YEUL
Identité
- Nom : Paddra Nsu-Yeul
- Prénom : /
- Titre : Sibylline
- Âge : Vous comptez ?
- Camp : Le Sanctum.
- Monde d'Origine : Oerba.
- Race : Humaine.
- Grade désiré : Commandant j'aime bien ! Mais tout m'va, plus ou moins, de toute façon, j'aime bien.
Physionomie
L'air de la ville, âcre comme l'odeur d'un charnier, pénétra dans les membres fluet d'une demoiselle perdue. Elle s'était égarée au détour d'une rue qu'elle n'avait pu retrouver, et errait depuis lors, traversant une étendue interminable de faubourgs déserts. Son cœur battait faiblement, et, à mesure qu'elle marchait, son visage malingre se fendait d'un sourire toujours plus malheureux. Il ne semblait rien exister qui puisse lui rendre ce qu'elle avait perdu -mais pourtant, elle avançait sans relâche, en claudiquant comme un enfant blessé.
Et le vide, en quelques minutes, se changea en foule grouillante ; une vieille radeuse aux charmes flétris pris la gosse en pitié et la tint par le bras pour soutenir sa marche. Alors, un pas après l'autre, l'agitation devint pour la jeune fille un kaléidoscope tué par le distance, flou comme un vieux cliché, se distordant sans but dans les recoins de sa cornée. Qu'il lui semblait laid, ce monde -rongé par l'archaïsme et l'extrême pauvreté, il ne s'en dégageait pas l'once d'une poétique des ruines d'une société déchue, et la seule impression que ce quartier laissait donnait à peine au visiteur un irrépressible désir de le fuir ; aussi, la gamine, incapable de se dégager de la poigne de son alliée de fortune, décida d'attendre qu'on veuille bien la chercher. Elle jurait terriblement avec l'univers qui l'entourait -le contraste qu'elle générait cependant ne suscita aucune curiosité chez les nécessiteux qui s'affairaient à terre pour se payer du pain ; elle leur aurait pourtant semblé venir d'un autre temps - vêtue comme elle l'était, elle semblait davantage évoquer la prêtresse que la maîtresse d'un soir d'un maître sans visage. Toute ceinte de jolies plumes et de lin blanc, fleur parmi le chiendent, elle irradiait littéralement -mais personne ne vit sur elle la tiare qu'elle aurait pu ceindre il y a voilà longtemps. Personne non plus ne put percevoir ce qui en faisant pourtant un être différent - au fond de ses yeux brillait une flamme vive qui consumait l'iris tel un village de bois ; cette petite chose, qui luisait comme un ver au fond d'une grande forêt, gagnait à chaque instant une puissance nouvelle, une intensité dont l'expansion terrible ne semblait s'arrêter.
La gouge la lâcha dans un bâtiment sombre, un pauvre lupanar dont les murs décrépits s'échappaient en lambeaux de papier et de pierre, volutes miséreuses dispersées à terre, écorchures pourries d'un corps décomposé. La gamine scintillait au milieu des ordures, figure christique parmi les déchets, prêchant par sa présence une parole sacrée -de ses yeux s'échappait toujours la lueur d'un feu camp dont les flammes à la fois douces et viciées se livraient à une danse aux accents sabbatiques. La catin, elle, avait l’œil torve , et, quand elle croisa le regard de sa protégée, le fond de son iris glauque sembla s'enflammer.
Soudain, elle trébucha, en tordant son pied frêle dans le cuir couleur de terre lointaine des mocassins qu'elle portait ce jour -et ce comme tous les autres. Une mèche de sa crinière d'un bleu caribéen se dégagea alors du casque étrange et futuriste vissé sur son crâne fébrile par des bois de cerf ouvragés et sertis de feuille d'or ; le voile transparent qui lui couvrait la moitié du visage chut dans la poussière et se couvrit de gris - en quelque sorte, le fait de chuter permit à la demoiselle de chasser d'elle le superflu pour apparaître dans la plus pure expression d'elle-même : celle d'un être qui n'avait rien à faire ici.
Ses pupilles, elles, ne cessaient de s'embraser.
Elle voyait ce monde en flammes, ravagé par la guerre -les plus pauvres payant le plus lourd des tributs ; elle voyait aussi l'avènement d'un culte de la mise à mort, d'un rituel immuable dû aux créatures vicieuses qui se prétendent des dieux -et, pire que tout cela, elle ne voyait la fin se profiler. L'avenir tenait toujours du couloir discontinu -il ne semblait rien exister qui puisse l'arrêter. Alors elle traversait, toujours en claudiquant, l'immensité d'un univers qu'elle n'en pouvait plus d'arpenter.
La gamine planta son regard sec à cet instant précis en plein cœur de celui de la catin mielleuse ; d'un coup violent et assuré, elle s'y insinua. Elle n'y vit tout d'abord rien - puis se dessinèrent rapidement les lignes de fuite d'une vague composition qui s'animait sous ses yeux : les traits firent leur apparition, et les personnages ainsi délimités entamèrent un mouvement lent, frêle, et saccadé. Les couleurs coulaient lentement, flasques et visqueuses, étalées grassement en larges touches grossières -puis, le temps passant, elles devenaient plus nette. Il n'y avait rien à voir de plus qu'une scène de théâtre issue sans doute d'une pièce qui ne valait rien.
De retour dans sa réalité, la petite s'affaira à tenter de se relever. « Attends gamine, attrape ma main plutôt. On peut pas dire qu'tu sois bien vaillante pour une môme de c't'âge-là. » La gosse esquissa un mouvement de tête. « Merci... » La vieille putain eut un mouvement de recul en entendant la petite parler -elle n'avait de sa vie eu affaire à quelqu'un d'aussi triste. Il y avait dans son ton, dans ses mots, une mélancolie indéfinissable, teintée de résignation ; un petit rien terrible qui en faisait un monstre.
En revenant sur pieds, la bambine fit tinter les breloques qu'elle portait aux bras, et porta la main à sa poitrine, qui arborait fièrement une grande pierre précieuse, qui formait comme un point où se rejoignaient toutes les lignes de son vêtement -du haut de son petit corps, engoncée dans sa jupe en dégradé, elle semblait être une shaman païenne égarée loin des siens.
Elle ne tint pas debout longtemps ; aussitôt fut elle sur ses jambes qu'elle chuta de nouveau, comme une tour éboulée éprouvée par les ans. En tombant, elle n'émit aucun bruit ; sa douleur était sourde et lancinante. La violence du choc lui déboîta l'épaule -la blessure cependant ne lui arracha pas le moindre cri.
Le feu de ses yeux consuma ce qu'il restait d'elle ; il se propagea comme une tumeur et ne laissa derrière lui qu'un corps carbonisé, détruit de l'intérieur par une cellule viciée. Le temps alors commença à hurler -distendu, distordu, il hurlait au secours, torturé, massacré, laissé pour mort, blecié -et la gamine en fut chassée, virus éloigné, erreur éliminée.
Psychologie
Quiconque de(s) Yeul veut faire l'étude se heurte au mur vertigineux du nombre et de la multitude. Aucune n'est véritablement la même que celles qui l'ont précédées, et n'influence que faiblement celles qui vont lui succéder.
Être Yeul, c'est avant tout savoir s'effacer.
Sphinx étonnant et créature sibylline, elle traîne ses membres massacrés à travers l'univers, la tête solidement fixée au creux de ses épaules : et elle pense, réfléchit, imagine, crée, recrée, puis noue, dénoue, renoue et fait les mondes -le fleuve de sa pensée s'étend en méandres longilignes qui éclatent en affluents successifs articulés en pétales de fleur : sa réflexion bourgeonne, puis éclot dans une nuée de couleurs vives.
En d'autres termes, elle rêve en permanence -mais ne se sent pas assez forte pour supporter ce qu'elle voit. Alors elle garde pour elle toutes ses divagations, de peur de se mettre un jour à vouloir espérer -profondément réaliste, l'adolescente lutte contre l'idéalisme ; on peut en dire sans se tromper que son éthique ne prend pas en compte les critères habituels qui régissent généralement les membres d'un clergé -la notion de péché ne l'effleure même pas. Sa sincérité cependant l'enfonce dans un monde d'idéaux paradoxaux qui s'articulent les uns sur les autres -il arrive alors parfois que la morale de Yeul paraisse n'avoir aucun sens.
Son statut d'écorchée, parfois, peut donner à penser qu'elle est incapable de duplicité -mais c'est une fausseté, et vous feriez votre plus grave erreur si, sincèrement, vous le pensiez. Souvent, Yeul ment ; elle perd, elle égare, elle rattrape, pour peu qu'elle y trouve un intérêt. Jamais elle ne perd de vue son but final -et c'est toujours le résultat ancré au fond des yeux qu'elle avance ses pions à la main dans le jeu. La prêtresse a perdu, les unes après les autres, toutes les illusions qui lui restaient -elles sont tombées au combat comme armée en campagne ; alors seule est restée la hargne, chevillée au coeur de l'adolescente, mais haute et fière comme une grande montagne.
Parce que Yeul ne s'avilit pas : elle court après le destin, avec le désir impossible, inavouable, et inavoué, de pouvoir le rattraper ; alors elle se jette à corps perdu dans la bataille avec la force des désespérés, et arrache à mains nues des mètres et des mètres au chemin tant révéré. Tant pis s'il faut se battre, tant pis s'il faut détruire -si c'est seulement pour vivre !
La petite règne, solitaire, sur l'empire immense de sa propre existence -en ne cédant pas à la tentation d'y mettre fin. Elle accepte, ploie faiblement, pour se sublimer intensément : elle se révolte doucement, pas à pas, sans se brusquer, sans forcer, et opère pour elle une révolution qui se déchaîne calmement comme une nuée de vague dans la douceur de l'onde.
Mais elle est dure, Yeul, et forte : ne croyez pas que vous pourrez la faire plier par la force ou la contrainte -elle n'a plus rien à perdre, et tout à gagner. Elle ne peut être davantage menacée, mais le monde, lui, peut encore être sauvé. Il peut encore échapper aux forces qui, tout ce temps, l'ont torturée. La rancune tenace, mais bien dissimulée, la gamine n'a peur de rien : et surtout pas du temps. Après tout, la mort elle même n'a pas su l'emporter. Alors personne de son objectif ne pourra la détourner. Elle hait ces divinités qu'elle voit comme des fantoches, qui croient tout posséder, qui pensent avoir ce droit, ce simple droit, ce misérable et stupide droit : celui de décider. Alors, se dit-elle, nous verrons bien qui d'entre nous est à l'épreuve de l'éternité.
Ne croyez-pas lui mentir, ou la manipuler -les décennies de souffrance ont appris à la prêtresse la prudence et la lucidité. Elle regarde le monde d'un oeil désabusé -elle connaît bien ses rouages, ses adages, la vie en société : elle en a vu passer, des jeunes, des beaux, et des entreprenants, qui croyaient de toutes leurs forces qu'ils allaient innover, et qui sont morts brûlés, sacrifiés sur l'autel de leur médiocrité. Il lui suffit d'attendre pour pouvoir profiter du spectacle terrible de leur chute dans l'abîme béant des oubliés. Et de rester là, à tutoyer le gouffre sans jamais y tomber.
Le savoir cependant a fait d'elle une créature froide et pudique, qui dissimile tout ce qui peut l'être sous un épais voile de brume d'hiver -et brise à la chaîne une pile d'espoirs déçus en besogneuse implacable. On dit parfois de Yeul qu'elle ne sourcille jamais -rien n'a jamais été si vrai. Elle se tient droite comme un gamin des rues : avec la grâce d'une princesse. Elle ne s'attache pas, ou bien très peu ; elle partira de toute façon sans vous avoir connu, disparaissant d'un coup sans même l'avoir pu.
Pourtant, le coeur de la prêtresse est profondément bon ; il est bien rare de trouver chez qui que ce soit pareille abnégation -seulement, la petite malheureuse sacrifie au combat sa bonne réputation -s'il le faut, elle n'aura jamais peur de se mettre en porte à faux. Et tant pis pour le reste ; on n'est jamais mieux servi que par soi même -surtout quand l'on n'est même plus sûr que quiconque nous aime.
Créature étrange, sorcière, prêtresse morte-vivante : quels que soient les noms qu'on lui donne, Yeul fascine. Être multiface , par essence incompris, elle demeure éternellement enfouie sous un abyssal mysticisme étalé en larges touches autour de chacun des gestes de son corps désaccordé ; il arrive qu'elle ne s'exprime que par petites phrases syncopées, parfois à la limite de l'insensé -flottant dans une mer de symboles, elle agite les mains dans les profondeurs et attrape quelques mots, les accroche tous entre eux, et les aligne enfin les uns après les autres. Pour ainsi dire, elle pense ; sa vivacité, seulement, la rend difficile à rattraper.
S'embraser, mais lentement -tel est l'adage que la princesse vit si intensément.
Histoire
« Il y a longtemps, avant qu'Oerba ne tombe en disgrâce, existaient une multitude de cités et de clans, dispersés dans une plaine immense ; tous s'épiaient, guerroyaient, parfois même se haïssaient : emplis de fierté, il n'en existait aucun qui ne tenta d'affirmer sa supériorité par sa culture : ainsi, Dianthea brillait par la richesse de sa musique, Allra par son économie, et Oerba par son sens du sacré.
Paddra, en revanche, ne se distinguait en rien.
En ces temps reculés, Oerba , bénie des Eternels, ne connaissait pas la défaite ; jamais touchée par la famine et soutenue par la faveur divine, il n'existait rien dans la plaine qui puisse la faire trembler. Elle étendit alors son influence, et devint bien vite la puissance régnante du monde qui la portait -entité incandescente parmi ses semblables, la cité-état n'eut dès lors de cesse d'affirmer sa formidable puissance, si bien qu'aucun rival ne put naître pour lui faire face -et, sache-le, une telle tyrannie laisse toujours des traces. On dit même que la ville donna son nom à son monde, et qu'il devint bien vite son entière possession.
Alors commença le règne de l'ennui ; sans concurrence ni activité, l'empire commença à trembler.
Les sages d'Oerba, soucieux d'amuser leur peuple, se mirent en tête de lui offrir le plus formidable des divertissements : le jeu du maître et du peuple conquis. On attaqua Paddra, on la soumit, et on se joua d'elle ; puis on quitta les lieux, pour laisser les habitants reconstruire l'habitat -pour revenir encore, indéfiniment. Le crime était révoltant -et l'agressé, impuissant. Réduite à l'état de jouet désarticulé, la cité vassale s'enfonça dans un cercle sans fin de déchéance qui la conduisit même, dit-on, à l'anthropophagie ; sa réputation noircit tant et si bien que l'on n'osa même plus y mettre les pieds ; encastrée dans le coin d'un contrefort rocheux, entourée d'une nature luxuriante, elle sombra dans les ténèbres loin de la vue de tous.
On oublia même jusqu'à l'existence de Paddra. Mais c'était sans compter sur la valeur de son peuple.»
Légendes orales du pays des plaines
[...] On remarque en outre de solides preuves d'une intense activité autour de la ville de Paddra ; bien qu'il nous soit impossible de les dater aussi précisément qu'il le faudrait, il est possible de les situer dans une fourchette de 3000 à 3700 ans avant notre ère ; cependant, cette datation signifierait que toutes les autres cités du monde d'Oerba serait deux fois plus âgées -au regard des écrits qu'il a été possible d'exhumer des ruines de Dianthea, il semblerait pourtant que ce soit impossible. Cette question divise les chercheurs, tant et si bien que certains se livrent une véritable guerre à ce sujet ; certains prônent un cycle continu de destructions et de reconstructions, comme nous le confirment les chroniques antiques de Dianthea ; ce cycle serait pour eux responsable de l'occultation de l'âge réel de la cité, puisque les données nous arriveraient faussées : d'autres, en revanche, affirment qu'il n'y a aucune cetitude en la véracité des textes anciens, et qu'ils seraient certainement erronés -ainsi, Paddra serait née la dernière, et sa légende se serait construite avec la ronde des années.
La propension des historiens à se querelle au sujet des ruines qui jonchent Oerba témoignent d'un indéniable intérêt pour ce monde, qui ne devrait que redoubler après la découverte de nouvelles stèles animées portant le nom de Paddra Nsu-Yeul. Il semblerait que cette femme fit partie des sphères aristocratiques de la cité, mais ce qui nous intéresse chez elle est avant tout qu'elle fut prêtresse ; on dit que ses prédictions étaient toujours exactes, et qu'elles contribuèrent fortement au rayonnement de l'état de Paddra ; en outre, l'auteur desdites stèles semble affirmer que de nombreuses découvertes ne furent possibles qu'à l'aune de ses visions. Nous sommes donc face [...] à un personnage unique en son genre qui nous permettra sans doute d'apprendre davantage sur le passé d'Oerba. De plus, il a été également possible d'extraire des informations sur l'âge de Paddra à travers certaines des affirmations de la prophétesse Yeul, qui se dit provenir de la tribu la plus ancienne d'Oerba. Si cela s'avérait exact, toutes nos connaissances actuelles au sujet de ce monde seraient remises en cause.
Extrait d'un article de Pline le Jeune pour la Revue des Sciences des Consuls
«Paddra se releva à la force des bras ; de grandes et élégantes bâtisses sortirent de terre les unes après les autres, et la rumeur se répandit bien vite qu'il n'existait pas plus belles demeures à travers les terres d'Oerba. Qu'elle était belle, la ville ; elle brillait comme du cuir neuf, et s'étendait en coroles comme un bouton de rose -ses murs, d'une modernité étonnante, portaient la glorieuse splendeur de la surélévation ; les jardins, d'une noblesse rare, devenaient eux aussi une douce attraction.
Le clan Nsu, dit-on, fut le plus acharné ; aussi, personne n'éleva la voix quand il s'agit de se choisir un chef et qu'il se porta garant de l'application du pouvoir -il paraissait naturel, aux yeux de tous, qu'il ne pouvait décevoir. Ainsi, son règne commença ; on peut dire aujourd'hui que sa fin jamais ne se fit voir.
Atteindre les sommets cependant n'induit qu'une chose : une chute d'autant plus douloureuse.
La plus jeune pousse de la famille, la petite Yeul, fit un soir une mauvaise rencontre à l'orée des bois voisins ; une créature sombre aux grands yeux jaunes, qui l'épiait depuis une ligne de bosquets, ouvrit brusquement sa mâchoire de loup, fit claquer ses dents sur le poitrail de la fillette, lui arracha le coeur, et la laissa pour morte étendue sur le sol, livrée à une longue et lente désagrégation.
Dès le lendemain, la nouvelle de la disparition de la jeune demoiselle se répandit comme une traînée de poudre, et tous les moyens de recherche à la disposition de la glorieuse cité de Paddra furent mis en oeuvre pour la retrouver ; rien n'y fit, et, bien vite, on se résigna à son absence définitive.
Toute la ville pleurait la mort de Yeul. »
Histoire d'Oerba, Tite-Live, archives du Sanctum
Une ombre déformée passa sur le visage morne de la petite prêtresse ; elle s'étendit en tentacules terribles qui se mouvaient comme des fouets dans les recoins de ses joues, créature vengeresse hurlant sur les brisants -alors Yeul s'étendit d'une grande impulsion sèche, assise sur le sol, pensant.
L'insondable sottises des chroniques d'Histoire l'ensevelit dans une méditation profonde; ses pensées s'étalèrent en onde et se mêlèrent dans le dédale diabolique de sa mémoire. « Je n'espère plus rien des légendes. Parfois, j'ai la vague impression que les écrivains me détestent et qu'il se moquent de moi à la force des mots : ils me les crachent au visage dans une gerbe de haine, et je me retrouve seule avec tous mes souvenirs. » Elle se voyait déjà encrer d'une main nerveuse l'esquisse d'un journal qui se changerait un jour en autobiographie.
Mais il en était rien. Elle n'aurait jamais le temps d'en écrire un chapitre.
Née de faible constitution, la véritable Yeul avait tout de la petite créature frêle à la marche incertaine qu'on connaît aujourd'hui -elle était cependant encore pleinement mortelle. Son profond dénuement physique la malmenait grandement : c'est là alors que l'Histoire perd sa trace. En effet, à compter de ceci, différentes versions la conduisent vers des chemins divergents : aucune cependant ne peut être considérée comme étant un tant soit peu proche de la réalité -qui, on le sait, dépasse toujours la fiction. La démesure, en effet, est l'apanage du vrai ; le faux existe uniquement pour combler le vide qui cogne à mesure que le temps s'étiole.
Oerba est la terre des miracles ; on y voit des prodiges à nuls autres pareils -des sorcières, des dieux, des monstres, des oracles. Il existait, dans les tréfonds de Paddra, citadelle de la technologie, sommet révéré de la modernité, une petite bâtisse de marbre clair, foisonnante comme un bordel de grande ville ; le sol de pierre grise et blanche en était fendu de larges balafres en forme de crocs d'où s'échappaient des volutes de fumée à l'odeur de café. On prêtait à ces émanations des pouvoirs formidables, dont celui -merveilleux- de panser les blessures ; on décida alors d'installer à leur porte le corps salement meutri de la petite Yeul, espérant sans nul doute soulager ses souffrances -il y avait quelque chose de profondément vain dans une telle espérance. Il s'avéra que la volée gazeuse ne pouvait que plonger l'adolescente dans la moiteur sordide d'une multitude d'hallucinations, de la noyer dans ses turpitudes -elle s'y perdit volontiers, avide d'instants de laisser-aller. Alors elle s'étendit en loghorrée insensées qui se transformèrent bien vite en simulacres de visions prophétiques et de rituels d'intercession malsains ; les habitants de la ville, intrigués, ne tardèrent pas à s'intéresser aux divagations de leur petite princesse qui leur promettait monts et merveilles en l'échange de sang de boeuf -il suffit de quelques coïncidences pour qu'on décide d'accorder le plus solide crédit à une pure folie : la prêtresse usurpatrice éclatait toujours plus en bouffées hystériques et inspirait chaque jour davantage de cet air maléfique.
Vint le jour où elle prédit la perte de Paddra ; dans le blanc de ses yeux clairs miroitaient les reflets sinistres et rouge du fond des charniers pleins -partout, le feu, les abats et le fer entremêlés dans un ruisseau terrible qui s'écoulait, inexorable, et devenait rivière au centre de la ville ; et la petite Yeul, étendue, extatique, expirante, creva d'avanchissement sur le sol de sa chambre.
Ce fut une panique sans nom qui n'avait point d'exemple et n'eut jamais le moindre imitateur ; les notables prirent la fuite les premiers, sans faire de bruit, par des portes dérobées. Le peuple, à son tour, s'éclipsa par les grandes ouvertures ; on avait au préalable pillé les grandes maisons, on s'était battu aux pieds des enceintes en s'ouvrant les joues à coups de couteau.
Et alors, la ville brûla.
Etro, sainte patronne de Paddra, qui avait jusque-là toléré le culte impie voué à la jeune Yeul, ne put supporter la vision d'une cité en cendres réduite au brasier pour rien, pour du vent, pour des mots : alors, prise d'un grand courroux, elle saisit le coeur de Yeul et l'offrit en pâture à la grande Ammit, animal domestique de l'Eternel de la réincarnation et du cycle vital : mais celle-ci refusa d'y toucher tant qu'on ne l'eût pesé. Persuadé que l'on n'y trouverait aucune preuve d'une surexposition aux ténèbres, mais craignant la colère d'Etro, le saint patron de la vie maudit l'adolescente : il lui offrit d'une main le retour à la vie.
Jamais personne pire sévice ne fit.
La pauvre voyante fut condamnée à revenir fouler le sol des mondes, enfermée dans son corps boîteux -en renaissant toujours avec les mêmes faiblesses ; sa malheureuse carcasse ne pouvant guère la supporter jusqu'à l'adolescence, la princesse de Paddra se coinça dans une boucle la reconduisant immuablement à la naissance sans la laisser grandir et devenir adulte, vivant à jamais comme une enfant perdue dans les arcanes de son propre temps.
On la punit pour une folie qui n'était pas la sienne -mais Yeul croupit dans la cellule d'un autre sans détourner les yeux, sans se plaindre, sans sourciller. Les nomades que ses cris délirants avaient poussés sur les routes ne l'oublièrent jamais : on en dit même qu'ils la vénèrent encore, marchant éternellement à travers les plaines désolées d'Oerba pour expier un péché qu'ils ne connaissent qu'à peine.
On oublia même jusqu'à l'existence de Paddra. Mais c'était sans compter sur la valeur de Yeul.
« Je suis morte comme une ombre, en m'effaçant dans le vague et sans créer de vide. On m'a laissée m'enfuir, comme ça, sans me retenir ; alors je suis partie, je me suis envolée -et j'ai cru. J'y ai cru tellement fort, à cette chance de bonheur et de fin -mais tous mes espoirs étaient vains. On m'a arrachée à la mort pour me rendre à la vie, sans me demander l'ombre de mon avis. Je suis devenue avec le temps, à la mesure des ans passés, un fantassin sans gloire ; et, tandis que je me perdais dans ma propre mémoire, le fait d'aider les autres s'est mû en exutoire. La vérité, dévorée goulûment par sa consoeur légende, pourrit progressivement en cadavre à l'air libre : mon histoire a du faux développé la fibre. » Elle écrivait, fébrile, comme si c'était la dernière fois.
Puis déchira le papier dans un accès de rage.
« J'ai tout vu : des fleuves, des montagnes, des plaines, le feu, le froid, la neige, le vent, et les tempêtes -j'ai vu les meilleurs amis du monde s'abandonner mutuellement sur le bord d'une route, j'ai vu des rois mourir, j'ai vu des reines pleurer -j'ai roulé ma bosse à travers l'univers, dans les jungles et les savanes -puis je suis morte assassinée, j'ai fini dans un trou à m'étouffer, j'ai couru vers ma perte, j'ai sauté sur une mine, j'ai crevé massacrée, écrasée par un train, mangée par ma faiblesse, écroulée en pleine fête : tout m'est arrivé, et tout m'a torturée. On m'a trahie, on m'a haïe, on a cherché à me huer, à me vomir, à me tuer -on m'a souri, on m'a chérie, on m'a aimée ; au visage on m'a craché, pour le soir même m'embrasser.
Mais je n'ai jamais ployé. Le genoux au sol jamais je n'ai posé. J'accueille la mort comme une soeur, et la vie avec terreur; pourtant, il ne fut jamais question de me laisser aller.
Maintenant, je cherche à en finir. Messeigneurs, voudriez vous donc bien me lâcher ? J'en ai assez vu, vous voyez -je n'en puis plus de vivre et d'observer. Je veux mourir innocente : oubliez-moi, que je puisse expirer à l'abri des regards, j'aimerais pouvoir périr, même sans le moindre égard. Interdisez moi la tombe, si cela vous fait plaisir : une sépulture seule ne pourrait nous contenir. Mes centaines de carcasses ne cessent de pourrir.
Je vous ai retrouvés, voyez-vous ; il n'est plus temps de languir. J'ai investi le Sanctum -oui, dès sa création -mais je suis réaliste, et je refuse d'attendre une amélioration. Loin de moi les passions : le salut de mon âme, je vais devoir l'arracher.
Parce qu'elles étaient Yeul, que je suis Yeul, et que nous serons Yeul. »
Questions diverses
1) Votre personnage est-il capable d’aimer, d’avoir une relation ?
Oui et non (surtout non).
2) Si l’esprit de votre personnage s’incarnait en un animal mythologique ou chimérique ou réel (nuances acceptées). Que serait-il ?
Yeul a tout d'une sphinge -à mon sens, cela dit-. L'énigme lui va tellement bien.
3) Qu’en est-il de la fidélité et de l’esprit de camaraderie de votre personnage ?
Elle ne trahit pas. En tout cas jamais vraiment.
4) En vue de votre race, quand pouvez-vous dire que votre personnage a forgé une amitié. Citez quelques unes de vos relations amicales.
Ma foi, chaque Yeul a eu ses amis ; il me semble difficile d'en donner des exemples. Il faut seulement savoir qu'elle préfère ne pas s'encombrer -ni encombrer, surtout.
5) Quelle est la devise de votre personnage ? S'il y en a plusieurs, donnez les toutes.
« Gracias a la vida, que me ha dado tanto »
6) Vis à vis de votre façon d'écrire, quels sont vos points forts et points faibles?
Tout un programme ! Disons que mon lunatisme se reflète dans ce que j'écris. Parfois c'est mignon, parfois moins (cette réponse est aussi floue qu'un tirage raté et j'en profite sans le moindre scrupule pour éluder la question).
7) Pourquoi incarner ce personnage ?
Parce qu'il me touche profondément. Je me suis battu avec sa fiche, elle est courte, un peu étrange : mais je l'aime telle qu'elle est, parce que j'ai une puissante affection pour Yeul.