Prendre un mauvais exemple

Un an. Un an que cette journée pourrie est passée et me voici de retour dans le même monde, le même jour et pour des raisons similaires. A la différence que cette fois, je compte rester au moins un petit temps. Je pense que Roxas me ramènera mon ingénieur dans pas trop longtemps, il me rejoindra ici directement pour discuter des termes. C’est peut-être pas le monde le plus sûr pour une personne telle que lui, mais il aurait forcément dû venir tôt ou tard. Vaut mieux que ce soit escorté par Roxas, en somme.

Autre différence notable : je suis bien prêt à toutes les éventualités de ce qui pourrait me tomber dessus. Je me ferai pas avoir trois fois par cette putain de ville ! Le ciel qui me tombe sur la tête ? Non, même ça, ça m’arrêtera pas, cette fois, mon gars ! Après tout, qu’est-ce qui pourrait m’arriver de pire que de tomber sur les Barjots du sous-sol une troisième fois, me faire humilier une nouvelle fois par Karg’orth ou par ces leprechaun chapardeurs ? Qu’ils reviennent, ces lutins, je les attends !

Je suis assis au sommet d’une tour assez stylée avec des écrans. J’ai une bonne vue de là haut, mais je m’en sers pas. Mes pieds se balancent dans le vide avec lassitude, ma tête est baissée.

- Qu’est-ce que tu fais ?

Bowser Jr m’a évidemment accompagné. Il est assis à mes côtés. Jusqu’ici, il profitait de son moment au sommet, mais j’imagine qu’il commence déjà à en avoir marre. Les enfants se lassent vite. Je fixe mon écran de gummiphone et je fais sans cesse glisser mon doigt de bas en haut pour rafraîchir le site officiel de l’Éclaireur.

- Je regarde si y’a pas des infos sur ce que Saint-Patrick fout cette année.

L’année dernière, après tout, il y avait eu une annonce météo qui permettait de prévoir les actions de ce connard d’irlandais. Qu’il vienne ! Cette fois je suis pas seul et je suis bien armé. Enfin, c’est vite dit : je dispose au moins d’une arme à feu, de quelques poignards et de l’arme que Nuzik m’a fabriquée. Mes talents en magie se sont un peu améliorés depuis le temps également, mais je sais pas si ça suffira si son armée de nabots revient m’emmerder.

- C’est lui qui t’avait volé ton manteau, c’est ça ?
- Yep. Si ce farfadet de malheur revient, j’le bute.
- Je pourrai jouer avec avant ?

Je fais mine de réfléchir, posant l’index sur mon menton en levant les yeux au ciel, puis je hoche la tête pour acquiescer. A cet instant, je sens quelque chose d’humide. Une goutte, puis une autre. La pluie fréquente de ce monde est de retour… ce qui ne semble pas gêner le gosse qui sautille, sûrement heureux que je lui accorde son souhait. Je finis par l’interpeller du bras en me relevant, lui faisant signe de reculer. Il va être temps de redescendre de cette tour. Ce serait quand même le comble qu’on finisse complètement pourris.

- Attention !

Bowser Jr me pousse brusquement, m’évitant un coup de pied assez brutal. Il hérite du choc et se retrouve projeté vers le vide, parvenant à peine à se rattraper sur le haut d’un écran. Son équilibre est lourdement perturbé, il tangue un peu et avec la seule force de ses petits bras, je doute qu’il parvienne à remonter. Je tourne la tête vers l’agresseur. Rectification : les agresseurs. Visiblement, Saint-Patrick m’a oublié cette année, a trop peur de ma vengeance pour venir en personne… mais quelqu’un a quand même trouvé le moyen de m’emmerder !

- Voyez quelle grosse prise on vient de pêcher les gars…
- Un bon poisson à dévaliser.

Trois nabots, tout de vert vêtus m’entourent. Ils ricanent. Malgré l’absence déconcertante de Saint-Patrick ou de sa horde de sans-cœur, cette année, une bande de voleurs semble vouloir trouver son pied en reproduisant les exploits de ce leprechaun de malheur. A croire c’est leur idole ou une connerie du genre. Même moi qui suis pas bien grand, je les trouve vraiment petits, genre c’est… ouais, en fait, c’est des enfants. Des gosses qui ont rien à foutre dans ce rôle, mais je suis même pas étonné. Plus rien peut me surprendre dans cette ville. J’en ai trop vu pour encore y voir de la surprise.

Et comme de véritables copycat qu’ils sont, ils se sont trop mis au vert. Ils ont accroché un trèfle à leur veste, enfilé un long chapeau de la même couleur. L’un des gamins s’empare d’ailleurs de son couvre-chef pour en sortir… des pièces d’or ! Il m’en balance une bonne poignée à la figure. Attiré par le précieux métal, je tente de m’emparer d’autant de ces piécettes que possible. Si bien que je subis à mon tour un bon kick dans l’abdomen qui me coupe la respiration. La force qu’il y a mis est cependant insuffisante pour me repousser.

- Fais gaffe avec le butin ! S’agace l’un d’entre eux, sûrement le cerveau. Il reste derrière et regarde faire ses petits potes.

La pluie s’accélère et me rafraîchit d’autant plus. Je songe alors à Bowser Jr qui doit galérer : le rebord qu’il a attrapé, en devenant humide… risque de glisser ! Le voleur profite tout de même de ma distraction et de mon instant de faiblesse afin de tourner sur lui-même, devenant une véritable toupie à la Beyblade qui expulse ses projectiles.

- Mais merde, arrête de tout balancer n’importe comment ! Je te préviens, tu te démerderas pour ramasser tout ça !
- Mais c’est bon, ce petit Kuro doit bien valoir son pesant de munnies !

Je me protège du bras dans un mouvement totalement réflexe, serre les dents et commence sérieusement à m’énerver de tout.

De toute cette richesse gâchée que je suis contraint de laisser chuter de cette tour, du danger qu’encourt mon pote, de ces projectiles, de ces petits chapardeurs sans personnalité qui valent pas mieux que ce leprechaun de malheur. J’attrape mon flingue dans ma poche et tire au hasard devant moi avant de passer en force, cessant de me cacher derrière mon bras.

- Vous avez intérêt à en avoir d’autres !

Ma balle a abattu l’un des trois qui gît au sol. Son sang coule abondamment, mais je m’en émeut pas. Quelque soit son âge, il avait qu’à pas me chercher ! Visiblement, ce con avait tenté de m’asséner un coup au même moment. Il a fait le malin, le voilà tombé dans un… ravin de sang. Le second a cessé de tourner sur lui-même et semble avoir lui aussi un instant de faiblesse. Mais le dernier, le chef, semble carrément secoué par ce que je viens de faire et… se jette sur moi, hors de lui.

Ça lui a sauvé la vie sur l’instant car ça m’empêche de canaliser le sort de foudre que je souhaitais lui balancer à la figure. Je parviens à lui attraper le pied, mais il n’en démord pas et s’accroche assez vivement à ma chemise.

- Kuro, aide-moi !

Ça urge, mais le petit chef veut décidément pas me lâcher. Sa prise est si forte que je ressens ses ongles se planter dans ma poitrine, me faisant râler de douleur. Ma chemise finit par se déchirer sur un mouvement brusque. Je profite que le corps du gamin bascule vers l’arrière pour le repousser plus loin et me précipiter à la rescousse du Koopa. Je le tire de toutes mes forces avec mes deux bras. Lui se hisse du mieux qu’il peut et je parviens ainsi à le remonter juste à temps. L’enfant respire bruyamment, le dos voûté au sol, mais sain et sauf.

L’effort était également assez violent de mon côté, mais je peux pas me ménager : les deux derniers chapardeurs sont toujours là. Celui qui avait fait la toupie vient de reprendre du poil de la bête. L’autre semble tenir des trucs dans ses mains et inspecter son butin, sans que je puisse trop le distinguer. Mon agresseur tournoie de nouveau et l’avalanche de piécettes reprend de plus belle. Je donne des coups comme je peux, tente de me protéger et d’empêcher tout cet or de m’échapper… en vain. La plupart ricoche et tombe de la tour. Ils sont au courant qu’ils volent à perte, ces cons ?

C’est Bowser Jr qui finit par faire cesser ses lancers incessants d’une boule de feu bien placée qui brûle bien le nain qui hurle de douleur. Je lui balance un poignard pour rien arranger. La souffrance le fait se prostrer et voilà que le second de ces gamins à l’éducation… très douteuse agonise au sol. Le dernier se laisse tomber et recule, totalement en état de choc. Des confettis s’échappent de ses mains et là, je réalise avec horreur ce qui s’est passé. Il m’a piqué le contenu de cette poche.

Il a déchiré le papelard sur lequel était notée l’adresse à laquelle je comptais me rendre. Je vais devoir me retaper tout le quartier pour trouver moyen de reprendre contact avec les contrebandiers. Tout ça par sa leur faute.

Je m’avance vers lui. Jusque là, ces gosses me paraissaient carrément anormaux, mais ils sont finalement tout à fait ordinaires. Ils ont juste eu la mauvaise idole. Le gosse a perdu toute volonté, chiale et braille de manière incontrôlable. Il tremble de peur, attend son heure de manière pitoyable. Je pointe le canon de mon arme dans sa direction de manière impitoyable, mais une main me retient. Quelque chose m’empêche de tirer.

- Kuro… Rassure-moi, tu vas pas tirer ?

La voix de Bowser Jr tremble autant que sa main. Je le regarde, hésite un instant, puis baisse mon arme sur sa protestation. Je veux pas traumatiser mon nouvel ami. Je vais lui laisser le temps de s’habituer au fait que la vie réelle est bien plus violente que son jeu où un coup mortel… l’est jamais vraiment. Il est machiavélique, mais toujours innocent d’une certaine manière. Il a jamais vu le regard de quelqu’un s’éteindre, est lui-même secoué car il réalise sûrement pour la première fois qu’il y aura pas de retour en arrière possible pour les deux qui sont inertes.

- Non, t'as raison. On s’en va.

Je le tire par le bras, pour l’éloigner d’ici assez vite. Je dois l’emmener loin de là, le laisser reprendre contenance dans un contexte plus calme. Quelque part, on vient de faire un grand pas dans son apprentissage, dans ses premiers pas dans la Coalition Noire.

Aujourd’hui, Bowser Jr a appris ce que signifie la mort.