La chasse a été fructueuse, comme en témoigne les deux lapins pendant au creux de sa main. Le fauve avance à son rythme, dans le paysage enneigé qu’est la montagne du Beaumont. Sa vie est presque devenu mécanique. Chasse, manger, sieste, chasse, manger, entraînement, dormir. Une vie humble, mais qui le maintien encore dans la course, tel en témoigne la couleur éblouissante de sa fourrure.

Le soleil ne va pas tarder à se coucher, le temps de manger son diner, et il ira dehors pratiquer encore un peu sa magie. Le chemin menant à son repaire n’est plus très long, lorsqu’il s’arrête.
Sa truffe s’agite, encore cette odeur. Fumier, ferme, et herbes. Celle du jeune intrus, qui vient prier régulièrement proche de son antre.

Arrivant à sa tanière, le fauve dépose les lapins dans un coin, avant de se préparer à les dépecer. Un moment dégoûtant, salissant sa fourrure, mais nécessaire. Et tandis qu’il s’apprête à se mettre en œuvre, le voilà qui s’immobilise à nouveau.

Il sent toujours l’odeur du jeune homme oui, mais il y a autre chose désormais. Deux odeurs qui lui sont inconnue, et qui semblent s’émaner de la même origine. Le jeune prieur c’est visiblement fait des amis.

La logique lui dicterait de ne pas aller voir, de ne pas s’en mêler. Mais le fauve ne peut que se souvenir. Lui, n’avait finalement rien fait, préférant respecter la piété du jeune fermier. Mais d’autres ne le respectent pas autant, comme en témoigne sa rencontre d’il y a quelques jours.

Bryke est un ronso, race qu’il pense avoir été créer uniquement pour servir la déesse. La dame de la montagne, Etro, celle-là même que le fermier prie tous les soirs.

Même sous le contexte qu’est cette bataille royale. Peut-il seulement se permettre de laisser quelqu’un être interpellé dans une communion aussi sacrée qu’est une prière ? Finalement, cette exclusion qu’il s’inflige, n’est-elle pas un défi que lui lance la dame ?

Celle de se déconstruire, de renouer avec ce qu’il est. N’avait-il pas retrouver son état d’animal lorsqu’il a créé sa tanière, chasser ? N’a-t-il pas retrouver son humanité lorsqu’il a ignoré l’intrusion sur son territoire, par respect pour la prière ?

Ne doit-il pas désormais, retrouver sa mission sacrée, en tant que race élu pour sa déesse ? Et si oui, protéger un de ses suivants, dérangé en plein acte sacré n’est-il pas un début ?

Reposant le lapin, encore à moitié ensanglanté. Le ronso se redresse dans un grognement. Il ne prend même pas la peine de s’essuyer, conservant les quelques traces sanguines sur sa fourrure bleutée.

Le voilà qui se met en chemin, retournant à l’endroit d’où lui viennent les effluves. La corniche où il avait entrevu, quelques nuits plus tôt, le fermier.

Le chemin n’est pas bien long, et à bonne distance, le prêtre-guerrier se laisse retomber à quatre pattes. Sa fourrure bleu et blanche se mêlant à l’environnement glaciale, il s’avance, ventre à terre, en direction de son objectif.

Il s’y attendait, mais la vision est bien pire. Le jeune fermier est là, aussi pathétique et sale que d’accoutumé. Son visage tranche avec la blanche neige, rouge, couvert de bleu, et gonflé. Malgré tout, il conserve cette lueur brillante, qui fait de lui, cible du jeu.

S’acharne sur lui deux autres personnes. Un homme plutôt fin, armé d’une massue exotique, fusion insolite d’une pelle et de lames à rasoirs. L’autre est en embonpoint, armé seulement d’une fourche. Deux fermiers à en juger par leurs vêtements, qui frappe sans scrupule le jeune prieur.

Coup de pieds se succèdent, dans une rage inouïe. Que leur a t’il fait, ce jeune homme, pour mériter pareille violence ?

L’œil unique du fauve se pose un instant sur un élément de la scène. Le pendentif en forme de tortue, toujours fermement serré dans la main du jeune homme. Comme un trésor dont il refuse de se séparer, comme l’antidote à un puissant poison qui le sauvera de cette violence.

Les lèvres du jeune homme, malgré la douleur et l’acharnement, mime des mots silencieux. Il prie, même dans une telle situation, il prie.

Bryke commence à camper sur ses pattes arrières, se préparant à bondir. Le saut ne tarde pas, et c’est toute griffes dehors qu’il s’élance sur l’homme fin.

Ce dernier réagit au quart de tour, sous la surprise.

« C’quoi ce BO… ?! »


Le voilà déjà à terre, l’effet de surprise valant le meilleur des combattants. D’un coup de griffe aussi violent que sauvage, la couleur vive se ternit en place d’une gorge déchirée. Un de moins.

Le fauve n’a pas le temps de se reprendre, que la fourche de l’homme gras vient lui transpercer la cuisse. Feulant sous la douleur, le fauve se désengage, portant la main contre sa nouvelle blessure.

Et si le sang ne coule pas, la douleur elle, est bien réelle. Furieux, le fauve se rue vers le fermier, un coup de griffe, un deuxième, un troisième. Le fermier, plus habitué à affronter humains et bêtes de bassecours, ne peut qu’être dépassé par de telles attaques.

Et bien vite, le voilà à terre, perdant lui aussi, sa couleur saturée.

Reprenant son souffle, l’adrénaline du combat enfin fini, la douleur se réveille. La cuisse du ronso le tire, le pique, comme jamais. Et c’est dans un grognement qu’il tourne la tête vers le prieur.

Ce dernier, à terre, a visiblement été témoin de l’affrontement. Saisissant plus fermement son amulette, les yeux fermés, voici qu’il murmure à voix basse.

« Etro, bienveillance incarnée… Etro, bienveillance incarnée… »

Comme si le prêtre-guerrier était un démon, qui serait repoussé en son nom.

Bryke s’accroupit un instant, contemplant le jeune homme, avant de simplement tendre sa main griffue. C’est une tortue qu’il dessine brièvement dans la neige, juste à côté de celui qu’il a sauvé de l’élimination.

Non, ce n’est pas un démon du nuage noir qui est venu ce soir.

Le ronso se redresse, avant de reprendre le chemin de son antre. Boitant toujours sous la douleur, et sans regarder derrière lui.

Le jeune homme verra-t-il seulement le dessin ? Comprendra-t-il ?

Qu’importe. Ce soir, il a rendu honneur à la dame de la montagne.

Et c’est bien là, tout ce qui l’importe.