Cette fois-ci, il n’est pas seul.

A peine le lendemain après avoir reçu sa récompense, le fauve a bien vite senti à nouveau l’odeur de l’intrusion. Toujours les mêmes effluves, toujours le jeune fermier. Cette fois-ci, le fauve est bien décidé à se révéler.

Que le jeune laisse une récompense est une chose, qu’il revienne malgré avoir assisté à un tel combat ? Soit il est d’un courage inédit, soit il a une autre intention. Le fauve aurait pu être très méfiant, s’il avait senti d’autres odeurs. Mais ici, seul, qu’est-ce que le fermier pouvait espérer ? L’éliminer ? Lui qui n’a pas su riposter contre les deux autres assaillants ? Ça semble impossible.

S’approchant du lieu, l’œil unique du ronso ne tarde pas à se poser sur sa silhouette. Il a l’air en encore plus mauvais état que la veille. Des marques de luttes témoignent de la violence qu’il a subie dernièrement. Son œil, à moitié fermé et d’une couleur bleutée, fait particulièrement peine.

Pourquoi est-il simplement encore en course celui-là… Ne serait-il pas gagnant à se laisser éliminer une bonne fois pour toute ?

Désireux d’en apprendre plus, de comprendre. Il s’approche sans chercher la discrétion cette fois. La poudreuse grince sous ses pas, tandis que le jeune homme se retourne.

S’il était déjà nerveux, c’est la peur qui s’empare de lui. Immobile tel une statue, il ne peut que redresser lentement la tête à mesure que le fauve s’approche. Constatant la grande taille de la bête bleutée, et son insignifiance à côté. Ses yeux prennent la forme de cercle, tandis que ses pupilles vibrent sous les émotions qui l’assaille.

« Je..je…j… » commence-t-il à bégayer. Sans même qu’il ne le dise, le fauve voit clair dans son regard. On dit que les yeux sont la fenêtre de l’âme, et cela n’aurait jamais pu aussi vrai. Peur, doute, regret se succèdent dans des flashs effrénés.

Mais Bryke ne réagit pas. Pas même ne montre t’il les crocs. Il est simplement stoïque, impassible, jaugeant de haut dans un regard presque méprisant. Son expression naturelle entre autre.

Toujours aussi rigide, le fermier vient bouger doucement sa main, la dirigeant vers sa sacoche. Ses yeux ne quittent pas ceux du fauve, comme craignant le moindre mouvement de sa part, la moindre réaction. Il n’en est rien, et sa main se glisse dans le contenant, en tirant l’amulette qui lui est si cher.

Une amulette constituée principalement de quelques perles en bois, et de son attrait principal. Le pendentif en forme de tortue, représentant Etro la déesse. Ses côtés polis, et son matériau peu coûteux ne laisse aucun doute. C’est une pièce faite-maison, surement de la main même du jeune homme.

Qu’attend-il justement, ce dernier ? Que le fauve la prenne ? Bryke reporte son regard sur l’amulette, puis sur le jeune fermier, attendant.

« Vous… Vous l’avez dessiné… ? »

Le fauve hoche sobrement la tête, plissant son œil. Le jeune fermier, reprenant une inspiration, cherchant son courage jusqu’au plus profond de son être.

« Savez-vous ce que c’est ? »

Cette fois-ci, le nouvel hochement de tête du fauve a un effet puissant. Les épaules de l’humain s’affaissent presque. Et si la peur est toujours là, il y a autre chose qui s’installe. Un sentiment d’appartenance, de communauté. Ce fauve sait ce qu’est Etro, comme lui. Ce n’est donc pas une coïncidence qu’il ait dessiné cette tortue, qu’il l’ait sauvé lors de sa prière.

« Je m’appelle Thomas. » Laisse-t-il finalement échapper.

Le fauve le fixe toujours, redressant lentement et doucement ses mains. Le petit pas en arrière, et le regard du jeune homme ne laisse aucun doute. Fixant les griffes acérées du fauve, il craint pour sa vie, et il serait idiot de ne pas le faire.

< Bry > < Ke >, signent les mains du fauve.

Le regard de l’humain est sans-appel.

« Vous… Vous êtes muet ? »

Mais le fauve ne répond pas. Ni par l’affirmatif, ni par la négation. Il ne parle pas beaucoup c’est vrai, mais il n’est pas muet. Il n’aborde la parole qu’a ceux qui en sont digne. Comme l’exige la tradition de son peuple.

Le prêtre-guerrier ne tarde pas à redresser sa griffe pour l’apposer contre son propre œil. Avant de pointer le jeune homme du doigt. Par mimétisme, il reproduit le mouvement, se rendant compte de ce que le fauve indique.

« Ah… ça… C’est… Il y a eu de la violence à la ferme. » Thomas baisse les yeux « Excusez, je me demande depuis… cette soirée »

L’œil unique du fauve se repose sur lui, sa pupille se rétractant en une fine ligne.

« Vous êtes saturé vous aussi, pourquoi m’avez-vous aidé ? Vous êtes dans la course… non ? »

Le fauve relève sa main, repliant tous ses doigts sauf son index.

D’un geste lent, il vient brièvement appuyer d’une griffe contre l’amulette tortue.

« Etro… »