Le feu a laissé place à la pluie, elle recouvre progressivement tous les immeubles encore aux prises avec les flammes, éteignant les ruines calcinées. Au loin on peut voir Central Park en cendres. En très peu de temps, le feu a tout recouvert. Alors que la pluie est intense, je continue de regarder ce spectacle, jusqu’à voir les flots faire monter le niveau de l’East River qui sort alors de son lit.

Par chance, notre bateau de pêche est pour le moment suffisamment grand pour affronter les turbulences mais j’ai peur que ça ne suffise pas pour la suite. Trempé, je me dirige à l’intérieur de la cabine où je trouve Demelza, assise contre un radiateur, les genoux repliés sur elle-même et le corps emmitouflé dans une couverture en laine qu’elle a trouvé là.

-Ca va ? Tu réussis à te réchauffer ?

Elle lève les mains vers moi pour m’inviter à la rejoindre. Je m’insère avec une certaine difficulté dans l’endroit étroit qu’il reste à côté d’elle et je repositionne la couverture de sorte que nous nous la partagions.

-C’est apaisant, tu ne trouves pas ? Ce bruit de pluie.

Elle tambourine en permanence les fenêtres du navire ainsi que sa structure en métal. Je pourrais presque m’endormir.

-Hmmhm…

Je baisse les yeux vers elle, soucieux de savoir ce qu’elle a.

-Tu… regrettes d’être venue ?

Elle ouvre la bouche, et sa lèvre inférieure tremble. Je caresse sa mâchoire pour l’encourager.

-Non, je ne regrette pas de t’avoir rejoint, à proprement parler, je me demande juste comment on va s’en tirer. Je veux dire… On est coincés dans ce bateau non ? Jusque… dieu sait quand. Ce qui se passe dehors, c’est ce qu’ils appellent le déluge, c’est ça ?
-Exact.
-Et ça peut durer longtemps ?
-Oui, je pense, plusieurs jours.
-Tu crois que le bateau va tenir quand nous serons entrainés vers les rivages et que les vagues vont s’élever ?
-C’est peu probable, en fait.
-Et tu crois qu’on va trouver quelque chose à manger dans ce bateau ? On peut aussi bien mourir de faim et de soif.
-De soif j’ai des doutes, vu ce qu’il tombe dehors.

Je me lève et regarde dans les petites armoires de la cabine, j’y trouve un petit poêle à gaz.

-En tout cas, je peux déjà nous faire du thé, il y a de quoi.
-Oh oui, s’il te plait.

Je le prépare dans de petits mugs en métal, et lui apporte, me remettant là où j’étais avant. Je sens que la chaleur la regagne en douceur, ses cheveux mouillés et décoiffés collent toujours sur ses joues mais elle s’apaise, le rouge repeuple ses joues. La condensation commence à se déposer sur les carreaux tout autour de nous. Elle expire en se penchant en arrière et sort son gummiphone. Ce qui est toujours bon signe avec elle.

-Quelles sont les nouvelles du monde des vivants ?
-Apparemment la lumière a perdu tous ses participants à part un.
-Laisse-moi deviner…
-Ouais, c’est bien lui, Roxas. Mais qui est-ce que ça surprend vraiment ? C’est ça la vraie question.

Je regarde ailleurs, repassant intérieurement le film de notre dernière rencontre. Ce qui a pour effet de m’agacer.

-Qu’est-ce qu’il y a ? Tu ne l’aimes pas ?
-Pas… particulièrement.
-Moi… je le trouve cute.
-Cute …? T’es pas sérieuse.
-Bah un peu beau gosse quoi. Genre, il a gardé un petit côté enfantin dans le visage, un petit côté indiscipliné, mais d’un autre côté, si j’en crois les photos, il a quand même bien vieilli.

Je tique. Non, c’est juste un gamin arrogant et putain-de-donneur-de-leçon.

-Si tu le dis…
-Mais sois pas jaloux ! C’est idiot !
-Hmmhmm…

C’est à mon tour de feindre l’indifférence. Elle me donne un coup dans le torse en cognant ses épaules contre moi.

-Puis, de toute façon, ça risque pas grand-chose, je crois qu’il est à fond sur D.Va.
-Ah parce que si il n’y avait pas D.Va, il aurait une ouverture ?

J’attrape son gummiphone et lui confisque.

-Ah non ! Rends-le moi Isa !

Elle se lève et essaie de le reprendre mais je fais de même de façon à ce qu’il soit trop haut pour ses bras.

-Tu veux peut-être que je vous présente ?

Je l’ai dit à moitié pour la provoquer, et à moitié sans réfléchir. Mais quel con. Je me mords l’intérieur de la joue. Quel.putain.de.crétin.

-Quoi ? Tu le connais ?
-Non…je… pourquoi je connaîtrais ce type ?
-Je sais pas, c’est pas ton genre de dire ce genre de choses et que ce soit faux.
-Je peux aussi bluffer et faire de l’humour, tu sais.

Elle finit par attraper son précieux gummiphone et vérifie l’écran.

-On sait tous les deux que c’est faux. Oh merde…
-Quoi ?
-Bah tu m’as fait liker le post de Roxas, celui avec la keyblade et les sans-coeurs.
-Qu’est-ce que ça peut faire ?
-Bah rien… C’est juste que je suis la première la le liker.
-T’inquiète pas hein. Il doit en recevoir des centaines par jour de likes avec ses prouesses. Mais si tu veux, je peux lui envoyer un commentaire de mon cru.
-Oui, c’est ça. Ça commencerait sûrement avec un « Salut Roxas » et ça finirait par « Ma copine est folle de toi, elle adorerait voir ta b... ».
-Mais ferme-la aussi !
Je lui mets la main sur la bouche avant qu'elle le dise, puis je roule des yeux et grommelle quelque chose que je suis incapable d’identifier moi-même.

-Oh mais arrête, je plaisante !