Un premier pas, un coup de lame horizontale. Un deuxième pas, un coup de lame verticale. Un bref désengagement en arrière, et on enchaîne avec le coup d’estoc.

Seul face au paysage verdoyant de chine, le fauve aligne les mouvements de katana. Affrontant un adversaire invisible, ne répondant aux blessures que par un sifflement, celui de la lame contre l’air.

Il reprend. Un pas, coup à droite, deux pas, position de défense. Voilà qu’il saisit le katana, le plaçant au niveau de sa gueule par réflexe. Pour autant, il ne signe pas, il reste là, immobile un instant, la lame d’acier tirant sur ses crocs.

Son œil unique est perdu dans ses pensées, les idées, les suggestions, s’affrontant entre elles. Il n’est pas dans un véritable combat, il peut se permettre une aussi longue pause. Comme résigné, voilà qu’il ressaisit son arme, la rengainant dans son fourreau.  

Il redresse un instant sa main griffue, désormais libre de toute possession. Qu’il la fixe longtemps, cette main à la couleur saturée. Ces souvenirs l’assaillent, tous ces combattants, tous ces magiciens qu’il a rencontrés, affronté. Ces humains lançant leurs sorts de manière si simple, un mouvement, un mot, et c’est fait.

Le prêtre-guerrier ferme l’œil un instant, il essaye de se concentrer. Les mots de Madame Mons lui reviennent en tête, cette mégère enseignant la magie au domaine. Ressentir les éléments, rediriger vers le creux de sa main.

Une fine brise vient secouer sa fourrure bleutée, il essaye de se concentrer dessus. Il est doux, tiède, surement froid pour un humain. Il essaye d’imaginer ce vent s’engouffrer dans sa chair, tourbillonner le long de ses veines, remontant jusqu’à sa paume.

Qu’il croit le sentir, ce vent, tourbillonnant entre ses doigts, prêt à se précipiter vers la cible qu’il désignera. Alors il essaye, il relève sa main, avant de lancer. Comme s’il avait une balle entre les griffes, comme s’il voulait projeter une pierre le plus loin possible.

Rien.

Le fauve rouvre son œil un instant. Evidemment, il va falloir qu’il parle, n’est-ce pas ? N’est-ce pas là ce que disait madame Mons ? N’est-ce pas ainsi que font les disciples de Fiathen ? Il se souvient encore de cette fille, lançant des éclairs comme lui. Qu’est-ce qu’elle disait déjà ? Chaque fois que la magie faisait effet ?

Le fauve agite à nouveau ses griffes. Il essaye de se souvenir de cette sensation, lorsqu’il utilise ses signes. Combien la foudre semble s’emparer de lui, comment sa fourrure se soulève sous leur impact.  Combien ce phénomène s’emplit à chaque mudra, plus fort, plus grand, plus violent. Il se souvient la première fois qu’il a fait appel à la foudre, lors de son entraînement au temple de Gagazet. Les étincelles le faisaient souffrir, chaque déplacement comme une décharge. Il s’y est habitué depuis, c’est simplement devenu sa normalité.

Le fauve renifle l’air un instant. Le vent est toujours là, portant effluves à sa truffe. Non, il n’y a personne dans les parages, si ce n’est quelques oiseaux curieux. Bien, personne pour entendre sa voix s’il essaye de…

« Virst ! » laisse t’il s’échapper de ses babines.

Le simple fait d’utiliser ses cordes vocales lui donne un drôle d’effet. Sa voix grave a résonné jusqu’à ses oreilles. Cela doit bien faire des mois qu’il n’a pas prononcer des mots, depuis que ce fichu sans-cœur lui a dérobé ses sphères. Il n’est jamais rentré au mont depuis, il n’a jamais pu en obtenir d’autre.

Mais là n’est pas la question…

Rien.

Encore et toujours rien.

Le fauve aurait très certainement dans un autre instant, feuler de frustration. Mais ici, il se contente seulement de hocher négativement la tête.

Il se masse la nuque un instant. Le corps des ronso est-il si différent pour qu’il ne puisse pas incanter ainsi ? Est-ce un simple blocage mental qu’il n’arrive pas à annuler ? Il a pourtant dit le mot, il a parlé, ce n’est pas rien !

Bryke laisse s’échapper un soupir, avant de redresser ses mains griffues une dernière fois. Cette fois-ci, il se laisse aller, ce sera en mudra qu’il lancera son sort.

Il tend les bras, avant de joindre ses deux pouces, et ses deux index. Formant un triangle, avant d’abaisser ses autres doigts. « Pyo »

Puis, il retourne la paume de sa main droite, paume de la main gauche au-dessus. Doigt joint entre eux. Pouce de la main droite croisé avec le petit doigt de la main gauche. "Kai"

De fines gouttes d’eau se détache de l’herbe humide et viennent tournoyer autour de sa fourrure bleutée.

Voilà qu’il vient ensuite fermer ses poings, et les frapper l’un contre l’autre. Seul le pouce de chaque main est tendu, se touchant et formant un triangle inversé. " Zen "

Il vient conclure son enchaînement par le signe de confirmation. Il vient redresser sa main droite, le coude accole à son torse. Avant de tendre un index devant sa gueule.

Toutes les gouttes d’eau viennent tournoyer autours de son index, formant une boule aqueuse d’une couleur bleutée.

Le prêtre-guerrier désigne droit devant lui, tandis que la balle s’élance au loin.

Il soupire à nouveau. Eh oui, là, ça marche…

Cela valait le coup d’essayer. Qui sait, peut-être les anciens du village sauront lui répondre. Peut-être essaye-t-il de lutter contre quelque chose d’inné.

Le fauve reprend sa route, sa destination n’a pas changé.

Atteindre le mont Gagazet et s’assurer que personne n’use du battle royale comme excuse pour en violer ses terres sacrées.