Éternels... je n’ai rien à lui opposer.
« Hush. »
Je reprends donc, traits durcis dans ce que j’espère être un masque convainquant de sévérité, ou d’impassibilité, enfin, tout sauf l’agrément que sa remarque m’avait arraché.
« Enfin, et par dessus tout : Noël est-elle vouée à se réveiller un jour ? »
Je lève les yeux pour trouver Cyril avec une fiole violette, et fronce les sourcils.
« Celle-là, je te la déconseille fortement… »
Ce dernier sourit, yeux brillants de malice. Il sait très bien quel liquide il tient en main, même s’il finit par le reposer dans l’armoire.
Deux autres fioles plus raisonnables restent entre ses griffes. Il sort une pipette, puis se penche sur sa mixture.
« Des doutes planent aussi sur l’essence de Grell, longtemps serviteur du Sanctum avant de révéler sa nature corrompue. S’agissait-il d’un martyr de Shemazai, plutôt que de l’Eternel de Sang en personne ? »
Main tremblante, mon apprenti dépose trois gouttes sur son mélange. Il esquisse un sourire, fier de lui, avant d’écarter brusquement la pipette qu’il tenait à la main. Une quatrième goutte vole dans l’air, puis se perd sur le plan de travail.
« Je t’ai dit, pas plus de trois gouttes. »
Son expression perd une part de sa fierté. Bougon, il remarque : « Une de plus ou de moins, vu l’âge de la pipette… »
Il est vrai que le matériel n’est pas de la première fraîcheur. Mais, enfin, je n’allais pas laisser mon apprenti s’exercer sur mon propre matériel… Pensez-vous ! Des alambics de la Cité des Rêves, des mortiers en bois d’ébène de la Terre des Lions… et les quatre gallons de liquides volatiles qui trônent au milieu de mes étagères. Non, c’était hors de question.
J’ai donc improvisé. Plutôt bien, d'ailleurs, quand on considère l’arrière-boutique déserte que j’ai réquisitionnée pour nous servir d’atelier occasionnel. D’entre les poutres délabrées percent trois rayons de lumière, clair obscur qui révèlent la poussière de l’air, les quelques meubles, les plantes et pots qui s’amoncellent...
Cyril interrompt ma rêverie d’un éternuement.
Mélangeant sa mixture, il s’est perdu dans un nuage de poudre qu’il s’amuse maintenant à pourchasser, soufflant fort pour en distiller les grains.
Le visage faussement sévère, je tente de le réprimander.
“L’alchimie est un art sérieux, Cyril.”
Je ferme mon manuscrit pour m’approcher du plan de travail, examinant lentement chaque item sélectionné par l’enfant.
“De l’alchimie ? J’ai de la farine jusqu’aux bras, et vous appelez ça de l’alchimie ??”
Il y avait du vrai : Perdu au milieu des alambics, Cyril était pour l’instant restreint aux expérimentations pâtissières. Ses multiples piles de pâte cuite, brûlée, ou coulante trônaient sur le bois d’un large plan de travail, encore parfumées par le four qui ronflait au centre de la pièce.
“Il faut toujours commencer quelque part…”
Malgré ma volonté de rester stoïque, la vue du petit lynx désabusé et couvert de farine m’arrache un sourire.
“Et puis, en pâtisserie, tu risques tout au plus de brunir un chou à la crème. Le jour où tu joueras avec des acides, les choses en seront autrement…”
“Ça m'parait quand même un certain gâchis…” Cyril détachait un à un les débris de pâte qui s’étaient coincés entre ses coussinets, avalant les morceaux avec un regard défiant.
“Pis, d’toutes façons, personne n’achet’ra jamais un gâteau cuisiné par un hybride.”
Les poils noirs et gris qui maculent le plan de travail ne peuvent que lui donner raison.
“Un hybride aussi mal peigné que toi, peut être…”
“Peuh!”
Ce gamin crache comme un chat sauvage. Vraiment, quelle idée de recruter mes apprentis dans les gouttières du Jardin Radieux…
Je sens mon visage s’effriter. J’inspire, longuement, et tente d’assouplir mes traits fatigués.
“Reprenons.” Mes doigts se joignent derrière mon dos, me donnant, je l’espère, un air confiant.
“Le secret d’une bonne pâtisserie, c’est la précision. La créativité de la cuisine n’a pas de place ici… Ici, c’est le domaine de l’exactitude. Du bon geste. De la prudence… et de l’équilibre.”
Cyril grimace, et retourne à sa pâte à demi achevée.
Après quelques coups de griffes, quelques grondements insatisfaits, il finit par obtenir la texture nécessaire. Ses mouvements se calment, se précisent, alors qu’il arrache des lambeaux de plus en plus régulier.
Il a gagné en assurance ; s’il réussit ses choux, dans quelques mois -
“Maître?”
Son ton est hésitant. A quoi a-t-il bien pu penser, en malaxant de la pâte ? Est-ce mes leçons ? Je sais que la foi ne l’attire pas, mais je ne peux le prendre en apprentissage sans lui transmettre une part du savoir d’un prêtre …
“Oui ?”
“...”
Un silence qui n’en dit pas grand chose.
Je pousse donc ; après tout, ce n’est jamais bon de laisser les questions s'amasser sans réponses.
“Quelque chose te tracasse ?”
“Vot’ dernier sermon…”
Ah. Les choses se précisent. Et pourtant le lynx continue de pétrir sa miche sans finir sa phrase.
“Oui ?”
Silence, encore.
Mes derniers sermons défilent. Qu’ai-je bien pu dire pour le plonger dans le doute ?
“Quoi donc ?”
J’essaie de moduler ma voix. D’être… comment disait Gilbert ? Invitant. Doux. Loin du vide anxieux qui m’habite.
“Vous leur avez dit de mettre leur foi dans le Primarque.”
Voilà que je comprend mieux.
“Oui.”
“Pourtant…” Il lève les yeux, et son visage de fauve enfariné me fixe. “Pourtant -”
“Pourtant, le Primarque actuel est en bien fâcheuse posture.” Autant éviter que mon jeune pupille ne se parjure, même dans un cadre privé.
“Oui.”
D’une griffe, Cyril cisaille une croix sur chaque meule de pâtes.
“Vous leur avez menti.” Ce n’est pas de la colère que je lis dans ses yeux : de la déception, de l’incompréhension, mais pas de la colère.
“As-tu étudié les croyants, comme je te l’avais demandé ?”
Il plisse les yeux.
“.. Oui.” Il ouvre la bouche, puis, après un bref coup d’oeil vers le plafond, liste les éléments qu’il a retenu, habitué à l’exercice. “J’en ai compté soixante trois. Des paysans, surtout, en cottes courtes ou en chaisnes ; deux étrangers en vêtements de voyages ; le boulanger et sa femme, le cordonnier d’Aigure, Monsieur l’Notaire dans sa redingote, les trois fils d’Aimée, le grand père Arsenault, une poignée d’enfants... “
Il s’interrompt, comptant intérieurement pour vérifier, puis gronde :
“Ils dormaient, tous ou presque. Enfin, ils somnolaient, en tout cas.”
“Aha.”
“Et alors ?”
“Tu n’as pas vu autre chose ?” Je vois Cyril peiner, et je me décide à compléter. “Quelle a été leur réaction devant ta fournée de pain ?”
“Il se sont jetés dessus !” L’enfant sourit, fier du succès de ses créations.
“Oui.” Par égard pour mon élève, je ne remarque pas que c’était surtout la faim qui les avaient jetés sur sa douzaine de meules un peu trop cuites.
“Tu aurais aussi pu remarquer leurs cernes, leurs vêtements rapiécés même en jour de fête, leurs enfants qui couraient sans chaussures ni même sabots de bois...”
Cyril fronce les sourcils, grommelant un vague “z’étaient loin aussi…” d’entre ses babines.
“Tout cela t’aurait montré que les gens de Mornevie sont dans la détresse.”
Deux yeux ambrés se fixent sur moi.
“Ils ont été touchés par une réquisition particulièrement lourde, et, malchance supplémentaire, une maladie s’est abattue sur leur réserve de grain.”
Ses pupilles me suivent toujours, sans que ses yeux s'écarquillent.
“Ce que tu a vu ce matin, Cyril, c’étaient des braves gens qui font bonne figure face à la misère.”
L’enfant ne m’interrompt pas. Je sais qu’il a vécu bien pire.
“Je t’ai déjà dit : il n’existe pas une seule clé pouvant ouvrir toute les serrures. Il en est de même avec les paroles : il n’y a rien que je puisse dire qui résonnera avec l’intégralité de l’assemblée.”
Même si le Sanctum ne m’a jamais laissé le choix, ma vocation première n’a jamais été de prêcher. Cette charge, je l’honore tant bien que mal, usant d’une assurance que je n’ai pas - assurance qui, semble t il, s’étend maintenant à justifier mes paroles.
“C’est pour ça que je préfère m’entretenir avec les croyants seul à seul… ou avec toi, quand tu me poses tes questions.”
Je passe ma main sur sa tête, époussetant la farine qui s’est nichée dans sa fourrure. Son oreille droite s’ébroue, mais il ne fait même pas mine de se débattre… A croire qu’il est véritablement mal à l’aise.
Je quête son regard.
“Mais, ce matin là, face à cette assemblée, je me devais de leur redonner espoir. Leur faire savoir que leur sacrifice était juste.”
D’une griffe, le petit lynx décale ses meule de pâtes. Ses yeux se sont détournés, dédain presque palpable.
“Cyril, je sais ce que tu penses de la foi… mais pour des familles perdues, sans grenier pour les assurer face à l’hiver qui commence... “
Je soupire, hésitant un instant sur mes mots.
“La foi est une forme d’espoir. Espoir que le Sanctum leur apporte son aide, certes, mais aussi espoir qu’une Déesse veille sur eux et leur pardonne leurs erreurs ; espoir que leur existence à un but, un rôle, une influence sur un monde qui les ignore.”
L’enfant reste sans morne, babine gauche légèrement relevée exprimant ses doutes.
“C’est aussi l’espoir que leurs enfants ne meurent pas sans revenir à la Lumière ; l’espoir que ceux dévorés par les Sans Coeurs retournent un jour à Etro ; l’espoir qu’un jour la guerre cessera, et les mondes seront à nouveau en paix… Espoir qu’un jour tu réussises à faire monter un chou sans le carboniser.”
J’arrive à lui arracher un grognement. Maigre succès, mais succès tout de même...
“Mon rôle est de faire vivre cette foi. De préserver cette étincelle d’espoir, de la nourrir, d’en faire un brasier à même de les soutenir.”
Peu importe qu’en moi elle soit déjà vacillante.
“C’est pourquoi, devant cette assemblée, je ne pouvais pas admettre que le Primarque est absent. Eux qui ont sacrifié tant pour lui ne peuvent pas l’apprendre, surtout maintenant alors qu’ils sont au plus bas.”
“Et donc vous avez menti ?”
“Oui.”
Quelle autre réponse aurais-je pu donner à mon apprenti ?
“Cyril, les choses que je partage avec toi… je t’ai demandé de les garder secrètes. Il y a une raison à cela. L’origine du Sanctum est trouble, rarement aussi pure qu’on ne le présente : révéler cela ferait vaciller ceux qui n’ont déjà pas grand chose pour les soutenir.”
L’enfant ne sait pas le quart de ce qui pourrait incriminer l’Eglise. C’est pourtant déjà bien trop...
“Pourquoi voyager à travers tous ces mondes, et pourquoi interroger tous ces gens, alors ?” Il est accusateur.
Mes lèvres se pincent.
“Je ne peux pas non plus renoncer à mes questions. Parce que ces secrets se doivent d’être sus et transmis, ne serait-ce que pour nous éviter les erreurs du passé.”
“Pff !” Encore ce sifflement félin. “Dites plutôt que vous n’pouvez pas vous empêcher d’fouiner !”
“...” Il n’a pas tort. Je n’arrive pas à laisser une piste m’échapper, et j’ai bien trop souvent gâché des ressources précieuses au Sanctum en quête de rumeurs infondées…
“C’est… C’est un de mes défauts, en effet. Mais il y a autre chose, Cyril.” Je pause, inquiet de trop en dévoiler. “Nous ne savons rien des Éternels. Le Nuage Noir nous a pris par surprise, Triton n’arbore plus son Trident, et nous ne savons rien des autres… Le temps presse, la guerre gronde, nous avons besoin des Eternels plus que jamais.”
Ses crocs pointent, découvrant ses babines noires en un rictus frustré.
“A quoi bon chercher des dieux qui n’se révèlent même pas?”
Ses griffes sortent, entières et brillantes, et s’enfoncent dans la pâte molle.
“Laissez les dormir !”
Sa voix enfantine s’était élevée au cri, pour maintenant retomber à un murmure.
“Vu les Éternels qu’on connaît, les Endormis s’raient capable de s’entredéchiqu’ter d’vant nos fidèles…”
Impassible, je toise Cyril.
Ce n’est pas la première fois qu’il s’exprime si violemment… Ce n’est sans doute pas la dernière.
Il n’a pas encore la foi.
Mais ce n’est peut-être pas là la vraie raison. Même une fois accepté le don des Éternels, un apprenti se confronte au doute... au point d’en venir au ressentiment. Un prêtre aussi, d’ailleurs. Même les Templiers, enfermés dans leurs armures, tombent parfois face à l’hésitation…
Et, Etro seule sait pourquoi, ces gens viennent à moi pour trouver une raison de continuer leur combat. A moi !
Comme si le mensonge était ma vocation.
Mais il faut croire que quelque chose en moi les invite à croire.
Même Cyril, tout aussi rageur qu’il soit, finit par abandonner ses crocs. Que voit-il en moi ? Y a-t-il encore une flamme dans mes prunelles, une volonté qui guide mon menton, un quelque chose qui maintient mes épaules ?
Les oreilles de l’enfant se sont abaissés.
Il délaisse toujours ses meules. Il ne lui viendrait pas à l’esprit de s’excuser - réalise-t-il seulement que parler ainsi des Éternels ait pu me blesser ?
Après quelques instants, il relève enfin les yeux vers moi. Je lis de mieux en mieux son visage félin - au point de maintenant discerner le sérieux de ses prunelles, l’impérieux de son menton.
“Quand est ce qu’on commence la magie ?”
Je réprime un soupir. Jamais de sujet simple, dans cette profession...
“Les autres apprentis ont déjà eu leurs premier cours.”
Ses bras se sont saisis d’une large cuillère de bois pour mélanger la crème, seconde partie de sa préparation. Il pousse et tire avec ardeur, redoublant d’effort alors que le mélange s’épaissit. Le mouvement est maîtrisé, pourtant sa queue balance avec un entrain rageur.
“Et je sais que j’ai l’talent nécessaire, j’ai d’jà-”
“Ta magie est différente de la leur.”
Mon ton est sec. Trop sec. Je ne peux pas répéter les erreurs de mon maître… Pas cette fois.
Soit pédagogue, Etienne !
“Notre magie n’est pas du même type.”
“Type .. ?”
Ses sourcils se froncent, touffes noires abaissées sur deux yeux encore trop vastes, trop instables.
“C’est une question d’essence.”
Mon ton professoral semble l’apaiser - ou, en tout cas, l’encourager à patienter.
“Certaines personnes sont nées avec une affinité particulière. Vers la foudre, le feu, la Lumière…”
Cyril hoche la tête, impatient.
“Cette affinité donne certaines… prédisposition.”
Je lui ait déjà exposé ces bases théoriques, à lui comme aux autres apprentis de son âge, et il avait absorbé les notions avec son efficacité habituelle.
“Une affinité vers la Lumière permettra à un individu de maîtriser la magie de la Lumière plus rapidement. Parfois… instinctivement.”
Les oreilles de Cyril jusqu’ici braquées sur moi pivotent, s'aplatissant sur le haut de son crâne.
“Mais s’abandonner à son affinité peut affecter la psyché.”
“C’est les ténèbres, c’est ça ?”
Son ton est furieux. Est ce que le mien l’était aussi …?
“C’est pour’ça qu’vous m’fliquez à tout va ? Peur que j’explose et qu’j’devienne l’prochain Sans Coeur à hanter la campagne ?”
Il a commencé à gronder, tandis que sa queue se hérisse en motifs zébrés.
“Non !”
Du calme. De la sollicitude, de la compassion, mais pas trop - pas de pitié, pas de -
“Non, Cyril. Ton affinité est… entre deux.”
“Entre deux ??”
Son nez se retrousse, ses fines moustaches tremblantes de colère. Il ne me croit pas, lui non plus. Quel est l’imbécile qui m’a fait prêtre, moi qui ne sais causer que l’incrédulité ?!
Je reprends, aussi calme que je peux l’être. C’est faux : je sais inspirer la confiance… Après tout, j’ai tous les outils pour ça.
“Notre affinité se situe ni dans la lumière, ni l’ombre. Elle est celle de l’illusion… du mensonge.”
Je souris, espérant que l’amertume ne se lise pas dans mes traits. Je sens ma magie broder sur ma voix, je distingue presque les volutes d'énergie qui viennent renforcer mon ton, adoucir mes mots, ajouter à mes paroles quelque chose de riche, de rassurant, de convaincant.
“Certains la lient au rêve...” Pour éviter d’être trop insultant. “D’autres au cauchemar.”
Quelque chose, dans ma toile de sorts et de mots, a su saisir l’attention de mon apprenti. Ses yeux me suivent, aussi acérés que ceux d’un prédateur.
“Cyril, quoiqu’il en soit, une affinité ne définit rien de toi.”
Ferme. Absolu. Peut-on, avec suffisamment d'aplomb, changer un mensonge en vérité ?
“C’est parfois un atout, et parfois une difficulté à surmonter… Bref, c’est un aléa de la vie, comme le fait d’être né dans un monde ou un autre.”
Il faut y croire. Donner vie au mensonge, oublier la réalité qu’il fut pour moi ; pour une fois, faire usage de cette affinité un bien !
“Mais, plus tu te reposeras sur elle, plus elle te définira.”
Les prunelles du lynx sont toujours braquées sur moi. Voit-il la magie qui s’active autour de moi ? Distingue-t-il cette fausse chaleur, rassurante comme le ronflement d’un feu dans l’âtre, comme les rayons d’un soleil de printemps ?
“C’est pour cela que j’ai voulu te former avant : trouver ce qui pourra contrer ton affinité, et te permettre de te recentrer.”
Derrière mon dos, ma main droite s’empare du bracelet qui entoure mon autre poignet. Une simple cordelette, trois perles de bois, et une clé de métal froid. Une base, une accroche, qui me maintient au sol et m’empêche de perdre de vue la vérité.
Serait ce suffisant ? C’est pourtant si tentant de se laisser emporter par mon propre mensonge. Après tout, quel serait le mal, pour une fois… d’y croire ?
“Contre l’illusion, le tangible. Contre notre nature immatérielle, le concret. En créant quelque chose de réel, j’ai pu repousser les influences néfastes de mon affinité... Je veux te donner les mêmes bases, les mêmes moyens, pour que tu ne sois pas prisonnier d’une nature que tu n’as pas choisi.”
Histoire
Ne pas avoir choisi sa nature n’empêche pas d’en faire usage.
Je m’accroupis en entendant la garde. Leurs pas sont lourds sur la pierre de la Citadelle, suffisamment pour me laisser un temps d’avance.
D’un coin jaillit Jaurac, ralenti par son armure encore mal-ajustée. Il faut que j’en parle avec l’armurier, c’est l’affaire de quelques coups de marteau… mais le moment viendra demain.
Trois enjambées plus tard, j’avise Narbert, uniforme impeccable sous la lumière de sa torche. Il tient sa hallebarde avec la fierté d’un enfant, regard droit et minutieux même lors d’une énième ronde de nuit.
J’inspire, et de l’air froid je crée l’écho de pieds nu sur la pierre. Quelque chose de léger, qui n’alarmera pas : un aspirant empressé qui court, un flash d’étoffe blanche au fond du couloir, un glapissement de surprise.
Immédiatement, Norbert aboie un ordre, et les gardes s’empressent sans jeter un coup d’oeil sur le mobilier.
Je me relève. Autour de moi se trouble l’illusion d’un coffre de bois. Le meuble factice est un bon refuge dans les corridors de la Citadelle : accepté comme faisant partie du paysage, il n’est jamais mis en doute même par les plus sérieux.
Je me suis plusieurs fois posé la question. Est-ce qu’une affinité pour le mensonge cause une certaine avidité pour la vérité ? Après tout, Cyril est tout aussi curieux que moi.
Les gardes passés, je profite de l’obscurité pour traverser le couloir.
Le son de mes bottes est atténué, modulé, transformé en celui d’un craquement de poutre, d’une goutte d’eau perdue, d’un hululement de chouette - tout un répertoire de sons nocturnes glanés au pire de mes insomnies.
De quoi convaincre n’importe qui.
Mais Cyril ne croit pas.
C’est peut être ça qui nous différencie.
Pour lui, les Eternels sont des idoles vides et capricieuses…
Il n’a pas cet espoir de trouver, parmi les ruines et les ouvrages, un passage vers la salvation.
La porte de la bibliothèque est toujours aussi lourde. Je sors une gourde d’huile, puis graisse minutieusement les gonds. Avec les années, j’en suis venu à soupçonner que la maîtresse des clés rouillait volontairement cette porte pour éviter les intrus… Vu le fiel de la bonne femme, ça ne me surprendrait pas.
En comparaison, les trois cadenas qui scellent la salle sont d’une facilité enfantine.
Il faut dire que je les crochète depuis mon arrivée.
A l’époque, c’était pour pouvoir étudier, et pour rattraper mon retard sur les autres Aspirants. Puis, par curiosité, j’ai fait le tour des rangées de livres, j’ai lu et relu les tomes, j’ai arpenté tous les étages, brisé deux barreaux d’une échelle et...
Cyril ne serait pas en train de faire ce que je fais.
Quoique… Qu’adviendrait il de lui, si une marque apparaissait sous ses poils ?
L’idée me révulse.
Il ne mérite pas une telle charge, surtout après tout ce qui lui a déjà été imposé.
Je referme la porte derrière moi.
Pénétrer la bibliothèque en pleine nuit n’est pas explicitement interdit - Particulièrement pour un prêtre. Mais mes pas traversent la large salle, ignorant les étages de bois sculpté et les rangées de livres qu’ils proposent.
Je m’arrête au fond de la grand salle. Un renfoncement à gauche du choeur laisse voir une seconde porte, elle aussi lourdement cadenassée.
La salle des archives, autrement plus défendue.
Sept années au service du Sanctum ne m’ont pas suffi pour obtenir passage. Pas que j’ai attendu une telle permission : après cinq ans seulement, ma curiosité me menait déjà à pénétrer le sacro-saint.
Pour voir quoi ?
Un enchevêtrement de tomes poussiéreux enchaînés à leur support. Un amalgame d’objets étranges, de l’épée mécanique au simple fuseau à filer. Trop de choses, trop de secrets si soudainement accessibles, au point qu’à l’époque je ne savais qu’en faire.
Ce n’est qu’un an plus tard que j’ai repassé le passant bas de la salle des archives.
Ce jour là, carnet de notes à l’appui, j’ai survolé les quelques ouvrages lisibles.
Je voulais des informations sur la Marque du Martyr, sur ses porteurs, sur son fonctionnement.
Je n’ai trouvé que des bribes, illisibles sans un plus large contexte.
Et c’est ainsi que débuta mon projet.
Ca ne sera jamais parfait, bien sûr. Quelle prétention, de pouvoir égaler les archivistes ?
Mais peut-être qu’en poursuivant mes recherches, je découvrirai quelque chose de plus. Quelque chose d’utile… à moi, ou au Sanctum.
La porte des archives lève un oeil unique.
Le battant de fer a été enchanté : il s’anime en un visage de cyclope, et prend un malin plaisir à hurler dès qu’un Aspirant l’approche d’un peu trop près.
Généralement, je peine à contrer des incantations trop abstraites. Ma magie, déjà inconstante, a d’abord été autodidacte : cela n’aide pas à appréhender des glyphes trop absconds.
Par opposition, j’ai bien plus de facilité à berner une créature douée de conscience. Fort heureusement, le cyclope - ou Argus, comme il aime se faire appeler - tombe dans la seconde catégorie.
Deux sorts ont eu raison de lui : un Somni, et un Aluci.
Sommeil pour adoucir les perceptions ; Rêve pour me faire passer pour Archiviste.
Enfin, pour qu’il me confonde avec Dame Lulu, le sommeil se doit d’être profond !
Mais les sorts ne m’ont pas failli, et, même aujourd’hui, l’oeil du cyclope se ferme paisiblement.
Parfois, je m’étonne de le voir si docile. Le rêve que je lui offre est fait pour lui être plaisant - Si hurler après des enfants peut être considéré plaisant. Peut-être est ce sa seule opportunité de rêver ?
Je me baisse, et passe sous l’encadrement gravé. La porte est étroite, invitant à une forme d’humilité...
Tout l’opposé de la salle d’archive elle-même, qui elle s'élève sur un carnage d’échelles et d’escaliers entremêlés.
J’entame les premières marches. L’air semble manquer, dans cette tour - ou peut être est-ce la solitude d’un lieu à la fois vaste et étriqué, regorgeant de recoins et pourtant tailladé d’artefacts absurdes. Tout autour de moi, les corniches creusées dans les murs débordent de débris, de figurines et de tomes épars ; tandis que dans les rangées, les livres s'amoncellent sans même être liés aux bibliothèques par les chaînes habituelles. Pire, peut être…. l’alphabétisation des textes a été complètement abandonnée.
Il faut dire que les rumeurs vont de bon train. Certaines prétendaient que le Sanctum allait ouvrir ses Archives, d’autres que tout serait brûlé… sombre cacophonie alors que le Primarque révélé s’est tout juste établi.
C’est ce chaos d’incertitude qui a hâté mes recherches. Depuis l’investiture, j’ai passé presque toutes mes nuits dans cette antre poussiéreuse; au point de me faire porter pâle le jour, au point de ne plus que rêver de ces sujets… au point d’en subtiliser un ouvrage.
Pas que je sois particulièrement voleur...
Bon, admettons, on ne devient pas serrurier sans une certaine passion pour clés et cadenas. J’ai beau avoir renoncé à cette vie, à ce petit atelier tranquille rempli d'engrenages, aux avantages et inconvénients et cercles peu recommandables que venaient avec… J’en ai gardé les compétences. De quoi crocheter plus d’un cadenas, déjà ; et quelques autres petites choses qui restent utiles de temps à autres.
Mais cet emprunt-là n’était qu’une exception.
Une exception que je peux enfin clore.
Je sors le folio de ma besace, et m’agenouille au pied d’une énième rangée de livres. Sa chaîne pendait, libre et laissée à la poussière ambiante. Personne n’a relevé qu’un des livres manquait ? Avec la désorganisation ambiante, peut être pas… Je laisse l’ouvrage à sa place, raccordé à son socle et fermé sur sa couverture de cuir.
Quand je sors enfin de la salle, un soupir m’échappe.
Pénétrer la salle des Archives semble toujours si pesant... Autant qu’une salle au trésor, à l’exception que toutes les gemmes y sont cryptés, voir tout bonnement incompréhensibles.
Mon méfait accompli, j’ai enfin le champs libre. Je m’avance donc vers ma table : un petit écritoire orienté plein Est, que je racle des résidus de cire qui s’y amassaient.
Je prends place sur la chaise de bois dédiée, étouffant un grognement contre le dossier particulièrement intransigeant. D’un tiroir, je sors un assortiment de chandelles ; d’un autre, mon matériel d’écriture.
Enfin, je tire de mon sac un carnet de feuilles libres recouvertes de mes pattes de mouches.
Enfin prêt.
Plume à la main, je relis mes feuillets. Mes yeux voguent d’un paragraphe à l’autre, fatigué par la lumière hésitante de la chandelle.
Je plisse les yeux sur un énième oubli, et rature un peu plus mon manuscrit.
Puis, bercé par le rythme de la plume et des pages tournées, je perds conscience du temps.
Une première chandelle se mouche. Combien d’heures passées à relire mon volume ? J’en rallume une seconde, et gratte les taches de cires qui se sont nichées sur mon écritoire.
Les allées sont vides, et les grandes bibliothèques semblent lugubres dans l’obscurité. Je me redresse, m’étire un instant… puis je griffonne une note de plus. Le toucher du parchemin, doux sous mes doigts mais friable sous la plume, est un plaisir addictif.
Mais les ratures remplaceront bientôt les écrits eux-mêmes. A chaque relecture, je crée plus de contradictions ; à chaque correction, je surcharge un peu plus mes marges déjà pleines à craquer.
C’est un signe qui ne trompe pas.
Il est temps de rédiger ma conclusion…
Je soupire. C’est difficile, de lâcher un ouvrage.
A chaque fois, je ne m’y résout qu’à contrecoeur. Mais, à force, j’ai fini par prendre la main.
J’amasse mes feuillets en une pile inégale, surmontée d’une conque bleutée ramenée d’un de mes voyages. Le parchemin a eu le temps de se distendre, mais le fin fil de lin que j’ai utilisé pour les relier tient encore en place.
Certes, je pourrais employer les méthodes de ces nouveaux mondes… J’ai pu observer des machines à écrire, de grands Ordinateurs, et même ces curieux GummyPhones qui pullulent au château Disney.
Tant d’outils si pratiques, qui pourtant ne sont rien face au plaisir de relier son propre manuscrit.
Quoique, peut être qu’un jour, rendu aveugle par ces maudites bougies -
Le jour pointe déjà de la grande fenêtre. L’aube arrive, et avec elle la culpabilité familière d’avoir passé la nuit hors de mon lit. Mais, ce matin, j’ai encore deux bonnes heures avant que personne ne pénètre la bibliothèque. C’est l’avantage d’un ordre si militaire, les prêtres et archivistes se font rares...
Je prends donc le temps de poudrer une nouvelle feuille de vélin, puis de la plier en huit pages aussi égales que possible. J’inaugure une nouvelle plume - après tout, l’instant se fête ! - puis je la trempe dans l’encre déjà presque sèche.
Et, replongeant dans cette transe qu’apporte l’écriture, je déverse l’histoire que je tisse depuis bientôt un an. Un troisième tome, sur un troisième Primarque… et pourtant, je suis toujours aussi loin d’avoir démêlé le mythe de la légende, ni percé les mystères de la marque des Martyrs.
Questions diverses
1) Votre personnage est-il capable d’aimer, d’avoir une relation ?
Oui. Etienne a aimé, aime et aimera… En tout cas je lui souhaite.
2) Si l’esprit de votre personnage s’incarnait en un animal mythologique ou chimérique ou réel (nuances acceptées). Que serait-il ?
Un rat. Discret, intelligent, joueur par moment, et tout en bas de de la chaîne alimentaire
3) Qu’en est-il de la fidélité et de l’esprit de camaraderie de votre personnage ?
Même s’il essaie de se tenir aux principes du Sanctum, Etienne n’a pu s’empêcher quelques écarts. De la même façon, il aspire à la camaraderie, mais a failli plus d’une fois à ses compagnons.
4) En vue de votre race, quand pouvez-vous dire que votre personnage a forgé une amitié. Citez quelques unes de vos relations amicales.
Au sein du Sanctum, Etienne a été le confident de plusieurs fidèles, aspirants et, plus occasionnellement, des prêtres et templiers. Il est particulièrement proche d’Annette, son ancienne compagne, et de son apprenti Cyril.
5) Quelle est la devise de votre personnage ? S'il y en a plusieurs, donnez les toutes.
Vitam impendere vero, ironiquement.
6) Vis à vis de votre façon d'écrire, quels sont vos points forts et points faibles?
J’ai beaucoup de grammaire & de conjugaison à revoir… Et c’est que le début de mes soucis.
Mais je suis optimiste ! Je vais m’améliorer petit à petit.
7) Pourquoi incarner ce personnage ?
J’avais envie d’explorer des problématiques de foi. Étant non croyant, ça va être délicat…