Les chaman Huns raconte qu’un humain est composé de trois entités.
Un Corps, qui respire et nous protège du froid.
Une Ame, qui donne vie à notre esprit mais s’éteint à notre mort.
Un Cœur, qui nous protège et nous guide, pour ensuite rejoindre le Ciel à notre mort.
Miroir de ce triptyque, les légendes Huns divisent le monde en trois plans.
Le premier plan est celui du Ciel. C’est un lieu sacré, baigné d’une lumière éternelle et habité par les dieux et créatures divines.
Le second plan est le nôtre : Celui de la Terre des Dragons, tiraillé entre lumière et ténèbres, peuplé d’humains et d’animaux ordinaires.
Le troisième et dernier plan est celui des Enfers. Ce monde souterrain n’a ni cieux ni soleil : plongés dans les ténèbres, ses habitants ont perdu leur Cœur et cherchent à voler celui des humains.
Le rôle d’un Chaman est de voyager entre ces plans. Éveillés aux pouvoirs du Cœur, ils seraient capable de chevaucher les arcs-en ciel, de percer les nuages qui bloquent la vue du Ciel et de sa Lumière, ou encore de descendre dans les tréfonds de la Terre pour y défier les Sans-Cœurs.
Ces chamans travailleraient en concert avec les esprits des montagnes, des lacs et des forêts.
Les jours de ciel bleu, si fréquent dans les steppes, sont réputés comme la culmination de leur pouvoir...
Nerguei n’avait jamais prêté beaucoup d’attention à ces contes.
Et pourtant, alors qu'il se frayait un chemin dans la forêt de pin, sa charge lui semblait plus lourde.
Cela faisait quelques heures déjà qu'il progressait dans ce qu'il restait de neige. Le chargement d'huile fermement arrimé à son dos s'agitait au rythme de ses mouvements, manquant de le faire trébucher à chaque pas.
L’apatride avait emprunté des vêtements de voyage, et de quoi se grimer en trappeur. Mesure de précaution additionnelle, il avait masqué son visage et ses épaules d'une demi douzaine de fourrure de lapin. Leur cuir mal nettoyé frottait contre son front et ses épaules, là où les cordes étaient les plus serrées. L'arôme gras s’agrippait à ses narines, perçant même l'air sifflant du printemps.
Derrière lui, un petit cheval peinait tout autant, chargé qu'il était de quatorze outres d'huile supplémentaires.
À eux deux, ils portaient de quoi brûler une forêt.
Enfin. Ce qui aurait suffit à brûler une jungle d’herbe sèche et de petites pousses. Alors qu’il s’avançait entre les arbres immenses, Nerguei doutait de pouvoir brûler plus d’une dizaine de ces troncs massifs.
Personne ne pénètre dans une forêt sacrée.
Personne, si ce n'est les chamans, les Khans… Et, occasionnellement, quelques guerriers bénis des dieux, chargé d'éradiquer les Sans-Cœur.
Beaucoup de légendes commencent pourtant par un homme égaré dans un blizzard, qui se réveille dans une forêt sacrée.
Peu de ces légendes finissent bien.
On raconte qu'une multitude d'esprits vivent ici. Poursuivront ils Nerguei, une fois leur logis en flamme ?
A bout de souffle, l''apatride prit appui sur un arbre. Plus il approchait de son but, plus sa tâche le révulsait.
Il avait pourtant accompli bien pire. Combien de meurtre ? Combien d'homme poussé jusqu'à l'agonie pour obtenir une bribe informations ?
C'était peut-être son sang Hun qui lui permettait de vivre sans remords pour toutes ces têtes coupées.
Et c'était peut-être ce même sang impur qui le faisait trembler devant de vulgaire superstitions.
L'apatride repris la route, sans pitié pour son cheval à bout de force.
***
L'huile coulait au sol avec la langueur d'une libation.
La commanditaires de Nerguei avait été explicite : la suspicion devait peser sur la Khatun du Nord. Ainsi, l’apatride perça la première outre d'huile à l'extrême Nord du bois, pour masser le combustible au pied de la colline centrale.
Il avait abattu quatre jeunes arbres, massé en un début de bûcher au nord du bois. Deux autres piles identiques gisaient quelques mètres plus loin. L’huile, le temps sec et la densité de la forêt permettront au feu de prendre...
Si les cieux ne l’arrêtaient pas avant.
Même s’il arrivait à se lancer, l’incendie ne subsisterait pas longtemps dans le froid et la neige.
Pourquoi se sentir coupable de quelques ares brûlées ? La forêt ne perdrait pas plus d’une moitié de sa masse… Suffisamment peu pour que les esprits lui pardonnent.
Nerguei eut un dernier regard pour la masse gris-vertes. Puis, voyant les flammes s’élever de ses deux premiers bûchers, il sauta sur son cheval.
Dernière édition par Narantuyaa le Sam 4 Avr 2020 - 9:18, édité 1 fois