Toujours aussi majestueux, le mont surplombe le ronso de sa hauteur. Une fine poudre blanchâtre s’en échappe, porté par le vent, pour peu, on croirait qu’il est vêtu d’un châle. Le mont Gagazet, haut, solide, et sacrée.

Si éloigné des terres habitées de Chine, le fauve n’a croisé aucune âme qui vive. Pas de combattant, pas de survivants, seul quelques sans-cœur opportuniste. Quelques ombres, loin des robustes rondouillard, ou des teigneux soldats. Ce n’est pas une surprise, ils sont attirés par les cœurs des individus, par les regroupements. Et si la majorité ont déserté les pentes enneigées de la montagne… Un village proche passe très certainement un moment moins paisible.

Le fauve secoue négativement la tête, qu’importe, ils ne sont pas des croyants d’Etro, et il a bien plus important à protéger. Son temple, son Crystal, son peuple. Il se laisse retomber à quatre pattes, escaladant plus agilement les façades rocheuses, enfonçant ses griffes au travers de la poudreuse.

Il réussit à se hisser sur le sentier, le vide à flanc de montagne, et un paysage s’étendant à perte de vue. S’essayant un instant, les pattes dans le vide, il contemple ce paysage. Qu’il est étrange de revenir sur la terre de son enfance. Ce paysage qu’il ne voyait plus, habitué des lieux, semble se révéler à lui désormais. Il ne s’est jamais rendu compte combien il est impérial, combien il est différent du domaine enchanté.

Rien, à perte de vue si ce n’est relief et glace. Blanc et bleu, terre de son peuple, terre faite pour les fauves comme lui.

Le prêtre-guerrier ferme son œil un instant, inspirant l’air avec plaisir. Il règne une certaine ambiance dans l’air, tandis que quelques flocons de neige ne tardent pas à atteindre sa fourrure. Le ciel est gris, relâchant les confettis tournoyant.

Il ne va pas falloir qu’il traîne, vu la hauteur des nuages, ça s’annonce gros. Il ne manquerait plus qu’il soit pris dans un blizzard, même en connaissant le lieu, le risque sera considérable.

Voilà qu’il emprunte le sentier de glace, tournoyant tel un serpent contre la façade du mont. Il ne peut retenir une certaine déception. Il c’était juré que la prochaine fois qu’il gravirait ce chemin, il emmènerait quelqu’un avec lui.

Oui, la paladin-en-chef aurait dut être là, ce fichu jeu loin de ses pensées, et un seul objectif. Montrer le temple à un vrai croyant d’Etro, un invité ne faisant pas partit du peuple fauve. Une hérésie qu’il désire briser. Sa rencontre avec Kuro le lui a confirmé après tout, son peuple est découvert.

Le multivers est un danger colossal, bien plus que quelques explorateurs chinois trop curieux. Une menace qu’une tribu ne pourra jamais repousser.

La marche continue encore et encore, l’air se veut de plus en plus rare, et la respiration du fauve frénétique. Les flocons tombent encore et encore, couvrant d’un écran blanc la vision du ronso.

Soudainement, surgissant de nulle part, un flash de lumière. Au loin, le grondement faiblard du tonnerre. Faiblard oui, la neige, elle absorbe le son. Le fauve s’arrête, tel un soldat rappelé à l’ordre.

Un orage de neige. Un événement d’une grande rareté, et emplis d’éléments aussi mystiques que traditionnel. Bien vite, il écoute, il entend.

Un chant, fort, puissant, résonne dans l’écho de la montagne. Un son montant crescendo avant de se réduire, vibrant, résonnant. Un fauve reproduisant le son du tonnerre, le grondement que la neige leur a arraché.

La voix du peuple ronso est un instrument sacré, il convient de ne pas en user. Certains disent qu’elle est responsable des avalanches, d’autre que les mots sont les plus cruelles des armes. Capable de former des blessures qu’aucune médecine ne peut guérir. Cet aspect sacré en fait également un puissant outil de rite. Des rites liés à des dieux, des rites liés à la foudre.

Pris d’un grand frisson, Bryke sent sa fourrure frémir devant un tel son. Le rituel à démarrer, et bien vite, une deuxième voix, bien plus lointaine de la première, prend le relais. Puis une troisième, une quatrième. L’écho de la montagne vient mélanger leurs voix rauques, en une symbiose si étrange, qu’elle semble former une autre voix. Une voix nourris des échos, presque féminine, la voix de la dame.

Le fauve se précipite vers le bord du précipice, la gueule entrouverte, s’asseyant dans une vitesse rare en tailleur.

Il ferme son œil, prend une grande inspiration, écoutant avec attention les chants autours de lui. Sa queue bat la mesure, frappant la neige dans un métronome régulier. Oui, il commence à s’accorder, il commence à prendre le coup. Il prend une grande inspiration.

« ♪ Leh-en yu-i ♪ Leh-en yu-i ♪ OooooooOOOOOO... ♪ »

Ses cordes vocales lui font mal, il force, il hurle, il laisse sa voix se perdre à son tour dans l’écho. Elle rejoint celle des autres, rétablissant cette injustice.

La neige ne réussira pas ce soir, le message du seigneur Raï sera transmis dans tout le mont.