Le Clocher du Crépuscule… le point culminant de la Citée… comme de nombreux endroit en ce monde, il n'est pas accessible aux civils.

« C'est… » Sa voix, si douce, se tord et se déchire d'émotions à admirer la vue. Les rues de mon monde sont… à mon grand regret… particulièrement sinistres. Les lumières y sont jaunes, d'un froid électrique ou d'une chaleur évoquant les yeux d'un sans-cœur. Un nid de serpents rigides qui semblent s'accoupler furieusement, des pentes, des virages… des boulevards empalés par des ruelles ; un véritable labyrinthe. A errer dans les rues, il vous semblerait que les lumières n'existent ici que pour densifier les ombres et les nourrir. Il vous semblerait que mon monde natal n'existe que pour que vous puissiez y souffrir ou mourir.
Mais vu d'ici ? Les lumières paraissent d'ors sous un vent rafraichissant, on se sent frissonner et vivre à admirer mon monde… des éclats de lumières perdus dans les ténèbres ; un phare dans la nuit. Une vision dont je n'ai pas trop le temps de profiter mais qui… m'apaise, me donne espoir. A regarder ce sublime panorama, j'ai l'impression que mon rêve est réaliste.

Après… ce sentiment ne dure que le temps d'admirer la vue… je viens ici, parfois, seul et fatigué pour contempler, pour m'arrêter de penser. Puis je retourne au travail comme happé par la cruelle réalité. Pourtant, avec ou sans soleil noir, le point culminant de mon monde a... quelque chose de spécial. Si le destin donne rendez-vous chez moi, ce n'est nulle part ailleurs qu'au sommet du Clocher.

« C'est magnifique ! » Elle en aurait presque les larmes aux yeux et c'est bien normal… d'ordinaire, aucun civil ne met les pieds ici. A cet instant-là, Jack a les yeux émerveillés et… entraperçoit un semblant de sérénité ; rien à voir avec le panorama. M'a-t-on déjà vu sourire ? Si rarement. Me voit-on sourire de joie ? Seulement là. « Je suis très contente que tu m'es amené ici. »

Je tremble alors soudain comme une feuille… mes mains s'agitent presque à en vibrer, mon visage aussi et fébrile, ma voix se tord d'émotion à son tour face… à une boulangère.

« J-j-j-je... » Je n'ai pas pleuré alors que Lenore elle-même me tourmentait et s'en donnait à coeur de joie ; je n'ai pas versé une larme au moment d'affronter Narantuyaa et… elle…  arrive à m'arracher l'eau des yeux. Vous pourriez me crucifiez avec des clous rouillés sur un mur envahis de ronces, je crierait peut-être et me tordrait de douleurs. Pourrait peut-être supplier qu'on mette fin à mon supplice et abandonner toute notion d'égo ou de fierté. Pourtant, moi-même qui parle de la douleur comme d'un cadeau des dieux… moi-même n'était pas sûr de pouvoir encaisser ce qui me tourmente à cet instant. « …suis désolé… »

Elle pose une main sur ma cuisse et l'autre par-dessus son épaule, dépose un baiser sur sa joue.

« Tu n'es pas obligé de... »

« Chhhhhhuuuuut… » Et elle en rigole presque, si tendre face à un homme qui fait crucifier des gens comme elle pétrie son pain.

Qu'est-ce que j'aimerait… savoir. Soit savoir que mon amour est réciproque pour en profiter pleinement… soit savoir qu'il est simulé pour ne pas espérer. Pourquoi ?! Je ne demande qu'à y croire, quitte à me tromper mais ne peut m'y résoudre. De toutes les douleurs que j'ai pu expérimenter, un coeur brisé n'en fait pas partie et… sans doute que je préfère encore les Jardins de Douleurs.

« Ecoute, Jack. » Et pensive, cherchant ses mots avec des yeux perdus sur le panorama, Lydia parle soudain avec un réalisme désarmant. « Je vis seule… j'avais pu avoir une famille mais la Coalition Noire me l'a enlevé. »

En panique ! Jack répond, très préssé, soucieux de s'escuser et de s'expliquer ; de se justifier ! L'allure d'un enfant persuadé qu'on est en train de le gronder !

« Je n'étais pas en poste à ce moment-là !!! » Et je me gratte soudain le crâne, baissant les yeux. Je me gratte le crâne. Me gratte le crâne. Me gratte le crâne. Me gratte le crâne. J'étais en poste à ce moment-là ou pas ?! Putain j'en sais rien -me gratte le crâne- et… visiblement saoulée, ma boulangère attrape ma main avec sévérité alors que du sang commence à colorer mes cheveux charbons. En s'acharnant dessus ? Je fini par briser la pierre si je le souhaite et même à mains nues, je n'ai qu'à le vouloir et insister pour fissurer un rocher coup après coup jusqu'à en faire des gravillons !
Bizarrement, lorsqu'elle me contraint, je perd soudain toute ma force.

« Non, c'est vrai mais… » Elle soupire… Lydia n'est plus douce, de la colère et de la peine déforme son visage ; c'est ainsi. J'ai beau avoir le visage qui se défait, ma boulangère, pour une fois… se montre impitoyable, froide et sèche comme la mort qui hante ce monde. « …mon mari refusait de se soumettre à la Coalition Noire et après ça ? Mes enfants l'ont refusés aussi. »

« J-j-j-j-je... »

« Ca suffit !  » Elle s'énerve et… il y a un dicton, dans ma cité : la garde noire ne sait pas résoudre un problème qu'elle ne peut pas tuer. « Tu les aurais tué pareil. Ah, non… ils ont été exécutés avec des balles, toi, tu les aurais probablement crucifiés, j'imagine. »

Je ne peux que baisser les yeux parce que… en effet, je les aurai probablement crucifiés aussi. Peut-être pas les gosses -et encore, allez savoir- mais… le mari ? Sans aucun doute possible.

« Tu prétends faire ce que tu peux pour que notre monde devienne un endroit serein et sûr… je prétend la même chose. On a tous besoin de motivations, non ?»

« … »

« On passe de bons moments Jack… et je veux bien en passer d'autres mais… bref. » Enfin, elle se remet à sourire et si c'est un peu fébrile, moi aussi. « On évite les sujets qui fâchent ! D'accords ? On souffre suffisement comme ça Jacky ! Et je veux bien passer d'autres bon moments avec toi, quitte à me faire tuer mais… je ne veux pas te voir si c'est pour se lamenter, je l'ai déjà bien assez fait. »

Je suis le second de la Coalition Noire ! L'intendant de la Garde Noire ! Je règne sur ce monde parce que Death a la flemme de le faire ; je suis celui à qui le faucheur confie son Q.G ! Je suis craint et respecté des miens, je commande à une armée qui rêve de me tuer pour prendre ma place mais même en étant une centaine, ils n'y arrivent pas. Je suis celui qui vit sans jamais se relâcher ! Celui qui arrive à vivre sans jamais vraiment dormir pour ne jamais baisser sa garde.
Et j'ai du pouvoir, j'ai plus ou moins un monde, j'ai une armé, j'ai la rage, j'ai l'ambition, j'ai tant bataillé pour, finalement, tant avoir… mais…

« Je n'ai rien si je ne t'ai pas toi…  »

Un soupir d'indulgence angélique, tendre et moqueur.

« C'est trop mignon de dire ça… ! »

« Je…  » Pourquoi c'est… le moment plus effrayant de toute ma carrière de Coalisée… ? « …je t'aime. »

Elle aurait pu répondre "moi aussi"... mais je ne l'aurait probablement pas cru. Et je n'ai pas vraiment besoin qu'elle m'aime aussi… passer de bons moments peut suffire. Il y a au moins quelqu'un dans cet univers qui… veut bien croire que j'ai aussi de bonnes intentions ? Moi-même en doute.

« Tu sais… si je ne t'ai pas toi, je n'ai pas grand-chose d'autres non plus… »

Et c'est l'heure de leur laissez un peu d'intimité.