Une terre baignée de ténèbres, tu étais et tu resteras. Autrefois, j’ai pu penser que tu serais mienne, que je saurais m’élever dans les hautes sphères de ce monde et approcher du pouvoir avec majuscule. Puis j’ai goûté à la poussière de tes cachots, à la solitude que l’on y ressent, la faim, la fatigue, et c’est ainsi que la dureté de tes traitements m’ont fait découvrir l’un des pouvoirs que m’a offerts ma nature. Pour te fuir, j’ai pris le portail.
Il est peut-être temps de fuir à nouveau. Je reprends forme humaine et découvre autour de moi le plus profond chaos. Les tentes sont déchirées ou parties en cendres, des lambeaux enflammés virevoltent dans les airs. Des centaines de sans-coeurs m’entourent, ils sont de toutes formes. J’ai toujours supposé que si un sans-coeur était fort, c’était parce que les ténèbres étaient puissantes dans l’humain au moment de sa transformation. Et que donc, Odile, pas mon Odile, mais l’autre, l’humaine, était particulièrement touchée par les ténèbres. Mon Odile, elle, ne peut pas être obscure. Et en dépit de ses idées de vengeance, je crois qu’elle ne fait que suivre la dernière idée la plus puissante de l’Odile humaine. C’est plus une conviction intime qu’une rage réelle, ou tout du moins c’est ce que j’ai toujours pensé.
Je tombe à genoux. Cette transformation, ce que j’ai fait, tout ce que j’ai créé puis détruit autour de moi, ont eu raison de mes forces. La tête me tourne, ce n’est pas douloureux non, pas comme après ma dernière visite à l’étage 70, c’est assommant. Ma vision se brouille. Je force pour garder conscience, je ne peux pas rester là.
A force de m’être contrôlée et dominée trop longtemps, vient un temps où la nature reprend ses droits.
J’étais arrivée tôt dans l’après-midi, après quelques heures de voyage à dos de chameau, conduite par un guide. Lorsque nous nous étions assez approchés, il m’avait dit s’arrêter là, que lui ne pouvait pas aller plus loin. Puis il était parti, me disant qu’avec la boussole je devrais être capable de rejoindre Agrabah à nouveau. Cela ne m’avait pas réellement inquiétée, puisqu’il me restait toujours mon ultime échappatoire pour rentrer « à la maison ». J’avais été surprise de ne pas avoir eu de nouvelles d’Odile, mais j’étais trop concentrée sur le présent pour m’en soucier à nouveau plus de quelques secondes. Le soleil était… vraiment dur à présent, sans aucune ombre sous laquelle se cacher depuis des heures, sinon sous mes habits. J’avais bu un peu d’eau, pour me rafraichir plus que par besoin, et humidifié un linge que j’avais ensuite appliqué sur mon front, mes tempes et mes joues. C’était presque aussi plaisant qu’un lieu baigné par les ténèbres.
J’avais ensuite rejoint l’oasis et étais descendue de cette monture de fortune, que j’accrochai avec une certaine difficulté à un arbre près d’un point d’eau. Puis je m’étais approchée des tentes. Moi qui pensais avoir été discrète, je m’étais rapidement retrouvée encerclée d’hommes armés d’un sabre. Ils ne s’étaient pas montrés particulièrement menaçants mais… J’avais senti que j’avais tout intérêt à coopérer.
Je leur avais parlé de la raison de ma visite, que je souhaitais acheter des esclaves et ils m’avaient conduite à leurs supérieurs. Ceux-ci étaient installés dans de grandes et solides tentes. En entrant, j’avais été surprise par le luxe qui y régnait. Mais n’était-ce pas logique après tout, étant donné la nature de leurs activités ? De tous les côtés, j’avais pu y voir de très belles étoffes étalées, accrochées, des tapisseries suspendues, de l’argenterie, d’étranges coffres remplis de glace. Oui, de la glace dans le désert. L’homme qui était assis derrière son bureau et affalé sur sa chaise, présentait assez bien, un peu moins de quarante ans, le regard dur et incisif. On me permit d’approcher.
-On me dit que vous cherchez à acheter des esclaves.
-C’est exact.
-Comment avez-vous trouvé cet endroit ?
D’emblée, il s’était montré méfiant envers moi. C’était finalement assez logique, là également. C’était là qu’il fallait que j’essaie de placer l’homme dont Odile m’avait parlée.
-Un homme, appelé Abramo, m’a parlé d’un certain Khalil. Que je pourrais obtenir satisfaction auprès de lui. Aurais-je fait erreur ? Est-ce ainsi qu’on accueille ici ses futurs partenaires commerciaux ?
Il n’avait cessé de jouer avec un casse-tête entre ses doigts, posant de temps à autre son regard sur moi. Au bout d’un moment il s’était redressé, avait déposé l’objet sur la table et croisé les doigts devant son visage.
-Je suis Khalil, Madame. Et veuillez m’excuser si nos manières ne vous plaisent pas, elles sont nécessaires.
-Seriez-vous donc… vendeur ?
-Tout dépend de ce que vous cherchez. Mais je vous en prie, asseyez-vous.
Je m’étais focalisée sur la recherche d’information sur les affaires de Pavani et d’Abramo.
-Eh bien, pas le même genre que mon ami Abramo.
Il avait haussé un sourcil à cette évocation puis souri, il devait être un minimum au courant de quoi il retournait.
-Mais je serais curieuse de connaître les limites que vous vous imposez concernant vos clients.
Le scepticisme ou plutôt l’incrédulité avait parcouru son visage.
-Qu’entendez-vous par là ?
-Cela ne vous dérange pas de savoir que ces personnes que vous vendez sont destinées à …
-Je vous arrête tout de suite, cela ne me regarde pas. Appelez ça comme vous voulez, de la cruauté, le passé m’a montré qu’il faut savoir faire avec ce qu’on a. Et puisque la vie ne m’a pas beaucoup donné, moi et mes frères nous nous sommes hissés par nos propres moyens.
-Vous êtes donc plusieurs frères ?
-Absolument pas, c’est une façon de parler.
-Abramo m’avait bien renseignée, vous serez discret.
- Evidemment, il sait que je garde une certaine comptabilité de nos transactions et ces promesses de dettes bien au chaud, comme cela sera le cas avec vous. Mais ce sont plus des considérations comptables qu’humaines. Vous êtes libre de faire ce que vous voulez de vos… investissements.
J’avais cherché dans la tente où cette dite comptabilité pouvait bien être dissimulée. Il s’était soudainement levé et d’un geste de la main m’avait invité à faire de même.
-Venez, je vais vous montrer.
Il m’avait ensuite présenté tous ses « produits » non sans montrer une certaine fierté. Il y avait un peu de tout, des adolescentes, des femmes de tout âge, puis des hommes aussi. Ils étaient tous habillés de la même façon, dignement, mais leurs mines trahissaient un traitement infâme, que même moi, j’avais pu déceler.
-Lesquels vous intéressent ?
J’avais un peu choisi au hasard et demandé les prix. Il y avait un homme, et deux jeunes femmes. Un homme prenait note en écrivant des numéros sur un papier. Puis nous étions retournés à la tente où nous nous étions assis. J’espérais bien pouvoir différer cette transaction à plus tard, ou à jamais à vrai dire.
-Quand souhaitez-vous être livrée ?
-Dans deux semaines, le temps de me préparer à les…accueillir.
-Nous pouvons vous envoyer un vaisseau avec la marchandise dedans. Si vous voulez bien me laisser votre adresse.
Il me tendit un papier et un fusain. Je gribouillai une adresse à Costa, un nom de rue dont je me souvenais. Il y lit l’inscription.
-Vous êtes de Costa donc ? Comme… Abramo.
-En effet, c’est là que nous nous sommes connus.
-Vous connaissez peut-être Monsieur Pavani dans ce cas.
Je m’étais sentie… troublée de chercher à en savoir plus, j’avais l’impression d’être en train de perdre le contrôle. Pourtant il fallait que j’en apprenne plus.
-Je suis surprise que vous le connaissiez, vous.
Il avait repris son casse-tête et le remuait dans tous les sens. Pour peu j’aurais presque souhaité lui arracher pour le résoudre à sa place.
-De nom en vérité. Je sais quel genre d’homme c’est, puissant.
-Oui, et il travaille avec Abramo.
-En effet. C’est d’ailleurs son neveu.
-C’est vrai.
Son sourire s’était soudainement étendu sur sa bouche, il avait soufflé du nez, ricané puis… Quelle idiote, j’avais répondu sans trop réfléchir.
-Ce n’est pas vrai. Abramo, n’est pas son neveu.
-J’ai dit cela comme ça, j’avoue ne pas le connaître « si » bien.
Il s’était alors levé et dirigé vers la sortie où il avait fait un signe à ses hommes d’entrer. Quelques secondes plus tard, ils étaient trois en plus, armés et prêts à s’en prendre à moi.
-Je doute que vous le connaissiez tout court. Et la question, c’est pourquoi, dans ce cas ? Répondez.
Il avait fait signe à l’un de ses hommes d’approcher de moi, son sabre brandi en direction de ma gorge.
-Sur une simple erreur de lien de parenté, vous m’accusez ? Êtes-vous sérieux ?
-Absolument.
Tandis que je faisais mine de m’énerver, j’essayais tant bien que mal de trouver une échappatoire, mais elles s’amenuisaient au fur et à mesure que le temps passait.
-Abramo m’a toujours certifié qu’il me préviendrait s’il m’envoyait quelqu’un, et nous avons toujours procédé comme cela. Pourquoi changer aujourd’hui ? Et à vrai dire, je vous suspecte vous, de chercher à en apprendre plus sur nos transactions, étant donné la nature de vos questions. Mais cela ne sera pas possible, j’en suis… bien désolé.
J’avais alors, sans trop réfléchir, sorti mon arme de service sous les pans de ma robe et tiré dans tous les sens. Quelques secondes plus tard, un homme s’était pratiquement jeté sur moi et avait réussi à atteindre ma cuisse, y en enfonçant sa lame assez profondément. La blessure m’avait arraché un cri de douleur.
Un garde blessé, non loin de là, s’était mis à ramper pour rejoindre l’extérieur et donner l’alerte. Avec les détonations, j’avais été surprise que cela fût nécessaire. J’avais ensuite tiré sur lui à nouveau, l’atteignant à la tête. Mon arme m’avait alors indiqué par un cliquetis qu’elle était vide, je l’avais jetée à terre puis… fermé les yeux. Je ne pouvais pas laisser de trace.
Ils étaient alors apparus, par dizaines, les miens. Ils s’étaient chargés des hommes dans la tente, dans un premier temps puis étaient sortis à l’extérieur, sur mon ordre pour s’en prendre à toute âme présente en ce lieu. Il était trop tard pour essayer de sauver les meubles. Tout ce qu’il me fallait c’étaient des preuves. Je m’étais alors mise à fouiller le contenu de cette tente au milieu de ce grand chaos, regardant n’importe quel meuble, fouillant tous les tiroirs, sans rien trouver, pas de coffre fort, rien, jusqu’à trouver une petite boite. Une petite boite sans ouverture, sans clé, sans rien, mais suffisamment grande pour y accueillir des secrets, un carnet par exemple.
J’aurais pu la forcer, essayer de détruire ce petit conteneur étrange, mais j’avais cette certitude persistante que cela pourrait m’être préjudiciable. Je l’avais alors cachée puis j’étais sortie, pour m’assurer que le travail était bien fait.
Voilà, voilà comment j’en étais arrivée là. Ce qui aurait dû être une simple enquête avait totalement dérapé.
Je pose ma main sur ma cuisse. Il n’y a pas de sang mais la blessure est étonnamment douloureuse, comme si… Il faut que je rentre, mais je ne sais pas si je suis capable d’invoquer un nouveau portail. Pourtant, je n’ai pas le choix, je ne peux pas me permettre de rester ici.
Invoquant mes dernières forces, je fais apparaître le portail devant moi. Il est instable, vacillant, ses contours semblent prêts à céder à n’importe quel moment. Je me glisse dedans avec peine puis marche dans les ténèbres en boitant, ma vision continue de se troubler, je ne sais pas si c’est dû au fait d’avoir trop sollicité mes pouvoirs, ou autre chose mais… Par miracle, j’atteins l’autre côté, je crois atterrir sur mon lit, mais j’atterris lourdement à terre, à côté, couchée sur le flanc. Je me roule sur moi-même, gémissant de douleur. Et si le Président est là, et s’il me surprend dans cet état, il comprendra et…
Je prends mon gummiphone et tente d’envoyer un message désespéré à Odile, mais je ne discerne même pas les touches. Quelques temps plus tard, cinq minutes, une heure, ou une éternité, je l’ignore, je sens sa présence, puis sa main sur mon bras.
-Bon sang, Nina, qu’est-ce qui t’arrive ?
-Ma jambe.
Je ne parviens même plus à ouvrir les yeux, tout ce que je sens c’est que ça me brûle, puis que Odile la manipule pour inspecter l’entaille.
-Qu’est-ce que c’est ?
Ma tête s’engourdit intensément, et je sombre.
Il est peut-être temps de fuir à nouveau. Je reprends forme humaine et découvre autour de moi le plus profond chaos. Les tentes sont déchirées ou parties en cendres, des lambeaux enflammés virevoltent dans les airs. Des centaines de sans-coeurs m’entourent, ils sont de toutes formes. J’ai toujours supposé que si un sans-coeur était fort, c’était parce que les ténèbres étaient puissantes dans l’humain au moment de sa transformation. Et que donc, Odile, pas mon Odile, mais l’autre, l’humaine, était particulièrement touchée par les ténèbres. Mon Odile, elle, ne peut pas être obscure. Et en dépit de ses idées de vengeance, je crois qu’elle ne fait que suivre la dernière idée la plus puissante de l’Odile humaine. C’est plus une conviction intime qu’une rage réelle, ou tout du moins c’est ce que j’ai toujours pensé.
Je tombe à genoux. Cette transformation, ce que j’ai fait, tout ce que j’ai créé puis détruit autour de moi, ont eu raison de mes forces. La tête me tourne, ce n’est pas douloureux non, pas comme après ma dernière visite à l’étage 70, c’est assommant. Ma vision se brouille. Je force pour garder conscience, je ne peux pas rester là.
A force de m’être contrôlée et dominée trop longtemps, vient un temps où la nature reprend ses droits.
J’étais arrivée tôt dans l’après-midi, après quelques heures de voyage à dos de chameau, conduite par un guide. Lorsque nous nous étions assez approchés, il m’avait dit s’arrêter là, que lui ne pouvait pas aller plus loin. Puis il était parti, me disant qu’avec la boussole je devrais être capable de rejoindre Agrabah à nouveau. Cela ne m’avait pas réellement inquiétée, puisqu’il me restait toujours mon ultime échappatoire pour rentrer « à la maison ». J’avais été surprise de ne pas avoir eu de nouvelles d’Odile, mais j’étais trop concentrée sur le présent pour m’en soucier à nouveau plus de quelques secondes. Le soleil était… vraiment dur à présent, sans aucune ombre sous laquelle se cacher depuis des heures, sinon sous mes habits. J’avais bu un peu d’eau, pour me rafraichir plus que par besoin, et humidifié un linge que j’avais ensuite appliqué sur mon front, mes tempes et mes joues. C’était presque aussi plaisant qu’un lieu baigné par les ténèbres.
J’avais ensuite rejoint l’oasis et étais descendue de cette monture de fortune, que j’accrochai avec une certaine difficulté à un arbre près d’un point d’eau. Puis je m’étais approchée des tentes. Moi qui pensais avoir été discrète, je m’étais rapidement retrouvée encerclée d’hommes armés d’un sabre. Ils ne s’étaient pas montrés particulièrement menaçants mais… J’avais senti que j’avais tout intérêt à coopérer.
Je leur avais parlé de la raison de ma visite, que je souhaitais acheter des esclaves et ils m’avaient conduite à leurs supérieurs. Ceux-ci étaient installés dans de grandes et solides tentes. En entrant, j’avais été surprise par le luxe qui y régnait. Mais n’était-ce pas logique après tout, étant donné la nature de leurs activités ? De tous les côtés, j’avais pu y voir de très belles étoffes étalées, accrochées, des tapisseries suspendues, de l’argenterie, d’étranges coffres remplis de glace. Oui, de la glace dans le désert. L’homme qui était assis derrière son bureau et affalé sur sa chaise, présentait assez bien, un peu moins de quarante ans, le regard dur et incisif. On me permit d’approcher.
-On me dit que vous cherchez à acheter des esclaves.
-C’est exact.
-Comment avez-vous trouvé cet endroit ?
D’emblée, il s’était montré méfiant envers moi. C’était finalement assez logique, là également. C’était là qu’il fallait que j’essaie de placer l’homme dont Odile m’avait parlée.
-Un homme, appelé Abramo, m’a parlé d’un certain Khalil. Que je pourrais obtenir satisfaction auprès de lui. Aurais-je fait erreur ? Est-ce ainsi qu’on accueille ici ses futurs partenaires commerciaux ?
Il n’avait cessé de jouer avec un casse-tête entre ses doigts, posant de temps à autre son regard sur moi. Au bout d’un moment il s’était redressé, avait déposé l’objet sur la table et croisé les doigts devant son visage.
-Je suis Khalil, Madame. Et veuillez m’excuser si nos manières ne vous plaisent pas, elles sont nécessaires.
-Seriez-vous donc… vendeur ?
-Tout dépend de ce que vous cherchez. Mais je vous en prie, asseyez-vous.
Je m’étais focalisée sur la recherche d’information sur les affaires de Pavani et d’Abramo.
-Eh bien, pas le même genre que mon ami Abramo.
Il avait haussé un sourcil à cette évocation puis souri, il devait être un minimum au courant de quoi il retournait.
-Mais je serais curieuse de connaître les limites que vous vous imposez concernant vos clients.
Le scepticisme ou plutôt l’incrédulité avait parcouru son visage.
-Qu’entendez-vous par là ?
-Cela ne vous dérange pas de savoir que ces personnes que vous vendez sont destinées à …
-Je vous arrête tout de suite, cela ne me regarde pas. Appelez ça comme vous voulez, de la cruauté, le passé m’a montré qu’il faut savoir faire avec ce qu’on a. Et puisque la vie ne m’a pas beaucoup donné, moi et mes frères nous nous sommes hissés par nos propres moyens.
-Vous êtes donc plusieurs frères ?
-Absolument pas, c’est une façon de parler.
-Abramo m’avait bien renseignée, vous serez discret.
- Evidemment, il sait que je garde une certaine comptabilité de nos transactions et ces promesses de dettes bien au chaud, comme cela sera le cas avec vous. Mais ce sont plus des considérations comptables qu’humaines. Vous êtes libre de faire ce que vous voulez de vos… investissements.
J’avais cherché dans la tente où cette dite comptabilité pouvait bien être dissimulée. Il s’était soudainement levé et d’un geste de la main m’avait invité à faire de même.
-Venez, je vais vous montrer.
Il m’avait ensuite présenté tous ses « produits » non sans montrer une certaine fierté. Il y avait un peu de tout, des adolescentes, des femmes de tout âge, puis des hommes aussi. Ils étaient tous habillés de la même façon, dignement, mais leurs mines trahissaient un traitement infâme, que même moi, j’avais pu déceler.
-Lesquels vous intéressent ?
J’avais un peu choisi au hasard et demandé les prix. Il y avait un homme, et deux jeunes femmes. Un homme prenait note en écrivant des numéros sur un papier. Puis nous étions retournés à la tente où nous nous étions assis. J’espérais bien pouvoir différer cette transaction à plus tard, ou à jamais à vrai dire.
-Quand souhaitez-vous être livrée ?
-Dans deux semaines, le temps de me préparer à les…accueillir.
-Nous pouvons vous envoyer un vaisseau avec la marchandise dedans. Si vous voulez bien me laisser votre adresse.
Il me tendit un papier et un fusain. Je gribouillai une adresse à Costa, un nom de rue dont je me souvenais. Il y lit l’inscription.
-Vous êtes de Costa donc ? Comme… Abramo.
-En effet, c’est là que nous nous sommes connus.
-Vous connaissez peut-être Monsieur Pavani dans ce cas.
Je m’étais sentie… troublée de chercher à en savoir plus, j’avais l’impression d’être en train de perdre le contrôle. Pourtant il fallait que j’en apprenne plus.
-Je suis surprise que vous le connaissiez, vous.
Il avait repris son casse-tête et le remuait dans tous les sens. Pour peu j’aurais presque souhaité lui arracher pour le résoudre à sa place.
-De nom en vérité. Je sais quel genre d’homme c’est, puissant.
-Oui, et il travaille avec Abramo.
-En effet. C’est d’ailleurs son neveu.
-C’est vrai.
Son sourire s’était soudainement étendu sur sa bouche, il avait soufflé du nez, ricané puis… Quelle idiote, j’avais répondu sans trop réfléchir.
-Ce n’est pas vrai. Abramo, n’est pas son neveu.
-J’ai dit cela comme ça, j’avoue ne pas le connaître « si » bien.
Il s’était alors levé et dirigé vers la sortie où il avait fait un signe à ses hommes d’entrer. Quelques secondes plus tard, ils étaient trois en plus, armés et prêts à s’en prendre à moi.
-Je doute que vous le connaissiez tout court. Et la question, c’est pourquoi, dans ce cas ? Répondez.
Il avait fait signe à l’un de ses hommes d’approcher de moi, son sabre brandi en direction de ma gorge.
-Sur une simple erreur de lien de parenté, vous m’accusez ? Êtes-vous sérieux ?
-Absolument.
Tandis que je faisais mine de m’énerver, j’essayais tant bien que mal de trouver une échappatoire, mais elles s’amenuisaient au fur et à mesure que le temps passait.
-Abramo m’a toujours certifié qu’il me préviendrait s’il m’envoyait quelqu’un, et nous avons toujours procédé comme cela. Pourquoi changer aujourd’hui ? Et à vrai dire, je vous suspecte vous, de chercher à en apprendre plus sur nos transactions, étant donné la nature de vos questions. Mais cela ne sera pas possible, j’en suis… bien désolé.
J’avais alors, sans trop réfléchir, sorti mon arme de service sous les pans de ma robe et tiré dans tous les sens. Quelques secondes plus tard, un homme s’était pratiquement jeté sur moi et avait réussi à atteindre ma cuisse, y en enfonçant sa lame assez profondément. La blessure m’avait arraché un cri de douleur.
Un garde blessé, non loin de là, s’était mis à ramper pour rejoindre l’extérieur et donner l’alerte. Avec les détonations, j’avais été surprise que cela fût nécessaire. J’avais ensuite tiré sur lui à nouveau, l’atteignant à la tête. Mon arme m’avait alors indiqué par un cliquetis qu’elle était vide, je l’avais jetée à terre puis… fermé les yeux. Je ne pouvais pas laisser de trace.
Ils étaient alors apparus, par dizaines, les miens. Ils s’étaient chargés des hommes dans la tente, dans un premier temps puis étaient sortis à l’extérieur, sur mon ordre pour s’en prendre à toute âme présente en ce lieu. Il était trop tard pour essayer de sauver les meubles. Tout ce qu’il me fallait c’étaient des preuves. Je m’étais alors mise à fouiller le contenu de cette tente au milieu de ce grand chaos, regardant n’importe quel meuble, fouillant tous les tiroirs, sans rien trouver, pas de coffre fort, rien, jusqu’à trouver une petite boite. Une petite boite sans ouverture, sans clé, sans rien, mais suffisamment grande pour y accueillir des secrets, un carnet par exemple.
J’aurais pu la forcer, essayer de détruire ce petit conteneur étrange, mais j’avais cette certitude persistante que cela pourrait m’être préjudiciable. Je l’avais alors cachée puis j’étais sortie, pour m’assurer que le travail était bien fait.
Voilà, voilà comment j’en étais arrivée là. Ce qui aurait dû être une simple enquête avait totalement dérapé.
Je pose ma main sur ma cuisse. Il n’y a pas de sang mais la blessure est étonnamment douloureuse, comme si… Il faut que je rentre, mais je ne sais pas si je suis capable d’invoquer un nouveau portail. Pourtant, je n’ai pas le choix, je ne peux pas me permettre de rester ici.
Invoquant mes dernières forces, je fais apparaître le portail devant moi. Il est instable, vacillant, ses contours semblent prêts à céder à n’importe quel moment. Je me glisse dedans avec peine puis marche dans les ténèbres en boitant, ma vision continue de se troubler, je ne sais pas si c’est dû au fait d’avoir trop sollicité mes pouvoirs, ou autre chose mais… Par miracle, j’atteins l’autre côté, je crois atterrir sur mon lit, mais j’atterris lourdement à terre, à côté, couchée sur le flanc. Je me roule sur moi-même, gémissant de douleur. Et si le Président est là, et s’il me surprend dans cet état, il comprendra et…
Je prends mon gummiphone et tente d’envoyer un message désespéré à Odile, mais je ne discerne même pas les touches. Quelques temps plus tard, cinq minutes, une heure, ou une éternité, je l’ignore, je sens sa présence, puis sa main sur mon bras.
-Bon sang, Nina, qu’est-ce qui t’arrive ?
-Ma jambe.
Je ne parviens même plus à ouvrir les yeux, tout ce que je sens c’est que ça me brûle, puis que Odile la manipule pour inspecter l’entaille.
-Qu’est-ce que c’est ?
Ma tête s’engourdit intensément, et je sombre.