Les gens de l’arche ont été sympas, ils ont soigné mes blessures, m’ont donné à manger, recueillie comme l’une des leurs. J’étais la seule encore en course à bord. Visiblement, quelqu’un s’est déjà chargé d’eux. Ce sont des gens simples, ils ne se prennent pas la tête avec nos histoires de guerres, de groupes. Ils ont juste… des croyances étranges. Noé a reçu pour mission de… je-ne-sais-pas-bien-qui, de sauver l’espèce humaine ainsi que les espèces animales en les protégeant du déluge. C’est pour ça qu’ils sont dans ce grand bateau. Parce contrairement à tous les autres habitants de ce monde, il savent qu’il va y avoir ce déluge. N’empêche qu’ils font ça à tous les cycles et ça ne change pas grand-chose. Au final tout finit toujours pas se réinitialiser, et les autres humains qu’ils qualifient de « pécheurs », bah ils reprennent leurs petites vies.

Je les ai quand même suppliés d’essayer de m’aider à trouver Isa. On m’a dit « c’est trop tard ma chérie, il est mort ». J’ai bien tenté de leur dire que non, que c’était juste le jeu. Et qu’il devait réapparaître quelque part, mais on m’a pratiquement prise pour une folle. Alors j’ai attendu, j’ai mangé à leur table, je me suis —encore— occupée des animaux que comptait l’arche. C’était bien en fait, ça m’a permis de penser à autre chose que la dernière image que j’ai eue d’Isa se faisant écraser par la vague. J’aime jouer avec les petits en particulier. J’ai trouvé un couple de loup, étrangement pacifique, ils m’ont laissée jouer avec leurs petits.

Puis un matin, Noé est venu avec un brin d’olivier dans la main. C’était pratiquement comme s’il avait trouvé une mine d’or. Ils se sont tous embrassés euphoriquement. J’étais limite… gênée. J’ai demandé ce que ça voulait dire.

-On va pouvoir regagner la terre, ma chérie.

D’accord. Donc maintenant, c’est le moment où la terre est censée avoir été purifiée des pécheurs et que les âmes pures qu’ils sont peuvent reprendre possession des terres. La terre ferme, je crois que cela annonçait surtout le monde du Printemps dans le carnet de Isa. Peut-être que c’est là qu’il a réapparu.

Quelques heures plus tard, notre bateau accoste sur la terre ferme et je quitte les colons. J’aperçois de l’animation pas très loin. Il y a de la musique, des couleurs, un temple en pierre blanche. Je ne sais pas si c’est une très bonne idée de m’approcher de possibles autres candidats qui chercheraient à m’éliminer dès qu’ils le pourraient, mais je tente ma chance malgré tout. Je n’ai pas tant d’autres possibilités que ça. Puis il faut que je trouve de quoi quitter ce monde, si finalement Isa a disparu.

Les premiers habitants que je rencontre ne peuvent pas s’en prendre à moi, ce sont de petits anges, au sens littéral, ils sont trop jeunes pour participer. Ils volent dans les airs, nus comme des vers.

-Hey les enfants !

Je leur fais un grand sourire de mon cru. Le genre « on peut être amis si vous voulez ». Ils se mettent à danser et à chanter autour de moi. Puis de petits chevaux ailés se joignent à la danse.

-Tu es jolie. Tu t’appelles comment toi ?
-Je m’appelle Demelza. Vous n’auriez pas vu un homme avec des cheveux bleus ?
-Un homme c’est à dire ?
-Est-ce qu’il a des sabots ? Je crois bien que Euclide a des cheveux bleus.
-Est-ce que c’est un dieu ? Moi je parierais que Mercure en a lui aussi.

Un dieu ? Je ne crois pas non, pas à ce point.

-Non, c’est juste un homme, avec deux jambes et de longs cheveux bleus. Il a été emporté par le déluge.
-Le déluge ? Quel déluge ?
-Ah. Rien, non c’est rien.

Je regarde autour de moi. Il n’y a vraiment rien qui pourrait m’être utile ici. Ma seule chance de le retrouver ce serait… Peut-être d’attendre qu’il réussisse à me recontacter sur mon gummiphone. Je le tiens toujours fermement en main. En attendant, je suppose que je peux essayer de trouver un endroit sauf.

-Les enfants ?
-Oui Demelza ?
-Vous pourriez me dire où je peux trouver des vaisseaux ?
-Des vaisseaux ?
-Oui euh… ces grandes boites en métal qui permettent aux gens d’arriver et venir chez vous.
-Oh, je crois que j’en ai vu un par-là, viens, je vais te montrer.

Je suis ainsi accompagnée par la petite troupe d’enfants et de poulains qui font la ronde autour de moi. Ils sont mignons même s’ils sont un peu… bizarres et dérangeants par moment, on ne va pas se le cacher.

-Les adultes n’attaquent pas les gens ici ?
-Non, pourquoi ?
-Oh, pour rien.
-Bacchus fait la fête comme d’habitude. Il boit comme un trou et roule.
-Les centaures… jouent à se tourner autour la plupart du temps…
-Jupiter reste dans ses nuages et envoie quelques éclairs de temps à autre…
-Voilà, le vasseau !
-Le vaisseau.
-Ouais ! Qu’est-ce que tu vas faire avec, dis ?
-Me cacher dedans, espérer que quelqu’un vienne et reparte avec. Peu importe où ça m’amène, je pense que…

Je pense que ça ne peut pas être pire qu’ici, dans le genre trou perdu. Mais ça va, je me suis arrêtée de parler à temps. Les enfants se mettent à rentrer dans le vaisseau et à commencer à chipoter à tout.

-Non, non ! Ne cassez rien, ou c’est sûr qu’ils vont comprendre qu’il y a quelqu’un. Et si vous retourniez jouer… dans les nuages par exemple ?
-Oh non, pas les nuages, c’est toujours la même chose.
-Tiens, je crois que j’entends Jupiter gronder dans le ciel.
-Oh non ! Pas lui !

Les petits anges s’en vont finalement. Je soupire et me cache dans une soute. A en voir l’état, le vaisseau n’est pas là depuis très longtemps. Il n’y a plus qu’à espérer que la personne à qui il appartient ne tarde pas.