-Tu peux aller te reposer dans la couchette si tu veux. On a encore un peu de temps devant nous avant d’arriver au Colisée.

J’accepte et me détache de mon siège, puis je laisse Temerys seule face au cockpit. C’est pourtant souvent les seuls instants où elle reste concentrée et qu’elle ne parle pas trop, qu’elle est de véritable bonne compagnie. La journée fut longue, il y a d’abord eu cette histoire de containers, puis une après-midi à chercher quoi faire, avant de se retrouver à fuir le Vaisseau-Mère. Je pourrais proposer à Temerys de prendre le relai mais elle comme moi savons que c’est une mauvaise idée, en particulier avec tous les potentiels ennemis qui peuplent l’espace.

J’ouvre le volet qui sépare la couchette du petit couloir qui mène à la sortie. C’est vraiment un tout petit vaisseau, toute dépense d’espace se justifie d’un point de vue ergonomique. Il y a assez peu de place pour le confort. Je me glisse sur le matelas et m’engouffre dans une couverture.

L’espace est vide, inodore, incolore, froid, il n’y a aucun cœur à y chasser. Pourquoi tout le monde semble-t-il penser que sous prétexte que nous n’avons pas de cœur, nous sommes d’ignobles créatures froides ? Pourquoi les ténèbres seraient-elles froides, et qui a décidé de cela ? N’est-ce pas elles qui vous font vous embraser et détruire les mondes ? Non. La lumière est froide, neutre, implacablement désireuse de rester en retrait par rapport à toute forme de divergence.

Y a-t-il quelqu’un dans ce monde qui pourrait se vanter d’avoir autant lutté pour capter votre attention, que moi ? Si je n’ai pas de cœur à offrir, je vous prouverai mon inconditionnel dévouement. Si je n’ai pas de sentiments à exhaler, je vous dévoilerai la faim que vous suscitez en moi. Si je n’ai pas de sang dans les veines, je ferai couler le sang des autres qui se mettront entre vous et moi.

Je ferme les yeux et m’apaise, devant ce mur anthracite, ressassant mes résolutions, comme pour l’atteindre à travers le temps et l’espace.

-Nina, réveille-toi, et viens m’aider !

Les mots se rejoignent et forment un sens dans mon esprit. Progressivement l’opacité de mes songes se défait et je sens les secousses qui atteignent le vaisseau. Maladroitement je m’extrais et cours vers Temerys qui essaie tant bien que mal de gérer les commandes du vaisseau et les alarmes qui se lancent l’une après l’autre.

-On a été touchées ?
-Ouais. Et je ne peux pas quitter mon poste pour aller réparer les modules désactivés.
-Et tu te doutes que j’en suis incapable. Concrètement ça implique quoi ?

Elle met quelques secondes à me répondre, interagissant avec les boutons qui changent de couleur et se mettent en mode sécurité.

-Putain ! Pourquoi ça veut pas ?!
-Temerys, qu’est-ce qui se passe ?

Elle fait tourner les commandes pour nous faire éviter des salves de rayons laser. Je regarde autour de nous et aperçois deux chasseurs qui nous entourent.

-J’ai besoin que tu me les descendes. Tant pis si t’es pas douée, je dois me concentrer sur la conduite. Le vaisseau est pas content et il va pas tarder à nous le faire sentir si on se pose pas rapidement.

Je fais alors pivoter mon siège pour faire face aux commandes de tirs  sur lesquelles j’ai des écrans panoramiques qui me donnent la vision depuis les différents canons.

-Je vais faire une vrille, pour les faire dévier, puis je stabiliserai le vaisseau à ce moment là, environ deux secondes pour que t’aies une fenêtre de tir. Prête ?
-Prête.

Je serre le guidon entre mes mains, laisse la vrille me déstabiliser sans lutter, puis prends une grande inspiration quand j’en sens la fin. Je guide alors la ligne de mire sur le vaisseau le plus proche. Il tire quelques coups de canon mais rate son coup. Je tire avec un laser à tête chercheuse, deux fois, et atteins ma cible, la neutralisant. L’explosion crée un tremblement qui nous atteint et prévient Temerys que j’ai atteint ma cible.

-Bien joué ! Maintenant faut que tu me dégommes le suivant. Je vais essayer de le distancer un peu pour te laisser le temps.

Elle accélère, je sens la pression me coller contre le siège. Il me sera beaucoup plus difficile de tirer dans ces conditions. Temerys fait en sorte que le vaisseau continue de faire des mouvements imprévisibles de sorte que notre ennemi ne puisse pas prédire nos mouvement avec suffisamment de précision. Le vaisseau s’alarme d’autant plus.

-Il aime pas trop que je le secoue autant, avec les fuites d’huile et tout.
-Il faut vraiment que tu nous poses.
-Dégomme moi déjà ce connard.
-Arrête de me malmener comme ça alors.
-Ok, à 3, alors. 1-2…3.

Elle stoppe pratiquement la course de notre vaisseau, nous sommes poussées en avant, puis en arrière. L’autre vaisseau se met aussitôt à ralentir et entame une rotation à 180 degrés. Je me stabilise et profite de cette inertie, puis je tire à nouveau, un coup rate et les deux autres touchent. Sur l’écran je comprends que le vaisseau ennemi a encaissé le coup et continue de se rapprocher de nous, nous qui sommes presque immobiles. Je tire à nouveau mais dans le vide.

-Merde…
-Non, attends.

Quelques secondes plus tard, le vaisseau explose lui aussi.

-Tu vois, quand tu veux.

Elle me tape sur l’épaule et se concentre à nouveau sur ses commandes.

-Pour le Colisée, c’est mort, on est trop loin, mon petit bijou n’aura pas fait long feu.

Elle tapote le tableau de bord de quelques coups affectueux.

-On t’en achètera un autre. Pose-nous ou tu peux, on s’en fout en fait.
-Comme vous voudrez, chef.