• Il fallait le faire, c'était nécessaire bien que l'idée ne soit pas au goût du peintre. Malheureusement pour lui, il était de ceux qui n'aimaient pas commencer quelque chose sans le finir. En peinture, aussi beau soit le début d'un tableau, s'il n'est pas peint entièrement, il ne vaut absolument rien. Ukiyo trouvera au moins à avantage à se rendre à Port Royal, il n'y a aucun autre monde qui lui ressemble. Certes, le lieu pue la crasse, empeste l'alcool et les habitants sont souvent désagréables si on exclut les nobles et autres riches personnes. C'est une atmosphère unique qu'il peut être très intéressant de peindre, difficile à retranscrire, un défi de taille. Un tableau doit faire sans l'odeur, la boue dans laquelle le pied s'enfonce, le seul sens présent est la vue. Le Songe avait une autre idée d'oeuvre, dans ce même monde certes mais il devait prendre la mer. Personne n'est sans savoir que la phobie du large est très présente chez Ukiyo, il l'a déjà combattu une fois, il devra le faire une seconde. Toutefois, malgré cet inconvénient, il était assez soulagé de quitter le Jardin Radieux, il devait se faire discret ne serait-ce que pour un temps.

    Quelques heures plus tard, il était à bord d'un grand navire, ceux de marchands. D'ordinaire, ils n'acceptent pas de voyageur par rapport aux risques qu'ils pourraient encourir. Pour ce faire, Ukiyo leur offrit le reste de sa maigre fortune. Si l'on devait faire le bilan entre ce périple en haute mer et le précédent, on pourrait remarquer que le peintre était moins nerveux. Peut-être qu'ayant surmonté un défi la fois précédente, il se sent plus fort. Une chose était sûre, le bateau était plus grand et bien plus stable que la minuscule chaloupe qui menaçait de se renverser ç chaque grande vague. Il y avait un faible vent toute fois suffisant pour faire avancer le navire. D'après les marchands, c'était un alizé. Ukiyo n'y connaissait rien et pour le moment ce n'était pas sa préoccupation.

    Il connaissait l'itinéraire, il l'avait demandé avant de partir bien évidemment. La route qu'ils suivaient était celle que voulait le peintre, il n'aurait pas pu tomber mieux. En regardant en direction de la poupe, il pouvait voir les lumières de la ville qui se faisaient de plus en plus faibles. C'était le moment d'agir, il se concentra, fixant les voiles du navires. Aussitôt, elles remontèrent pour bientôt ne plus avoir de prise au vent. Les marchands ne comprenaient pas ce qu'il se passait, certains d'entre eux pensaient à un malin qui faisait le pitre. D'autres, plus sceptique s'imaginaient déjà être envahis par des esprits marins venus les hanter. Ce à quoi ne s'attendait pas le songe, c'est qu'il avait été remarqué, un homme s'approchait dangereusement derrière lui, prêt à le frapper à la nuque. Si la lune n'était pas aussi lumineuse, il n'aurait pas vu cette ombre planer au-dessus de lui pour l'éviter de justesse.

    Très vite, tout le navire était aux aguets, son imposture était manifeste mais cela ne faisait rien. Il était là où il avait voulu se rendre, ce n'était plus qu'un contretemps malheureux. Cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas créé sa propre magie mais il fallait que ce soit visible pour que les marchands ressentent une vraie menace. Une flamme à alors jailli de sa main, mais elle est restée là, sans se diriger vers un quelconque adversaire. Le peintre faisait léviter cette boule de feu autour de lui. « Restez sages ou je vous garantis que ce navire sombrera, il me semble que vous transportez de la poudre. » Tous se sont mis à rire comme si ce n'était qu'une farce. Ukiyo n'aimait pas le ton qu'ils prenaient à son égard, il était plus que sérieux à cet instant. « Fais-le et tu sombreras avec nous, abrutis. » Cette fois c'est le songe qui se mit à rire, c'était assez léger, discret. « Sachez que j'ai toujours une issue de sortie quoi qu'il arrive, mais peut-être voulez-vous courir ce risque ? » Un silence s'installait suite à cette phrase, ils cherchaient certainement un moyen de le neutraliser sans que le navire ait à en pâtir.

    Le seul bruit était celui des petites vagues qui heurtaient, mais très vites, d'autres remous se sont fais entendre, ça s'approchait vite. Ukiyo savait ce que c'était pour s'être déjà rendu à cet endroit. Il a alors sorti de sa poche deux bouchons qu'il avait peint plus tôt et se les ait mis dans les oreilles. C'était bien évidemment les sirènes et malgré le contact déjà établit, il n'aurait pas été épargné sans cette protection. Les yeux des marins sont devenus vides, sans aucune lueur de vie, elles avaient commencé à chanter. Ils se sont tous approchés du bord du navire pour se pencher au-dessus de la mer. Les uns après les autres, ils sont passés par dessus bord, les sirènes étaient carnassières, de vraies furies. Peu après, le songe a retiré ses bouchons pour se pencher à son tour en gardant une méfiance en éveil.

    Il pouvait voir ses créatures atypiques, l'une d'elles s'est approchées, aucun risque pour le moment car aucune ne chantait. « Je te reconnais, tu es celui qui a dit qu'il allait nous amener un navire. » Ukiyo se mit à sourire, pas un rictus moqueur mais un véritable sourire de gaité. « Celui-là même. » D'autres se sont alors approchées, intriguées pour la plupart. « Tu vous lais que l'on te rende un service ? » Bien sûr, il avait de nombreuses idées pour lesquelles elles joueraient un grand rôle mais pas pour tout de suite. Elles devaient encore reprendre des force, pour commencer le kraken n'était plus une menace, elles avaient plus de nourriture. « J'aimerais vous peindre si vous êtes d'accord. » Elles se sont toutes regardées, elles ne s'attendaient pas à une demande de ce genre. « Moi je veux bien. »

    Pour commencer, il a peint un tabouret et une toile pour ensuite s'installer. La lueur de la lune qui se reflétaient à la surface, ces femmes magnifiques loin du monde humain. Les teintes de couleur variaient du très clair comme le blanc au sombre représentant les ténèbres marines. Il est resté ainsi plusieurs heures pour peindre deux tableaux. Ce n'était pas énorme mais la qualité y était irréprochable, il était heureux de ce qu'il venait de faire. Peu d'homme ont dû avoir cette chance, d'ordinaire, ils ne se rendent pas compte du danger encouru avant de se faire dévorer violemment.

    « C'est comment le monde des humains ? » C'était une jeune et curieuse sirène qui posait la question. « La vie est dure là-bas, toujours de guerres, personnes n'a confiance en personne. » C'était la vérité mais ce qu'il ne disait pas c'est que les troubles qui sévissent sont en partie de sa faute. Les songes étaient là pour ça, mais leurs raisons étaient inconnues de tous, leur existence même n'était pas perçue du commun des mortels. « On peut peut-être vous aider ! » Ukiyo fit un haussement d'épaules, comme s'il trouvait que cette idée n'était pas si bonne que ça. Il ne cherchait que ça pourtant et le fait que l'idée vienne d'elles, était quelque chose de formidable. « Peut-être oui, mais c'est inutile de vous faire courir de risque inutilement. » Les sirènes ont acquiescé, elles voulaient l'aider mais sans le forcer. « Comment tu t'appelles ? Comme ça nous on pourra en parler aux autres et si tu tombe sur d'autres sirènes, elles sauront qui tu es. » Le songe n'avait aucune raison de cacher son identité, peut-être qu'un jour, il sera ainsi reconnu à sa juste valeur. « Je suis Ukiyo, mais n'en parlez à aucun humain. » Elles n'ont rien dis et le peintre se mit à peindre une chaloupe. Seul, il ne pouvait pas manoeuvrer un si gros navire. Avant de descendre du pont, il récupéra son argent sans prendre un munny de plus. Alors qu'il commençait à ramer, une sirènes l'aidait à avancer pour s'approcher plus vite de la rive. [color=darkred]« Pourquoi tu n'es plus pareil qu'avant ? » Il ne comprenait pas cette question, il n'avait pourtant pas changé, c'était le même peintre qu'il a toujours été. « Que veux-tu dire ? » « Ton apparence. » Ukiyo ferma les yeux un instant, il venait de comprendre. [color=#d6d6d6]« Je te le raconterai peut-être un jour. » Ainsi, ils se sont séparés et le songe est rentré en un seul morceaux, pas peu fier d'avoir bravé la mer.