Comme une boule dans la gorge, une sensation étrange. La gravité semble se distordre autour de lui, l’écrasant de toute part. Ce n’est plus seulement le sol qui l’attire à lui, c’est le ciel, les arbres, l’air lui-même.

L’œil unique du fauve se perd dans le flou, regardant la paume de ses mains griffues. Il ne remarque rien d’autre, pas même l’eau douce derrière.

Se relevant doucement, l’eau ne cesse de s’agripper à sa fourrure. Devant lui, l'étendue d’une taille conséquente que représente le lac. L’eau si tranquille, reflète la lune dans un jeu de couleur argenté. Loin encore, derrière les arbres que forme la limite entre terre et flot, se démarquent les tours du château. Les grandes tours blanches s’élancent dans le ciel, les quelques fenêtres et autres meurtrières brillent de lueurs jaunâtres.

Il est de retour, le domaine, sa nouvelle demeure, lieu de ses responsabilités. Et pourtant, il a l’impression d’avoir perdu quelque chose en terre des dragons.

Plongeant à nouveau ses mains griffues dans l’eau, il en recueille une quantité non négligeable, qu’il laisse retomber sur sa tête. Elle est froide, il n’en a que faire. Le geste se répète, une première fois, puis une deuxième, autant de fois que nécessaire jusqu’à ce qu’il soit parfaitement humide.

Le ciel est parfaitement dégagé, il aurait préféré qu’il en soit autrement. Peu lui importe de voir les étoiles, et la face visible de la lune. Il veut l’orage, il veut le ciel grisonnant, il veut le regard de son dieu.

Car ce soir, il doit se repentir. Il aurait bien été tenté de jouer le jeu du Sanctum, de se confesser auprès d’un prêtre d’Etro, et de laisser tous ses soucis disparaître. De glisser comme il en a tant vu faire, un petit bout de parchemin dans une amulette à l’effigie d’une tortue, avant de la poser sur l’autel d’un temple. Mais ce sont des procédés pour autrui, et lui, par son rang de prêtre-guerrier, ne peut se satisfaire de si peu.

L’eau froide glisse à nouveau sur sa fourrure, imbibant les quelques poils encore sec. Là encore, il veut s’en tenir au rituel. Il aurait pu simplement plonger la tête dans le lac, qu’il en aurait gagné du temps. Mais cela ne suffirait pas. Ce qu’il a fait, aussi justifié qu’il puisse le prétendre, doit être pardonné. Qui pardonne ceux qui ne mettent aucun moyen dans leurs excuses ? Le ronso lui, n’en ferait pas partie.

Il ne prend même pas la peine de s’ébrouer, sortant doucement de l’eau, une patte à la fois. Seul sur la rive du bassin, il n’entend rien autour de lui. Pas de rire, pas de paroles, pas même le cri d’animaux. Il est tard, et personne ne semble sur le point de le déranger, parfait.

Le prêtre-guerrier ne tarde pas, debout de tout sa hauteur, le regard tourné vers le ciel, il ferme son œil unique.

Ses pensées vont à son précédent voyage, à cette honte qu’il a ressentie. Comment il a dû briser son vœu, comment il a dû parler en face de cette humaine. Était-elle digne ? Non, il ne la connaît pas, et pire, elle était un ennemi du Sanctum par sa position de consule. La honte ne tarde pas à se transformer en colère.

De la haine pour le sans-cœur qui lui a dérobé sa précieuse sphère. De la fureur pour cette impératrice qui l’a confronté dans une situation où il n’a pu que parler. Du courroux pour Sidhe, qui n’était pas là lorsqu’il en avait le plus besoin. Et plus que tout, du dépit pour lui-même, d’avoir enregistré ses maudites sphères avant tout.

Il mérite punition, et il se l'infligera lui-même. Que Rai soit témoin, il veut être un bon ronso, plus que tout. Comme le veut la tradition, il s’infligera le châtiment. Et si Rai le pardonne, il vivra pour travailler un autre jour en son nom.

Les mains du fauve ne tardent pas à se mettre en route, lentement, doucement. Les signes qu’il incante n’ont rien d’inédits, ce sont ceux qu’il utilise bien trop souvent dans ses affrontements. Le ciel, pourtant dénué de nuage, semble faire naître un microclimat. Un bref nuage, se formant au-dessus du fauve. Les crépitations ne tardent pas à se laisser entrevoir, entendre même. Tandis que les étincelles dansent le long de l’index griffue du ronso.

Comme proportionnel à sa colère, Bryke vient rompre l’enchaînement d’un geste sec. La foudre ne tarde pas, tombant avec fracas sur sa propre corne. La douleur est virulente, traversant le corps du prêtre-guerrier de haut en bas. Le choc est si soudain qu’il en tombe à genou, serrant les crocs.

Et pourtant, alors même qu’il halète. Ses mains reprennent la danse, répétant les mêmes signes, causant les mêmes effets. L’éclair tombe à nouveau, arrachant cette fois un grognement au fauve. Quelques volutes de fumées ne tardent pas à s’échapper de sa fourrure roussie. Même l’eau accumulée ne parvient plus à s’accrocher.

Mais son devoir est ainsi fait, et il ne peut s’arrêter en si bon chemin. Le nuage localisé ne tarde pas à crépiter à nouveau, sentant l’appel des mudras dansant quelques mètres plus bas. Cette fois-ci, la décharge se veut plus cruelle, tandis que le ronso tombe à quatre pattes.

Il est pris de plusieurs soubresauts tandis que l’électricité terrorise ses propres muscles. Sa vision est floue, son ouïe imprécise. Se retenant autant qu’il le peut, le fauve ne tarde pas à cracher sous plusieurs à-coup, manquant de s’étouffer par la même occasion.

Plusieurs touffes de poils ne tardent pas à se détacher, laissant entrevoir les cicatrices dessinées par le passage de son élément fétiche.

Se laissant retomber contre l’argile moite, il use de toutes ses forces pour relever à nouveau les bras. Sa vision chancelle, l’inconsciente n’étant pas bien loin. Le premier signe… Le deuxième…

Le fauve s’arrête un instant, contemplant ses mains griffues comme il le faisait quelques minutes plus tôt. Elles lui semblent dansantes sous la séquelle visuelle, une, deux, trois mains ? Non, il ne distingue plus. Ne pouvant plus se baser sur sa propre vue pour compléter la séquence, il ferme son œil. Cherchant en ses muscles atrophiés un semblant de mémoire, il vient joindre les mains en ce qu’il pense être le dernier mudra.

Que Rai le pardonne d’avoir brisé son vœu, que Etro lui pardonne d’avoir agi pour son peuple avant le Sanctum.

Il signe la confirmation, tandis que le fracas du tonnerre résonne à nouveau.

Il sombre dans l’inconscience.