Je remets ses cheveux en place, lissant avec le plat de ma main le sommet de son crâne. A présent, rien ne pourrait laisser croire que… Pourtant si, je remarque quelques éclaboussures de sang sur son front.
Je me dirige vers la salle de bain et prends un linge humide puis je nettoie son front sans qu’elle réagisse, précautionneusement. Puis je passe un coup sur ses cheveux pour ne rien laisser paraître. Il faudra que je repasse pour vérifier les éventuelles autres traces de sang qui se seraient répandues dans la pièce.
J’imagine que plus Odile peut reporter notre rendez-vous, mieux elle se porte.
Soudain, le téléphone de la chambre sonne. Odile sursaute, je réfléchis quelques instants.
-Il faut que tu répondes.
-Pourquoi moi ?
Comment ça, pourquoi elle ? Elle semble vraiment… déconnectée. Ce n’était qu’un vieux connard, vraiment rien de dramatique à cela.
-Parce que lui, de toute évidence, ne peut plus le faire, et moi, je ne suis pas censée être ici. Dépêche.
Elle attrape le combiné à temps.
-Allo ?
-…
-Oui, c’est moi.
Je ne parviens pas à entendre la conversation, elle n’a pas activé le haut-parleur, je m’approche d’elle et du combiné.
-Monsieur Hick n’est pas là ?
Odile me jette un regard suppliant. Je lui fais un geste de la main pour l’inviter à poursuivre.
-Non, il… il prend un bain.
-D’accord. Dis-moi, tu ne saurais pas où est ta soeur ?
-Euh…Non. Mais nous avions rendez-vous avec…
-Oui, Monsieur Pavani, c’est justement pour ça que je t’appelle. Il est évident que Monsieur Hick est quelqu’un d’important mais… notre patron a nécessairement la préséance.
-Euh, oui… je suppose.
-Donc, tu y vas maintenant ? Si ta soeur n’est pas là, venez me trouver.
-Oui, d’accord.
Elle raccroche.
-Ok, très bien. Allons-y.
Elle me retient la main alors que je m’apprête à démarrer la marche.
-Tu es certaine que nous devons y aller ? On ne pourrait pas juste partir ? Cette histoire commence à aller beaucoup trop loin.
-Reprends-toi Odile. Toi et moi, on en a vu d’autres.
-C’est juste que…
-Que quoi ?
-Que je n’avais jamais été aussi impuissante depuis longtemps, avec pratiquement aucun moyen de me défendre sinon en risquant gros pour notre affaire. Regarde le résultat. Un homme a tout bonnement disparu. Et là, tu me demandes de me jeter dans un piège sans doute encore plus grand. Pavani ne sera pas seul, lui, dans son appartement. Tu ne pourras pas le tuer si jamais…
Elle me regarde, l’air dur et contrarié. Cela me rassure quant à sa capacité à rebondir, comme toujours, comme moi, tôt ou tard.
-Si cela arrive, et crois moi, ça n’arrivera pas : après quinze minutes, il ne restera pas coeur qui batte dans ce foutu penthouse, sois en sûre.
-Tu le feras ? Tu me le promets ?
Est-ce que je laisserai exploser mes ténèbres, libérant une vague de sans-coeurs exponentielles, annihilant l’âme de tous ces hommes, s’ils menacent de s’en prendre à nous ? Oui, si la fuite est impossible. C’était les consignes du Président non ? Préférer la fuite à l’affrontement. Seulement si c’est possible, évidemment. A l’impossible, nul n’est tenu.
Quelques minutes plus tard, nous nous trouvons devant la porte de la suite. Je jette un dernier regard vers Odile puis nous frappons. L’homme de main nous laisse rapidement entrer. Discrètement, je balaie l’entrée de mes yeux, comptant les différentes portes.
A mon grand regret, l’homme nous reconduit vers le séjour dans lequel nous avions déjà passé quelques instants. J’aurais préféré découvrir d’autres pièces pour approfondir mon enquête. Tant pis.
Pavani se lève à notre vue et nous invite à venir lui faire la bise, comme c’était le cas la première fois. Nous nous exécutons puis nous asseyons ensemble, sur la méridienne en face de son canapé. Au moins à cette distance… bref.
-Veuillez m’excuser pour hier soir, et également pour avoir retardé notre rendez-vous aujourd’hui. J’avais… quelques soucis à gérer.
Il grimace. Je repense au message du Président. Il n’est visiblement pas satisfait de l’issue de l’échange cet après-midi. Quel dommage.
-Pour me faire pardonner, me voici, et je serais ravi que nous arrivions à mieux nous connaître.
Son sourire s’élargit. Puis il fait l’outré.
-Enfin, pas de cette façon, non, pas de ça ici ! J’aime simplement la bonne compagnie. Une bonne conversation et.. un physique avenant.
Il passe son regard successivement sur Odile et puis sur moi. A quoi joue-t-il ?
-Dites m’en plus sur vous ! Et sur vos aspirations.
Odile reprend la main, puisque c’est son domaine. Je me rassure en entendant son jeu d’actrice revenir assez naturellement, chaleureuse et innocente.
-Nous venons de Port Royal, en fait. Nous y avons passé presque toute notre vie… Mais la vie y était assez dure comme vous pouvez vous en douter.
-Je le crois, je le crois !
-Du coup, à force de faire des petits boulots de couturières et de ménage pour les nobles, un jour, nous avons décidé de quitter la maison de nos parents pour prendre le large, si l’on peut dire. Nous avons économisé pour nous offrir le voyage et…
Je me lève, de façon impromptue. Surpris, il se retournent tous les deux vers moi.
-Quelque chose ne va pas ?
-Je… je souhaiterais me rafraichir… Je n’en ai pas eu l’occasion de toute la soirée et…
Pavani se lève péniblement et m’indique sa chambre.
-Eh bien, il y a une salle de bain, attenante à ma chambre.
-Non, je… je ne voudrais pas… enfin c’est votre intimité.
-Mais cela ne me dérange pas, enfin.
-Non, s’il vous plait, je ne préfère pas.
Pavani fait une grimace puis il hausse les épaules indifféremment.
-Très bien. Il y a une porte de l’autre coté du couloir à l’entrée, elle vous mènera à une autre salle de bain.
-Merci.
Je ferme derrière moi et me retrouve dans ce couloir. Il y a six portes, y compris celles dont je viens de sortir. Il y a la porte d’entrée aussi, il en reste quatre. La porte en face donne apparemment sur la salle de bain. Restent trois portes.
A travers l’une je sens une plus grande présence de coeurs, il doit bien y avoir quatre hommes à l’intérieur, il faudra que je termine par celle-ci.
Je regarde au dessus de moi. Il n’y a pas de caméra de surveillance ici contrairement à celle dans le salon de Pavani, qui laisse des angles morts. J’essaie d’avoir l’air le moins suspecte mais je n’ai pas beaucoup de temps. Je dois encore vérifier deux portes. En faisant le moins de bruit possible, j’actionne la clenche. C’est une chambre assez sommaire, avec très peu d’affaires, et très bien rangées. Peut-être celle de son homme de main. Je passe à la dernière porte, j’essaye de l’ouvrir mais elle me résiste.
Cela doit être une pièce plus importante dans ce cas.
Très bien. J’entre dans la salle de bain. Et actionne l’évier. Je vérifie qu’il n’y a pas de caméras ici. Encore heureux, ce n’est pas le cas. Puis je fais apparaître un portail de ténèbres, que je traverse. Avant d’en sortir, je regarde l’intérieur de la pièce. C’est un bureau. Il y fait sombre. Mais il y a bien une caméra de surveillance. Même avec l’obscurité je pourrais être vue. Je crée une petite boule de ténèbres noire que je vais voler dans les airs et se poser sur l’objectif de la caméra.
J’entre enfin. J’inspecte rapidement les lieux, je n’ai pas beaucoup de temps. Il y a un coffre-fort dans le fond, avec les informations les plus critiques sans doute. Il faudra peut-être que je revienne pour essayer d’y remédier, mais à un autre moment. Je prends la pièce en photo avec mon gummiphone. Puis je commence à fouiller les dossiers sur la table. Il est question de projets immobiliers. De nouveaux hôtels à Costa. Je prends en photo les différentes feuilles puis les range.
Ensuite j’ouvre un autre dossier sur lequel il est marqué « The bloody key ». A nouveau, il y a des plans, mais plus étranges. On dirait que c’est un nouveau club, en sous-sol, on peut voir les premiers visuels en 3D des salons avec des podiums pour des danseuses. C’est peut-être juste un club de strip-tease mais… ces petites cellules-là, réparties autour de la plus grande pièce en grand nombre, sur les plans, cela semble assez curieux. Il y a aussi une post-it sur lequel « Histoires de Grimm » est inscrit. Pense-t-il à faire un club là-bas ou est-ce autre chose ?
J’entends les discussions des hommes de l’autre côté du mur. Ils commencent à s’inquiéter de la panne de caméra. Je termine de tout photographier sur le fameux dossier, puis je le referme et range. L’instant d’après, je disparais dans le portail, alors que la clé actionne la serrure.
Ressortie du portail, je reprends mon souffle, appuyant une main sur le très grand lavabo. Je ne peux pas perdre trop de temps, c’est suspect. Les hommes sont toujours en train de fouiller le bureau. J’inspecte rapidement mon visage, j’ai l’air un peu plus fatiguée qu’avant, mais ce n’est pas bien grave. Je sors de la salle de bain alors que les deux portes sont encore ouvertes.
Deux hommes sont dans le couloir, ils parlent avec un troisième qui se trouve dans le bureau.
-Non bah, tout a l’air en règle.
Les deux hommes se retournent vers moi.
-On peut vous aider ?
-Non non, je … me rafraîchissais. Bonne soirée.
En passant, je jette un coup d’oeil dans la pièce où les quatre hommes se trouvaient précédemment. Un dernier homme s’y trouve encore, c’est l’homme de main que nous avons déjà rencontré à plusieurs reprises. Devant lui, il y a plusieurs écrans de surveillance. Dans un coin de la pièce il y a aussi une table avec visiblement les vestiges d’une partie de poker et des cendriers bien remplis. Je remarque aussi deux armes posées sur la table. Je ne m’éternise pas. Je reviens au salon, heureuse de constater que Odile et Pavani sont toujours sur des canapés distincts. Je fais un sourire entendu à ma soeur et remercie notre hôte pour sa gentillesse.
-Et donc, Alix, seriez-vous aussi d’accord d’avoir une affectation différente ?
Ne comprenant pas, je les interroge du regard, lui et Odile. Cette dernière me fait un sourire rassurant. J’imagine qu’il serait impoli de refuser.
-J’ai cru comprendre que vos talents n’étaient pas assez reconnus au club. Je ne voudrais pas les brider.
-Euh… oui, je suppose, si Elise le dit.
-Eh bien, il se trouve que je reçois assez régulièrement le soir, des amis, des mécènes de la ville, des gens importants, que j’aime mieux recevoir ici que dans le club. C’est plus… intime.
-Je vois.
-Cela vous plairait-il de travailler pour moi, ces soirs-là ? Vous vous occuperiez du service. Je pense que mes amis seront ravis d’assister à… ce réjouissant spectacle que vous nous faites tous les soirs au club. Et vous serez libres de circuler dans cet appartement à votre convenance. Je peux même préparer des chambres pour vous, si cela vous fait plaisir.
-Non… ce n’est pas nécessaire, nous sommes bien, là où nous sommes.
-Comme vous préférez.
-Donc, nous ne travaillerions plus au club ?
-Non, et vous travailleriez un soir sur deux, environ, mais je peux aussi vous appeler en urgence. Il va d’ailleurs falloir vous fournir un gummiphone. Et évidemment, vous seriez mieux payée qu’au club, c’est l’avantage de travailler directement pour le grand patron.
Il frappe sa poitrine de ses deux mains comme pour se mettre en avant. Pas que cela me réjouisse particulièrement, cela serait indubitablement un saut dans notre enquête. Et cela me donnerait l’occasion d’enquêter sur autre chose les autres jours.
-Eh bien… merci, merci vraiment, Monsieur Pavani.
J’affiche un sourire timide de mon cru, ce qui semble réjouir mon hôte.
-Oh, elle sourit.
-Uniquement quand elle est particulièrement satisfaite, Monsieur. N’est-ce pas, Alix ?
-Oui, Elise.
-Voilà qui est… très bien ! Eh bien mesdemoiselles, je ne vous retiens pas. Vous pourrez passer demain à l’hôtel pour que l’on vous donne tout ce dont vous avez besoin pour cette nouvelle affectation. Normalement, il n’y aura pas de soirée demain donc… vous pourrez vous reposer.
Quelques minutes plus tard, nous marchons dans la rue, côte à côte. Odile est silencieuse.
- Une soirée prolifique.
Elle grimace, puis se frictionne les bras, frissonnante.
-Oui enfin… si on oublie un détail en particulier.
-Je te l’ai dit, laisse-moi gérer. Non… on peut dire qu’on a toutes les deux bien avancé.
-Ah bon ?
-Eh bien, toi tu l’as convaincu de nous rapprocher de lui, ce qui veut dire qu’on va pouvoir enquêter sur lui plus sérieusement, et épier ses conversations avec ses « plus proches amis », et moi j’ai pu entrer dans son bureau.
Nous prenons la direction de la maison louée par le Président en vérifiant que nous ne sommes pas suivies.
-Tu as trouvé quelque chose d’intéressant ?
-Je ne sais pas si ça l’est réellement mais… intriguant certainement.
-Pourquoi ?
-Un truc en rapport avec « Histoires de Grimm » ?
-Hein ? Mais qu’est-ce que Pavani…?
-Justement, et le nom du projet… « The Bloody Key », ça te dit quelque chose ?
Odile réfléchit quelques instants. Ayant les souvenirs de la personne que nous étions, elle est bien plus à même de savoir ces choses-là.
-Pas que je me souvienne… Mais tu sais comme notre monde est vaste.
-Ton monde.
-Ne sois pas bête.
Je me dirige vers la salle de bain et prends un linge humide puis je nettoie son front sans qu’elle réagisse, précautionneusement. Puis je passe un coup sur ses cheveux pour ne rien laisser paraître. Il faudra que je repasse pour vérifier les éventuelles autres traces de sang qui se seraient répandues dans la pièce.
J’imagine que plus Odile peut reporter notre rendez-vous, mieux elle se porte.
Soudain, le téléphone de la chambre sonne. Odile sursaute, je réfléchis quelques instants.
-Il faut que tu répondes.
-Pourquoi moi ?
Comment ça, pourquoi elle ? Elle semble vraiment… déconnectée. Ce n’était qu’un vieux connard, vraiment rien de dramatique à cela.
-Parce que lui, de toute évidence, ne peut plus le faire, et moi, je ne suis pas censée être ici. Dépêche.
Elle attrape le combiné à temps.
-Allo ?
-…
-Oui, c’est moi.
Je ne parviens pas à entendre la conversation, elle n’a pas activé le haut-parleur, je m’approche d’elle et du combiné.
-Monsieur Hick n’est pas là ?
Odile me jette un regard suppliant. Je lui fais un geste de la main pour l’inviter à poursuivre.
-Non, il… il prend un bain.
-D’accord. Dis-moi, tu ne saurais pas où est ta soeur ?
-Euh…Non. Mais nous avions rendez-vous avec…
-Oui, Monsieur Pavani, c’est justement pour ça que je t’appelle. Il est évident que Monsieur Hick est quelqu’un d’important mais… notre patron a nécessairement la préséance.
-Euh, oui… je suppose.
-Donc, tu y vas maintenant ? Si ta soeur n’est pas là, venez me trouver.
-Oui, d’accord.
Elle raccroche.
-Ok, très bien. Allons-y.
Elle me retient la main alors que je m’apprête à démarrer la marche.
-Tu es certaine que nous devons y aller ? On ne pourrait pas juste partir ? Cette histoire commence à aller beaucoup trop loin.
-Reprends-toi Odile. Toi et moi, on en a vu d’autres.
-C’est juste que…
-Que quoi ?
-Que je n’avais jamais été aussi impuissante depuis longtemps, avec pratiquement aucun moyen de me défendre sinon en risquant gros pour notre affaire. Regarde le résultat. Un homme a tout bonnement disparu. Et là, tu me demandes de me jeter dans un piège sans doute encore plus grand. Pavani ne sera pas seul, lui, dans son appartement. Tu ne pourras pas le tuer si jamais…
Elle me regarde, l’air dur et contrarié. Cela me rassure quant à sa capacité à rebondir, comme toujours, comme moi, tôt ou tard.
-Si cela arrive, et crois moi, ça n’arrivera pas : après quinze minutes, il ne restera pas coeur qui batte dans ce foutu penthouse, sois en sûre.
-Tu le feras ? Tu me le promets ?
Est-ce que je laisserai exploser mes ténèbres, libérant une vague de sans-coeurs exponentielles, annihilant l’âme de tous ces hommes, s’ils menacent de s’en prendre à nous ? Oui, si la fuite est impossible. C’était les consignes du Président non ? Préférer la fuite à l’affrontement. Seulement si c’est possible, évidemment. A l’impossible, nul n’est tenu.
Quelques minutes plus tard, nous nous trouvons devant la porte de la suite. Je jette un dernier regard vers Odile puis nous frappons. L’homme de main nous laisse rapidement entrer. Discrètement, je balaie l’entrée de mes yeux, comptant les différentes portes.
A mon grand regret, l’homme nous reconduit vers le séjour dans lequel nous avions déjà passé quelques instants. J’aurais préféré découvrir d’autres pièces pour approfondir mon enquête. Tant pis.
Pavani se lève à notre vue et nous invite à venir lui faire la bise, comme c’était le cas la première fois. Nous nous exécutons puis nous asseyons ensemble, sur la méridienne en face de son canapé. Au moins à cette distance… bref.
-Veuillez m’excuser pour hier soir, et également pour avoir retardé notre rendez-vous aujourd’hui. J’avais… quelques soucis à gérer.
Il grimace. Je repense au message du Président. Il n’est visiblement pas satisfait de l’issue de l’échange cet après-midi. Quel dommage.
-Pour me faire pardonner, me voici, et je serais ravi que nous arrivions à mieux nous connaître.
Son sourire s’élargit. Puis il fait l’outré.
-Enfin, pas de cette façon, non, pas de ça ici ! J’aime simplement la bonne compagnie. Une bonne conversation et.. un physique avenant.
Il passe son regard successivement sur Odile et puis sur moi. A quoi joue-t-il ?
-Dites m’en plus sur vous ! Et sur vos aspirations.
Odile reprend la main, puisque c’est son domaine. Je me rassure en entendant son jeu d’actrice revenir assez naturellement, chaleureuse et innocente.
-Nous venons de Port Royal, en fait. Nous y avons passé presque toute notre vie… Mais la vie y était assez dure comme vous pouvez vous en douter.
-Je le crois, je le crois !
-Du coup, à force de faire des petits boulots de couturières et de ménage pour les nobles, un jour, nous avons décidé de quitter la maison de nos parents pour prendre le large, si l’on peut dire. Nous avons économisé pour nous offrir le voyage et…
Je me lève, de façon impromptue. Surpris, il se retournent tous les deux vers moi.
-Quelque chose ne va pas ?
-Je… je souhaiterais me rafraichir… Je n’en ai pas eu l’occasion de toute la soirée et…
Pavani se lève péniblement et m’indique sa chambre.
-Eh bien, il y a une salle de bain, attenante à ma chambre.
-Non, je… je ne voudrais pas… enfin c’est votre intimité.
-Mais cela ne me dérange pas, enfin.
-Non, s’il vous plait, je ne préfère pas.
Pavani fait une grimace puis il hausse les épaules indifféremment.
-Très bien. Il y a une porte de l’autre coté du couloir à l’entrée, elle vous mènera à une autre salle de bain.
-Merci.
Je ferme derrière moi et me retrouve dans ce couloir. Il y a six portes, y compris celles dont je viens de sortir. Il y a la porte d’entrée aussi, il en reste quatre. La porte en face donne apparemment sur la salle de bain. Restent trois portes.
A travers l’une je sens une plus grande présence de coeurs, il doit bien y avoir quatre hommes à l’intérieur, il faudra que je termine par celle-ci.
Je regarde au dessus de moi. Il n’y a pas de caméra de surveillance ici contrairement à celle dans le salon de Pavani, qui laisse des angles morts. J’essaie d’avoir l’air le moins suspecte mais je n’ai pas beaucoup de temps. Je dois encore vérifier deux portes. En faisant le moins de bruit possible, j’actionne la clenche. C’est une chambre assez sommaire, avec très peu d’affaires, et très bien rangées. Peut-être celle de son homme de main. Je passe à la dernière porte, j’essaye de l’ouvrir mais elle me résiste.
Cela doit être une pièce plus importante dans ce cas.
Très bien. J’entre dans la salle de bain. Et actionne l’évier. Je vérifie qu’il n’y a pas de caméras ici. Encore heureux, ce n’est pas le cas. Puis je fais apparaître un portail de ténèbres, que je traverse. Avant d’en sortir, je regarde l’intérieur de la pièce. C’est un bureau. Il y fait sombre. Mais il y a bien une caméra de surveillance. Même avec l’obscurité je pourrais être vue. Je crée une petite boule de ténèbres noire que je vais voler dans les airs et se poser sur l’objectif de la caméra.
J’entre enfin. J’inspecte rapidement les lieux, je n’ai pas beaucoup de temps. Il y a un coffre-fort dans le fond, avec les informations les plus critiques sans doute. Il faudra peut-être que je revienne pour essayer d’y remédier, mais à un autre moment. Je prends la pièce en photo avec mon gummiphone. Puis je commence à fouiller les dossiers sur la table. Il est question de projets immobiliers. De nouveaux hôtels à Costa. Je prends en photo les différentes feuilles puis les range.
Ensuite j’ouvre un autre dossier sur lequel il est marqué « The bloody key ». A nouveau, il y a des plans, mais plus étranges. On dirait que c’est un nouveau club, en sous-sol, on peut voir les premiers visuels en 3D des salons avec des podiums pour des danseuses. C’est peut-être juste un club de strip-tease mais… ces petites cellules-là, réparties autour de la plus grande pièce en grand nombre, sur les plans, cela semble assez curieux. Il y a aussi une post-it sur lequel « Histoires de Grimm » est inscrit. Pense-t-il à faire un club là-bas ou est-ce autre chose ?
J’entends les discussions des hommes de l’autre côté du mur. Ils commencent à s’inquiéter de la panne de caméra. Je termine de tout photographier sur le fameux dossier, puis je le referme et range. L’instant d’après, je disparais dans le portail, alors que la clé actionne la serrure.
Ressortie du portail, je reprends mon souffle, appuyant une main sur le très grand lavabo. Je ne peux pas perdre trop de temps, c’est suspect. Les hommes sont toujours en train de fouiller le bureau. J’inspecte rapidement mon visage, j’ai l’air un peu plus fatiguée qu’avant, mais ce n’est pas bien grave. Je sors de la salle de bain alors que les deux portes sont encore ouvertes.
Deux hommes sont dans le couloir, ils parlent avec un troisième qui se trouve dans le bureau.
-Non bah, tout a l’air en règle.
Les deux hommes se retournent vers moi.
-On peut vous aider ?
-Non non, je … me rafraîchissais. Bonne soirée.
En passant, je jette un coup d’oeil dans la pièce où les quatre hommes se trouvaient précédemment. Un dernier homme s’y trouve encore, c’est l’homme de main que nous avons déjà rencontré à plusieurs reprises. Devant lui, il y a plusieurs écrans de surveillance. Dans un coin de la pièce il y a aussi une table avec visiblement les vestiges d’une partie de poker et des cendriers bien remplis. Je remarque aussi deux armes posées sur la table. Je ne m’éternise pas. Je reviens au salon, heureuse de constater que Odile et Pavani sont toujours sur des canapés distincts. Je fais un sourire entendu à ma soeur et remercie notre hôte pour sa gentillesse.
-Et donc, Alix, seriez-vous aussi d’accord d’avoir une affectation différente ?
Ne comprenant pas, je les interroge du regard, lui et Odile. Cette dernière me fait un sourire rassurant. J’imagine qu’il serait impoli de refuser.
-J’ai cru comprendre que vos talents n’étaient pas assez reconnus au club. Je ne voudrais pas les brider.
-Euh… oui, je suppose, si Elise le dit.
-Eh bien, il se trouve que je reçois assez régulièrement le soir, des amis, des mécènes de la ville, des gens importants, que j’aime mieux recevoir ici que dans le club. C’est plus… intime.
-Je vois.
-Cela vous plairait-il de travailler pour moi, ces soirs-là ? Vous vous occuperiez du service. Je pense que mes amis seront ravis d’assister à… ce réjouissant spectacle que vous nous faites tous les soirs au club. Et vous serez libres de circuler dans cet appartement à votre convenance. Je peux même préparer des chambres pour vous, si cela vous fait plaisir.
-Non… ce n’est pas nécessaire, nous sommes bien, là où nous sommes.
-Comme vous préférez.
-Donc, nous ne travaillerions plus au club ?
-Non, et vous travailleriez un soir sur deux, environ, mais je peux aussi vous appeler en urgence. Il va d’ailleurs falloir vous fournir un gummiphone. Et évidemment, vous seriez mieux payée qu’au club, c’est l’avantage de travailler directement pour le grand patron.
Il frappe sa poitrine de ses deux mains comme pour se mettre en avant. Pas que cela me réjouisse particulièrement, cela serait indubitablement un saut dans notre enquête. Et cela me donnerait l’occasion d’enquêter sur autre chose les autres jours.
-Eh bien… merci, merci vraiment, Monsieur Pavani.
J’affiche un sourire timide de mon cru, ce qui semble réjouir mon hôte.
-Oh, elle sourit.
-Uniquement quand elle est particulièrement satisfaite, Monsieur. N’est-ce pas, Alix ?
-Oui, Elise.
-Voilà qui est… très bien ! Eh bien mesdemoiselles, je ne vous retiens pas. Vous pourrez passer demain à l’hôtel pour que l’on vous donne tout ce dont vous avez besoin pour cette nouvelle affectation. Normalement, il n’y aura pas de soirée demain donc… vous pourrez vous reposer.
Quelques minutes plus tard, nous marchons dans la rue, côte à côte. Odile est silencieuse.
- Une soirée prolifique.
Elle grimace, puis se frictionne les bras, frissonnante.
-Oui enfin… si on oublie un détail en particulier.
-Je te l’ai dit, laisse-moi gérer. Non… on peut dire qu’on a toutes les deux bien avancé.
-Ah bon ?
-Eh bien, toi tu l’as convaincu de nous rapprocher de lui, ce qui veut dire qu’on va pouvoir enquêter sur lui plus sérieusement, et épier ses conversations avec ses « plus proches amis », et moi j’ai pu entrer dans son bureau.
Nous prenons la direction de la maison louée par le Président en vérifiant que nous ne sommes pas suivies.
-Tu as trouvé quelque chose d’intéressant ?
-Je ne sais pas si ça l’est réellement mais… intriguant certainement.
-Pourquoi ?
-Un truc en rapport avec « Histoires de Grimm » ?
-Hein ? Mais qu’est-ce que Pavani…?
-Justement, et le nom du projet… « The Bloody Key », ça te dit quelque chose ?
Odile réfléchit quelques instants. Ayant les souvenirs de la personne que nous étions, elle est bien plus à même de savoir ces choses-là.
-Pas que je me souvienne… Mais tu sais comme notre monde est vaste.
-Ton monde.
-Ne sois pas bête.