Je… regarde longuement le gros machin, l’horreur. Franchement. Ce truc est tellement dégueu. Non parce que quand j’ai vu le sac vivant, les trois grands trous noirs dans la toile du sac à patates pour faire le visage, j’ai déjà trouvé ça effrayant. Mais ça c’était franchement avant de voir les insectes. Rien que de savoir que Fahimeh a été touchée par ça… Uuuua… J’ai des frissons, mon gars. Je mets mes mains sur les épaules de Fa’, qui est encore un peu sous le choc. La pauvre, quoi. Elle était ultra déter’, elle a un bon score jusqu’ici, genre même excellent. Elle fait une partie solo, et il faut qu’elle tombe sur la créature de tes cauchemars, un pauvre monstre issu de l’imagination d’un genre de dingue. Je souris malgré tout ! Faut se concentrer sur le positif. « Fa’. » Je secoue la tête en balayant le hall du premier étage de mes yeux. « Tu te rends compte comment t’as géré ça ? »

Elle soutient mon regard. Je hoche la tête longuement, à répétition. « Non mais… tu tombes sur un genre de monstre, de sans-cœur ou je sais pas quoi, qui fait facile deux mètres cinquante, et tu l’allumes à toi toute seule ? Allez mais c’est juste. Bravo, quoi. »

« Par contre, » commente Hengameh, assez naturellement, sans vouloir être méchante ou quoi, je pense. « Avec les cris et les coups de feu, les gens risquent pas de venir par ici ? » Je fais une moue de réflexion. À ce stade, avec tous les tontons flingueurs dans les rues, j’ai pas l’impression que des shots vont attirer l’attention. Par contre le cri aigu qu’elle nous a fait ? Clairement identifiable comme celui d’une petite fille, ou alors de la reine des nunuches ?... Ouais. Les gens sont des tordus. 1000% y en a qui vont venir, en fait. « Ouais si. »

« Désolée. »

« On a eu un peu de temps pour se reposer. » Je serre mes mains affectueusement sur ses épaules. « Et c’est pas toi. Je crois que les gens qui sont encore en vie, c’est forcément des énormes psychopathes, si tu oublies tous les cadors. » Bon c’est pas ultra rassurant, ce que je raconte, mais allez, on est le dernier jour. Je pense pas qu’elles aient encore besoin d’être rassurées. Tout ça, c’est un peu pour du faux, aucun dégât, aucune mort n’est définitive mais après avoir vécu ça, à leur âge, t’as encore peur d’un truc ? Elles ont vécu des trucs de dingue ! Si t’y réfléchis, le saut à l’élastique aussi, c’est pour du faux ! Genre… Tu sautes pas dans le vide pour du vrai. Tu sais que normalement, tu crèves pas. Pourtant ça fait quand même peur ! Ici c’est pareil. Faut oublier l’idée selon laquelle à partir du moment où tu crains pas une balle, t’as peur de rien, Yolo 2000, etc. Fa’ s’est pris une balle et a dégusté pendant des jours. Elle a souffert plus qu’elle n’a jamais souffert. Même moi ça me fait peur de me retrouver dans ce genre d’état !

« Bon. » Je file trois grenades à Hengameh. « Fa’, tu ouvres la porte d’une chambre, tu la refermes dès que Hengameh a lancé la grenade à l’intérieur, et vous courez vers la chambre suivante. »

« Euh… » Fahimeh a l’air paniquée. « Y a encore des gens ?! »

« Non je pense que si y a des gens, ils se cachent sous le lit ou dans l’armoire, genre pire que nous. Et ils attendent qu’on parte, donc sécurisons tout ça. Claque bien la porte, une fois que Hengameh a lancé la gre’. » Je leur fais signe d’y aller. J’ai aucune idée d’où on va aller maintenant. Depuis le hall, j’ouvre les rideaux d’une fenêtre, pète la vitre avec la crosse de mon sniper mauve, je pose le canon sur le rebord de la fenêtre. Je cherche des cibles et je regarde l’état du quartier où je suis. Ok… Y a des flammes partout. La plupart des maisons aux alentours sont en feu. Les plus proches de la cathédrale ont fini de cramer. De plus en plus, je me dis que les hydromanciens ont tellement arrosé notre planque qu’ils nous ont donné un bon délai.

Je vois le toit des maisons franchement ruiné. Y a des morceaux de toiture qui sont partis, et sinon, je sais pas combien de tuiles qui se sont barrées. Ah. Deux personnes, chacun à une fenêtre au niveau du toit de la maison. Je regarde dans mon viseur x8. Ils ont des SCAR, donc… de l’assaut, et attendent comme moi qu’un pigeon se pointe. Je prends une inspiration. Ce genre de shot, je peux pas le faire à la va-vite. J’ajuste mon pointeur, j’attends d’être sûre d’être stable. Je lève d’un millimètre mon fusil pour viser le sommet de son crane. La balle part dans un bruit de ouf qui occupe toute la place. Tête.
Ma main vient chercher le levier de l’arme, le tire et le ramène à sa place pour remettre une balle perforante dans le magasin. Je referme mon œil gauche, repose le droit au niveau de l’optique. Le deuxième mec hurle, visiblement pour demander des nouvelles à son mate. Il cherche. Et puis il dirige son canon vers moi. Ses tirs fusent, je bouge pas, je respire pas. Je me dis que c’est comme un jeu vidéo, que la petite loupe de mon viseur est comme un écran au travers duquel il peut rien m’arriver. Et je tire. Je touche le type à la poitrine, parce que j’ai pas vraiment le temps de faire plus propre.
Je détache mes yeux de mon sniper pour avoir une vue plus globale avant de quitter mon poste et de chercher une autre fenêtre. Une deuxième explosion retentit dans le couloir. La fumée de l’incendie est de temps en plus oppressante. Je crois que le feu a sûrement touché le toit, en vrai, ce qui nous a quand même pas mal donné du temps ! Euh… Je regarde dans mon viseur. C’est quoi ce truc ?... Dans le ciel, y a un type, avec une machine toute bizarre, un genre de coucou, de vieux prototype d’avion que t’aurais pas imaginé capable de voler, en train de lancer des bombes depuis sa position. Euh… et personne l’a flingué ?

Bon bah… Plus dur. La cible est mouvante et d’une distance plus hard à estimer. Je tire mais la balle passe en-dessous. Ok. Il commence à paniquer, change de direction. Allez. Je prends une inspiration, bloque mon diaphragme, et je tire. La balle ne le touche pas lui mais bien sa machine, et il commence à chuter en piqué ! Ca devrait l’éliminer !
Une troisième explosion retentit. Les filles reviennent avec un genre de sourire aux lèvres, visiblement assez contente d’avoir pété des meubles.
Je dis rien, je souris juste.
« Vous avez tout ? » Fahimeh recharge ses armes, j’en profite pour le faire avec mon revolver que j’ai jamais pris la peine de remplir de balles depuis les étudiants de l’Académie. On s’approche d’une grosse porte à l’étage, qui arrive sur l’étage de la petite promenade au-dessus de la place devant la cathédrale. « On doit sortir d’ici. De ce quartier. Tout est en feu. » dis-je simplement. « Derrière cette porte, on doit faire quinze mètres et on atteint l’endroit où on a garé la coccinelle. Spoiler : elle est détruite, j’ai regardé. »

« Oh. » Hengameh a l’air déçue. « Une promesse est une promesse ! Si on gagne… » Je souris. Elle aussi, et elle hoche la tête ! « On la refait à l’identique. »

« On doit courir vers la droite, directement. Y a une énorme porte. Je veux qu’on l’atteigne. On passe derrière et… on avise. » Je connais pas l’endroit donc bon, difficile de faire un vrai plan. Ce que je sais c’est que normalement, on devrait moins se faire canarder depuis les toits, avec les deux que j’ai eus, et le fait que beaucoup de toits sont en cendres, à présent !
Je fais un mouvement de la tête pour appeler les filles au courage et à… bref ! J’ouvre la porte ! Fahimeh passe devant, rapide, le dos voûté, l’œil franchement attentif à ce qu’il se passe devant elle et sur la place en contrebas. On la suit de près. On fait quelques mètres. Des mains la saisissent depuis une porte, depuis un angle mort de l’entrouverture d’une porte d’entrée. Elle se raidit. Je vois un couteau chercher sa gorge. Je lève le révolver, y a aucune réflexion, et je fais un énorme trou dans l’avant-bras du déglingo qui fait ça ! Fahimeh se libère dans un cri de… de surprise, de rage, de peur. Y a des mecs dans la maison mitoyenne aux autres, je… Je fais un signe à Hengameh. Elle tire dans la fenêtre trop haute pour qu’on puisse voir à travers, je dégoupille une grenade et la lance dans l’ouverture de fortune !

Deux mecs sortent, alors que les autres explosent à l’intérieur dans un cri. Un sabre dans la main, des dégaines de méga truands. Tu sais pas dire s’ils viennent de Port Royal ou d’Agrabah, ni si leur peau est sombre à cause de la crasse qui semble incruster dans tous leurs pores ou simplement parce que… il fait grand beau soleil chez eux. Hengameh fusille les deux types avec son assaut, avant qu’ils attaquent.
Fa’ saigne à la gorge. Je crois qu’elle ne s’en est pas rendu compte. Ok. On continue. De l’autre côté de la place, un genre de géant de quatre mètres défonce une maison à coups de poings, super concentré sur sa destruction. Euh… J’aggro pas ça. On va jusqu’à la porte sans plus d’encombre, on s’approche de celle-ci, on va la pousser quand…
Du sol, y a plein de sans-cœurs qui surgissent. Des… Des sorciers ? Des machins ? Des
« On recule ! » On tire comme on peut pour détruire ce qui nous vient dessus, on les démonte à la grosse artillerie, en marchant à reculons. Va… je sais pas. Je sais pas ce qu’il s’est passé, mais les sans-cœurs qu’étaient genre absents de l’event ont fait leur comeback et occupent le quartier numéro 1, si j’en crois un pictogramme. « Courez ! » On arrête de tirer et on court ! Je saute sur le petit muret qui délimite la promenade en hauteur et je saute en contrebas, sur la petite place. « Urr… Purée ! » crié-je de douleur. J’ai l’impression de sentir  une côte rentrer dans mon poumon, c’est l’horreur. Je baisse les yeux. Même pas besoin de lever mon top pour voir la contusion au niveau de mes côtes flottantes.
Les filles sautent aussi et on se dirige vers le mémorial de la coccinelle… Elle est en pièces, explosée de partout, et la cache d’armes ? Impeccable, toute pimpante. On sprinte, et je… ressens toute la douleur que t’as jamais ressentie. C’est pire quand ça saigne pas, j’ai l’impression, je… Je me retourne de rage et tire quelques balles de revolver avant de le remettre à ma ceinture quand il est à sec. J’ai eu quelques sans-cœurs en plus !

Tout ça attire l’attention du géant, qui balance des rochers sur les sans-cœurs, peut-être même sans nous voir. Une partie des ombres et de tous ces trucs vont vers lui. J’ai… super chaud à la tête. Le froid de février, les vêtements imbibés d’eau, tout ça j’en ressens plus le moindre souvenir. Mais la chaleur, limite… la fièvre ? C’est presque assommant.
« Chez les dalmatiens ! »

« Hein ?! » crie Hengameh. Pas le temps de convaincre, de discuter ou de faire un lead propre. On atteint la ruelle… et c’est un désastre. La maison est totalement en flammes. Un énorme trou, provoqué par l’explosion une de mes mines, a défoncé un des murs. Je force les filles à se retourner en les poussant. « Donnez-moi vingt secondes ! Allumez-les ! »

« Ok ! » crie Hengameh. Je rentre chez les dalmatiens. Je me fais juste… attaquer par la chaleur et les flammes ; Je me soucie de rien. Le trou dans le mur me permet d’atteindre plus vite mon objectif ! Le divan à côté de l’accès à la ruelle. La pièce est en feu. Tous les cadres, toutes les photos, les peintures avec les chiens sont en train de disparaître. Ok je donne l’impression de faire que tourner en rond, mais j’ai laissé un truc ici. Je soulève les coussins. Je prends l’énorme valise métallique. Je me relève. Le brasier contre un mur a comme un soupir et vient me lécher le dos. Je hurle de douleur et je… Je suis trop chargée. Pas le choix. Je lâche les grenades et le revolver. Du coup j’ai mes munitions, mon sniper, une sacoche avec de l’eau et… la caisse métallique. Je sors comme je peux, alors que je sens la brûlure dans mon dos me déchirer de l’intérieur. Je sors en toussant – non purée, je crache mes poumons comme t’as jamais vu ça – et je vais vers les filles. Un gros sans-cœur leur fait face et elles tirent dans son ventre mais ça fait rien du tout. « Aggro-le, Fa’ ! » Je hurle. « Hengameh, tire-lui dans le dos. » Elles hochent la tête. Fahimeh s’approche dangereusement, se décale sur le côté, vient lui tirer dans le bide pour le chatouiller. Il la regarde, super lent, se tourne vers elle. Henga’, très efficace, va derrière lui, et balance la rafale de sa vie pour exécuter le truc.

« Rechargez. » On a un peu de temps. Je regarde la place. Les sans-cœurs s’occupent du géant. « Allez. On doit trouver un accès vers un autre bloc. » Je prends la première ruelle parallèle à celle-ci. Méga coup de chance, il y a une de ces grandes portes. Je les pousse.