Les premières lueurs du soleil commencent à se glisser par-delà les montagnes à l’Est de Chengdu.
Elles laissent entrevoir le combat sanglant de la veille. Des corps carbonisés ou brisés au pied de nos murs gisant là comme preuve de notre victoire temporaire. Les rizières ont été asséchées par les flammes et les destructions causées par l’armée d’envahisseurs. Un vaste champ cramoisi s’étend désormais devant notre cité.
Du haut de nos remparts, les défenseurs de l’ordre et de la paix se tiennent prêts à repousser l’attaque finale de Jiawei Dajisi. Galvanisés par notre victoire nocturne, ceux qui ont été épargné par le feu, les flèches et les combats sont encore là, renforcés par les hommes de Lin Meng que nous avons décidé de déployer au front plutôt que dans le centre-ville.
J’ai également revu notre chaîne de commandement. Lors de l’assaut nocturne, je devais donner les ordres pour tous les commandants : c’est une erreur. Je ne peux être et voir partout à la fois. J’ai confiance en ces hommes pour faire les meilleurs choix lors de cette bataille, leur seule consigne : suivre ma bannière où qu’elle aille et obéir lorsque ma voix leur parvient.
Francis garde ma droite, Harch la gauche, Xupeng dans la cour comme précédemment. Lin Meng reste en soutien avec notre eunuque pour l’instant. Je veux un homme jeune et dynamique au cas où la porte serait menacée.
Le silence règne pour le moment, un certain calme avant la tempête. Seules les bannières flottant sous le vent du matin émettent un doux son nous susurrant à l’oreille le début prochain de la plus grande bataille à laquelle j’ai assisté dans ma vie. Au vu de l’avidité de nos ennemis, il est certain que cela devrait être… Violent.
Des bandits, des mercenaires et des fanatiques de je-ne-sais-quoi ! Voilà donc l’étrange assortiment d’hommes et de femmes qui vont tenter de franchir nos remparts pour prendre notre ville. Ces êtres méprisables ne rencontreront que notre fureur et nos épées et nos flèches guidées par la sagesse de nos ancêtres. Ceci est notre foyer et il ne tombera pas. Tant que les Song sont là, Chengdu sera protégée.
Les ennemis se sont mis en ligne. Il est facile de dissocier les différents groupes composant cette masse hétéroclite, chacun a ses couleurs et ses propres armures. J’aperçois à peine au loin plusieurs personnes à cheval, certainement Jiawei et ses commandants. Ils se cachent au niveau des petits engins de siège qu’ils ont réussi à construire – ou apporter ?- pendant la nuit. De vieilles planches de bois bancales qui ne devraient pas nous poser trop de problèmes.
Le seul élément qui m’inquiète ce sont les deux tours de siège qu’ils ont en réserve. Comment ont-ils pu les construire en quelques heures ? Il doit y avoir une explication là-dessus : une réponse que j’obtiendrais plus tard lorsqu’ils seront tous morts ou emprisonnés. Ils ont aussi plusieurs échelles. Manifestement les cordes de la nuit dernière étaient les seules qu’ils avaient pour leurs grappins.
J’ai enfilé mon armure correctement cette fois-ci. J’ai également décidé de me battre avec un arc et des flèches. Je dois pouvoir faire quelque chose sans user tout le temps de mes pouvoirs. Cela peut toujours servir, sait-on jamais contre qui je vais combattre aujourd’hui.
Je me tourne vers Francis. J’hoche légèrement la tête.
« Tambours les gars. » dit-il sobrement.
Dans la tour où je me trouve, des battements se mettent à résonner dans l’air. Les tambours de guerre chinois se réveillent pour battre la cadence des futurs combats. Les hommes entendent ces sons comme un appel aux armes mille fois plus efficace qu’un discours de n’importe quel commandant. C’est comme si nos cœurs battaient désormais à l’unisson.
Un premier cor se met à retentir dans le champ cramoisi en réponse.
L’armée ennemie se met en marche de bataille. Ils avancent plus ou moins au même rythme vers nous. Ils n’ont pas de bannières. Seulement des armes et de l’or en poche. Ils ne se battent ni pour l’honneur, ni pour la gloire… Uniquement pour l’argent. Je suis curieuse de voir combien de temps ils vont tenir avant de battre en retraite et d’abandonner la prêtresse à son funeste sort. Ils ne connaissent et ne vivent que par la peur. Nous allons leur donner ce qu’ils méritent en ce cas.
« Francis.
- Oui ?
- Est-ce que tu penses que nos ennemis ont peur de nous ?
- Pas assez manifestement mdr.
- C’est exactement ce que je me disais. »
Je tourne mon regard vers les envahisseurs, attendant qu’ils soient à peu près à porter de tirs de catapultes. Une fois que je pense que c’est suffisant, j’esquisse un très léger sourire sur mon visage.
« Francis.
- Ouaip Chef ?
- Relâche nos ennemis de cette nuit qui n’ont pas été emprisonnés.
- Hé ! Hé ! Avec plaisir chef ! »
Il se tourne vers Xupeng dans la cour derrière la porte.
« CATAPULTES ! » crie t-il.
Le vacarme des mécanismes des engins résonne jusqu’à nos oreilles accompagné du rythme des tambours. Bientôt, une volée de petits projectiles transperce le ciel pour s’abattre légèrement sur les ennemis avançant dans notre direction. De petits impacts de font entendre sur leurs boucliers tandis que certains crient de surprise face à l’horreur que nous venons de déverser sur eux.
« Envoyez la dernière volée.
- CATAPULTES, FEU ! »
De nouvelles têtes passent au-dessus des nôtres pour rejoindre le champ dévasté devant la porte sud. Une nouvelle série d’exclamations s’ensuit parmi nos ennemis. Voici votre destin messieurs. Vous allez mourir ou être jugés comme les misérables que vous êtes. Combattre est inutile, vous avez déjà perdu.
Bien sûr, nous n’avons pas vraiment une supériorité numérique face à eux mais… Je préfère aborder la bataille de cette manière. Qu’importe ce qu’ils lâcheront sur nous, nous tiendrons. J’ai dit que je protégerai cette ville et je compte bien le faire.
« Archers !
- ARCHEEEEERS !
- Archers prêts à tirer ! »
Les arcs se dressent de notre côté tandis que les ennemis reçoivent une première salve de tirs de catapultes… Cette fois-ci, ce sont des rochers enflammés. Bientôt, leurs engins de siège envoient également une salve en notre direction. Deux tirs. Ha ! Il faudra plus pour passer.
Les roches s’écrasent lourdement contre les parois mais les murs sont épais et profonds. Il faudra plus que ça. Je tends mon arc comme les autres et me prépare à faire feu. Lorsque je pense le moment opportun. Je relâche ma main droite rapidement suivie des cris des autres commandants.
« FEU ! »
Le ciel s’assombrit d’une multitude de fins traits noirs qui disparaissent rapidement dans les rangs de l’armée ennemie, désormais se précipitant dans notre direction avec les échelles. D’autres forment des rangs pour laisser les archers tirer. Bientôt, nos soldats prendront aussi leurs premiers coups.
La bataille s’annonce difficile.
« Balistes ! » crié-je.
Nouveaux tirs, nouveaux morts.
Tous ces cadavres ennemis me donnent une folle envie de réanimation nécromantique mais je dois tenir mon engagement. Pas de souillures à Chengdu. Pas sur la terre de mes ancêtres. Pas où se trouve mon fils.
« Feu ! » crie Francis à nouveau.
Les bataillons commencent à agir de leur propre chef, me laissant plus de temps pour analyser le déroulé de la bataille depuis la grande porte sud. La première vague se jette contre nos murs pour s’abriter des flèches. Certains font feu avec leurs arbalètes tandis que nos arbalétriers essayent de les déloger à coup de carreaux.
« Visez les porteurs d’échelles ! Feu à volonté ! »
Je tends la main et laisse échapper une sphère de feu qui fend l’air pour exploser à proximité d’un groupe de porteurs, l’échelle volant en éclats et avec elle, l’espoir de pouvoir atteindre notre rempart. Cependant, d’autres échelles approchent. Certaines commencent déjà à se dresser contre les murs.
Les mêmes lueurs enflammées qu’il y a quelques heures se dessinent devant moi. Il y a bien plusieurs utilisateurs de magie dans l’armée ennemie. Ils préparent de nouvelles boules de feu et je n’ai rien à leur opposer vraiment. Jiawei est hors d’atteinte d’ici, elle est libre de faire ce qu’elle veut. Vivement que Gao arrive pour la faucher…
Leurs projectiles magiques s’envolent rendant la pâle lueur du matin flamboyante l’espace d’un instant. Ils viennent s’écraser contre nos murs emportant avec eux plusieurs soldats disparaissant dans le feu ou projetés dans les airs suite à l’impact.
Je prends moi-même une flèche et vise en direction des pieds du mur. Une cible facile, qui ne bouge pas trop… Je décoche mon trait qui vient se planter dans son dos. Je le vois s’affaisser un peu, mais il n’est pas mort. Je recommence et effectue le même tir. Cette fois-ci, mon attaque réussit et il meurt.
Mon regard revient vers les échelles, il y en a plusieurs. Peut-être une dizaine. Malgré les tirs sur les porteurs, d’autres mercenaires les récupèrent pour pouvoir monter sur les murs. Elles ont l’air lourdes – ce qui est compréhensible vu la hauteur des murs- mais l’autre danger est la première tour de siège qui commence à avancer.
C’est très étonnant qu’ils n’attaquent pas la porte en bois, cela leur permettrait de contourner les remparts par une entrée plus directe. Je n’ai pas vraiment le temps de m’en soucier : s’ils veulent monter, qu’ils montent nous les attendons de pieds fermes.
Une échelle se pose non loin de ma position. Je me concentre dessus et tandis que des hommes commencent à grimper dessus, je la rabats violemment sur le sol. Celui qui était au plus haut a dû bien avoir mal, je vous le garanti.
Beaucoup d’ennemis au pied des murs ont des boucliers pour se protéger des flèches et des arbalètes. Il va falloir les réchauffer un peu. Je me tourne vers Francis, puis Harch leur intimant d’utiliser nos dernières réserves d’huile sur eux.
« C’est l’heure de faire des petites fritures, messieurs ! »
Ils me répondent d’un hochement de tête. Les deux commandants s’éloignent un peu de la porte pour être plus près des combats lorsque les ennemis parviendront à monter, ce qui ne devrait pas tarder. Plusieurs échelles se mettent en place des deux côtés : les envahisseurs avancent.
« Balancez-leur de l’huile les gars ! » crie Francis.
Quelques instants plus tard, des hurlements particulièrement violents se mettent à résonner contre les parois protégeant Chengdu. Certains ont beaucoup souffert aujourd’hui. Tant mieux, ils le méritent amplement.
Je me tourne vers les côtés de ma tour. Plusieurs hommes ont réussi à monter jusqu’aux remparts, ils sont en armures plutôt lourdes, ils ont forcé le passage en profitant des boules de feu des sorciers de Jiawei. J’en saisis un pour le faire voler dans les airs et le renvoyer s’écraser au sol. Harch profite de cette occasion pour lui trancher la gorge avec son sabre.
Il combine un peu de magie avec son agilité au combat. Il sait être précis et ses coups sont vigoureux. Il est clairement atteint psychologiquement mais il se bat très bien, c’est indéniable. Cela tranche avec le niveau plutôt faible de nos soldats qui ont du mal à s’engager dans la bataille.
« Plus de vigueur dans les tambours ! » crié-je en direction des batteurs.
La bataille s’intensifie avec le nouveau rythme des tambours de guerre. De plus en plus d’ennemis arrivent à monter, les archers et les arbalétriers sont obligés de passer à l’épée sur de plus en plus de sections du mur. Nous n’étions pas assez nombreux pour pouvoir maintenir les tirs aussi longtemps. Il va falloir se battre avec les armes au corps-à-corps maintenant.
« Vingt-deux ! »
Je me tourne vers Francis. Il s’est mis devant deux échelles et fauche les nouveaux arrivants un à un. Il a l’air de compter le nombre de ses victimes… Son visage est déjà plein de tâches de sang. On dirait une bête sauvage lâchée au cœur du combat.
« Vingt-trois ! Vingt-quatre et vingt-cinq en DOUBLETTE ! » crie t-il.
Au moins, son action permet de galvaniser les hommes à proximité de lui. Avec la Furie Rouge, vous avez clairement un avantage de taille contre des bandits et des mercenaires. Cependant, ce qui m’inquiète c’est la première tour de siège qui commence à s’approcher dangereusement du côté de Francis. Il faut l’arrêter. Je dois m’en occuper… Et j’ai justement une petite idée.
Je me déplace vers l’arrière de la tour en courant et je me tourne vers la cour : il y a des munitions pour balistes entreposées par Xupeng : j’en soulève une par la pensée jusqu’à la tour, lentement mais sûrement pour éviter tout accident.
J’essaye de rester concentrée et d’éviter de trop prendre en compte les cris et le vacarme des armes autour de moi. Voilà… Encore un petit peu… C’est bon. Je la fais passer de l’autre côté, sous le regard surpris et étonné de certains soldats pas encore engagés dans la mêlée. Je me mets en position en tir, le bras levé vers le ciel et lorsque le moment est parfait…
Je projette mon bras vers l’avant comme si je jetais le projectile avec ma main. Elle fonce à pleine vitesse avant de s’encastrer dans les roues droites de la tour de siège qui désormais peut beaucoup moins bien avancer. Les ennemis ne décolèrent pas et sortent de l’engin pour courir en direction des échelles.
Une vague hurlante de mécréants, armes en l’air, beuglant comme des veaux. Et tout comme nos amis les vaches, vous finirez à l’abattoir messieurs, nous y veillerons tous personnellement. Seuls les tireurs au-dessus de la porte avec moi peuvent encore maintenir un léger feu sur nos assaillants.
« Continuez de tirer ! »
Insuffisant.
Je sors moi-même plusieurs flèches de mon carquois pour les envoyer vers les ennemis… En usant de mes pouvoirs. L’entraînement à l’arc pur sera pour un autre jour. Je vise des assaillants du côté de Francis, là où ils sont déjà les plus nombreux. La mêlée s’est engagée lourdement. Les défenseurs ne se laissent pas faire, mais les auxiliaires de Jiawei se battent avec férocité : ils savent très bien ce qui les attend s’ils perdent la bataille.
Je vais aller l’aider.
« Wuhan, garde cette position, je reviens ! »
Je prends appui sur les créneaux pour faire un petit bond et ensuite je me soulève par la force de l’esprit pour littéralement voler au-dessus des combattants qui me voient à peine passées. J’atterris non loin de Francis. J’invoque un fouet éthérique et commence à cravacher les misérables avortons qui menacent mon acolyte.
« Merci du coup de main Madame ! Trente-neuf ! »
Plusieurs ennemis m’ont repéré et m’ont identifié comme la chef de la défense – en même temps ce n’est pas très difficile, il n’y a qu’une femme ici et c’est moi-, je sors immédiatement deux lames que je fais voler en leur direction. L’une vient se planter dans le torse d’un épéiste tandis que l’autre atterrit sur un bouclier. Je range le fouet pour le moment.
Il s’avance vers moi, hache à une main tournoyant dans les airs. Il l’abat sur moi, je le repousse violemment et il se voit projeté contre le mur. Je sors une flèche et bande l’arc. Il met son bouclier devant lui et me charge à nouveau. Hé ! Hé ! Ce n’est pas lui que je visais, mais son ami à côté qui se prend la flèche dans l’épaule.
Je refais un bond pour passer au-dessus de la hache et passe derrière lui. Je prends le contrôle d’une épée qui traîne par terre et la fait voler pour la figer dans le dos de l’ennemi. Moins un. Je me retourne et regarde le sol. Beaucoup d’équipements traînent. Des lames, des flèches, des haches et même des lances à certains endroits.
J’en récupère plusieurs que je me mets à faire voltiger dans les airs pour les planter dans les combattants adverses. Un grand mercenaire aperçoit mon manège et me saisit par le bras, il me jette par terre. Je fais deux roulades au sol. Il est immense. Son visage est masqué mais je vois ses yeux, ce n’est pas un chinois. Elle est allée les chercher loin ses soldats.
Je tends les mains vers lui et lui envoie une petite boule de feu. Puis un grand coup de marteau lui arrivant par derrière le cloue immédiatement au sol où son cadavre continue de cramer lentement mais sûrement.
« Merci Francis !
- De rien ! Quarante-quatre ! »
Je me relève rapidement. Un coup d’épée ne passe pas loin de ma poitrine. Un soldat de Chengdu vient planter une lance dans le torse tandis que je passe déjà à une nouvelle cible que je soulève pour jeter par-dessus le mur pour qu’il s’écrase treize mètres plus bas.
Ça secoue dans tous les sens. Il faut marcher entre les corps voir sur eux pour se déplacer tandis que les deux armées s’affrontent du mieux qu’elles peuvent. Même si certains essayent de rester près de moi pour me protéger, ils sont bien souvent obligés de me quitter pour éliminer leurs adversaires.
J’essaye d’avancer du mieux que je peux dans cette mêlée pour m’approcher des créneaux. Je veux renverser des échelles pour donner un peu d’air à mes troupes. Je sors une lame que je fais voler autour de moi, un ennemi me prend pour cible : sa gorge est tranchée.
Un autre tente de jeter une lance sur moi, je le repousse contre les créneaux : il trébuche et tombe en arrière. Un milicien de la ville en profite pour lui mettre sa hache dans la tête et s’acharner sur lui.
Deux mercenaires sont entrain de battre à mort un de mes soldats avec leurs armes. Quelle bande de… Je les saisis par la gorge et les soulève à quelques centimètres du sol. Heureusement qu’ils ne sont pas très lourds ceux-là. Mon homme se relève avec difficulté, ne comprenant pas trop ce qui se passe. Il récupère sa lame et transperce ses assaillants. Je relâche les corps qui s’effondrent pour rejoindre les autres morts.
Vite ! Je continue d’avancer. Deux échelles qui ne sont pas très loin. La première je tends la main droite pour la viser… Une sphère de flammes se forme dans celle-ci, lorsque c’est suffisamment costaud, je la relâche pour qu’elle aille défoncer cet accès ennemi. Ça s’est fait.
La suivante, je me concentre dessus… ce qui est compliqué vu les mouvements autour de nous. Je décide de pousser un maximum quitte à pomper beaucoup dans mes réserves. Les hommes grimpant dessus n’aident pas vraiment. Avec encore un peu d’efforts, l’échelle se met à bouger… Puis à basculer de plus en plus… Et…
VLAM !
L’échelle est renversée et s’écrase sur le sol… Les mercenaires avec.
« AAAAAAAH ! »
Un des ennemis vient se faire vider les tripes juste à côté de moi. Sa bouche ensanglantée crachant du sang dans son dernier râle d’agonie. Je regarde mon armure un instant. Il y a du sang dessus. Il y en a beaucoup même. Du moins par rapport à d’habitude.
La situation devient de plus en plus compliquée pour moi. Beaucoup trop d’ennemis. Je ne peux pas tous les gérer en même temps. Je lance une épée dans le plastron d’un homme qui tombe au sol. Plusieurs ennemis ont formé une protection autour d’une des échelles pour sécuriser l’accès. Je vais me charger d’eux puis je retournerai à la porte.
Je me change en corbeau pour me déplacer plus facilement. Je voltige au-dessus de la mêlée compacte et difforme qui s’agite dans tous les sens au rythme des tambours et des cris de rage et de douleur. Je passe de l’autre côté de la muraille, côté ville, pour éviter les tirs de flèches perdues ou non.
J’atterris à l’extrémité de la zone défendue tenue par nos valeureux défenseurs. Ils sont surpris de me voir arriver ainsi ici. Ma présence leur redonne un peu de courage et de force pour tenir cette position.
« Je vais dégager cette échelle là-bas. Tâchez de maintenir notre emprise sur cette partie du mur messieurs !
- Oui Madame ! »
Je prends une lance disposée là. Je la projette en direction de cette échelle. J’embroche deux hommes par derrière. Ils bougent encore un instant sur leurs deux jambes avant de s’effondrer en hurlant sur leurs flancs. Ils ne sont pas morts sur le coup, mais cela ne devrait pas tarder.
Je me permets de me servir dans les carquois des archers qui ne se servent plus de leurs arcs pour former une spirale de traits autour de moi. Je m’avance de quelques pas et les invite à venir me voir… S’ils le peuvent encore d’ici quelques secondes.
« HEY VOUS ! » crié-je en direction des assaillants.
« Petit cadeau de la Dame de Chengdu. » dis-je, malicieusement.
Sans attendre leurs réponses, je décharge mes flèches sur eux. Une véritable tempête de traits s’abat sur eux. Dans les jambes, dans les bras, dans les têtes, dans les torses, dans les dos et les épaules, les projectiles se plantent sans merci. Seuls quelques-uns ont la présence d’esprit de se cacher derrière leurs boucliers tandis que les gardes de la ville se précipitent dans leur direction pour les achever ou regagner du terrain.
Vite, l’échelle !
Je me mêle à la charge des soldats -qui ne dure que quelques mètres- pour me rapprocher de l’échelle. Pas le temps de me concentrer pour faire basculer l’engin. Je charge une sphère explosive que je lance sans attendre sur le bois – et les assaillants- qui explose à l’impact à leur tour.
« Aaaaaaah ! »
J’essaye de percevoir un peu dans quelle situation nous sommes. Il y a toujours beaucoup trop d’ennemis à mon goût. J’ai du mal à estimer ce qui se passe sur l’ensemble des murs. Il faut que je prenne de la hauteur. Encore.
Je prends appui sur le mur et me jette à nouveau dans les airs sous ma forme de corbeau. Je monte en profitant d’un vent ascendant pour survoler les remparts et contempler les combats qui s’y déroulent.
Je vois beaucoup de cadavres et de blessés, des deux côtés. L’affrontement est âpre et aucun des deux camps ne souhaite reculer. La barbarie s’oppose à la férocité des défenseurs qui se battent non pas pour l’or, mais pour leurs familles, leur foyer et leurs ancêtres : ce qui vaut la peine de se battre.
Cependant, la situation est moins en notre faveur que ce que je pensais. Même si nous maintenons notre position, les ennemis arrivent quand même à se hisser sur les murs. Ils ne sont pas encore dans la ville uniquement car nos hommes leur barrent la route : lorsqu’ils ne seront plus assez nombreux pour tenir. Il faudra s’attendre au pire.
Je ne veux pas voir ce pire.
Je me pose du côté d’Harch. Il y a une poche de résistance ennemie dans cette zone que je veux briser. Je prends place à côté de lui. Lorsque je reprends forme humaine, il égorge un homme avec son sabre avant de me saluer légèrement de la tête, les mains baignant littéralement dans le sang.
« Il faut tuer les hommes qui tiennent cette zone là-bas. J’ai besoin de votre appui !
- A vos ordres, ma Dame. » répond-il avec un ton étrange, entre malice et plaisir.
Comme auparavant, je ramasse des armes qui trainent au sol pour les envoyer fracasser les corps des assaillants. Harch se rapproche de moi pour passer devant et empêcher des hommes de pouvoir m’attaquer trop aisément. Je vois également qu’il commence à charger un sort de ténèbres dans sa main gauche.
Un ennemi vient se placer devant lui avec un glaive et un bouclier. Il pousse l’ancien capitaine avec ce dernier pour le forcer à reculer. Je soulève le soldat pour le mettre légèrement en hauteur, permettant à Harch de planter son épée dans son abdomen à plusieurs reprises. Lorsqu’il a eu son compte, je le jette par-dessus les remparts. Nous continuons notre marche.
« Faites place ! » crie t-il pour que nos forces nous laissent avancer vers cette zone à problèmes.
Nous sommes désormais confrontés à un mur d’épées, de lances et de boucliers qui protègent une autre échelle. Harch décharge immédiatement son sort de ténèbres qui vient fracasser les boucliers. Je projette quatre lances dans le tas pour les empaler sauvagement et faire de la place.
Harch et moi avançons de concert. Tandis qu’il tranche toutes les gorges qui traînent trop exposées, je brise les défenses des assaillants qui se retrouvent en bien mauvaise posture face à nous.
« Chargez ! » crient plusieurs soldats derrière nous qui rejoignent le nettoyage de cette section des murs.
Je n’ai même pas besoin de m’occuper de l’échelle, plusieurs soldats se mettent à pousser avec leurs lances. Je n’ai qu’à légèrement pousser moi-même pour la faire s’effondrer sur les lames louées par Jiawei en bas des remparts.
Je fais un signe à Harch avant de repartir vers la grande porte en forme de corbeau. Avec ces deux mouvements, nous devrions pouvoir mettre plus de pression sur les forces de la prêtresse. La deuxième tour de siège est encore en approche, mais elle est trop éloignée pour que je tente quoique ce soit pour l’instant.
En revenant à ma zone de commandement, Wuhan accourt vers moi.
« L’Intendant Xupeng m’a dit qu’ils allaient bientôt manquer de munitions pour les catapultes, il attend vos ordres !
- Dites-lui d’arrêter le tir et d’attendre mes prochaines consignes. Il continue de tenir la cour avec Lin Meng. La situation est gérable sur les remparts pour l’instant… »
J’ai des doutes. Est-ce que mes forces auront assez d’énergie pour continuer à se battre ainsi sur les murs ? Est-ce que je devrais faire monter les troupes de Lin Meng ici en renforts au risque de laisser la cour sans protection au cas où il y aurait un débordement ? Quelque chose me perturbe ici… Mais je ne sais pas quoi exactement. C’est étrange qu’ils essaient absolument de prendre les murs. Ils n’ont pas encore touché à la porte.
« Continuez de tirer ! » ordonné-je aux archers de ma section, les seuls encore capables d’utiliser leurs flèches.
J’approche des créneaux et charge un sort de feu. Après quelques secondes, je jette en contrebas. Ce n’est pas extrêmement puissant, mais c’est mieux que rien… Je vais tenter de lancer des projectiles magiques purs mais cette fois-ci en direction des ennemis déjà sur les murs.
Je grimpe à pas de géants dans la tour et une fois au premier étage, je canalise ma magie pour projeter la mort sur nos adversaires. J’en touche plusieurs. Est-ce qu’ils sont morts ? Non. Mais ils sont blessés et cela va aider mes hommes. C’est tout ce qui compte.
Je prends mon arc et conjugue mes traits avec mon psychisme pour guider les tirs vers la tête des mercenaires qui sont bien surpris de voir des flèches aux trajectoires improbables. Et oui messieurs, je suis pleine de ressources.
Après quelques tirs je me dirige vers l’arrière de la tour pour faire face à la cour et ordonner à Xupeng de refaire un tir de catapultes pour maintenir la pression sur l’armée ennemie :
« Xupeng ! FEU ! » crié-je à plein poumons.
J’ai hurlé tellement fort que j’en tousse. Quelle journée… Il me faudrait bien un thé pour décompresser après tout ça… Mais je n’en ai pas vraiment le temps là. Vite ! Je retourne côté combat.
La bonne nouvelle, c’est que les remparts sont de plus en plus propres. Mes efforts conjugués à ceux d’Harch et de Francis ont permis de libérer de la pression sur nos forces qui du coup ont pu reprendre leurs sections respectives. Même si certaines poches de résistance persistent, elles ne devraient pas tenir très longtemps. Les sichuanais sont enragés et ne laisseront pas tomber la bataille alors qu’ils sont entrain de gagner.
Les tambours maintiennent une cadence effrénée. Nos cœurs battent ensemble dans un seul et unique but. Nous sommes unis sous les mêmes bannières pour terrasser nos agresseurs et ceux qui osent s’en prendre à notre foyer.
Que les ancêtres soient témoins de notre courageuse défense !
Je me concentre lorsque j’entends les mécanismes des catapultes se mettre en marche. Je tends les bras vers le ciel pour m’aider dans mon action. Je prends le contrôle de deux rochers enflammés pour changer leurs trajectoires et les planter dans les engins de siège de Jiawei Dajisi. Ils n’avaient presque plus rien à tirer et maintenant ils ne pourront plus rien faire avec, ha !
Je reprends mon arc en main. Je suis au plus près des créneaux. Je vise les archers ennemis qui se sentent certainement trop seuls. Même si mes tirs ne sont pas nombreux, moi au moins je peux les atteindre en usant de mon esprit. Je maintiens ma cadence. Il le faut.
« Wuhan ! Francis a quasiment nettoyé sa partie, va aider Harch !
- A vos ordres, ma Dame ! »
C’est un usage très particulier de ma garde personnelle mais pour le moment je ne suis pas menacée directement. Ils peuvent s’engager dans le combat sur les murs, cela leur permettra de s’échauffer. Cela galvanisera également nos hommes qui reprennent l’avantage peu à peu.
Ce qui continue de m’inquiéter c’est l’absence de chefs ennemis. On dirait qu’ils sont tous restés avec Jiawei. Je les vois sur leurs chevaux. Ils ont l’air d’attendre quelque chose avec le reste de leurs troupes. Une bonne partie est plaquée contre nos remparts mais ils n’ont quasiment plus d’échelles pour monter. Il va se passer quelque chose. Je communique immédiatement avec Xupeng.
« Charge les balistes et pointe-les vers la grande porte, exécution ! Recule les catapultes et demande à Lin Meng de se préparer au combat ! » pensé-je en sa direction.
Ils attendent certainement cette tour de siège, leur seconde et dernière. Elle avance très lentement à cause du terrain accidenté des rizières cramées. Qu’est-ce que tu essayes de faire Jiawei ? Nous massacrer sur les murs jusqu’au dernier pour avoir librement accès à la ville ? Qu’est-ce qu’elle attend pour attaquer la porte ?
Je ne reste pas inactive à contempler l’horizon cependant. Mes soldats ont besoin de voir que la chef de la défense est personnellement impliquée dans les combats, même si les affrontements sur les murs tendent à tourner en notre faveur désormais. Je me dirige une nouvelle fois du côté de Francis pour nettoyer sa partie des sales engeances qui nous agressent.
Je fais place nette autour de moi et je convoque cinq guerriers de la Terre des Dragons en armure et prêts à se battre et mourir pour leur maîtresse. Ils se placent autour de moi, armes dégainées et nous commençons à avancer ainsi.
Ils me protègent d’un engagement au corps-à-corps tandis que je les couvre en faisant tomber les ennemis ou en tranchant leurs gorges avec mes lames flottantes. Comme je le constatais, les combats sont toujours aussi vigoureux et violents. C’est assez chaotique et beaucoup de cadavres sanguinolents gisent par terre, témoins de cette triste et sanguinaire journée.
« Flèches ! » crie un homme sans vraiment que je sache d’où cela vienne.
Une volée de traits vient se planter sur les murs, mais aussi sur les combattants, tout camp confondu. Trois de mes chevaliers meurent en formant un bouclier pour leur maîtresse. Deux demeurent à mes côtés et continuent de se battre. Elle est complètement folle ! Tirer sur ses propres hommes ? Elle n’a vraiment aucune honte.
« Francis, au rapport ! » crié-je en apercevant Francis entrain de… D’écraser une tête avec son marteau.
Il m’entend et se met à avancer vers ma position tout en fauchant quelques malheureuses victimes sur le chemin. Il a du sang partout ! J’espère que ce n’est pas le sien… Mais vu l’expression sur son visage, je crois que c’est plutôt celui des ennemis.
« Comment vous faîtes pour avoir autant de sang sur vous ?!
- Aucune idée ! Ha ! Ha ! Ça va vous ? » dit-il tout en martelant le plastron d’un soldat ennemi tentant de l’attaquer sur le flanc.
J’en soulève un autre pour que les miliciens s’en chargent sans peine. Hop ! Une hache en pleine poitrine. C’est fini pour toi gamin ! Je le jette par-dessus la muraille pour qu’il rejoigne ses copains en dessous.
« J’ai connu des jours meilleurs, je ne te le cache pas !
- Tu m’étonnes ! »
Nous continuons à nous battre dos à dos face aux derniers résistants qui tentent encore de percer. Francis en saisit un à la gorge, il a l’air de serrer tellement fort que l’homme doit lâcher ses armes pour porter ses mains sur le bras de mon acolyte. Il le balance par terre avant d’abattre son marteau sa figure. Le visage brisé, écrasé et en sang, le soldat est mort.
« J’suis putain de chaud aujourd’hui ! ALLEZ LES GARS ! » crie t-il.
Les ennemis commencent à l’éviter pour se rabattre sur les autres miliciens. Ils se rendent compte que Francis n’est pas un homme charmant, ni facile à tuer. Son regard de tueur allié à tout ce sang qu’il a sur lui ne lui donnent pas un air fort sympathique par ailleurs.
Qu’à cela ne tienne, l’ancien SOLDAT de la Shinra les charge un à un. Il les percute à coups d’épaules avant de les tuer par son marteau ou en fauchant leurs vies avec des armes qu’il ramasse en chemin. J’en profite pour me saisir d’une lance et la projeter sur un homme s’acharnant un peu trop sur mes combattants. Il ne voit le coup venir qu’au dernier moment et c’est avec une certaine horreur qu’il accueille mon attaque dans ses côtes.
Je dégaine mon arc, mets un genou à terre, flèche et je tire sur un soldat adverse. Je reste ainsi et continue de prendre pour cible des hommes trop agités à mon goût. Il faut les coincer comme des rats et les abattre sans pitié ! Ils ne veulent pas se rendre à l’évidence que la victoire va leur échapper ? Et bien soit ! Qu’ils en paient le prix !
« Madame Song ! On devrait s’en sortir ! Allez voir de l’autre côté où ils en sont !
- 好的 ! »
Je reprends mon apparence de corbeau tandis que mes deux invocations disparaissent avec ma transformation. Je voltige au-dessus des combats pour revenir à la tour et faire le point sur la situation d’Harch.
Le combat est au même stade que du côté de Francis je dirai. Wuhan a apporté un renfort de taille pour les miliciens sous le commandement d’Harch. C’est très bien. Je prends tout de même le temps de ramasser plusieurs flèches et les faire léviter pour les envoyer sur les bandits de Jiawei. Au moins avec moi, ils n’ont pas le temps de souffrir : ils se prennent les traits dans la tête. Ils meurent rapidement et sans grandes souffrances.
La prêtresse devrait même me remercier tiens.
Je reviens en position sur l’avant de la plateforme au-dessus de la porte sud pour voir ce que fait le reste des troupes de Jiawei face à cette situation. Et je comprends bien trop tard ce qu’ils faisaient depuis tout ce temps.
« MADAME SONG ! REGARDEZ ! » crie l’un des hommes.
Soudainement, une large sphère de flammes se forme devant les cavaliers. Je remarque plusieurs personnes autour. Au moins trois. Ils sont entrain de canaliser leurs énergies magiques pour lancer un seul et unique sort… Une attaque de poids contre le mur.
La sphère grossit de plus en plus tandis que les torrents de flammes qui la composent commencent à devenir de plus en plus instables et difficiles à contenir. Lorsqu’ils ont fini de mener les flux de la magie vers cette boule gigantesque, ils la projettent en direction de la porte. Juste en-dessous de moi.
L’impact est tellement violent que les murs tremblent tandis que j’entends le bois voler en éclats. Ma première réaction est de me précipiter aux créneaux pour voir ce qu’ils font… Et bien entendu, ce qui devait arriver arriva : les mercenaires se précipitent dans le gouffre créé pour attaquer la cour !
« FRANCIS ! Prend ta bannière et va dans la cour IMMÉDIATEMENT ! » crié-je de toutes mes forces.
La bannière bleue de mon acolyte se met en mouvement. Les soldats en faction sur sa section demeurent en place mais ceux sous son commandement direct le suivent en direction de la cour. Harch est encore trop occupée sur sa section, je dois faire appel à ma garde.
« Wuhan ! Remplacez Francis sur sa section immédiatement ! Je vais aider Harch un peu ! »
Je vois que mes hommes se mettent à revenir tandis que le fracas des armes commence à résonner du côté de la ville. Il faut qu’ils tiennent ! Il le faut ! je ne peux pas descendre, il faut que je me charge de cette foutue tour de siège lorsqu’elle sera à portée !
« Allez messieurs ! Je compte sur vous ! » pensé-je.
Elles laissent entrevoir le combat sanglant de la veille. Des corps carbonisés ou brisés au pied de nos murs gisant là comme preuve de notre victoire temporaire. Les rizières ont été asséchées par les flammes et les destructions causées par l’armée d’envahisseurs. Un vaste champ cramoisi s’étend désormais devant notre cité.
Du haut de nos remparts, les défenseurs de l’ordre et de la paix se tiennent prêts à repousser l’attaque finale de Jiawei Dajisi. Galvanisés par notre victoire nocturne, ceux qui ont été épargné par le feu, les flèches et les combats sont encore là, renforcés par les hommes de Lin Meng que nous avons décidé de déployer au front plutôt que dans le centre-ville.
J’ai également revu notre chaîne de commandement. Lors de l’assaut nocturne, je devais donner les ordres pour tous les commandants : c’est une erreur. Je ne peux être et voir partout à la fois. J’ai confiance en ces hommes pour faire les meilleurs choix lors de cette bataille, leur seule consigne : suivre ma bannière où qu’elle aille et obéir lorsque ma voix leur parvient.
Francis garde ma droite, Harch la gauche, Xupeng dans la cour comme précédemment. Lin Meng reste en soutien avec notre eunuque pour l’instant. Je veux un homme jeune et dynamique au cas où la porte serait menacée.
Le silence règne pour le moment, un certain calme avant la tempête. Seules les bannières flottant sous le vent du matin émettent un doux son nous susurrant à l’oreille le début prochain de la plus grande bataille à laquelle j’ai assisté dans ma vie. Au vu de l’avidité de nos ennemis, il est certain que cela devrait être… Violent.
Des bandits, des mercenaires et des fanatiques de je-ne-sais-quoi ! Voilà donc l’étrange assortiment d’hommes et de femmes qui vont tenter de franchir nos remparts pour prendre notre ville. Ces êtres méprisables ne rencontreront que notre fureur et nos épées et nos flèches guidées par la sagesse de nos ancêtres. Ceci est notre foyer et il ne tombera pas. Tant que les Song sont là, Chengdu sera protégée.
Les ennemis se sont mis en ligne. Il est facile de dissocier les différents groupes composant cette masse hétéroclite, chacun a ses couleurs et ses propres armures. J’aperçois à peine au loin plusieurs personnes à cheval, certainement Jiawei et ses commandants. Ils se cachent au niveau des petits engins de siège qu’ils ont réussi à construire – ou apporter ?- pendant la nuit. De vieilles planches de bois bancales qui ne devraient pas nous poser trop de problèmes.
Le seul élément qui m’inquiète ce sont les deux tours de siège qu’ils ont en réserve. Comment ont-ils pu les construire en quelques heures ? Il doit y avoir une explication là-dessus : une réponse que j’obtiendrais plus tard lorsqu’ils seront tous morts ou emprisonnés. Ils ont aussi plusieurs échelles. Manifestement les cordes de la nuit dernière étaient les seules qu’ils avaient pour leurs grappins.
J’ai enfilé mon armure correctement cette fois-ci. J’ai également décidé de me battre avec un arc et des flèches. Je dois pouvoir faire quelque chose sans user tout le temps de mes pouvoirs. Cela peut toujours servir, sait-on jamais contre qui je vais combattre aujourd’hui.
Je me tourne vers Francis. J’hoche légèrement la tête.
« Tambours les gars. » dit-il sobrement.
Dans la tour où je me trouve, des battements se mettent à résonner dans l’air. Les tambours de guerre chinois se réveillent pour battre la cadence des futurs combats. Les hommes entendent ces sons comme un appel aux armes mille fois plus efficace qu’un discours de n’importe quel commandant. C’est comme si nos cœurs battaient désormais à l’unisson.
Un premier cor se met à retentir dans le champ cramoisi en réponse.
L’armée ennemie se met en marche de bataille. Ils avancent plus ou moins au même rythme vers nous. Ils n’ont pas de bannières. Seulement des armes et de l’or en poche. Ils ne se battent ni pour l’honneur, ni pour la gloire… Uniquement pour l’argent. Je suis curieuse de voir combien de temps ils vont tenir avant de battre en retraite et d’abandonner la prêtresse à son funeste sort. Ils ne connaissent et ne vivent que par la peur. Nous allons leur donner ce qu’ils méritent en ce cas.
« Francis.
- Oui ?
- Est-ce que tu penses que nos ennemis ont peur de nous ?
- Pas assez manifestement mdr.
- C’est exactement ce que je me disais. »
Je tourne mon regard vers les envahisseurs, attendant qu’ils soient à peu près à porter de tirs de catapultes. Une fois que je pense que c’est suffisant, j’esquisse un très léger sourire sur mon visage.
« Francis.
- Ouaip Chef ?
- Relâche nos ennemis de cette nuit qui n’ont pas été emprisonnés.
- Hé ! Hé ! Avec plaisir chef ! »
Il se tourne vers Xupeng dans la cour derrière la porte.
« CATAPULTES ! » crie t-il.
Le vacarme des mécanismes des engins résonne jusqu’à nos oreilles accompagné du rythme des tambours. Bientôt, une volée de petits projectiles transperce le ciel pour s’abattre légèrement sur les ennemis avançant dans notre direction. De petits impacts de font entendre sur leurs boucliers tandis que certains crient de surprise face à l’horreur que nous venons de déverser sur eux.
« Envoyez la dernière volée.
- CATAPULTES, FEU ! »
De nouvelles têtes passent au-dessus des nôtres pour rejoindre le champ dévasté devant la porte sud. Une nouvelle série d’exclamations s’ensuit parmi nos ennemis. Voici votre destin messieurs. Vous allez mourir ou être jugés comme les misérables que vous êtes. Combattre est inutile, vous avez déjà perdu.
Bien sûr, nous n’avons pas vraiment une supériorité numérique face à eux mais… Je préfère aborder la bataille de cette manière. Qu’importe ce qu’ils lâcheront sur nous, nous tiendrons. J’ai dit que je protégerai cette ville et je compte bien le faire.
« Archers !
- ARCHEEEEERS !
- Archers prêts à tirer ! »
Les arcs se dressent de notre côté tandis que les ennemis reçoivent une première salve de tirs de catapultes… Cette fois-ci, ce sont des rochers enflammés. Bientôt, leurs engins de siège envoient également une salve en notre direction. Deux tirs. Ha ! Il faudra plus pour passer.
Les roches s’écrasent lourdement contre les parois mais les murs sont épais et profonds. Il faudra plus que ça. Je tends mon arc comme les autres et me prépare à faire feu. Lorsque je pense le moment opportun. Je relâche ma main droite rapidement suivie des cris des autres commandants.
« FEU ! »
Le ciel s’assombrit d’une multitude de fins traits noirs qui disparaissent rapidement dans les rangs de l’armée ennemie, désormais se précipitant dans notre direction avec les échelles. D’autres forment des rangs pour laisser les archers tirer. Bientôt, nos soldats prendront aussi leurs premiers coups.
La bataille s’annonce difficile.
« Balistes ! » crié-je.
Nouveaux tirs, nouveaux morts.
Tous ces cadavres ennemis me donnent une folle envie de réanimation nécromantique mais je dois tenir mon engagement. Pas de souillures à Chengdu. Pas sur la terre de mes ancêtres. Pas où se trouve mon fils.
« Feu ! » crie Francis à nouveau.
Les bataillons commencent à agir de leur propre chef, me laissant plus de temps pour analyser le déroulé de la bataille depuis la grande porte sud. La première vague se jette contre nos murs pour s’abriter des flèches. Certains font feu avec leurs arbalètes tandis que nos arbalétriers essayent de les déloger à coup de carreaux.
« Visez les porteurs d’échelles ! Feu à volonté ! »
Je tends la main et laisse échapper une sphère de feu qui fend l’air pour exploser à proximité d’un groupe de porteurs, l’échelle volant en éclats et avec elle, l’espoir de pouvoir atteindre notre rempart. Cependant, d’autres échelles approchent. Certaines commencent déjà à se dresser contre les murs.
Les mêmes lueurs enflammées qu’il y a quelques heures se dessinent devant moi. Il y a bien plusieurs utilisateurs de magie dans l’armée ennemie. Ils préparent de nouvelles boules de feu et je n’ai rien à leur opposer vraiment. Jiawei est hors d’atteinte d’ici, elle est libre de faire ce qu’elle veut. Vivement que Gao arrive pour la faucher…
Leurs projectiles magiques s’envolent rendant la pâle lueur du matin flamboyante l’espace d’un instant. Ils viennent s’écraser contre nos murs emportant avec eux plusieurs soldats disparaissant dans le feu ou projetés dans les airs suite à l’impact.
Je prends moi-même une flèche et vise en direction des pieds du mur. Une cible facile, qui ne bouge pas trop… Je décoche mon trait qui vient se planter dans son dos. Je le vois s’affaisser un peu, mais il n’est pas mort. Je recommence et effectue le même tir. Cette fois-ci, mon attaque réussit et il meurt.
Mon regard revient vers les échelles, il y en a plusieurs. Peut-être une dizaine. Malgré les tirs sur les porteurs, d’autres mercenaires les récupèrent pour pouvoir monter sur les murs. Elles ont l’air lourdes – ce qui est compréhensible vu la hauteur des murs- mais l’autre danger est la première tour de siège qui commence à avancer.
C’est très étonnant qu’ils n’attaquent pas la porte en bois, cela leur permettrait de contourner les remparts par une entrée plus directe. Je n’ai pas vraiment le temps de m’en soucier : s’ils veulent monter, qu’ils montent nous les attendons de pieds fermes.
Une échelle se pose non loin de ma position. Je me concentre dessus et tandis que des hommes commencent à grimper dessus, je la rabats violemment sur le sol. Celui qui était au plus haut a dû bien avoir mal, je vous le garanti.
Beaucoup d’ennemis au pied des murs ont des boucliers pour se protéger des flèches et des arbalètes. Il va falloir les réchauffer un peu. Je me tourne vers Francis, puis Harch leur intimant d’utiliser nos dernières réserves d’huile sur eux.
« C’est l’heure de faire des petites fritures, messieurs ! »
Ils me répondent d’un hochement de tête. Les deux commandants s’éloignent un peu de la porte pour être plus près des combats lorsque les ennemis parviendront à monter, ce qui ne devrait pas tarder. Plusieurs échelles se mettent en place des deux côtés : les envahisseurs avancent.
« Balancez-leur de l’huile les gars ! » crie Francis.
Quelques instants plus tard, des hurlements particulièrement violents se mettent à résonner contre les parois protégeant Chengdu. Certains ont beaucoup souffert aujourd’hui. Tant mieux, ils le méritent amplement.
Je me tourne vers les côtés de ma tour. Plusieurs hommes ont réussi à monter jusqu’aux remparts, ils sont en armures plutôt lourdes, ils ont forcé le passage en profitant des boules de feu des sorciers de Jiawei. J’en saisis un pour le faire voler dans les airs et le renvoyer s’écraser au sol. Harch profite de cette occasion pour lui trancher la gorge avec son sabre.
Il combine un peu de magie avec son agilité au combat. Il sait être précis et ses coups sont vigoureux. Il est clairement atteint psychologiquement mais il se bat très bien, c’est indéniable. Cela tranche avec le niveau plutôt faible de nos soldats qui ont du mal à s’engager dans la bataille.
« Plus de vigueur dans les tambours ! » crié-je en direction des batteurs.
La bataille s’intensifie avec le nouveau rythme des tambours de guerre. De plus en plus d’ennemis arrivent à monter, les archers et les arbalétriers sont obligés de passer à l’épée sur de plus en plus de sections du mur. Nous n’étions pas assez nombreux pour pouvoir maintenir les tirs aussi longtemps. Il va falloir se battre avec les armes au corps-à-corps maintenant.
« Vingt-deux ! »
Je me tourne vers Francis. Il s’est mis devant deux échelles et fauche les nouveaux arrivants un à un. Il a l’air de compter le nombre de ses victimes… Son visage est déjà plein de tâches de sang. On dirait une bête sauvage lâchée au cœur du combat.
« Vingt-trois ! Vingt-quatre et vingt-cinq en DOUBLETTE ! » crie t-il.
Au moins, son action permet de galvaniser les hommes à proximité de lui. Avec la Furie Rouge, vous avez clairement un avantage de taille contre des bandits et des mercenaires. Cependant, ce qui m’inquiète c’est la première tour de siège qui commence à s’approcher dangereusement du côté de Francis. Il faut l’arrêter. Je dois m’en occuper… Et j’ai justement une petite idée.
Je me déplace vers l’arrière de la tour en courant et je me tourne vers la cour : il y a des munitions pour balistes entreposées par Xupeng : j’en soulève une par la pensée jusqu’à la tour, lentement mais sûrement pour éviter tout accident.
J’essaye de rester concentrée et d’éviter de trop prendre en compte les cris et le vacarme des armes autour de moi. Voilà… Encore un petit peu… C’est bon. Je la fais passer de l’autre côté, sous le regard surpris et étonné de certains soldats pas encore engagés dans la mêlée. Je me mets en position en tir, le bras levé vers le ciel et lorsque le moment est parfait…
Je projette mon bras vers l’avant comme si je jetais le projectile avec ma main. Elle fonce à pleine vitesse avant de s’encastrer dans les roues droites de la tour de siège qui désormais peut beaucoup moins bien avancer. Les ennemis ne décolèrent pas et sortent de l’engin pour courir en direction des échelles.
Une vague hurlante de mécréants, armes en l’air, beuglant comme des veaux. Et tout comme nos amis les vaches, vous finirez à l’abattoir messieurs, nous y veillerons tous personnellement. Seuls les tireurs au-dessus de la porte avec moi peuvent encore maintenir un léger feu sur nos assaillants.
« Continuez de tirer ! »
Insuffisant.
Je sors moi-même plusieurs flèches de mon carquois pour les envoyer vers les ennemis… En usant de mes pouvoirs. L’entraînement à l’arc pur sera pour un autre jour. Je vise des assaillants du côté de Francis, là où ils sont déjà les plus nombreux. La mêlée s’est engagée lourdement. Les défenseurs ne se laissent pas faire, mais les auxiliaires de Jiawei se battent avec férocité : ils savent très bien ce qui les attend s’ils perdent la bataille.
Je vais aller l’aider.
« Wuhan, garde cette position, je reviens ! »
Je prends appui sur les créneaux pour faire un petit bond et ensuite je me soulève par la force de l’esprit pour littéralement voler au-dessus des combattants qui me voient à peine passées. J’atterris non loin de Francis. J’invoque un fouet éthérique et commence à cravacher les misérables avortons qui menacent mon acolyte.
« Merci du coup de main Madame ! Trente-neuf ! »
Plusieurs ennemis m’ont repéré et m’ont identifié comme la chef de la défense – en même temps ce n’est pas très difficile, il n’y a qu’une femme ici et c’est moi-, je sors immédiatement deux lames que je fais voler en leur direction. L’une vient se planter dans le torse d’un épéiste tandis que l’autre atterrit sur un bouclier. Je range le fouet pour le moment.
Il s’avance vers moi, hache à une main tournoyant dans les airs. Il l’abat sur moi, je le repousse violemment et il se voit projeté contre le mur. Je sors une flèche et bande l’arc. Il met son bouclier devant lui et me charge à nouveau. Hé ! Hé ! Ce n’est pas lui que je visais, mais son ami à côté qui se prend la flèche dans l’épaule.
Je refais un bond pour passer au-dessus de la hache et passe derrière lui. Je prends le contrôle d’une épée qui traîne par terre et la fait voler pour la figer dans le dos de l’ennemi. Moins un. Je me retourne et regarde le sol. Beaucoup d’équipements traînent. Des lames, des flèches, des haches et même des lances à certains endroits.
J’en récupère plusieurs que je me mets à faire voltiger dans les airs pour les planter dans les combattants adverses. Un grand mercenaire aperçoit mon manège et me saisit par le bras, il me jette par terre. Je fais deux roulades au sol. Il est immense. Son visage est masqué mais je vois ses yeux, ce n’est pas un chinois. Elle est allée les chercher loin ses soldats.
Je tends les mains vers lui et lui envoie une petite boule de feu. Puis un grand coup de marteau lui arrivant par derrière le cloue immédiatement au sol où son cadavre continue de cramer lentement mais sûrement.
« Merci Francis !
- De rien ! Quarante-quatre ! »
Je me relève rapidement. Un coup d’épée ne passe pas loin de ma poitrine. Un soldat de Chengdu vient planter une lance dans le torse tandis que je passe déjà à une nouvelle cible que je soulève pour jeter par-dessus le mur pour qu’il s’écrase treize mètres plus bas.
Ça secoue dans tous les sens. Il faut marcher entre les corps voir sur eux pour se déplacer tandis que les deux armées s’affrontent du mieux qu’elles peuvent. Même si certains essayent de rester près de moi pour me protéger, ils sont bien souvent obligés de me quitter pour éliminer leurs adversaires.
J’essaye d’avancer du mieux que je peux dans cette mêlée pour m’approcher des créneaux. Je veux renverser des échelles pour donner un peu d’air à mes troupes. Je sors une lame que je fais voler autour de moi, un ennemi me prend pour cible : sa gorge est tranchée.
Un autre tente de jeter une lance sur moi, je le repousse contre les créneaux : il trébuche et tombe en arrière. Un milicien de la ville en profite pour lui mettre sa hache dans la tête et s’acharner sur lui.
Deux mercenaires sont entrain de battre à mort un de mes soldats avec leurs armes. Quelle bande de… Je les saisis par la gorge et les soulève à quelques centimètres du sol. Heureusement qu’ils ne sont pas très lourds ceux-là. Mon homme se relève avec difficulté, ne comprenant pas trop ce qui se passe. Il récupère sa lame et transperce ses assaillants. Je relâche les corps qui s’effondrent pour rejoindre les autres morts.
Vite ! Je continue d’avancer. Deux échelles qui ne sont pas très loin. La première je tends la main droite pour la viser… Une sphère de flammes se forme dans celle-ci, lorsque c’est suffisamment costaud, je la relâche pour qu’elle aille défoncer cet accès ennemi. Ça s’est fait.
La suivante, je me concentre dessus… ce qui est compliqué vu les mouvements autour de nous. Je décide de pousser un maximum quitte à pomper beaucoup dans mes réserves. Les hommes grimpant dessus n’aident pas vraiment. Avec encore un peu d’efforts, l’échelle se met à bouger… Puis à basculer de plus en plus… Et…
VLAM !
L’échelle est renversée et s’écrase sur le sol… Les mercenaires avec.
« AAAAAAAH ! »
Un des ennemis vient se faire vider les tripes juste à côté de moi. Sa bouche ensanglantée crachant du sang dans son dernier râle d’agonie. Je regarde mon armure un instant. Il y a du sang dessus. Il y en a beaucoup même. Du moins par rapport à d’habitude.
La situation devient de plus en plus compliquée pour moi. Beaucoup trop d’ennemis. Je ne peux pas tous les gérer en même temps. Je lance une épée dans le plastron d’un homme qui tombe au sol. Plusieurs ennemis ont formé une protection autour d’une des échelles pour sécuriser l’accès. Je vais me charger d’eux puis je retournerai à la porte.
Je me change en corbeau pour me déplacer plus facilement. Je voltige au-dessus de la mêlée compacte et difforme qui s’agite dans tous les sens au rythme des tambours et des cris de rage et de douleur. Je passe de l’autre côté de la muraille, côté ville, pour éviter les tirs de flèches perdues ou non.
J’atterris à l’extrémité de la zone défendue tenue par nos valeureux défenseurs. Ils sont surpris de me voir arriver ainsi ici. Ma présence leur redonne un peu de courage et de force pour tenir cette position.
« Je vais dégager cette échelle là-bas. Tâchez de maintenir notre emprise sur cette partie du mur messieurs !
- Oui Madame ! »
Je prends une lance disposée là. Je la projette en direction de cette échelle. J’embroche deux hommes par derrière. Ils bougent encore un instant sur leurs deux jambes avant de s’effondrer en hurlant sur leurs flancs. Ils ne sont pas morts sur le coup, mais cela ne devrait pas tarder.
Je me permets de me servir dans les carquois des archers qui ne se servent plus de leurs arcs pour former une spirale de traits autour de moi. Je m’avance de quelques pas et les invite à venir me voir… S’ils le peuvent encore d’ici quelques secondes.
« HEY VOUS ! » crié-je en direction des assaillants.
« Petit cadeau de la Dame de Chengdu. » dis-je, malicieusement.
Sans attendre leurs réponses, je décharge mes flèches sur eux. Une véritable tempête de traits s’abat sur eux. Dans les jambes, dans les bras, dans les têtes, dans les torses, dans les dos et les épaules, les projectiles se plantent sans merci. Seuls quelques-uns ont la présence d’esprit de se cacher derrière leurs boucliers tandis que les gardes de la ville se précipitent dans leur direction pour les achever ou regagner du terrain.
Vite, l’échelle !
Je me mêle à la charge des soldats -qui ne dure que quelques mètres- pour me rapprocher de l’échelle. Pas le temps de me concentrer pour faire basculer l’engin. Je charge une sphère explosive que je lance sans attendre sur le bois – et les assaillants- qui explose à l’impact à leur tour.
« Aaaaaaah ! »
J’essaye de percevoir un peu dans quelle situation nous sommes. Il y a toujours beaucoup trop d’ennemis à mon goût. J’ai du mal à estimer ce qui se passe sur l’ensemble des murs. Il faut que je prenne de la hauteur. Encore.
Je prends appui sur le mur et me jette à nouveau dans les airs sous ma forme de corbeau. Je monte en profitant d’un vent ascendant pour survoler les remparts et contempler les combats qui s’y déroulent.
Je vois beaucoup de cadavres et de blessés, des deux côtés. L’affrontement est âpre et aucun des deux camps ne souhaite reculer. La barbarie s’oppose à la férocité des défenseurs qui se battent non pas pour l’or, mais pour leurs familles, leur foyer et leurs ancêtres : ce qui vaut la peine de se battre.
Cependant, la situation est moins en notre faveur que ce que je pensais. Même si nous maintenons notre position, les ennemis arrivent quand même à se hisser sur les murs. Ils ne sont pas encore dans la ville uniquement car nos hommes leur barrent la route : lorsqu’ils ne seront plus assez nombreux pour tenir. Il faudra s’attendre au pire.
Je ne veux pas voir ce pire.
Je me pose du côté d’Harch. Il y a une poche de résistance ennemie dans cette zone que je veux briser. Je prends place à côté de lui. Lorsque je reprends forme humaine, il égorge un homme avec son sabre avant de me saluer légèrement de la tête, les mains baignant littéralement dans le sang.
« Il faut tuer les hommes qui tiennent cette zone là-bas. J’ai besoin de votre appui !
- A vos ordres, ma Dame. » répond-il avec un ton étrange, entre malice et plaisir.
Comme auparavant, je ramasse des armes qui trainent au sol pour les envoyer fracasser les corps des assaillants. Harch se rapproche de moi pour passer devant et empêcher des hommes de pouvoir m’attaquer trop aisément. Je vois également qu’il commence à charger un sort de ténèbres dans sa main gauche.
Un ennemi vient se placer devant lui avec un glaive et un bouclier. Il pousse l’ancien capitaine avec ce dernier pour le forcer à reculer. Je soulève le soldat pour le mettre légèrement en hauteur, permettant à Harch de planter son épée dans son abdomen à plusieurs reprises. Lorsqu’il a eu son compte, je le jette par-dessus les remparts. Nous continuons notre marche.
« Faites place ! » crie t-il pour que nos forces nous laissent avancer vers cette zone à problèmes.
Nous sommes désormais confrontés à un mur d’épées, de lances et de boucliers qui protègent une autre échelle. Harch décharge immédiatement son sort de ténèbres qui vient fracasser les boucliers. Je projette quatre lances dans le tas pour les empaler sauvagement et faire de la place.
Harch et moi avançons de concert. Tandis qu’il tranche toutes les gorges qui traînent trop exposées, je brise les défenses des assaillants qui se retrouvent en bien mauvaise posture face à nous.
« Chargez ! » crient plusieurs soldats derrière nous qui rejoignent le nettoyage de cette section des murs.
Je n’ai même pas besoin de m’occuper de l’échelle, plusieurs soldats se mettent à pousser avec leurs lances. Je n’ai qu’à légèrement pousser moi-même pour la faire s’effondrer sur les lames louées par Jiawei en bas des remparts.
Je fais un signe à Harch avant de repartir vers la grande porte en forme de corbeau. Avec ces deux mouvements, nous devrions pouvoir mettre plus de pression sur les forces de la prêtresse. La deuxième tour de siège est encore en approche, mais elle est trop éloignée pour que je tente quoique ce soit pour l’instant.
En revenant à ma zone de commandement, Wuhan accourt vers moi.
« L’Intendant Xupeng m’a dit qu’ils allaient bientôt manquer de munitions pour les catapultes, il attend vos ordres !
- Dites-lui d’arrêter le tir et d’attendre mes prochaines consignes. Il continue de tenir la cour avec Lin Meng. La situation est gérable sur les remparts pour l’instant… »
J’ai des doutes. Est-ce que mes forces auront assez d’énergie pour continuer à se battre ainsi sur les murs ? Est-ce que je devrais faire monter les troupes de Lin Meng ici en renforts au risque de laisser la cour sans protection au cas où il y aurait un débordement ? Quelque chose me perturbe ici… Mais je ne sais pas quoi exactement. C’est étrange qu’ils essaient absolument de prendre les murs. Ils n’ont pas encore touché à la porte.
« Continuez de tirer ! » ordonné-je aux archers de ma section, les seuls encore capables d’utiliser leurs flèches.
J’approche des créneaux et charge un sort de feu. Après quelques secondes, je jette en contrebas. Ce n’est pas extrêmement puissant, mais c’est mieux que rien… Je vais tenter de lancer des projectiles magiques purs mais cette fois-ci en direction des ennemis déjà sur les murs.
Je grimpe à pas de géants dans la tour et une fois au premier étage, je canalise ma magie pour projeter la mort sur nos adversaires. J’en touche plusieurs. Est-ce qu’ils sont morts ? Non. Mais ils sont blessés et cela va aider mes hommes. C’est tout ce qui compte.
Je prends mon arc et conjugue mes traits avec mon psychisme pour guider les tirs vers la tête des mercenaires qui sont bien surpris de voir des flèches aux trajectoires improbables. Et oui messieurs, je suis pleine de ressources.
Après quelques tirs je me dirige vers l’arrière de la tour pour faire face à la cour et ordonner à Xupeng de refaire un tir de catapultes pour maintenir la pression sur l’armée ennemie :
« Xupeng ! FEU ! » crié-je à plein poumons.
J’ai hurlé tellement fort que j’en tousse. Quelle journée… Il me faudrait bien un thé pour décompresser après tout ça… Mais je n’en ai pas vraiment le temps là. Vite ! Je retourne côté combat.
La bonne nouvelle, c’est que les remparts sont de plus en plus propres. Mes efforts conjugués à ceux d’Harch et de Francis ont permis de libérer de la pression sur nos forces qui du coup ont pu reprendre leurs sections respectives. Même si certaines poches de résistance persistent, elles ne devraient pas tenir très longtemps. Les sichuanais sont enragés et ne laisseront pas tomber la bataille alors qu’ils sont entrain de gagner.
Les tambours maintiennent une cadence effrénée. Nos cœurs battent ensemble dans un seul et unique but. Nous sommes unis sous les mêmes bannières pour terrasser nos agresseurs et ceux qui osent s’en prendre à notre foyer.
Que les ancêtres soient témoins de notre courageuse défense !
Je me concentre lorsque j’entends les mécanismes des catapultes se mettre en marche. Je tends les bras vers le ciel pour m’aider dans mon action. Je prends le contrôle de deux rochers enflammés pour changer leurs trajectoires et les planter dans les engins de siège de Jiawei Dajisi. Ils n’avaient presque plus rien à tirer et maintenant ils ne pourront plus rien faire avec, ha !
Je reprends mon arc en main. Je suis au plus près des créneaux. Je vise les archers ennemis qui se sentent certainement trop seuls. Même si mes tirs ne sont pas nombreux, moi au moins je peux les atteindre en usant de mon esprit. Je maintiens ma cadence. Il le faut.
« Wuhan ! Francis a quasiment nettoyé sa partie, va aider Harch !
- A vos ordres, ma Dame ! »
C’est un usage très particulier de ma garde personnelle mais pour le moment je ne suis pas menacée directement. Ils peuvent s’engager dans le combat sur les murs, cela leur permettra de s’échauffer. Cela galvanisera également nos hommes qui reprennent l’avantage peu à peu.
Ce qui continue de m’inquiéter c’est l’absence de chefs ennemis. On dirait qu’ils sont tous restés avec Jiawei. Je les vois sur leurs chevaux. Ils ont l’air d’attendre quelque chose avec le reste de leurs troupes. Une bonne partie est plaquée contre nos remparts mais ils n’ont quasiment plus d’échelles pour monter. Il va se passer quelque chose. Je communique immédiatement avec Xupeng.
« Charge les balistes et pointe-les vers la grande porte, exécution ! Recule les catapultes et demande à Lin Meng de se préparer au combat ! » pensé-je en sa direction.
Ils attendent certainement cette tour de siège, leur seconde et dernière. Elle avance très lentement à cause du terrain accidenté des rizières cramées. Qu’est-ce que tu essayes de faire Jiawei ? Nous massacrer sur les murs jusqu’au dernier pour avoir librement accès à la ville ? Qu’est-ce qu’elle attend pour attaquer la porte ?
Je ne reste pas inactive à contempler l’horizon cependant. Mes soldats ont besoin de voir que la chef de la défense est personnellement impliquée dans les combats, même si les affrontements sur les murs tendent à tourner en notre faveur désormais. Je me dirige une nouvelle fois du côté de Francis pour nettoyer sa partie des sales engeances qui nous agressent.
Je fais place nette autour de moi et je convoque cinq guerriers de la Terre des Dragons en armure et prêts à se battre et mourir pour leur maîtresse. Ils se placent autour de moi, armes dégainées et nous commençons à avancer ainsi.
Ils me protègent d’un engagement au corps-à-corps tandis que je les couvre en faisant tomber les ennemis ou en tranchant leurs gorges avec mes lames flottantes. Comme je le constatais, les combats sont toujours aussi vigoureux et violents. C’est assez chaotique et beaucoup de cadavres sanguinolents gisent par terre, témoins de cette triste et sanguinaire journée.
« Flèches ! » crie un homme sans vraiment que je sache d’où cela vienne.
Une volée de traits vient se planter sur les murs, mais aussi sur les combattants, tout camp confondu. Trois de mes chevaliers meurent en formant un bouclier pour leur maîtresse. Deux demeurent à mes côtés et continuent de se battre. Elle est complètement folle ! Tirer sur ses propres hommes ? Elle n’a vraiment aucune honte.
« Francis, au rapport ! » crié-je en apercevant Francis entrain de… D’écraser une tête avec son marteau.
Il m’entend et se met à avancer vers ma position tout en fauchant quelques malheureuses victimes sur le chemin. Il a du sang partout ! J’espère que ce n’est pas le sien… Mais vu l’expression sur son visage, je crois que c’est plutôt celui des ennemis.
« Comment vous faîtes pour avoir autant de sang sur vous ?!
- Aucune idée ! Ha ! Ha ! Ça va vous ? » dit-il tout en martelant le plastron d’un soldat ennemi tentant de l’attaquer sur le flanc.
J’en soulève un autre pour que les miliciens s’en chargent sans peine. Hop ! Une hache en pleine poitrine. C’est fini pour toi gamin ! Je le jette par-dessus la muraille pour qu’il rejoigne ses copains en dessous.
« J’ai connu des jours meilleurs, je ne te le cache pas !
- Tu m’étonnes ! »
Nous continuons à nous battre dos à dos face aux derniers résistants qui tentent encore de percer. Francis en saisit un à la gorge, il a l’air de serrer tellement fort que l’homme doit lâcher ses armes pour porter ses mains sur le bras de mon acolyte. Il le balance par terre avant d’abattre son marteau sa figure. Le visage brisé, écrasé et en sang, le soldat est mort.
« J’suis putain de chaud aujourd’hui ! ALLEZ LES GARS ! » crie t-il.
Les ennemis commencent à l’éviter pour se rabattre sur les autres miliciens. Ils se rendent compte que Francis n’est pas un homme charmant, ni facile à tuer. Son regard de tueur allié à tout ce sang qu’il a sur lui ne lui donnent pas un air fort sympathique par ailleurs.
Qu’à cela ne tienne, l’ancien SOLDAT de la Shinra les charge un à un. Il les percute à coups d’épaules avant de les tuer par son marteau ou en fauchant leurs vies avec des armes qu’il ramasse en chemin. J’en profite pour me saisir d’une lance et la projeter sur un homme s’acharnant un peu trop sur mes combattants. Il ne voit le coup venir qu’au dernier moment et c’est avec une certaine horreur qu’il accueille mon attaque dans ses côtes.
Je dégaine mon arc, mets un genou à terre, flèche et je tire sur un soldat adverse. Je reste ainsi et continue de prendre pour cible des hommes trop agités à mon goût. Il faut les coincer comme des rats et les abattre sans pitié ! Ils ne veulent pas se rendre à l’évidence que la victoire va leur échapper ? Et bien soit ! Qu’ils en paient le prix !
« Madame Song ! On devrait s’en sortir ! Allez voir de l’autre côté où ils en sont !
- 好的 ! »
Je reprends mon apparence de corbeau tandis que mes deux invocations disparaissent avec ma transformation. Je voltige au-dessus des combats pour revenir à la tour et faire le point sur la situation d’Harch.
Le combat est au même stade que du côté de Francis je dirai. Wuhan a apporté un renfort de taille pour les miliciens sous le commandement d’Harch. C’est très bien. Je prends tout de même le temps de ramasser plusieurs flèches et les faire léviter pour les envoyer sur les bandits de Jiawei. Au moins avec moi, ils n’ont pas le temps de souffrir : ils se prennent les traits dans la tête. Ils meurent rapidement et sans grandes souffrances.
La prêtresse devrait même me remercier tiens.
Je reviens en position sur l’avant de la plateforme au-dessus de la porte sud pour voir ce que fait le reste des troupes de Jiawei face à cette situation. Et je comprends bien trop tard ce qu’ils faisaient depuis tout ce temps.
« MADAME SONG ! REGARDEZ ! » crie l’un des hommes.
Soudainement, une large sphère de flammes se forme devant les cavaliers. Je remarque plusieurs personnes autour. Au moins trois. Ils sont entrain de canaliser leurs énergies magiques pour lancer un seul et unique sort… Une attaque de poids contre le mur.
La sphère grossit de plus en plus tandis que les torrents de flammes qui la composent commencent à devenir de plus en plus instables et difficiles à contenir. Lorsqu’ils ont fini de mener les flux de la magie vers cette boule gigantesque, ils la projettent en direction de la porte. Juste en-dessous de moi.
L’impact est tellement violent que les murs tremblent tandis que j’entends le bois voler en éclats. Ma première réaction est de me précipiter aux créneaux pour voir ce qu’ils font… Et bien entendu, ce qui devait arriver arriva : les mercenaires se précipitent dans le gouffre créé pour attaquer la cour !
« FRANCIS ! Prend ta bannière et va dans la cour IMMÉDIATEMENT ! » crié-je de toutes mes forces.
La bannière bleue de mon acolyte se met en mouvement. Les soldats en faction sur sa section demeurent en place mais ceux sous son commandement direct le suivent en direction de la cour. Harch est encore trop occupée sur sa section, je dois faire appel à ma garde.
« Wuhan ! Remplacez Francis sur sa section immédiatement ! Je vais aider Harch un peu ! »
Je vois que mes hommes se mettent à revenir tandis que le fracas des armes commence à résonner du côté de la ville. Il faut qu’ils tiennent ! Il le faut ! je ne peux pas descendre, il faut que je me charge de cette foutue tour de siège lorsqu’elle sera à portée !
« Allez messieurs ! Je compte sur vous ! » pensé-je.