Si Sauron n'était venu que pour la nourriture, il serait déjà comblé. Hors, sa condition de sans-cœur faisait que cette dernière passait au dernier plan sur sa petite liste des priorités. Après la musique et les hanfus brodés, après les danseuses toutes en beauté parées d'étoffes et de bijoux. Loin derrière les discussions de ses voisins de gauche sur l'importance de discipliner ses employés et sur l'importance de l'impôt et, peut-être légèrement plus que la discussion - fort importante, de son voisin de droite qui, assureur vantait les mérites de la cession de bien.

« - Voyez vous, avoir un conseiller dédié au patrimoine, c'est là la meilleure manière de faire perdurer son héritage au travers des siècles. » dit-il, en reprenant du canard. Il ressemblait lui-même à un canard, avec son chapeau et son visage qui ne possédait, semblait il, pas de menton.

Sauron était fasciné par cet homme. « - Je vous en prie » dit-il, d'une voix douce « développez. » Il cligna des yeux une fois, deux fois, exprimant le plus pur intérêt.

Il imaginait bien cet homme rôtir dans le feu où trois imposant et gras cochons tournaient en ce moment même.

Alors que l'assureur se rengorgeait et repartait sur sa diatribe à propos de la cession de bien, de nue-propriété et de copropriétés, Sauron lui sourit. Il avait besoin de ces alliances. Son joli petit pied à terre était encore trop petit pour qu'il puisse décemment se permettre d'être infect à de telles réceptions.

Sa visite des points clef de la Grande Muraille de Chine entamait une année supplémentaire. Oh, bien sûr il n'oubliait pas de, temps à autre, visiter ladite muraille, depuis la mer jusqu'au désert, mais il appréciait tout de même les petits détours dans le luxuriant Empire du milieu. Ainsi était il en de bonne, très bonne compagnie en tant qu'invité du Marquis et de la Marquise de Dai. Eminents pontes de la région du Hunan, ils n'avaient pas hésité à convier le consul qui, tout naturellement, avait accepté. La nourriture était gratuite, bien qu'elle ne fut que de peu d'importance, les relations aussi. Données, comme le canard, sur un plateau.

Résidant depuis quelques mois déjà dans la région du Wulingyuan, il appréciait la chaîne de montagnes brumeuses qui lui conférait une liberté totale. Non pas qu'il fut enclin à quoi que ce fut d'illégal.

Ou si peu.

Les occasionnels dîners, parades, sorties au théâtre et visites étaient communes et il ne s'en plaignait pas, à condition qu'un mois ou deux ne les sépare. Ce qui arrivait bien souvent ; le Hunan était grand, la Chine immense. Quelques centaines de kilomètres déjà le séparait de ses hôtes de la soirée. Tant mieux, il n'avait pas non plus envie de les voir tous les vendredis.

Xin Zhui, Marquise de Dai, avait terminé le canard. Et entamait le dessert. Sauron était loin d'elle, paré d'émeraude.

La couleur ne lui seyait pas mais les convives avaient étés invitées à porter cette couleur en des teintes variées. Petite coutume venue d'ailleurs. Les dames arboraient diamants et émeraudes, perles et soieries. Parfois d'un bleu canard ou d'un vert amande. Toutes plus belles les unes que les autres.

A côté de lui, l'assureur parlait de la peine qu'il éprouvait à convaincre ses clients d'assurer leurs maisons de campagne.

Le Marquis de Dai était un petit homme malingre paré de dorures, comme sa femme qui, elle, tout à son contraire, était une imposante femme. Les deux mangeaient comme quatre et parlaient pour dix. La cinquantaine, peut-être plus, ils étaient de la vieille noblesse. La filiation était importante et, bien souvent, les tombes souterraines des aïeux étaient plus imposantes encore que celles des vivants, rivalant celles de son Agrabah natale. Il appréciait également les visiter. Elles faisaient partie intégrante de ce nouveau monde qu'il avait appris à connaître.

Troisième part de melon pour la marquise.

Sauron joignit ses mains dans une posture feinte d'intérêt.

Il allait craquer.

Peut-être devait il lui aussi goûter au melon avant que celui-ci ne disparaisse ?

Un brusque sursaut en bout de table  lui fit lever un sourcil. Des petits cris de surprise, puis plus forts ; de la peur. Une certaine agitation gagne les convives qui, pour certains, se levèrent.

La commotion avait pour origine l'imposante dame en bout de table - la marquise, la face tordue et suffocante.

Sauron ouvrit grand les yeux.

Un hoquet - son mari lui tapait frénétiquement le dos. Sauron, lui, posa les coudes sur la table. Subjugué.

Le petit marquis essayait tant bien que mal de lui faire recracher quantité de melon - ce qu'elle parvint, mais de toute évidence pas assez car elle retomba au milieu des restes de melons, morte.

Des cris, d'horreur pure, envahirent la salle.

Sauron se servit des litchis.