Je vérifie une nouvelle fois mon gummi. Une heure du matin. Il y a du mouvement en bas. Comme si on avait décidé de déménagé le contenu de la maison au beau milieu de la nuit. Cela doit être Odile qui est rentré mais… pourquoi ferait-elle autant de bruit ? Reno est parti, je crois. Le casse-tête est toujours posé sur mes cuisses, j’ai dû m’endormir en essayant de le résoudre alors que le turk était encore là.
A tout moment, je m’attends à entendre les pas d’Odile monter dans les escaliers, mais non, on continue de claquer les portes, de poser des choses. Au bout d’un moment, des voix. Elle n’est pas toute seule donc. Je ne peux pas laisser quelque chose d’important se passer sans moi. Je soulève ma couverture et inspecte ma blessure, elle est toujours un peu noire mais je pense pouvoir me lever. Je pose mes pieds à terre, et essaie de me mettre debout. Les premiers instants sont un peu déstabilisants, la tête me tourne. J’attrape ensuite un long gilet que je mets au dessus de mon tee-shirt, enfile des chaussettes, et descends marche après marche, prenant garde de ne pas trop solliciter ma jambe. Il faut qu’elle guérisse vite.
Quand j’entre dans la pièce à vivre, l’espace a été repensé. La table de la cuisine et de la salle à manger ont été rassemblées de façon à faire une très longue table. Je tourne la tête vers le salon, je les trouve là, avec Rude, assis sur des coussins autour de la table basse, quelques bières disposées devant eux. Reno se retourne et remarque ma présence.
-Hey, t’es debout ?!
-Bonsoir, Nina.
-Ouais, euh… Odile n’est pas là ?
-Si, si, je suis là.
Odile apparaît, un sourire satisfait aux lèvres, elle me toise de bas en haut.
-Ca va, tu te sens mieux ?
-Hm. Ouais, je pense que ça va aller. Merci. A vous deux.
Je passe mon regard d’Odile à Reno. La gratitude n’est pas dans ma nature mais elle semble toute appropriée ici. Le simili s’approche de la table basse où les deux Turks sont assis et saisis une bière à son tour. C’est un détail mais j’avoue que cela me surprend un peu. C’est sans doute sa capacité à s’adapter à absolument toutes les situations et tous les gens qu’elles croisent.
-Bah viens t’asseoir, du coup.
Reno tapote un coussin près de lui. Je me contente de m’asseoir dans le divan en face d’eux, certainement plus confortable pour ma cuisse.
-J’ai commandé des pizzas, si tu veux. C’est tout ce qu’il y avait d’ouvert à cette heure. Elles devraient arriver bientôt.
-T’as payé avec quoi ?
-J’ai pas payé, tiens. Je vais pas utiliser la carte de la compagnie pour ça, j’suis pas complètement con. On paiera en liquide.
Il sort des pièces de son portefeuille et les étale sur la table comme un trophée. Rude hausse les épaules. Ils sont tous les deux dans une tenue plus… passe-partout. Exceptionnellement ils ont troqué leurs costumes pour des jeans et des sweat-shirts. Pour autant Rude n’a pas abandonné ses lunettes.
-Non, non, c’est moi qui vous ai invités, je régale.
Odile fait un mouvement de refus vers les munnies de Reno. Donc c’est elle qui est à l’initiative de cette réunion tardive. Elle retourne dans la cuisine, je décide de la suivre, qu’est-ce qu’elle peut bien faire dans cette cuisine alors que c’est soirée pizza ? Quand j’arrive, elle me tourne dos, la fenêtre est ouverte. Je parle assez bas pour qu’on ne m’entende pas.
-Pas que cela me dérange mais… pourquoi est-ce que tu les as invités ce soir ?
Elle se retourne vers moi, expirant une bouffée de fumée au dessus de nos têtes. C’était donc pour ça qu’elle était dans la cuisine.
-Tu fumes maintenant ?
Elle fronce les sourcils et baisse les yeux en tirant une nouvelle fois dedans.
-Juste quand je sors d’un truc nerveux, genre… comme ce soir par exemple.
-Raconte.
-Non, bah non, je te dirai quand on sera avec les autres.
C’est donc pour ça qu’ils sont là, pour que tu nous fasses un rapport. Elle émet un rire sceptique.
-Pas juste moi, Nina, toi aussi, faudrait que tu nous racontes ce qui s’est passé.
Je n’ai pas exactement le temps de lui raconter ça maintenant et de lui expliquer pourquoi je ne peux pas dire la vérité, on pourrait m’entendre.
-Bref, l’idée c’est de se faire un petit récapitulatif, pour savoir où on en est, et quelle stratégie adopter maintenant. Reno est celui qui a le plus de contact avec le Président, c’est aussi une manière de la mettre au courant de ce qui se passe.
Je la sens un peu plus las que d’habitude.
-Tu m’en veux, de t’avoir laissée y aller seule ?
Elle réfléchit quelques instants, le regard perdu dans l’obscurité du petit jardin.
-Non, enfin j’aurais préféré que ça n’arrive pas mais… tu n’y peux rien, je suppose. Puis,
-Puis ?
-Par moment, je suis contente d’être là, j’y prendrais presque goût. Puis il y aussi ces moments-là, où je me retrouve à devoir embrasser sa joue grasse … ou à m’écraser en excuses, alors, j’aimerais juste que cette histoire s’arrête.
A vrai dire, je suis presque surprise de l’entendre dire du bien de cette situation. Mais à bien y réfléchir, ce n’est pas si illogique, elle semble plutôt enthousiaste à participer à cette ambiance mi-camping mi-complot.
La sonnette retentit.
-C’est les pizzas, je vais payer.
Elle écrase sa cigarette sur l’appui de fenêtre et disparait de l’autre côté. Quelques instants plus tard, je retourne dans le salon. Reno est concentré sur son gummi tandis que Rude semble vérifier qu’il a bien son arme. Nous sommes rapidement rejoints par Odile qui dépose les cartons de deux grandes pizzas au milieu des deux hommes. Puis elle s’assied à son tour et saisit un morceau. Plein d’enthousiasme, Reno frappe dans ses mains.
-C’est que des pizzas, hein.
Rude reçoit aussitôt un coup de pied de son collègue dans le tibia.
-Hey, sois poli.
Ils se mettent tous les trois à manger et un silence s’installe, ponctué de quelques bruits de bouches et commentaires sur la qualité de la pizza. Quelques temps après, alors qu’il en reste encore, tout le monde semble rassasié. J’attends le moment où la discussion va démarrer.
-Alors ?
-Bon. Pour résumer… Comme je l’ai expliqué à Reno hier, en gros, je suis allée à Hill Valley. Là, j’ai découvert que c’étaient des hors-la-loi qui enlèvent des femmes, et même parfois des hommes et des enfants d’ailleurs. Leurs lieux de prédilection sont des fermes isolées, des diligences perdues au milieu du désert, ou encore, des réserves indiennes.
-Comment sais-tu que ce sont eux qui font affaire avec Abramo ?
-Il y a pas mal de rumeurs là dessus. Des étrangers qui viendraient régulièrement acheter leurs marchandises là-bas. Le problème c’est qu’ils fonctionnent par bandes, et qu’ils bougent beaucoup. Pour certains c’est presque devenus un métier mais….à moins de les pourchasser, bah, je ne vois pas comment on pourrait en retirer des preuves.
-Et toi, Nina, Agrabah ?
Je réfléchis quelques instants pour affiner un peu l’histoire que je m’apprête à leur inventer.
-J’ai enquêté à Agrabah pour savoir où je pourrais trouver un marchand d’esclave. On m’a renvoyée vers une oasis dans le désert. Là bas, j’y ai fait la rencontre d’un certain Monsieur Khalil auprès de qui j’ai prétendu être une proche d’Abramo qui souhaitait faire l’acquisition d’esclaves.
-Je la sens pas ton histoire.
Je grimace.
-Ouais… Bah le gars était mieux renseigné que je l’aurais cru, il m’a plus ou moins tendu un piège et il a compris que j’avais menti. Il m’a mise devant le fait accompli…
-Merde.
-Je ne pouvais pas risquer qu’ils mettent au courant Abramo qu’une femme avec ma description ait cherché à en savoir sur lui et sur ses importations humaines.
-Du coup ?
-Bah…
-Elle les a butés tiens.
Reno semble surpris.
-Toi, tu les as tués ? Ils étaient combien ?
-C’est…vraiment important ?
-Plutôt oui !
-6 je dirais…
En vérité, si on compte les esclaves, ils étaient plus, mais ils n’ont pas besoin de connaître l’ampleur du problème.
-Ok, très bien, et t’as fait quoi des corps ?
Je ne pense pas que Rude me suspecte, non, je pense qu’il cherche à vérifier que le travail a été bien fait et qu’on ne risque pas de se retrouver avec autre chose sur le dos.
-J’ai mis le feu au campement et… j’ai enterré les corps.
-Toute seule ?
-Oui.
-Où ça ?
-Un peu à l’écart de l’oasis, en bas d’une dune.
-Tu m’étonnes que t’étais morte en repartant !
-Non ça, c’était la lame. Il devait y avoir un charme dessus, j’imagine.
Je ne m’explique pas vraiment l’effet qu’elle a eu sur moi, si j’avais su ce que cela me ferait, j’aurais cherché à la ramener pour en connaître les pouvoirs. Rude croise les bras et semble réfléchir à la question. Je ne sais pas si j’ai réussi à le convaincre mais, il faudra bien qu’il croit à mon histoire.
-T’inquiète Rude, dans le sable, avec les tempêtes et tout, ils retrouveront jamais les corps !
-Ouais.
-Puis j’ai ramené ce casse-tête, donc, il est dans la chambre si jamais. Je suis pratiquement certaine que c’était là que Khalil cachaient toutes les preuves de ses transactions avec ses clients, dont Abramo.
-Donc, il faut le déchiffrer.
-Je pourrais le voir ?
-Ouais, je vais le chercher !
Odile se relève et disparait quelques instants, puis revient avec la petite boite qu’elle tend à Rude.
-C’est… un ou une… himitsu-bako.
-Hein ?
-Une boite à secrets japonaise, si tu préfères.
-Comme à SF ?
-Ouais, sauf que…c’est une très vieille tradition. Un savoir-faire qui remonte à des siècles.
-Putain, mais comment tu sais ça, toi ?
-Ca m’arrive de lire, moi, connard.
Le turk inspecte la boite sous tous les angles, la manipule, crée des pressions sur tous les côtés pour essayer de la faire réagir.
-Le principe c’est que… il y a une suite d’interactions à faire sur la boite, dans un certain ordre.
Clic. Il réussit à faire bouger une languette de bois de quelques millimètres. Le motif est si fin et soigné qu’il est impossible de dire où se situe les interactions possibles.
-Vous voyez ? Maintenant, je devrais pouvoir faire bouger un autre côté.
Il recommence à chercher un autre côté.
-C’est seulement en suivant le bon ordre qu’on peut débloquer les bonnes pièces. Et après un certain nombres d’étapes… On peut ouvrir la boite.
-Okay, mais pourquoi on force pas le truc. Ça irait plus vite non ?
-Oui, il se peut que ça marche, mais tu peux aussi du coup déchirer un truc à l’intérieur en agissant comme un gros bourrin, un truc qui va répandre une encre sur les papiers et ce sera fichu.
-D’accord ! Bon, Rude, tu gères le bakitsu, là. Odile, t’as autre chose à dire ? Comment ça s’est passé aujourd’hui ?
Elle passe ses deux mains dans ses cheveux pour les mettre en arrière puis soupire un bon coup.
-Bon, ce vieux connard était pas très content que tu viennes pas, évidemment. Sauf que… coup de bol, il attendait pas trop de monde ce soir. Juste Trotta et un politicien.
-Trotta c’est…?
-Le mec qui gère les autorisations pour la construction du Bloody Key.
-Okay.
-J’ai ainsi pu apprendre, aux détours d’une dispute entre eux, que non seulement Pavani avait fait commencer les travaux du Bloody sans avoir les autorisations, mais en plus que le bâtiment était presque terminé.
-Quoi ?!
-Ouais, apparemment, de ce que j’ai compris, le truc serait prêt à ouvrir assez prochainement, sous réserve d’avoir lesdites autorisations évidemment.
-Merde, ça précipite pas mal de trucs, ça.
-J’ai pensé que ça pourrait intéresser le Président. En bien ou en mal.
Elle tourne la tête vers moi à ce moment-là.
-Ok, autre chose ?
-Donc Trotta et le politicien, là, un conseiller communal ou quelque chose du genre, je pense, doivent faire en sorte que le permis soit donné au prochain conseil communal. Mais… à voir leurs têtes, ça n’avait pas l’air gagné.
-Bah en plus, s’ils ont enfreint la loi entre temps.
-Oui, c’est ce que je me suis dit aussi. Ah et aussi… Apparemment, le nom public du Bloody ce serait l’Asmodée.
-Le nom d’un des démons.
-Bordel, tu m’impressionnes ‘vieux, aujourd’hui. T’as jamais été aussi bavard. Mais donc, ok… L’Asmodée serait la face officielle du Bloody, un genre de trompe l’oeil pour donner le change au monde.
-Même si, de ce que j’ai compris, l’accès même à l’Asmodée serait très restreint.
-Ouais, ils peuvent pas prendre trop de risques.
-Et voilà.
Un dernier cliquetis et nous nous retournons tous vers Rude. Il fait glisser le couvercle délicatement, et nous découvrons à l’intérieur une liasse de papiers empilés et compressés sur lesquels on a écrit, en très petit, une multitude de choses. Le turk me tend lesdits papiers.
Je ne sais pas si je vais pouvoir y découvrir des éléments déterminants pour notre enquête mais… on ne sait jamais. Cela peut toujours étayer notre enquête.
[/color]A tout moment, je m’attends à entendre les pas d’Odile monter dans les escaliers, mais non, on continue de claquer les portes, de poser des choses. Au bout d’un moment, des voix. Elle n’est pas toute seule donc. Je ne peux pas laisser quelque chose d’important se passer sans moi. Je soulève ma couverture et inspecte ma blessure, elle est toujours un peu noire mais je pense pouvoir me lever. Je pose mes pieds à terre, et essaie de me mettre debout. Les premiers instants sont un peu déstabilisants, la tête me tourne. J’attrape ensuite un long gilet que je mets au dessus de mon tee-shirt, enfile des chaussettes, et descends marche après marche, prenant garde de ne pas trop solliciter ma jambe. Il faut qu’elle guérisse vite.
Quand j’entre dans la pièce à vivre, l’espace a été repensé. La table de la cuisine et de la salle à manger ont été rassemblées de façon à faire une très longue table. Je tourne la tête vers le salon, je les trouve là, avec Rude, assis sur des coussins autour de la table basse, quelques bières disposées devant eux. Reno se retourne et remarque ma présence.
-Hey, t’es debout ?!
-Bonsoir, Nina.
-Ouais, euh… Odile n’est pas là ?
-Si, si, je suis là.
Odile apparaît, un sourire satisfait aux lèvres, elle me toise de bas en haut.
-Ca va, tu te sens mieux ?
-Hm. Ouais, je pense que ça va aller. Merci. A vous deux.
Je passe mon regard d’Odile à Reno. La gratitude n’est pas dans ma nature mais elle semble toute appropriée ici. Le simili s’approche de la table basse où les deux Turks sont assis et saisis une bière à son tour. C’est un détail mais j’avoue que cela me surprend un peu. C’est sans doute sa capacité à s’adapter à absolument toutes les situations et tous les gens qu’elles croisent.
-Bah viens t’asseoir, du coup.
Reno tapote un coussin près de lui. Je me contente de m’asseoir dans le divan en face d’eux, certainement plus confortable pour ma cuisse.
-J’ai commandé des pizzas, si tu veux. C’est tout ce qu’il y avait d’ouvert à cette heure. Elles devraient arriver bientôt.
-T’as payé avec quoi ?
-J’ai pas payé, tiens. Je vais pas utiliser la carte de la compagnie pour ça, j’suis pas complètement con. On paiera en liquide.
Il sort des pièces de son portefeuille et les étale sur la table comme un trophée. Rude hausse les épaules. Ils sont tous les deux dans une tenue plus… passe-partout. Exceptionnellement ils ont troqué leurs costumes pour des jeans et des sweat-shirts. Pour autant Rude n’a pas abandonné ses lunettes.
-Non, non, c’est moi qui vous ai invités, je régale.
Odile fait un mouvement de refus vers les munnies de Reno. Donc c’est elle qui est à l’initiative de cette réunion tardive. Elle retourne dans la cuisine, je décide de la suivre, qu’est-ce qu’elle peut bien faire dans cette cuisine alors que c’est soirée pizza ? Quand j’arrive, elle me tourne dos, la fenêtre est ouverte. Je parle assez bas pour qu’on ne m’entende pas.
-Pas que cela me dérange mais… pourquoi est-ce que tu les as invités ce soir ?
Elle se retourne vers moi, expirant une bouffée de fumée au dessus de nos têtes. C’était donc pour ça qu’elle était dans la cuisine.
-Tu fumes maintenant ?
Elle fronce les sourcils et baisse les yeux en tirant une nouvelle fois dedans.
-Juste quand je sors d’un truc nerveux, genre… comme ce soir par exemple.
-Raconte.
-Non, bah non, je te dirai quand on sera avec les autres.
C’est donc pour ça qu’ils sont là, pour que tu nous fasses un rapport. Elle émet un rire sceptique.
-Pas juste moi, Nina, toi aussi, faudrait que tu nous racontes ce qui s’est passé.
Je n’ai pas exactement le temps de lui raconter ça maintenant et de lui expliquer pourquoi je ne peux pas dire la vérité, on pourrait m’entendre.
-Bref, l’idée c’est de se faire un petit récapitulatif, pour savoir où on en est, et quelle stratégie adopter maintenant. Reno est celui qui a le plus de contact avec le Président, c’est aussi une manière de la mettre au courant de ce qui se passe.
Je la sens un peu plus las que d’habitude.
-Tu m’en veux, de t’avoir laissée y aller seule ?
Elle réfléchit quelques instants, le regard perdu dans l’obscurité du petit jardin.
-Non, enfin j’aurais préféré que ça n’arrive pas mais… tu n’y peux rien, je suppose. Puis,
-Puis ?
-Par moment, je suis contente d’être là, j’y prendrais presque goût. Puis il y aussi ces moments-là, où je me retrouve à devoir embrasser sa joue grasse … ou à m’écraser en excuses, alors, j’aimerais juste que cette histoire s’arrête.
A vrai dire, je suis presque surprise de l’entendre dire du bien de cette situation. Mais à bien y réfléchir, ce n’est pas si illogique, elle semble plutôt enthousiaste à participer à cette ambiance mi-camping mi-complot.
La sonnette retentit.
-C’est les pizzas, je vais payer.
Elle écrase sa cigarette sur l’appui de fenêtre et disparait de l’autre côté. Quelques instants plus tard, je retourne dans le salon. Reno est concentré sur son gummi tandis que Rude semble vérifier qu’il a bien son arme. Nous sommes rapidement rejoints par Odile qui dépose les cartons de deux grandes pizzas au milieu des deux hommes. Puis elle s’assied à son tour et saisit un morceau. Plein d’enthousiasme, Reno frappe dans ses mains.
-C’est que des pizzas, hein.
Rude reçoit aussitôt un coup de pied de son collègue dans le tibia.
-Hey, sois poli.
Ils se mettent tous les trois à manger et un silence s’installe, ponctué de quelques bruits de bouches et commentaires sur la qualité de la pizza. Quelques temps après, alors qu’il en reste encore, tout le monde semble rassasié. J’attends le moment où la discussion va démarrer.
-Alors ?
-Bon. Pour résumer… Comme je l’ai expliqué à Reno hier, en gros, je suis allée à Hill Valley. Là, j’ai découvert que c’étaient des hors-la-loi qui enlèvent des femmes, et même parfois des hommes et des enfants d’ailleurs. Leurs lieux de prédilection sont des fermes isolées, des diligences perdues au milieu du désert, ou encore, des réserves indiennes.
-Comment sais-tu que ce sont eux qui font affaire avec Abramo ?
-Il y a pas mal de rumeurs là dessus. Des étrangers qui viendraient régulièrement acheter leurs marchandises là-bas. Le problème c’est qu’ils fonctionnent par bandes, et qu’ils bougent beaucoup. Pour certains c’est presque devenus un métier mais….à moins de les pourchasser, bah, je ne vois pas comment on pourrait en retirer des preuves.
-Et toi, Nina, Agrabah ?
Je réfléchis quelques instants pour affiner un peu l’histoire que je m’apprête à leur inventer.
-J’ai enquêté à Agrabah pour savoir où je pourrais trouver un marchand d’esclave. On m’a renvoyée vers une oasis dans le désert. Là bas, j’y ai fait la rencontre d’un certain Monsieur Khalil auprès de qui j’ai prétendu être une proche d’Abramo qui souhaitait faire l’acquisition d’esclaves.
-Je la sens pas ton histoire.
Je grimace.
-Ouais… Bah le gars était mieux renseigné que je l’aurais cru, il m’a plus ou moins tendu un piège et il a compris que j’avais menti. Il m’a mise devant le fait accompli…
-Merde.
-Je ne pouvais pas risquer qu’ils mettent au courant Abramo qu’une femme avec ma description ait cherché à en savoir sur lui et sur ses importations humaines.
-Du coup ?
-Bah…
-Elle les a butés tiens.
Reno semble surpris.
-Toi, tu les as tués ? Ils étaient combien ?
-C’est…vraiment important ?
-Plutôt oui !
-6 je dirais…
En vérité, si on compte les esclaves, ils étaient plus, mais ils n’ont pas besoin de connaître l’ampleur du problème.
-Ok, très bien, et t’as fait quoi des corps ?
Je ne pense pas que Rude me suspecte, non, je pense qu’il cherche à vérifier que le travail a été bien fait et qu’on ne risque pas de se retrouver avec autre chose sur le dos.
-J’ai mis le feu au campement et… j’ai enterré les corps.
-Toute seule ?
-Oui.
-Où ça ?
-Un peu à l’écart de l’oasis, en bas d’une dune.
-Tu m’étonnes que t’étais morte en repartant !
-Non ça, c’était la lame. Il devait y avoir un charme dessus, j’imagine.
Je ne m’explique pas vraiment l’effet qu’elle a eu sur moi, si j’avais su ce que cela me ferait, j’aurais cherché à la ramener pour en connaître les pouvoirs. Rude croise les bras et semble réfléchir à la question. Je ne sais pas si j’ai réussi à le convaincre mais, il faudra bien qu’il croit à mon histoire.
-T’inquiète Rude, dans le sable, avec les tempêtes et tout, ils retrouveront jamais les corps !
-Ouais.
-Puis j’ai ramené ce casse-tête, donc, il est dans la chambre si jamais. Je suis pratiquement certaine que c’était là que Khalil cachaient toutes les preuves de ses transactions avec ses clients, dont Abramo.
-Donc, il faut le déchiffrer.
-Je pourrais le voir ?
-Ouais, je vais le chercher !
Odile se relève et disparait quelques instants, puis revient avec la petite boite qu’elle tend à Rude.
-C’est… un ou une… himitsu-bako.
-Hein ?
-Une boite à secrets japonaise, si tu préfères.
-Comme à SF ?
-Ouais, sauf que…c’est une très vieille tradition. Un savoir-faire qui remonte à des siècles.
-Putain, mais comment tu sais ça, toi ?
-Ca m’arrive de lire, moi, connard.
Le turk inspecte la boite sous tous les angles, la manipule, crée des pressions sur tous les côtés pour essayer de la faire réagir.
-Le principe c’est que… il y a une suite d’interactions à faire sur la boite, dans un certain ordre.
Clic. Il réussit à faire bouger une languette de bois de quelques millimètres. Le motif est si fin et soigné qu’il est impossible de dire où se situe les interactions possibles.
-Vous voyez ? Maintenant, je devrais pouvoir faire bouger un autre côté.
Il recommence à chercher un autre côté.
-C’est seulement en suivant le bon ordre qu’on peut débloquer les bonnes pièces. Et après un certain nombres d’étapes… On peut ouvrir la boite.
-Okay, mais pourquoi on force pas le truc. Ça irait plus vite non ?
-Oui, il se peut que ça marche, mais tu peux aussi du coup déchirer un truc à l’intérieur en agissant comme un gros bourrin, un truc qui va répandre une encre sur les papiers et ce sera fichu.
-D’accord ! Bon, Rude, tu gères le bakitsu, là. Odile, t’as autre chose à dire ? Comment ça s’est passé aujourd’hui ?
Elle passe ses deux mains dans ses cheveux pour les mettre en arrière puis soupire un bon coup.
-Bon, ce vieux connard était pas très content que tu viennes pas, évidemment. Sauf que… coup de bol, il attendait pas trop de monde ce soir. Juste Trotta et un politicien.
-Trotta c’est…?
-Le mec qui gère les autorisations pour la construction du Bloody Key.
-Okay.
-J’ai ainsi pu apprendre, aux détours d’une dispute entre eux, que non seulement Pavani avait fait commencer les travaux du Bloody sans avoir les autorisations, mais en plus que le bâtiment était presque terminé.
-Quoi ?!
-Ouais, apparemment, de ce que j’ai compris, le truc serait prêt à ouvrir assez prochainement, sous réserve d’avoir lesdites autorisations évidemment.
-Merde, ça précipite pas mal de trucs, ça.
-J’ai pensé que ça pourrait intéresser le Président. En bien ou en mal.
Elle tourne la tête vers moi à ce moment-là.
-Ok, autre chose ?
-Donc Trotta et le politicien, là, un conseiller communal ou quelque chose du genre, je pense, doivent faire en sorte que le permis soit donné au prochain conseil communal. Mais… à voir leurs têtes, ça n’avait pas l’air gagné.
-Bah en plus, s’ils ont enfreint la loi entre temps.
-Oui, c’est ce que je me suis dit aussi. Ah et aussi… Apparemment, le nom public du Bloody ce serait l’Asmodée.
-Le nom d’un des démons.
-Bordel, tu m’impressionnes ‘vieux, aujourd’hui. T’as jamais été aussi bavard. Mais donc, ok… L’Asmodée serait la face officielle du Bloody, un genre de trompe l’oeil pour donner le change au monde.
-Même si, de ce que j’ai compris, l’accès même à l’Asmodée serait très restreint.
-Ouais, ils peuvent pas prendre trop de risques.
-Et voilà.
Un dernier cliquetis et nous nous retournons tous vers Rude. Il fait glisser le couvercle délicatement, et nous découvrons à l’intérieur une liasse de papiers empilés et compressés sur lesquels on a écrit, en très petit, une multitude de choses. Le turk me tend lesdits papiers.
Je ne sais pas si je vais pouvoir y découvrir des éléments déterminants pour notre enquête mais… on ne sait jamais. Cela peut toujours étayer notre enquête.