- Ukiyo sortait alors de la grande salle, tournant le dos à la Reine et une cargaison de peinture qui sera amenée à la station Shin-Ra. Quelques contusions parcouraient les courbes de son visage, mais il souriait et les cartes le laissaient passer en silence.
Ce monde n'était plus qu'une ombre, c'est ce que constatait le peintre. Il était à mi-chemin entre l'admiration et la tristesse. Bluffé par le fait qu'un tel lieu puisse dépérir aussi vite, mais une boule au ventre car cet endroit, s'il n'était pas encore peuplé ferait partie de la fin des mondes. Ici, rien ne l'inspire, la nature morte n'est pas une source pour la peinture. Pourquoi représenter la désolation lorsque l'on a le pouvoir de créer ? Le Pays des Merveilles reste tout de même l'exemple le plus flagrant du pouvoir des songes, particulièrement lorsque l'on sait qu'un seul d'entre eux a organisé tout ceci. Les mages, il y en a beaucoup, mais des sorcières à l'égal d'Ultimecia, c'est d'une rareté extrême. S'il ne s'agissait que de pouvoir, alors elle serait, comme tout autre songe, un élément banal, mais ils sont calculateur, patient et sans limites.
La station Shin-Ra était à bonne distance du Château, comme si la compagnie avait peur d'être emportée dans cette chute décadente. Il devait marcher, beaucoup, mais d'ici, Ukiyo voyait sa destination. Si Genesis n'a jamais envoyé son peintre ici, ce n'est pas la première fois qu'il foule ce sol. C'était il y a plus de deux ans, déjà et s'il ne savait pas que c'était le Pays des Merveilles, sans doute ne l'aurait-il pas reconnu.
Tout ceci soulève une question plus importante. Genesis... il envoie Ukiyo ici, pour une mission dangereuse là où il ne l'a jamais envoyé. Si Nanaki était Général, le songe lui n'est qu'un Lieutenant au Consulat. Bien sûr, la réalité est toute autre, c'est l'égal d'un Général, il se considère même plus puissant que les Maréchaux si peu nombreux. Hors, Genesis l'ignore. La question est là, commence-t-il à se douter de quelque chose ? Jauger le Tragédien était quelque chose... d'impossible. Lui seul peut savoir ce qu'il a en tête. C'est un homme bon qui, lorsque les temps l'exigent, peut devenir cruel. Risquer la mort d'un consul qui soupçonne d'être un intrus est parfaitement dans ses cordes.
Non, il n'y a tout simplement rien qui ne peut trahir la position d'Ukiyo. C'est impossible, il est beaucoup trop méticuleux pour se retrouver en mauvaise posture. Hélas, son pire ennemi est son arrogance, obscurcissant son jugement, il est peut-être allé trop loin. Le doute envahissait soudainement le consul. Serait-ce déjà la fin d'une grande mascarade ? S'il revient, en vie, est-ce que cela renforcerait les soupçons qui n'existent peut-être pas ? Trois grades... C'est ce qui sépare un Général d'un Lieutenant... Genesis a peut-être simplement perdu l'esprit.
Peu importe finalement, si le Consulat doit apprendre qui il l'est, soit, ce n'est pas cela qui pourra le stopper. Bientôt Amaterasu aura fait son grand retour, bientôt Ukiyo détiendra la puissance divine qui lui est due. À l'origine, il pensait que le Kingdom Hearts serait la solution à tout problème, mais il a réfléchi, longuement, des mois entiers. Il n'a pas besoin de ce royaume pour parvenir à ses fins et l'Histoire a été claire. Quiconque désire ardemment le Royaume des Coeurs meurt sur le point de l'avoir. Mourir ne fait pas partie du plan.
Le consul était décidé à remplir cette mission, même si cela pouvait lui porter préjudice. Pour deux raisons très simples, c'est un peintre et qu'il doive chercher de la peinture lui semblait amusant. Comme si finalement, cette mission qui n'avait jamais été remplie lui était destinée. Il y a aussi et toujours la curiosité, à quoi peut bien servir autant de colorant ?
Il avançait sans peur dans cette forêt agonisante, le pas pressé. Il n'y avait aucun bruit hormis le vent, même les oiseaux restaient muets. Très vite, le labyrinthe se laissait apparaître, il n'est déjà plus très loin. Seulement, Genesis l'avait mis en garde et il n'en avait pas tenu compte. Les cartes étaient là, l'encerclant, il était pris au piège. Ils étaient approximativement dix, sans être une grande menace pour autant, mais quand elles brandirent lances et hallebardes, il obtempéra.
C'est donc avec une escorte qu'il avançait jusqu'au château et très vite, l'énorme reine avec son énorme tête sur son énorme fauteuil accueillait, si l'on puit dire, Ukiyo. Les rêves du peintre ont souvent un certain sens prémonitoire. Le pinceau, les pouvoirs confiés, tout cela il l'avait vu au travers de cauchemars. Cette nuit, il avait beaucoup rêvé, mais avait-il vu qu'il se ferait si facilement prendre ? Non. Cependant, il avait rêvé d'une chose qu'il n'avait jamais encore vu, il avait de la peinture qui lui coulait le long des joues pour devenir méconnaissable.
En venant ici, Ukiyo comptait sur Ultimecia pour l'aider et pour qu'il ne lui arrive rien, mais elle était absente. « Qu'on lui coupe la tête ! » Ce fut les premiers mots qu'il put entendre sortir de la bouche de la reine. La sorcière avait autrefois prévenu que ses méthodes étaient pour le moins... radicales. Avant que l'ordre ne soit rempli, une peinture très épaisse dégoulina, exactement comme dans le rêve. C'est alors que pendant une dizaine de secondes, ce que pu voir la Reine la fit changer d'avis. « Approche ! » Ukiyo obtempéra et monta même jusqu'à elle. La reine murmura à son oreille. « Ma chère songe, que vous est-il donc arrivé ? » Oui, le visage qu'il avait emprunté un bref instant n'était autre que celui de la sorcière. « Un grand projet pour vous ma reine, j'ai besoin de vous, un grand projet pour vous ! » Ils se parlèrent alors à voix basse pendant quelques minutes et enfin, Ukiyo retourna aux côtés des cartes.
« Ruez-le de coups ! » Le songe écarta les bras pour montrer qu'il se laisserait faire. Quelques secondes après, il était couvert de bosses, de bleus et d'égratignures. Un déguisement parfait pour montrer que la mission ne fut pas un voyage touristique. Enfin, la reine ordonna à ce que la cargaison soit envoyée à la station Shin-Ra. La version officielle sera que tous les pots étaient miraculeusement placés sur une charrette, que le transport fut aisé malgré les assauts ennemis. Pour conclure, il dira qu'il a eut beaucoup de chance de s'en être sorti aussi peu blessé...