-Bon, lequel y va en éclaireur pour poser des questions ?
Avec Rude, nous tournons la tête vers notre interlocuteur assis sur le siège passagé les genoux appuyés sur le tableau de bord
-Quoi ? Vous êtes sérieux ? Mais je suis le plus populaire de la bande, ils vont forcément me reconnaître. L’opération va être cramée avant d’avoir commencé.
-T’as pas tort.
-Puis toi, Nina, tu peux pas y aller, c’est risqué, on pourrait te reconnaître. Si c’est un Coop entre la police et notre gars, y’a forcément bien dix gars qui sont en train de chercher dans toute la ville. Du couuuup…
Techniquement, ce n’est pas totalement exact. Si je le voulais, je pourrais y aller sans me faire reconnaître. Reno adresse un très large et blanc sourire à son binôme.
-Hmmm… On sait tous les deux que je suis n…
-Pas le choix ! Je suis une star, les gens vont me reconnaître. Si ils savent qu’on est de la Shinra, c’est mort, on apprendra rien à l’amiable.
-Bon ok, qu’est-ce que je dis ?
-Oh bah je sais pas moi, tu prétends que t’es le frère de la victime et que tu veux des détails sur l’accident ?
-Son frère ? Tu m’as bien regardé ?
C’est vrai que la ressemblance entre Scarlett n’était pas frappante. Nous réfléchissons quelques secondes.
-Tu peux dire que tu viens de la part du magasin de lingerie. Que tu travailles pour la sécurité du magasin et que tu veux des infos sur les personnes qui sont responsables de ce, entre guillemets, braquage.
-Ouais c’est pas mal.
-Et si on me répond pas ?
-Bah tu pètes un câble.
-Quoi ?
-Il a raison, si tu donnes un coup de pied dans la fourmilière, il y a de bonnes chances pour que les gens soient nerveux.
-Et qu’ils fassent de la merde.
-Ok, j’y vais.
Nous sommes garés au coin de la rue en face parmi d’autres voitures. Nous sommes positionnés de façon à pouvoir voir à peu près ce qui se passe dans le commissariat et les vitres de la voiture sont teintées.
-Par contre, essaie de pas te faire arrêter. Et laisse ton arme ici. Si jamais ‘faut intervenir, on n’est pas loin.
Rude se met en marche et traverse la rue juste devant nos yeux. Nous le suivons du regard jusqu’à ce qu’il entre dans le bâtiment. Une pluie légère s’abat sur le pare-brise à intervalle-régulier. Pendant quelques secondes, nous restons là, silencieux, comme si nous nous attendions à ce que le bâtiment explose.
-Tu crois vraiment qu’on va devoir intervenir ?
-Non, j’pense pas. Déjà parce que j’espère bien qu’il va pas se faire griller, ensuite parce qu’on peut pas se permettre de se mettre à dos les autorités de ce monde, sauf cas extrême. Donc, si j’interviens c’est parce que quelqu’un braque son flingue sur mon pote.
-Et s’il se fait arrêter ?
-Le Président a toute une panoplie de bureaucrates pour gérer les problèmes de ce genre.
-Ok, qu’est-ce qu’on fait s’il revient sans information ?
-Tout dépend de ce qu’il nous dit.
Environ vingt minutes plus tard, alors que le soleil se couche, que la rue devient sombre et que les enseignes s’allument sur les bâtiments, nous voyons notre espion revenir. Je remarque que Reno se relâche instantanément. Son rythme cardiaque redevient à peu près normal. Rude entre dans la voiture et démarre immédiatement la voiture sans rien dire.
-Qu’est-ce que tu fais ?
-Je sais pas. Je les ai trouvés bizarres. Ils avaient pas l’air surpris que je vienne péter un câble, au début, ils s’en foutaient, et il a vraiment fallu que je commence à jeter des trucs à terre pour que…
-Hein ? T’as fait quoi ?
-Rien. J’ai juste donné un coup de pied dans une armoire et j’ai fait tomber une plante par terre.
Il le dit le plus naturellement du monde. Connaissant la susceptibilité de certaines autorités, je n’aurais pas forcément pris ce risque mais je suppose qu’il en impose plus que moi. Rude fait tourner la voiture à droite et roule quelques centaines de mètres, s’enfonçant un peu plus dans la ville. Je remarque qu’il regarde régulièrement ses rétroviseurs pour s’assurer que nous ne sommes pas suivis.
-Donc tu crois qu’on est grillés ?
-Non, mais je pense qu’ils vont être d’autant plus vigilants à partir de maintenant.
-Qu’est-ce que t’as pu obtenir comme info ?
-Bah, j’ai fait ce que vous m’avez dit. J’ai parlé du magasin, puis j’ai parlé de l’accident. Et tu sais ce qu’on m’a dit ? Que les deux affaires n’avait rien à voir.
-Quoi ? Mais ils sont cons ?
-Ils sont obligés de continuer à dire que c’était juste un accident de voiture, s’ils font le lien entre les deux faits, c’est compliqué d’étouffer les deux morts. Ah, puis ils ont dit que ça avait été causé par une apparition de sans-coeurs.
-Des sans-coeurs ? A Costa ? Mon cul, ouais.
-Et qu’est-ce qu’ils ont dit pour le magasin ?
-Qu’ils « nous » avaient déjà appelés pour nous demander de rester discrets sur cette affaire et de ne pas contacter les médias, le temps de l’enquête. C’est pour ça que je me suis dit qu’il valait mieux s’éloigner. Je me suis dit qu’ils avaient peut-être compris que je venais pas de la part de la boutique.
Il fait un créneau dans une petite rue tranquille à sens unique. Si quelqu’un nous suit jusque là, on le verra forcément arriver.
-Bon. On a presque rien. Qu’est-ce qu’on fait ?
-Faut y retourner.
-Ouais, mais tant qu’à faire je préférerais que Rude y retourne pas. Il est grillé maintenant Non, toi tu restes au volant et tu viens nous chercher dès que je t’envoie un message. Le code ce sera Survet et costumes… Et tu te pointes à proximité du commissariat, mais pas trop en évidence non plus, à moins que je te le dise texto. Et Nina, bah… toujours le même problème hein. T’es sûrement recherchée.
-Je suis pratiquement certaine de parvenir à me faufiler à l’intérieur sans être vue.
-Sûre ?
-Ok, mais qu’est-ce que vous faites une fois à l’intérieur ?
J’ai besoin qu’on ne soit pas ensemble pour faire ce que j’ai l’intention de faire.
-T’as qu’à rentrer par l’arrière, il y a toujours une fenêtre mal fermée dans ces bâtiments. Puis, la nuit tombe, les gens vont rentrer chez eux.
-Et toi ?
-Je garde mes trucs pour moi.
-T’es sérieuse ? T’espères que je vais me contenter de ça ?
Je souris audacieusement.
-Il va falloir que tu t’en contentes.
-Ouais, mais, ça te rend d’autant plus suspecte. Alors ‘vaut mieux pour toi que tu reviennes avec des infos intéressantes.
J’essaie de déchiffrer son expression. Entend-il par là qu’il y a des suspicions me concernant dans cette affaire ? Je ne me risque pas à poser cette question, je hoche la tête. Je ne comptais pas revenir les mains vides de toute façon.
Quelques minutes plus tard, Reno a disparu dans les rues qui contournent le bâtiment. Je me trouve dans une rue parallèle, plutôt calme. J’attends qu’il n’y ait plus rien à signaler et je me faufile dans une impasse dans laquelle personne ne devait m’apercevoir. A l’ombre des murs, je prends l’apparence d’une jeune femme que j’ai rencontrée un peu plus tôt dans la journée et dont l’apparence est encore fraîche dans ma tête. Cela fait très longtemps que je n’ai plus pris l’apparence de quelqu’un d’autre, c’est un pouvoir dont il est finalement assez difficile de se servir sans prendre de risque. Et puisque j’en prends déjà pas mal de base de par ma nature, j’évite au maximum. Et j’aimerais autant que mon employeur n’en sache rien, aussi longtemps que je le peux.
Je me rends ensuite directement sur la petite place qui surplombe le poste et j’attends quelques minutes. J’aperçois alors une femme ressortir du bâtiment, chargée d’un gros sac sous le bras, je l’observe quelques secondes, sa démarche, ses expressions, puis je marche dans sa direction. Et je la bouscule.
-Oh, excusez-moi.
Je lève les yeux vers mon interlocutrice. C’est une jeune femme rousse aux cheveux ondulés. Sa tenue n’est ni celle d’un agent, ni celle d’un officier de police, alors je suppose qu’elle est plutôt assignée à des responsabilités administratives. Ce n’est pas plus mal, il vaut mieux pour moi qu’elle n’ait pas trop de responsabilités si je suis amenée à bluffer.
-Vous auriez une cigarette ?
-Non, désolée.
Elle passe son chemin et m’évite. Elle semble plutôt timorée. C’était juste histoire d’entendre sa voix. Je fais un nouveau tour de la place et me trouve un nouvel endroit discret pour prendre son apparence. Puis vérifiant qu’elle n’est pas dans les parages, je pénètre les lieux.
Je prends un air indifférent, comme si je connaissais déjà les lieux et à la fois je mime le manque de confiance que je crois avoir décelé chez elle lors de notre brève entrevue. La personne en charge de l’accueil, en uniforme, me fait un sourire discret en me voyant arriver. J’avance vers elle et la laisse parler en premier.
-Laisse-moi deviner, t’as oublié quelque chose ?
-Oui… c’est bête ! Je vais monter tout de suite.
J’économise ma salive. Inutile de prendre trop de risque en imitant mal sa voix.
-Tu ne vas pas dans ton bureau ?
Merde. Il y avait de grandes chances pour que ce soit à l’étage mais visiblement pas.
-Si euh… aussi. Mais j’ai oublié quelque chose en haut toute à l’heure je viens de m’en rappeler.
L’agent secoue la tête, comme navrée par la maladresse de la jeune femme que je suis supposée être. Je me dirige dans l’ascenseur et jette un bref coup d’oeil aux descriptifs des étages.
« 2ème étage, section criminelle »
J’attends quelques secondes puis des portes s’ouvrent devant moi. Je croise le regard de deux officiers qui me sourient chaleureusement.
-Bonne soirée, Marjorie.
-Oui, pareillement.
Donc, je m’appelle Marjorie. Je ne sais pas si ça va pouvoir me servir à l’avenir, mais on ne sait jamais. J’entre dans l’ascenseur et appuie sur le bouton à côté du numéro 2. Arrivée à l’étage, je sors, et regarde autour de moi. Le couloir ressemble à celui de n’importe quelle entreprise, à ceci, qu’ici on gère des criminels et pas des chiffres. J’avance dans le couloir, sans trop savoir où regarder ou chercher. Puis j’entends une discussion non loin de moi dans un bureau dont la porte n’est pas fermée. Je m’en approche discrètement.
-Et donc tu prends quand tes congés ?
-Ah bah pas avant quelques mois. Puis de toute façon on n’a pas trop les moyens de partir en vacances pour le moment, avec le remboursement de la maison et tout.
-Ah ouais, merde.
C’est ça la criminelle ? Ça doit être une plaisanterie. J’avance encore un peu puis au bout d’un moment j’entends un choc répétitif. Je m’approche de l’origine du son et dans l’interstice de la porte, j’aperçois un homme presque allongé sur sa chaise de bureau. Il lance une balle de tennis sur le mur devant lui, la rattrape, puis recommence. Je lève les yeux et m’apprête à partir. Puis j’entends le téléphone sonner. Je n’y prête pas attention jusqu’à ce que j’entende la teneur de la conversation mise à ma disposition grâce aux joies du haut-parleur.
-Oui patron.
-Beckman, dans mon bureau. Tout de suite.
-Aie, on dirait que vous êtes pas content patron, je dois m’attendre à me prendre des coups de martinet ?
-Votre rapport sur l’accident de la rue Hollies, ça ne va pas du tout.
La rue Hollies ? Ça ne peut pas être une coïncidence.
-Qu’est-ce qu’il y a patron, vous lui avez montré mon rapport et il était pas content ?
Il ? C’est peut-être notre homme.
-Dans mon bureau, tout de suite.
Le commissaire a raccroché, on n’entend plus que la tonalité de l’autre côté. Beckman soupire profondément.
-Putain, il me fait chi-er.
Une autre voix fait son apparition.
-Qu’est-ce qui se passe ?
L’intéressé baisse d’un ton, s’approche de son collègue. Je me colle au mur pour être plus discrète et mieux entendre.
-Bon, t’as entendu pour l’histoire de l’accident de cet après-midi ?
-La voiture qui s’est retournée ? Ouais, et alors, y’a quoi ?
-Le « grand patron » nous a demandé d’étouffer l’affaire.
-Quoi ? Mais pourquoi ?
-Bah, en fait…
A présent il murmure, et la conversation devient presque incompréhensible, je ne parviens à décrypter que quelques mots.
-….jeune femme…. Enlevée… égorgé.
Ah, ça c’est moi.
-… Shinra…
Ca devient intéressant.
-…dissimulé…
-Et donc ce bon vieux Pavani est impliqué là-dedans, pourquoi ça ne m’étonne pas.
-Oh mais chut, ferme-la !
Tout à coup et sans prévenir, les pas se rapprochent de moi. Trop tard pour disparaître. Beckman sursaute à ma vue.
-Oh bah, Marjorie, qu’est-ce que tu fais là ?
-Euh je… j’étais venue voir si… vous n’aviez pas vu mon…gummiphone.
-Euh, non. Tu l’as perdu ? Tu veux que je le fasse sonner ?
-Non, non ça va. Il est sans doute pas ici.
Je réponds ça avec un peu trop d’empressement. L’officier semble sceptique.
-Bon, euh, bonne soirée, je vous laisse.
-Ouais, salut.
Quelques minutes plus tard, je suis en dehors du commissariat. Encore quelques instants plus tard, je reprends mon apparence originelle. Et enfin, j’aperçois la voiture dans laquelle je grimpe. Reno est déjà là.
-T’as mis un peu de temps, Nina.
-Ouais, désolée.
-Démarre, Rude. Direction l’hôtel, et moi j’appelle le Patron dès qu’on a fini de débriefer. T’as quoi, toi ?
-Pavani, ça vous dit quelque chose ?
-Mmmm… Vas-y, dis toujours.
Je ne sais pas s’il en dit peu parce qu’il ne veut pas m’influencer ou si c’est parce qu’il ne connaît pas ce nom mais…
-J’ai entendu deux officiers discuter de l’accident. Je ne vais pas mentir. Je n’ai pas entendu toute la conversation, mais visiblement… Le commissaire a des ordres d’en haut, il a parlé d’une personne qui ne serait pas contente du rapport qui a été fait par l’officier que j’ai entendu parler. Et ce mec, justement, en a discuté avec son collègue, sans dire le nom de cette fameuse personne qui demanderait à ce que l’affaire ne soit pas ébruitée. Jusqu’à ce que… son collègue lâche le morceau, en prononçant ce nom.
-Pavani.
-Donc Pavani a demandé à étouffer l’affaire dans laquelle Scarlett, la secrétaire et intime du Président, se fait enlever et où deux hommes se font tuer. Comme par hasard, peu de temps après la visite du Président chez lui… Ça confirme notre intuition.
-Donc, vous savez quelque chose que j’ignore.
-Ouais. Bon, j’appelle le Président.
-Et toi, t’avais trouvé quoi ?
-Quelques dossiers vides. On dirait que t’as fait mieux que moi, cette fois. Pas mal. Par contre, faudra que tu me dises comment t’as fait pour entendre cette discussion sans te faire cramer.
Je reste muette, je me contente de faire un sourire gêné, comme si j’ignorais moi-même la réponse.
Avec Rude, nous tournons la tête vers notre interlocuteur assis sur le siège passagé les genoux appuyés sur le tableau de bord
-Quoi ? Vous êtes sérieux ? Mais je suis le plus populaire de la bande, ils vont forcément me reconnaître. L’opération va être cramée avant d’avoir commencé.
-T’as pas tort.
-Puis toi, Nina, tu peux pas y aller, c’est risqué, on pourrait te reconnaître. Si c’est un Coop entre la police et notre gars, y’a forcément bien dix gars qui sont en train de chercher dans toute la ville. Du couuuup…
Techniquement, ce n’est pas totalement exact. Si je le voulais, je pourrais y aller sans me faire reconnaître. Reno adresse un très large et blanc sourire à son binôme.
-Hmmm… On sait tous les deux que je suis n…
-Pas le choix ! Je suis une star, les gens vont me reconnaître. Si ils savent qu’on est de la Shinra, c’est mort, on apprendra rien à l’amiable.
-Bon ok, qu’est-ce que je dis ?
-Oh bah je sais pas moi, tu prétends que t’es le frère de la victime et que tu veux des détails sur l’accident ?
-Son frère ? Tu m’as bien regardé ?
C’est vrai que la ressemblance entre Scarlett n’était pas frappante. Nous réfléchissons quelques secondes.
-Tu peux dire que tu viens de la part du magasin de lingerie. Que tu travailles pour la sécurité du magasin et que tu veux des infos sur les personnes qui sont responsables de ce, entre guillemets, braquage.
-Ouais c’est pas mal.
-Et si on me répond pas ?
-Bah tu pètes un câble.
-Quoi ?
-Il a raison, si tu donnes un coup de pied dans la fourmilière, il y a de bonnes chances pour que les gens soient nerveux.
-Et qu’ils fassent de la merde.
-Ok, j’y vais.
Nous sommes garés au coin de la rue en face parmi d’autres voitures. Nous sommes positionnés de façon à pouvoir voir à peu près ce qui se passe dans le commissariat et les vitres de la voiture sont teintées.
-Par contre, essaie de pas te faire arrêter. Et laisse ton arme ici. Si jamais ‘faut intervenir, on n’est pas loin.
Rude se met en marche et traverse la rue juste devant nos yeux. Nous le suivons du regard jusqu’à ce qu’il entre dans le bâtiment. Une pluie légère s’abat sur le pare-brise à intervalle-régulier. Pendant quelques secondes, nous restons là, silencieux, comme si nous nous attendions à ce que le bâtiment explose.
-Tu crois vraiment qu’on va devoir intervenir ?
-Non, j’pense pas. Déjà parce que j’espère bien qu’il va pas se faire griller, ensuite parce qu’on peut pas se permettre de se mettre à dos les autorités de ce monde, sauf cas extrême. Donc, si j’interviens c’est parce que quelqu’un braque son flingue sur mon pote.
-Et s’il se fait arrêter ?
-Le Président a toute une panoplie de bureaucrates pour gérer les problèmes de ce genre.
-Ok, qu’est-ce qu’on fait s’il revient sans information ?
-Tout dépend de ce qu’il nous dit.
Environ vingt minutes plus tard, alors que le soleil se couche, que la rue devient sombre et que les enseignes s’allument sur les bâtiments, nous voyons notre espion revenir. Je remarque que Reno se relâche instantanément. Son rythme cardiaque redevient à peu près normal. Rude entre dans la voiture et démarre immédiatement la voiture sans rien dire.
-Qu’est-ce que tu fais ?
-Je sais pas. Je les ai trouvés bizarres. Ils avaient pas l’air surpris que je vienne péter un câble, au début, ils s’en foutaient, et il a vraiment fallu que je commence à jeter des trucs à terre pour que…
-Hein ? T’as fait quoi ?
-Rien. J’ai juste donné un coup de pied dans une armoire et j’ai fait tomber une plante par terre.
Il le dit le plus naturellement du monde. Connaissant la susceptibilité de certaines autorités, je n’aurais pas forcément pris ce risque mais je suppose qu’il en impose plus que moi. Rude fait tourner la voiture à droite et roule quelques centaines de mètres, s’enfonçant un peu plus dans la ville. Je remarque qu’il regarde régulièrement ses rétroviseurs pour s’assurer que nous ne sommes pas suivis.
-Donc tu crois qu’on est grillés ?
-Non, mais je pense qu’ils vont être d’autant plus vigilants à partir de maintenant.
-Qu’est-ce que t’as pu obtenir comme info ?
-Bah, j’ai fait ce que vous m’avez dit. J’ai parlé du magasin, puis j’ai parlé de l’accident. Et tu sais ce qu’on m’a dit ? Que les deux affaires n’avait rien à voir.
-Quoi ? Mais ils sont cons ?
-Ils sont obligés de continuer à dire que c’était juste un accident de voiture, s’ils font le lien entre les deux faits, c’est compliqué d’étouffer les deux morts. Ah, puis ils ont dit que ça avait été causé par une apparition de sans-coeurs.
-Des sans-coeurs ? A Costa ? Mon cul, ouais.
-Et qu’est-ce qu’ils ont dit pour le magasin ?
-Qu’ils « nous » avaient déjà appelés pour nous demander de rester discrets sur cette affaire et de ne pas contacter les médias, le temps de l’enquête. C’est pour ça que je me suis dit qu’il valait mieux s’éloigner. Je me suis dit qu’ils avaient peut-être compris que je venais pas de la part de la boutique.
Il fait un créneau dans une petite rue tranquille à sens unique. Si quelqu’un nous suit jusque là, on le verra forcément arriver.
-Bon. On a presque rien. Qu’est-ce qu’on fait ?
-Faut y retourner.
-Ouais, mais tant qu’à faire je préférerais que Rude y retourne pas. Il est grillé maintenant Non, toi tu restes au volant et tu viens nous chercher dès que je t’envoie un message. Le code ce sera Survet et costumes… Et tu te pointes à proximité du commissariat, mais pas trop en évidence non plus, à moins que je te le dise texto. Et Nina, bah… toujours le même problème hein. T’es sûrement recherchée.
-Je suis pratiquement certaine de parvenir à me faufiler à l’intérieur sans être vue.
-Sûre ?
-Ok, mais qu’est-ce que vous faites une fois à l’intérieur ?
J’ai besoin qu’on ne soit pas ensemble pour faire ce que j’ai l’intention de faire.
-T’as qu’à rentrer par l’arrière, il y a toujours une fenêtre mal fermée dans ces bâtiments. Puis, la nuit tombe, les gens vont rentrer chez eux.
-Et toi ?
-Je garde mes trucs pour moi.
-T’es sérieuse ? T’espères que je vais me contenter de ça ?
Je souris audacieusement.
-Il va falloir que tu t’en contentes.
-Ouais, mais, ça te rend d’autant plus suspecte. Alors ‘vaut mieux pour toi que tu reviennes avec des infos intéressantes.
J’essaie de déchiffrer son expression. Entend-il par là qu’il y a des suspicions me concernant dans cette affaire ? Je ne me risque pas à poser cette question, je hoche la tête. Je ne comptais pas revenir les mains vides de toute façon.
Quelques minutes plus tard, Reno a disparu dans les rues qui contournent le bâtiment. Je me trouve dans une rue parallèle, plutôt calme. J’attends qu’il n’y ait plus rien à signaler et je me faufile dans une impasse dans laquelle personne ne devait m’apercevoir. A l’ombre des murs, je prends l’apparence d’une jeune femme que j’ai rencontrée un peu plus tôt dans la journée et dont l’apparence est encore fraîche dans ma tête. Cela fait très longtemps que je n’ai plus pris l’apparence de quelqu’un d’autre, c’est un pouvoir dont il est finalement assez difficile de se servir sans prendre de risque. Et puisque j’en prends déjà pas mal de base de par ma nature, j’évite au maximum. Et j’aimerais autant que mon employeur n’en sache rien, aussi longtemps que je le peux.
Je me rends ensuite directement sur la petite place qui surplombe le poste et j’attends quelques minutes. J’aperçois alors une femme ressortir du bâtiment, chargée d’un gros sac sous le bras, je l’observe quelques secondes, sa démarche, ses expressions, puis je marche dans sa direction. Et je la bouscule.
-Oh, excusez-moi.
Je lève les yeux vers mon interlocutrice. C’est une jeune femme rousse aux cheveux ondulés. Sa tenue n’est ni celle d’un agent, ni celle d’un officier de police, alors je suppose qu’elle est plutôt assignée à des responsabilités administratives. Ce n’est pas plus mal, il vaut mieux pour moi qu’elle n’ait pas trop de responsabilités si je suis amenée à bluffer.
-Vous auriez une cigarette ?
-Non, désolée.
Elle passe son chemin et m’évite. Elle semble plutôt timorée. C’était juste histoire d’entendre sa voix. Je fais un nouveau tour de la place et me trouve un nouvel endroit discret pour prendre son apparence. Puis vérifiant qu’elle n’est pas dans les parages, je pénètre les lieux.
Je prends un air indifférent, comme si je connaissais déjà les lieux et à la fois je mime le manque de confiance que je crois avoir décelé chez elle lors de notre brève entrevue. La personne en charge de l’accueil, en uniforme, me fait un sourire discret en me voyant arriver. J’avance vers elle et la laisse parler en premier.
-Laisse-moi deviner, t’as oublié quelque chose ?
-Oui… c’est bête ! Je vais monter tout de suite.
J’économise ma salive. Inutile de prendre trop de risque en imitant mal sa voix.
-Tu ne vas pas dans ton bureau ?
Merde. Il y avait de grandes chances pour que ce soit à l’étage mais visiblement pas.
-Si euh… aussi. Mais j’ai oublié quelque chose en haut toute à l’heure je viens de m’en rappeler.
L’agent secoue la tête, comme navrée par la maladresse de la jeune femme que je suis supposée être. Je me dirige dans l’ascenseur et jette un bref coup d’oeil aux descriptifs des étages.
« 2ème étage, section criminelle »
J’attends quelques secondes puis des portes s’ouvrent devant moi. Je croise le regard de deux officiers qui me sourient chaleureusement.
-Bonne soirée, Marjorie.
-Oui, pareillement.
Donc, je m’appelle Marjorie. Je ne sais pas si ça va pouvoir me servir à l’avenir, mais on ne sait jamais. J’entre dans l’ascenseur et appuie sur le bouton à côté du numéro 2. Arrivée à l’étage, je sors, et regarde autour de moi. Le couloir ressemble à celui de n’importe quelle entreprise, à ceci, qu’ici on gère des criminels et pas des chiffres. J’avance dans le couloir, sans trop savoir où regarder ou chercher. Puis j’entends une discussion non loin de moi dans un bureau dont la porte n’est pas fermée. Je m’en approche discrètement.
-Et donc tu prends quand tes congés ?
-Ah bah pas avant quelques mois. Puis de toute façon on n’a pas trop les moyens de partir en vacances pour le moment, avec le remboursement de la maison et tout.
-Ah ouais, merde.
C’est ça la criminelle ? Ça doit être une plaisanterie. J’avance encore un peu puis au bout d’un moment j’entends un choc répétitif. Je m’approche de l’origine du son et dans l’interstice de la porte, j’aperçois un homme presque allongé sur sa chaise de bureau. Il lance une balle de tennis sur le mur devant lui, la rattrape, puis recommence. Je lève les yeux et m’apprête à partir. Puis j’entends le téléphone sonner. Je n’y prête pas attention jusqu’à ce que j’entende la teneur de la conversation mise à ma disposition grâce aux joies du haut-parleur.
-Oui patron.
-Beckman, dans mon bureau. Tout de suite.
-Aie, on dirait que vous êtes pas content patron, je dois m’attendre à me prendre des coups de martinet ?
-Votre rapport sur l’accident de la rue Hollies, ça ne va pas du tout.
La rue Hollies ? Ça ne peut pas être une coïncidence.
-Qu’est-ce qu’il y a patron, vous lui avez montré mon rapport et il était pas content ?
Il ? C’est peut-être notre homme.
-Dans mon bureau, tout de suite.
Le commissaire a raccroché, on n’entend plus que la tonalité de l’autre côté. Beckman soupire profondément.
-Putain, il me fait chi-er.
Une autre voix fait son apparition.
-Qu’est-ce qui se passe ?
L’intéressé baisse d’un ton, s’approche de son collègue. Je me colle au mur pour être plus discrète et mieux entendre.
-Bon, t’as entendu pour l’histoire de l’accident de cet après-midi ?
-La voiture qui s’est retournée ? Ouais, et alors, y’a quoi ?
-Le « grand patron » nous a demandé d’étouffer l’affaire.
-Quoi ? Mais pourquoi ?
-Bah, en fait…
A présent il murmure, et la conversation devient presque incompréhensible, je ne parviens à décrypter que quelques mots.
-….jeune femme…. Enlevée… égorgé.
Ah, ça c’est moi.
-… Shinra…
Ca devient intéressant.
-…dissimulé…
-Et donc ce bon vieux Pavani est impliqué là-dedans, pourquoi ça ne m’étonne pas.
-Oh mais chut, ferme-la !
Tout à coup et sans prévenir, les pas se rapprochent de moi. Trop tard pour disparaître. Beckman sursaute à ma vue.
-Oh bah, Marjorie, qu’est-ce que tu fais là ?
-Euh je… j’étais venue voir si… vous n’aviez pas vu mon…gummiphone.
-Euh, non. Tu l’as perdu ? Tu veux que je le fasse sonner ?
-Non, non ça va. Il est sans doute pas ici.
Je réponds ça avec un peu trop d’empressement. L’officier semble sceptique.
-Bon, euh, bonne soirée, je vous laisse.
-Ouais, salut.
Quelques minutes plus tard, je suis en dehors du commissariat. Encore quelques instants plus tard, je reprends mon apparence originelle. Et enfin, j’aperçois la voiture dans laquelle je grimpe. Reno est déjà là.
-T’as mis un peu de temps, Nina.
-Ouais, désolée.
-Démarre, Rude. Direction l’hôtel, et moi j’appelle le Patron dès qu’on a fini de débriefer. T’as quoi, toi ?
-Pavani, ça vous dit quelque chose ?
-Mmmm… Vas-y, dis toujours.
Je ne sais pas s’il en dit peu parce qu’il ne veut pas m’influencer ou si c’est parce qu’il ne connaît pas ce nom mais…
-J’ai entendu deux officiers discuter de l’accident. Je ne vais pas mentir. Je n’ai pas entendu toute la conversation, mais visiblement… Le commissaire a des ordres d’en haut, il a parlé d’une personne qui ne serait pas contente du rapport qui a été fait par l’officier que j’ai entendu parler. Et ce mec, justement, en a discuté avec son collègue, sans dire le nom de cette fameuse personne qui demanderait à ce que l’affaire ne soit pas ébruitée. Jusqu’à ce que… son collègue lâche le morceau, en prononçant ce nom.
-Pavani.
-Donc Pavani a demandé à étouffer l’affaire dans laquelle Scarlett, la secrétaire et intime du Président, se fait enlever et où deux hommes se font tuer. Comme par hasard, peu de temps après la visite du Président chez lui… Ça confirme notre intuition.
-Donc, vous savez quelque chose que j’ignore.
-Ouais. Bon, j’appelle le Président.
-Et toi, t’avais trouvé quoi ?
-Quelques dossiers vides. On dirait que t’as fait mieux que moi, cette fois. Pas mal. Par contre, faudra que tu me dises comment t’as fait pour entendre cette discussion sans te faire cramer.
Je reste muette, je me contente de faire un sourire gêné, comme si j’ignorais moi-même la réponse.