Lenore avait troqué son vaisseau pour un cheval le temps de faire ses recherches. Cela faisait des mois que le monde était apparu, des mois qu’elle et d’autres mercenaires avaient intégré à différents degrés les grandes plaines sauvages de l’Ouest. Et toujours aucune traces des fameux grands bandits capables de voyager jusqu’au Jardin Radieux pour piller la banque de Picsou ! Il était plus que temps de provoquer la chance, mais parcourir les grandes étendues des canyons en vaisseau aurait été tout sauf discret pour les débusquer.
Surplombant le paysage et assise tranquillement sur sa selle, son regard se perdait sur la beauté primaire de ses montagnes rouges coupé en leur sommet par quelque dieu oublié et usé par le vent chaud et sec qui les polissaient naturellement en permanence. Les plateaux se succédaient dans un enchevêtrement de ravines où se mourrait de faibles filets de rivière. Quel meilleur endroit pour se cacher que ce labyrinthe naturel, déserté par presque tous si ce n’est quelques peaux rouges et bandits.
Evidemment, elle n’avait pu se rendre en ce lieu sans une escorte minimale. Everett avait insisté, si ce n’était des hommes du shériff, alors c’était lui ou aucun canasson. L’apprenti du palefrenier de Hill Valley prenait de l’assurance de plus en plus rapidement désormais, devenait-il donc un homme ? Dans tous les cas, la mercenaire infiltrée n’avait pas eu d’autre choix. Elle regarda vaguement son jeune chaperon blond, constatant sa nervosité. Son regard mobile scrutait les moindres recoins du paysage pour y déceler la présence humaine, le danger, la moindre excuse pour faire demi-tour.
« Tu peux rentrer tu sais.
- Bonne idée, après toi, Didi. Répondit-il avec un brin d’espoir mais sans bouger.
- Pas avant d’avoir trouvé une piste. Répondit-elle sèchement.
- Rappelle-moi pourquoi c’est une simple danseuse qui cherche une bande de bandits ? » Sa voix était cinglante, accusatrice, elle aurait pu paraître même méprisante à Lenore si elle n’avait pas connu l’énergumène avant cette chevauchée.
Elle ne répondit pas, tirant sur les rênes pour faire avancer sa monture le long de l’escarpement de leur promontoire rocheux. Elle avait décidé de prendre les choses en main et malgré la promesse du silence arraché au jeune blond qui l’accompagnait, elle ne voulait plus cacher ce qu’elle était vraiment. Malgré le machisme orgueilleux de ce monde. Depuis la Saint Patrick et cette bêtise qui avait tout gâché. Malgré le regret qui la tiraillait. Quelque chose était brisée. Son plaisir, son amusement, l’insouciance qu’elle se permettait sous les couleurs de Didi Sunshine, danseuse de saloon en ville. Elle n’arrivait plus à soutenir le regard de Karlson et de Cookie les tenanciers du Double Colt où elle avait exercé.
Et puis il était plus que temps de retrouver ses fichus bandits ! Elle avait des projets pour eux et leur diligence capable de voyager à travers les mondes. Il y avait une prime, certes officieuse, de la part de l’Eclaireur, qui prenait la poussière. S’ils étaient toujours dans ce monde, cachés, il y avait de grandes chances que ce soit dans ses méandres gigantesques. Elle faisait calmement aller son cheval, passant la première le long d’un étroit chemin de pierre qui permettait de descendre le long de la crête vers le fond de la combe. Les pierres encombrant parfois le passage, Lenore laissait les chevaux gérer leur pas à leur envie, assez nerveux qu’ils étaient de devoir emprunter un tel passage.
« J’espère qu’on ne va pas se faire tomber dessus par des indiens… parait qu’ils sortent de nulle part.
- Si c’est le cas, je te protègerai. Fit-elle non sans sourire en coin à l’ironie alors qu’elle entendait dans son dos le souffle agacé d’Everett. Ce qu’il pouvait être vieux-jeu pour un jeune de son âge, mais l’éducation lui avait été ancré dans la peau avec la dureté qu’ont les hommes de ce monde. Il n’est pas facile de remettre en question ce qui est « normal ».
Son cheval brun s’arrêta, trépignant, elle sentait sous ses cuisses les muscles tendus, frissonnant de l’animal. Elle se redressa debout sur les étriers en tendant le cou pour vérifier le passage mais rien ne semblait gêné. Elle lui accorda une tape sur l’épaule rassurante, lui chuchotant doucement un encouragement avant de donner de petits coups d’étriers pour l’inciter à avancer malgré son instinct.
Le cheval souffla du nez, piétina un peu puis finis par continuer son chemin descendant sous l’insistance de sa cavalière.
Et pourtant, elle savait qu’il fallait se fier à l’instinct animal. A peine trois pas que le canasson se cambrait dangereusement. Au détour d’un petit éboulement, un bruit de crécelle, une menace, et un crotale se dressant en agitant la sonnette au bout de sa queue pour protéger son terrier et ses œufs cachés à la douceur de l’ombre de rochers.
Lenore chuta, désarçonnée malgré ses tentatives pour s’agripper à l’animal devenu fou. Elle eût juste le temps de percevoir le cri de son camarade qui résonnait dans la ravine, de ressentir le choc de la pierre et ses rebonds alors qu’elle dégringolait en contrebas. Puis plus rien. Le noir.
Combien de temps avait passé ? L’air sec était toujours aussi brûlant, encore plus violent encore une fois au fond de la combe, sifflant en permanence sa fureur d’être enfermé entre les parois rocheuses. Si même l’air ne trouve pas la sortie de ce labyrinthe, que peuvent devenir les hommes ?
Alors qu’elle reprenait doucement conscience, la douleur vive de son crâne l’invita à passer sa main sur la plaie qu’ornait son front. Elle se redressa, au moins assise, grognant sous l’effort et la douleur. Tout son corps n’était qu’hématome et entaille. Elle n’avait pas eu le temps de déployer sa cape pour amortir sa chute, ni même chercher à s’agripper à une faille. Elle leva le nez vers les cieux pour chercher la présence d’Everett, rapidement déçue de ne voir ni entendre aucune présence vivante autour d’elle.
« Sang d’Ogre. Fait chier…. Soupira-t-elle en grognant de douleur avant de tenter de se relever.
- Sang d’Ogre. Fait chier. » Elle crut entendre une petite voix aigüe répétant ses mots.
Sous la surprise et l’adrénaline, son corps se mobilisa naturellement, se redressant sur ses appuis, accroupis et une main sur son corset prête à s’armée, le regard vers la source sonore si proche.
Une petite truffe rose s’agitait, se contractait en une respiration saccadée. Une boule de poil fauve équipée de deux grands yeux noirs la fixait sans bouger. Un lièvre aux grandes oreilles dressées et monté de bois digne d’un vieux cerf.
Elle jeta un coup d’œil tout autour pour vérifier que personne d’autre n’était là, derrière un rocher, un escarpement, une ombre… Attendez... des bois ?! Son regard perplexe en revint à l’animal alors que le stress redescendait, qu’elle se détendait devant son air inoffensif. Un Jackalope, l’animal improbable dont parlaient parfois les prospecteurs trop ivre au saloon, capable d’imiter la voix humaine et insaisissable.
Et pour cause au vue de la vitesse de fuite dont venait de faire preuve l’animal. Décampant à la vitesse de ses congénères lapereaux en soulevant un nuage de poussière ocre et disparaissant derrière une saillie rocheuse.
Le coup à la tête avait-il était si violent ? Est-ce qu’elle n’était pas encore à moitié dans un état léthargique pour voir des choses pareilles ? En tout cas elle ne prit pas une seconde de réflexion pour prendre en chasse l’animal, simplement ralentit par la douleur qui embrasait son corps à la faire grogner. Il lui fallait attraper l’animal, elle se trouverait une raison à cela plus tard !
La mercenaire voulu courrir, mais une douleur mal placée de mauvaise augure la forçat à se contenter de trottiner. Les pieds quelques peu trainant dans la poussière ocre. Elle s’appuyait sur les parois rocheuses qui s’effritaient au simple contact. Au-delà de la saillie rocheuse, elle ne put que percevoir en bord de champ de vision le mouvement rapide du Jackalope s’engouffrant dans l’ombre d’une grotte. A ce rythme, elle avait peu de chance de le rattraper. Elle grogna de nouveau, serrant les dents pour forcer un peu plus sur ses jambes, une main appuyant sur ses côtes.
Arrivée à l’entrée de la cavité, la mercenaire suait déjà à grosses gouttes sous l’effort. L’obscurité était difficile à percée et elle dut plisser les yeux, appuyée au couvert de la paroi pour éviter qu’une mauvaise surprise tapis à l’intérieur ne la voie. Le temps de se faire à la faible luminosité et de s’assurer du vide qui l’emplissait, la mercenaire prit la décision de pénétrer lentement, une main sur son corset. La fraicheur et l’humidité bienvenue de cette grotte la fit frissonner, l’invitant à profiter du répit contre la chaleur sèche du reste du canyon.
L’endroit semblait pourtant avoir accueillis de la vie, au moins quelques temps. Des tronçons de bois avaient été installés en autant de banc de fortune autour d’un reste de feu de camp comblé de cendres. Des restes de bouteilles vides, des débris osseux de petit animal et quelques anciennes traces au sol. Des indiens ? Non ils ne maitrisaient pas la production de verre alors les bouteilles… Et puis jamais ils n’auraient laissé les déchets d’os. Pas de perte et un grand respect de la vie animal, bien plus que pour d’autres humains. Des bandits donc… au moins trois d’après les traces au sol alors que Lenore enquêtait accroupie en frôlant la poussière du sol. Peut-être ceux qu’elle cherchait. Malheureusement cela faisait longtemps que personne n’était venu ici.
Elle soupira à l’idée que qui que ce fut, cela n’allait pas faire avancer son affaire pour autant. Du moins jusqu’à ce que des bruits d’un cheval que l’on force à s’arrêter et de pas hâtifs s’entendent à l’extérieur. Le cœur battant la chamade, elle se cacha derrière un rocher, prête à sauter sur le dos de celui qui entrerait, préparant Murasama, sa lame noire en main. Sa victime fut seule à pénétrer la grotte, roulant au sol sous le poids de la mercenaire qui l’attaquait jusqu’à se faire dominer par elle, la lame sous le cou sans le toucher.
« Tcht ! Fit la mercenaire en relâchant Everett, presque déçue.
- Non mais ça va pas d’me faire des frayeurs pareilles ! Fit l’apprenti palefrenier blond, le souffle court. Par les cuissardes du pasteur, qu’est-ce qui t’prend d’puis la Saint Patrick ! Souffla-t-il.
Un bruit sourd de quelque chose tombant sur le sable. Lenore tourna la tête pour voir le Jackalope, le petit nez frétillant entre deux rochers un peu plus loin. Le temps sembla figé alors que les deux se regardèrent. Puis de nouveau il détala, cette fois à travers une percée dans la roche, peut être un terrier. La mercenaire se lança à sa poursuite de nouveau sans parvenir à l’empêcher de prendre la fuite, même en enfonçant son bras dans le trou à peine plus large. Elle grattait dans tous les sens pour tenter d’attraper quoique ce soit mais ne trouva au final que deux sphères qu’elle ramena à elle.
- T’es sure que ça va ? S’inquiétait le jeune homme en la regardant de côté. Il était impossible qu’il ait vu l’animal malheureusement. Jamais il n’allait croire à son histoire aussi se dit-elle en observant les œufs enrobé d’un papier de soie coloré qu’elle avait en main. Elle-même avait des doutes sur ce qu’il s’était passé!
- Sérieux ? Tu te fou de moi ?! Cria-t-elle dans le terrier en se penchant jusqu’au sol avant de revenir en grimaçant vers son escorte inutile.
Elle soupira au regard perplexe d’Everett qui ne savait pas trop s’il devait fuir, s’inquiéter ou vérifier ses blessures à la tête. Il finit par tendre une main vers son crâne qu’elle repoussa vivement.
- Tu aurais dû rester où tu étais tombé… J’ai eu du mal à retrouver ta piste tu sais et puis qui sait, t’es peut être plus blessée que tu ne crois. J’ai cru ... un instant... qu’t’étais morte…
- Arrête de chialer. L’interrompit-elle. Laisse-moi juste… me reposer un peu. Souffla-t-elle en revenant s’assoir autour du feu de camp éteint.
- T’as mon cheval ?
- Non … j’t’ai cherché en priorité. J’peux te ramener en ville avec le mien. T’as l’air d’avoir besoin de soin. Tenta-t-il de dire avec autorité.
- Bordel… On ira l’chercher après… Pas envie de devoir un canasson au vieux MacCunnighan. Fit-elle en défaisant doucement le papier de soie d’un œuf pour en découvrir le chocolat. Elle lâcha un rire nerveux puis lança le deuxième à Everett qui soupira de dépit avant de se décider à manger son chocolat.
Ce chocolat…
CE CHOCOLAT !
Sa texture et son gout étaient-ils aussi exceptionnel à cause des circonstances ? Du dépit et de la déprime qui chatouillait un peu Lenore ses derniers temps ? Dans le monde de l’Ouest, c’était une denrée rare et donc précieuse, même Everett ne put retenir son appréciation. D’où qu’il puisse venir, c’était surement le meilleur chocolat que Lenore avait eu entre les mains de sa vie. Elle ne ressentit que davantage le besoin de repos une fois la douceur sucrée écoulée. Au moins le temps de pouvoir se remettre debout. Si seulement il pouvait se contenter de se taire en attendant qu’elle n’ait rien à expliquer…
Dim 1 Avr 2018 - 22:53Surplombant le paysage et assise tranquillement sur sa selle, son regard se perdait sur la beauté primaire de ses montagnes rouges coupé en leur sommet par quelque dieu oublié et usé par le vent chaud et sec qui les polissaient naturellement en permanence. Les plateaux se succédaient dans un enchevêtrement de ravines où se mourrait de faibles filets de rivière. Quel meilleur endroit pour se cacher que ce labyrinthe naturel, déserté par presque tous si ce n’est quelques peaux rouges et bandits.
Evidemment, elle n’avait pu se rendre en ce lieu sans une escorte minimale. Everett avait insisté, si ce n’était des hommes du shériff, alors c’était lui ou aucun canasson. L’apprenti du palefrenier de Hill Valley prenait de l’assurance de plus en plus rapidement désormais, devenait-il donc un homme ? Dans tous les cas, la mercenaire infiltrée n’avait pas eu d’autre choix. Elle regarda vaguement son jeune chaperon blond, constatant sa nervosité. Son regard mobile scrutait les moindres recoins du paysage pour y déceler la présence humaine, le danger, la moindre excuse pour faire demi-tour.
« Tu peux rentrer tu sais.
- Bonne idée, après toi, Didi. Répondit-il avec un brin d’espoir mais sans bouger.
- Pas avant d’avoir trouvé une piste. Répondit-elle sèchement.
- Rappelle-moi pourquoi c’est une simple danseuse qui cherche une bande de bandits ? » Sa voix était cinglante, accusatrice, elle aurait pu paraître même méprisante à Lenore si elle n’avait pas connu l’énergumène avant cette chevauchée.
Elle ne répondit pas, tirant sur les rênes pour faire avancer sa monture le long de l’escarpement de leur promontoire rocheux. Elle avait décidé de prendre les choses en main et malgré la promesse du silence arraché au jeune blond qui l’accompagnait, elle ne voulait plus cacher ce qu’elle était vraiment. Malgré le machisme orgueilleux de ce monde. Depuis la Saint Patrick et cette bêtise qui avait tout gâché. Malgré le regret qui la tiraillait. Quelque chose était brisée. Son plaisir, son amusement, l’insouciance qu’elle se permettait sous les couleurs de Didi Sunshine, danseuse de saloon en ville. Elle n’arrivait plus à soutenir le regard de Karlson et de Cookie les tenanciers du Double Colt où elle avait exercé.
Et puis il était plus que temps de retrouver ses fichus bandits ! Elle avait des projets pour eux et leur diligence capable de voyager à travers les mondes. Il y avait une prime, certes officieuse, de la part de l’Eclaireur, qui prenait la poussière. S’ils étaient toujours dans ce monde, cachés, il y avait de grandes chances que ce soit dans ses méandres gigantesques. Elle faisait calmement aller son cheval, passant la première le long d’un étroit chemin de pierre qui permettait de descendre le long de la crête vers le fond de la combe. Les pierres encombrant parfois le passage, Lenore laissait les chevaux gérer leur pas à leur envie, assez nerveux qu’ils étaient de devoir emprunter un tel passage.
« J’espère qu’on ne va pas se faire tomber dessus par des indiens… parait qu’ils sortent de nulle part.
- Si c’est le cas, je te protègerai. Fit-elle non sans sourire en coin à l’ironie alors qu’elle entendait dans son dos le souffle agacé d’Everett. Ce qu’il pouvait être vieux-jeu pour un jeune de son âge, mais l’éducation lui avait été ancré dans la peau avec la dureté qu’ont les hommes de ce monde. Il n’est pas facile de remettre en question ce qui est « normal ».
Son cheval brun s’arrêta, trépignant, elle sentait sous ses cuisses les muscles tendus, frissonnant de l’animal. Elle se redressa debout sur les étriers en tendant le cou pour vérifier le passage mais rien ne semblait gêné. Elle lui accorda une tape sur l’épaule rassurante, lui chuchotant doucement un encouragement avant de donner de petits coups d’étriers pour l’inciter à avancer malgré son instinct.
Le cheval souffla du nez, piétina un peu puis finis par continuer son chemin descendant sous l’insistance de sa cavalière.
Et pourtant, elle savait qu’il fallait se fier à l’instinct animal. A peine trois pas que le canasson se cambrait dangereusement. Au détour d’un petit éboulement, un bruit de crécelle, une menace, et un crotale se dressant en agitant la sonnette au bout de sa queue pour protéger son terrier et ses œufs cachés à la douceur de l’ombre de rochers.
Lenore chuta, désarçonnée malgré ses tentatives pour s’agripper à l’animal devenu fou. Elle eût juste le temps de percevoir le cri de son camarade qui résonnait dans la ravine, de ressentir le choc de la pierre et ses rebonds alors qu’elle dégringolait en contrebas. Puis plus rien. Le noir.
Combien de temps avait passé ? L’air sec était toujours aussi brûlant, encore plus violent encore une fois au fond de la combe, sifflant en permanence sa fureur d’être enfermé entre les parois rocheuses. Si même l’air ne trouve pas la sortie de ce labyrinthe, que peuvent devenir les hommes ?
Alors qu’elle reprenait doucement conscience, la douleur vive de son crâne l’invita à passer sa main sur la plaie qu’ornait son front. Elle se redressa, au moins assise, grognant sous l’effort et la douleur. Tout son corps n’était qu’hématome et entaille. Elle n’avait pas eu le temps de déployer sa cape pour amortir sa chute, ni même chercher à s’agripper à une faille. Elle leva le nez vers les cieux pour chercher la présence d’Everett, rapidement déçue de ne voir ni entendre aucune présence vivante autour d’elle.
« Sang d’Ogre. Fait chier…. Soupira-t-elle en grognant de douleur avant de tenter de se relever.
- Sang d’Ogre. Fait chier. » Elle crut entendre une petite voix aigüe répétant ses mots.
Sous la surprise et l’adrénaline, son corps se mobilisa naturellement, se redressant sur ses appuis, accroupis et une main sur son corset prête à s’armée, le regard vers la source sonore si proche.
Une petite truffe rose s’agitait, se contractait en une respiration saccadée. Une boule de poil fauve équipée de deux grands yeux noirs la fixait sans bouger. Un lièvre aux grandes oreilles dressées et monté de bois digne d’un vieux cerf.
Elle jeta un coup d’œil tout autour pour vérifier que personne d’autre n’était là, derrière un rocher, un escarpement, une ombre… Attendez... des bois ?! Son regard perplexe en revint à l’animal alors que le stress redescendait, qu’elle se détendait devant son air inoffensif. Un Jackalope, l’animal improbable dont parlaient parfois les prospecteurs trop ivre au saloon, capable d’imiter la voix humaine et insaisissable.
Et pour cause au vue de la vitesse de fuite dont venait de faire preuve l’animal. Décampant à la vitesse de ses congénères lapereaux en soulevant un nuage de poussière ocre et disparaissant derrière une saillie rocheuse.
Le coup à la tête avait-il était si violent ? Est-ce qu’elle n’était pas encore à moitié dans un état léthargique pour voir des choses pareilles ? En tout cas elle ne prit pas une seconde de réflexion pour prendre en chasse l’animal, simplement ralentit par la douleur qui embrasait son corps à la faire grogner. Il lui fallait attraper l’animal, elle se trouverait une raison à cela plus tard !
La mercenaire voulu courrir, mais une douleur mal placée de mauvaise augure la forçat à se contenter de trottiner. Les pieds quelques peu trainant dans la poussière ocre. Elle s’appuyait sur les parois rocheuses qui s’effritaient au simple contact. Au-delà de la saillie rocheuse, elle ne put que percevoir en bord de champ de vision le mouvement rapide du Jackalope s’engouffrant dans l’ombre d’une grotte. A ce rythme, elle avait peu de chance de le rattraper. Elle grogna de nouveau, serrant les dents pour forcer un peu plus sur ses jambes, une main appuyant sur ses côtes.
Arrivée à l’entrée de la cavité, la mercenaire suait déjà à grosses gouttes sous l’effort. L’obscurité était difficile à percée et elle dut plisser les yeux, appuyée au couvert de la paroi pour éviter qu’une mauvaise surprise tapis à l’intérieur ne la voie. Le temps de se faire à la faible luminosité et de s’assurer du vide qui l’emplissait, la mercenaire prit la décision de pénétrer lentement, une main sur son corset. La fraicheur et l’humidité bienvenue de cette grotte la fit frissonner, l’invitant à profiter du répit contre la chaleur sèche du reste du canyon.
L’endroit semblait pourtant avoir accueillis de la vie, au moins quelques temps. Des tronçons de bois avaient été installés en autant de banc de fortune autour d’un reste de feu de camp comblé de cendres. Des restes de bouteilles vides, des débris osseux de petit animal et quelques anciennes traces au sol. Des indiens ? Non ils ne maitrisaient pas la production de verre alors les bouteilles… Et puis jamais ils n’auraient laissé les déchets d’os. Pas de perte et un grand respect de la vie animal, bien plus que pour d’autres humains. Des bandits donc… au moins trois d’après les traces au sol alors que Lenore enquêtait accroupie en frôlant la poussière du sol. Peut-être ceux qu’elle cherchait. Malheureusement cela faisait longtemps que personne n’était venu ici.
Elle soupira à l’idée que qui que ce fut, cela n’allait pas faire avancer son affaire pour autant. Du moins jusqu’à ce que des bruits d’un cheval que l’on force à s’arrêter et de pas hâtifs s’entendent à l’extérieur. Le cœur battant la chamade, elle se cacha derrière un rocher, prête à sauter sur le dos de celui qui entrerait, préparant Murasama, sa lame noire en main. Sa victime fut seule à pénétrer la grotte, roulant au sol sous le poids de la mercenaire qui l’attaquait jusqu’à se faire dominer par elle, la lame sous le cou sans le toucher.
« Tcht ! Fit la mercenaire en relâchant Everett, presque déçue.
- Non mais ça va pas d’me faire des frayeurs pareilles ! Fit l’apprenti palefrenier blond, le souffle court. Par les cuissardes du pasteur, qu’est-ce qui t’prend d’puis la Saint Patrick ! Souffla-t-il.
Un bruit sourd de quelque chose tombant sur le sable. Lenore tourna la tête pour voir le Jackalope, le petit nez frétillant entre deux rochers un peu plus loin. Le temps sembla figé alors que les deux se regardèrent. Puis de nouveau il détala, cette fois à travers une percée dans la roche, peut être un terrier. La mercenaire se lança à sa poursuite de nouveau sans parvenir à l’empêcher de prendre la fuite, même en enfonçant son bras dans le trou à peine plus large. Elle grattait dans tous les sens pour tenter d’attraper quoique ce soit mais ne trouva au final que deux sphères qu’elle ramena à elle.
- T’es sure que ça va ? S’inquiétait le jeune homme en la regardant de côté. Il était impossible qu’il ait vu l’animal malheureusement. Jamais il n’allait croire à son histoire aussi se dit-elle en observant les œufs enrobé d’un papier de soie coloré qu’elle avait en main. Elle-même avait des doutes sur ce qu’il s’était passé!
- Sérieux ? Tu te fou de moi ?! Cria-t-elle dans le terrier en se penchant jusqu’au sol avant de revenir en grimaçant vers son escorte inutile.
Elle soupira au regard perplexe d’Everett qui ne savait pas trop s’il devait fuir, s’inquiéter ou vérifier ses blessures à la tête. Il finit par tendre une main vers son crâne qu’elle repoussa vivement.
- Tu aurais dû rester où tu étais tombé… J’ai eu du mal à retrouver ta piste tu sais et puis qui sait, t’es peut être plus blessée que tu ne crois. J’ai cru ... un instant... qu’t’étais morte…
- Arrête de chialer. L’interrompit-elle. Laisse-moi juste… me reposer un peu. Souffla-t-elle en revenant s’assoir autour du feu de camp éteint.
- T’as mon cheval ?
- Non … j’t’ai cherché en priorité. J’peux te ramener en ville avec le mien. T’as l’air d’avoir besoin de soin. Tenta-t-il de dire avec autorité.
- Bordel… On ira l’chercher après… Pas envie de devoir un canasson au vieux MacCunnighan. Fit-elle en défaisant doucement le papier de soie d’un œuf pour en découvrir le chocolat. Elle lâcha un rire nerveux puis lança le deuxième à Everett qui soupira de dépit avant de se décider à manger son chocolat.
Ce chocolat…
CE CHOCOLAT !
Sa texture et son gout étaient-ils aussi exceptionnel à cause des circonstances ? Du dépit et de la déprime qui chatouillait un peu Lenore ses derniers temps ? Dans le monde de l’Ouest, c’était une denrée rare et donc précieuse, même Everett ne put retenir son appréciation. D’où qu’il puisse venir, c’était surement le meilleur chocolat que Lenore avait eu entre les mains de sa vie. Elle ne ressentit que davantage le besoin de repos une fois la douceur sucrée écoulée. Au moins le temps de pouvoir se remettre debout. Si seulement il pouvait se contenter de se taire en attendant qu’elle n’ait rien à expliquer…