-Vous devriez essayer cela.
Elle tend un bras à travers le rideau qui nous sépare.
-Puis, dépêchez-vous s’il vous plait. Je vous rappelle que je ne suis pas venue pour vous.
Je vous rappelle que je ne voulais pas acheter de robe et dépenser inutilement mes munnies, mais vous avez insisté alors… Non. Gardons notre calme. Je desserre la pression de mes doigts refermés sur cette robe sans aucun intérêt. Je tends les bras et la laisse tomber pour l’observer.
-Vous m’avez tendu une tente Scarlett, pas une robe.
-Ah bon ?
A travers l’interstice j’aperçois sa silhouette s’adosser au mur, les bras croisés dans le dos, cela vous amuse, avouez.
-J’ai pensé que cette couleur vert olive irait à votre teint malade.
Je ne réponds rien et passe la robe puis sors de la cabine pour marcher dans le couloir et m’observer avec un peu de recul. Je tourne sur moi-même.
-Cette robe ne me va pas du tout, elle m’invente un ventre que je n’ai même pas ! Puis c’est trop long, trop ample et il n’y a…
Oui, c’est un art de se dessiner un corps parfait. Je n’ai pas l’intention de le mettre en valeur comme…
-C’est bon, nous la prenons !
Scarlett me pousse dans l’autre sens, tout droit vers la caisse.
-Attendez !
-C’est ma journée Nina, c’est donc moi qui décide, et ne me poussez pas à bout sinon je…
-Mes affaires ! Avec quoi voulez-vous que je vous défende sans « mes affaires » ?
Comprenez le seul couteau que j’ai réussi à dissimuler dans mes affaires et mon gummiphone. Rappelons qu’on n’a pas le droit de se promener avec des armes en temps normal, ici. Costa est un lieu neutre et paisible. Je ne me fais aucune illusion sur l’existence de réseaux de bandits, mais j’ai dû me conformer à quelques fouilles, même Scarlett n’y a pas échappé. On voit bien que Madame n’a besoin que d’une pochette pour se promener dans les mondes. J’attrape aussi mes autres habits. Il est hors de question que je rentre au vaisseau dans cette chose. Nous passons à la caisse, je règle la somme avec répugnance sous les yeux scrupuleux de la secrétaire. Quand tout est fini, elle se recule de quelques pas et m’indique de passer devant pour sortir. Je sens une fois de plus ses yeux sur moi, mais ils sont absolument enchantés cette fois.
-C’est parfait ainsi.
Bon. Que sont quelques heures à ne ressembler à rien et à s’affubler d’un sac en comparaison avec les enjeux qui se cachent derrière ? Absolument rien, mantra, mantra. Je garde la porte ouverte pour elle, elle passe sans même la retenir.
-Où voulez-vous aller maintenant ?
-Oh je pensais à… Saint Laurent. Ils ont une boutique un peu en retrait.
J’en ai entendu parler, ils ont une boutique à San Fransokyo également puis à New-York. C’est une marque de haute-couture. Je ne peux pas dire que cela m’étonne.
-Vous pensez qu’ils me laisseront entrer, ainsi ?
A propos des certains magasins de haut standing, j’ai parfois entendu dire que des gardiens refusaient l’entrée à des clients ne correspondant pas au style de la maison. Nous marchons jusque là, jusqu’au tapis rouge qui mène à l’entrée. Nous sommes arrêtées par deux hommes qui semblent regarder si nous représentons une menace. A l’évidence, non. Puis nous entrons dans le magasin, un très grand lieu lumineux avec des hauts plafonds et des lustres au plafonds. Des portants sont disposées à plusieurs endroits, l’espace entre les cintres soutenant les vêtements est parfaitement calibré. Il y a un coin maroquinerie, un coin haute couture où on peut voir une jeune femme en train de se faire prendre les mensurations debout sur une estrade, puis un coin prêt-à-porter vers lequel Scarlett se dirige immédiatement.
Nous croisons deux vendeuses, l’une est debout derrière un comptoir, l’autre range des foulards sur un présentoir. Elles s’annoncent en coeur.
-Bonjour Mesdames, puis-je vous aider ?
-Bonjour ! Voilà euh…
Elle se tourne vers moi, comme si elle se rappelait de ma présence.
-Tout d’abord, pardonnez la tenue de mon amie, elle a un goût désastreux en matière de mode. Quand ce n’est pas noir, c’est toujours d’une couleur atroce ou informe.
Je me mords les lèvres.
-Oh, vous êtes donc venue pour elle ?
-Ah non, pas du tout. J’avais quelques envies de….
Quand bien même elle l’aurait voulu que je n’en aurais pas eu les moyens. Elle tourne les lieux autour de nous, et aperçoit un trench beige sur un mannequin.
-Oh, j’adore ça ! Vous l’avez en rouge ?
-Nous l’avons en bleu roi, en beige, en noir ou en cramoisi.
Elle grimace.
-Oh, non dans ce cas.
-Si vous aimez le rouge, j’ai une très belle robe rouge péplum.
-Non non, j’en ai déjà des tonnes.
Elle se promène alors avec détachement entre les mannequins et les portants, laissant traîner l’extrémité de ses doigts sur les tissus. Je reste en retrait. Elle jette finalement son dévolu sur une robe à sequins noirs et des escarpins de la même couleur où le talon doré est en forme de « YSL ». Ce qui me semble légèrement extravagant pour aller travailler mais je suppose que ce n’est pas l’idée. Elle insiste absolument pour que je vienne la voir dans les cabines. Après tout, puisque je suis là pour la protéger.
-Alors qu’en pensez-vous ? Et ne dites pas que vous n’aimez pas, je sais que c’est faux.
Elle admire sa chute de reins en faisant dos au miroir et en tournant la tête.
-Qu’est-ce que j’aime ces dos-nus.
-C’est assez joli.
-Ah vous voyez !
Quelques essayages plus tard, nous sortons de ce magasin, mes bras déjà bien chargés.
-Bon, j’ai dépensé plus que ce que je ne pensais mais… ça en valait la peine ! Enfin, cela veut aussi dire que…
Qu’on a fini ? Qu’on va pouvoir rentrer ?
-Ah oui c’est vrai, je voulais passer chez La Perla pour…
Elle penche la tête sur le côté et me décroche un sourire entendu.
-Pour ?
-Acheter de la nouvelle lingerie.
C’est forcément une blague. Je vais devoir supporter le défilé aussi ?
-Très bien. Allons-y alors.
Sans aucune conviction, je la suis dans les rues de Costa.
-Ah quelle belle journée ! Et ce soleil !
-Oui, oui.
-Ne me gâchez pas cette journée Nina, et souriez un peu enfin ! Notre semaine ensemble ne fait que commencer après tout.
Nous arrivons devant les vitrines dudit magasin. Nous les admirons ensemble quelques minutes, cela me rappelle une vie lointaine où la question était plus de savoir ce que j’allais mettre en dessous qu’au dessus. Il y a quatre mannequins, l’un en nuisette transparente et tanga, un autre en guêpière et culotte, encore un autre en soutien-gorge et porte-jarretelle puis une dernière en body pratiquement entièrement transparent. Scarlett lève les yeux vers ce dernier et l’observe avec plus d’insistance.
-Qu’en pensez-vous ?
-Qu’il n’y aura plus grand-chose à montrer alors.
Elle soupire de désapprobation et entre à l’intérieur. Je crois que c’est bien pire à présent. Je vais assister à ses essayages, tout en comprenant très bien à qui cette attention spéciale est destinée. Je la soupçonne même à vrai dire de ma narguer à travers ces essayages.
A chaque fois qu’elle mentionne une pièce qu’elle voudrait essayer, je l’entends insister sur quelques termes plus distinctement, par exemple :
-Je crois « qu’il » aimerait moins cette couleur, mais ce genre de dentelle transparente, c’est divin.
Ou encore :
-Ce détail sur les bas, c’est très séduisant, ça « lui » plaira forcément.
Je prends un peu de distance et tandis qu’elle fait ses essayage et se fait complimenter par les vendeuses, je me dirige vers l’avant de la boutique. Cela me rappelle cette rencontre désagréable avec la petite pimbêche du Consulat. Une adolescente insupportable qui adorait les essayages humiliants, elle aussi. Je regarde l’extérieur et m’étonne du calme qui semble régner dans la rue, là où quelques minutes plus tôt il y avait foule. Le temps semble toujours clément pourtant.
Elle tend un bras à travers le rideau qui nous sépare.
-Puis, dépêchez-vous s’il vous plait. Je vous rappelle que je ne suis pas venue pour vous.
Je vous rappelle que je ne voulais pas acheter de robe et dépenser inutilement mes munnies, mais vous avez insisté alors… Non. Gardons notre calme. Je desserre la pression de mes doigts refermés sur cette robe sans aucun intérêt. Je tends les bras et la laisse tomber pour l’observer.
-Vous m’avez tendu une tente Scarlett, pas une robe.
-Ah bon ?
A travers l’interstice j’aperçois sa silhouette s’adosser au mur, les bras croisés dans le dos, cela vous amuse, avouez.
-J’ai pensé que cette couleur vert olive irait à votre teint malade.
Je ne réponds rien et passe la robe puis sors de la cabine pour marcher dans le couloir et m’observer avec un peu de recul. Je tourne sur moi-même.
-Cette robe ne me va pas du tout, elle m’invente un ventre que je n’ai même pas ! Puis c’est trop long, trop ample et il n’y a…
Oui, c’est un art de se dessiner un corps parfait. Je n’ai pas l’intention de le mettre en valeur comme…
-C’est bon, nous la prenons !
Scarlett me pousse dans l’autre sens, tout droit vers la caisse.
-Attendez !
-C’est ma journée Nina, c’est donc moi qui décide, et ne me poussez pas à bout sinon je…
-Mes affaires ! Avec quoi voulez-vous que je vous défende sans « mes affaires » ?
Comprenez le seul couteau que j’ai réussi à dissimuler dans mes affaires et mon gummiphone. Rappelons qu’on n’a pas le droit de se promener avec des armes en temps normal, ici. Costa est un lieu neutre et paisible. Je ne me fais aucune illusion sur l’existence de réseaux de bandits, mais j’ai dû me conformer à quelques fouilles, même Scarlett n’y a pas échappé. On voit bien que Madame n’a besoin que d’une pochette pour se promener dans les mondes. J’attrape aussi mes autres habits. Il est hors de question que je rentre au vaisseau dans cette chose. Nous passons à la caisse, je règle la somme avec répugnance sous les yeux scrupuleux de la secrétaire. Quand tout est fini, elle se recule de quelques pas et m’indique de passer devant pour sortir. Je sens une fois de plus ses yeux sur moi, mais ils sont absolument enchantés cette fois.
-C’est parfait ainsi.
Bon. Que sont quelques heures à ne ressembler à rien et à s’affubler d’un sac en comparaison avec les enjeux qui se cachent derrière ? Absolument rien, mantra, mantra. Je garde la porte ouverte pour elle, elle passe sans même la retenir.
-Où voulez-vous aller maintenant ?
-Oh je pensais à… Saint Laurent. Ils ont une boutique un peu en retrait.
J’en ai entendu parler, ils ont une boutique à San Fransokyo également puis à New-York. C’est une marque de haute-couture. Je ne peux pas dire que cela m’étonne.
-Vous pensez qu’ils me laisseront entrer, ainsi ?
A propos des certains magasins de haut standing, j’ai parfois entendu dire que des gardiens refusaient l’entrée à des clients ne correspondant pas au style de la maison. Nous marchons jusque là, jusqu’au tapis rouge qui mène à l’entrée. Nous sommes arrêtées par deux hommes qui semblent regarder si nous représentons une menace. A l’évidence, non. Puis nous entrons dans le magasin, un très grand lieu lumineux avec des hauts plafonds et des lustres au plafonds. Des portants sont disposées à plusieurs endroits, l’espace entre les cintres soutenant les vêtements est parfaitement calibré. Il y a un coin maroquinerie, un coin haute couture où on peut voir une jeune femme en train de se faire prendre les mensurations debout sur une estrade, puis un coin prêt-à-porter vers lequel Scarlett se dirige immédiatement.
Nous croisons deux vendeuses, l’une est debout derrière un comptoir, l’autre range des foulards sur un présentoir. Elles s’annoncent en coeur.
-Bonjour Mesdames, puis-je vous aider ?
-Bonjour ! Voilà euh…
Elle se tourne vers moi, comme si elle se rappelait de ma présence.
-Tout d’abord, pardonnez la tenue de mon amie, elle a un goût désastreux en matière de mode. Quand ce n’est pas noir, c’est toujours d’une couleur atroce ou informe.
Je me mords les lèvres.
-Oh, vous êtes donc venue pour elle ?
-Ah non, pas du tout. J’avais quelques envies de….
Quand bien même elle l’aurait voulu que je n’en aurais pas eu les moyens. Elle tourne les lieux autour de nous, et aperçoit un trench beige sur un mannequin.
-Oh, j’adore ça ! Vous l’avez en rouge ?
-Nous l’avons en bleu roi, en beige, en noir ou en cramoisi.
Elle grimace.
-Oh, non dans ce cas.
-Si vous aimez le rouge, j’ai une très belle robe rouge péplum.
-Non non, j’en ai déjà des tonnes.
Elle se promène alors avec détachement entre les mannequins et les portants, laissant traîner l’extrémité de ses doigts sur les tissus. Je reste en retrait. Elle jette finalement son dévolu sur une robe à sequins noirs et des escarpins de la même couleur où le talon doré est en forme de « YSL ». Ce qui me semble légèrement extravagant pour aller travailler mais je suppose que ce n’est pas l’idée. Elle insiste absolument pour que je vienne la voir dans les cabines. Après tout, puisque je suis là pour la protéger.
-Alors qu’en pensez-vous ? Et ne dites pas que vous n’aimez pas, je sais que c’est faux.
Elle admire sa chute de reins en faisant dos au miroir et en tournant la tête.
-Qu’est-ce que j’aime ces dos-nus.
-C’est assez joli.
-Ah vous voyez !
Quelques essayages plus tard, nous sortons de ce magasin, mes bras déjà bien chargés.
-Bon, j’ai dépensé plus que ce que je ne pensais mais… ça en valait la peine ! Enfin, cela veut aussi dire que…
Qu’on a fini ? Qu’on va pouvoir rentrer ?
-Ah oui c’est vrai, je voulais passer chez La Perla pour…
Elle penche la tête sur le côté et me décroche un sourire entendu.
-Pour ?
-Acheter de la nouvelle lingerie.
C’est forcément une blague. Je vais devoir supporter le défilé aussi ?
-Très bien. Allons-y alors.
Sans aucune conviction, je la suis dans les rues de Costa.
-Ah quelle belle journée ! Et ce soleil !
-Oui, oui.
-Ne me gâchez pas cette journée Nina, et souriez un peu enfin ! Notre semaine ensemble ne fait que commencer après tout.
Nous arrivons devant les vitrines dudit magasin. Nous les admirons ensemble quelques minutes, cela me rappelle une vie lointaine où la question était plus de savoir ce que j’allais mettre en dessous qu’au dessus. Il y a quatre mannequins, l’un en nuisette transparente et tanga, un autre en guêpière et culotte, encore un autre en soutien-gorge et porte-jarretelle puis une dernière en body pratiquement entièrement transparent. Scarlett lève les yeux vers ce dernier et l’observe avec plus d’insistance.
-Qu’en pensez-vous ?
-Qu’il n’y aura plus grand-chose à montrer alors.
Elle soupire de désapprobation et entre à l’intérieur. Je crois que c’est bien pire à présent. Je vais assister à ses essayages, tout en comprenant très bien à qui cette attention spéciale est destinée. Je la soupçonne même à vrai dire de ma narguer à travers ces essayages.
A chaque fois qu’elle mentionne une pièce qu’elle voudrait essayer, je l’entends insister sur quelques termes plus distinctement, par exemple :
-Je crois « qu’il » aimerait moins cette couleur, mais ce genre de dentelle transparente, c’est divin.
Ou encore :
-Ce détail sur les bas, c’est très séduisant, ça « lui » plaira forcément.
Je prends un peu de distance et tandis qu’elle fait ses essayage et se fait complimenter par les vendeuses, je me dirige vers l’avant de la boutique. Cela me rappelle cette rencontre désagréable avec la petite pimbêche du Consulat. Une adolescente insupportable qui adorait les essayages humiliants, elle aussi. Je regarde l’extérieur et m’étonne du calme qui semble régner dans la rue, là où quelques minutes plus tôt il y avait foule. Le temps semble toujours clément pourtant.