« né…ale. » Ravness ouvrit les yeux, sentant une main sur son épaule. Sa douleur aux côtes et aux dos lui rappela qu’elle était simplement allongée sur une table en bois, sans couverture et sans coussin, sinon la chair de son bras. Elle se redressa et vit Ebba, dans l’obscurité, à peine éclairée par la faible lumière lointaine d’écrans Gummies devant lesquels étaient regroupés certains gardes. « Générale. » murmura Ebba. Encore une fois, trop proche, la capitaine des gardes pouvait sentir le souffle de la jeune étrangère caresser ses joues. Le souffle court, l’esprit embué, Ravness ne parvint à formuler une pensée claire. « Je… Officier, qu’est-ce… c’est… » Il lui sembla qu’Ebba souriait. Et encore une fois, la générale restait interdite face à l’audace de sa subordonnée. « Chhh… Ne réveillez pas les autres. » La poitrine de la générale se serra, ses membres se raidirent, alors que la grande blonde venait glisser sa main dans la sienne. « Je vous demande de cesser. » parvint-elle à protester, se libérant de l’emprise de la jeune femme. Ebba répondit naturellement. « L’Officier Nathalie veut vous parler de toute urgence, générale. »

Si cette annonce ne parvint pas à totalement la rassurer, elle se sentit tout de même idiote d’avoir cru… Soit. La Générale se leva, se passant de la main tendue d’une subordonnée, et sans enfiler ses pièces d’armure. Simplement habillée, elle marcha aux côtés de la jeune impudente, se laissant guider jusqu’à l’attroupement autour de l’écran Gummi. « Générale ! » dit avec joie l’Officier Nathalie, qui semblait terriblement fatiguée, au beau milieu de cette nuit. Quelques gardes étaient là, dont beaucoup qui auraient dû être ailleurs, notamment dans les cuisines pour protéger sa Majesté la Reine.   « J’ai réussi à contacter la Capitaine ! » La curiosité éveillée, la Générale Primus s’habitua à la lumière de l’écran gummi pour reconnaître, en vidéo, la Capitaine Fiona. Celle-ci souriait plus sombrement qu’à son habitude. À ses côtés, éclairés par le Gummiphone, il y avait l’Officier Kahei et le Sergent Jonas, deux de ses plus anciens amis, que Ravness avait elle-même formés.  

« Générale. » commença Fiona. Dans son dos, elle avait sa longe hache et son arbalète lourde, mais son armure abimée alerta la générale. « Je suis contente de vous savoir encore en jeu. »

« Moi aussi, Capitaine. Pourquoi avez-vous tant tardé à nous contacter ? »

La jeune femme à l’écran parut surprise mais ne répondit pas, devancée par sa seconde, Nathalie. « C’est moi qui l’ai contactée. » expliqua-t-elle avec empressement. « J’y ai passé… des heures ces derniers jours. J’ai tout essayé, je me suis connectée à la plupart des écrans Gummis du château, j’ai essayé de joindre tous les proches de la Capitaine. » La Générale fronça les sourcils. Jonas et Kahei étaient deux de ses plus fidèles amis, Nathalie avait forcément dû essayer de les joindre en premier… Et… « Où êtes-vous, Capitaine ? »

Le regard de Fiona s’assombrit. Sept jours seulement s’étaient écoulés depuis le début de cette guerre, mais ces sept jours semblaient avoir eu davantage d’impact sur la compagnie de la Capitaine. « Dans le hall de la pierre angulaire. »

« Nous avons reçu des rapports. » intervint la Sergente Joséphine avec fermeté. « Les soldats se sont entre-tués dans la salle du Trône et dans le hall au sous-sol. La moitié d’entre eux a trahi la lumière et l’autre moitié a essayé de les punir. Il ne restait que des bandits, à la fin. »

« Vous me connaissez, générale. J’ai essayé de jouer à la plus maligne. » Fiona tenta un sourire qui se révéla peu convaincant. « Le 31, vous avez exigé une cohésion et une fidélité sans faille qui nous permettraient de tenir, unis, face au reste du monde. Je n’avais pas autant d’espoir mais je voulais être certaine de vous apporter la victoire. » La générale prit une inspiration et se ferma, s’apprêtant à être déçue. « J’ai contacté… mes amis. » Fiona laissa échapper un rire plus naturel alors qu’elle regardait autour d’elle ainsi que là où la caméra ne filmait pas. « et des hommes qui, je le savais, ne me trahiraient pas. Abraham est avec moi, Starbucks et Severn aussi. »

« Pardon ? » La Générale regarda Nathalie, stupéfaite de son interruption. Cette dernière souriait encore, mais d’un sourire plus inquiétant. Ses yeux trahirent chez elle un état émotionnel… que Ravness lui ignorait. « Tu… ne m’as pas contactée. »

« Officier. »

« Non, générale, je… » Le sourire de Nathalie se transforma peu à peu en une grimace et ses yeux brillèrent légèrement. « Tu ne m’as rien dit. Je suis ta seconde… Tu penses que… je t’aurais trahie ? » demanda-t-elle dans un sanglot, crachant les derniers mots avec dégoût. Fiona parut plus triste et dévastée qu’elle ne le semblait jusqu’ici. Elle sembla réaliser quelque chose. « Enfin… Nathalie, tu… » elle s’interrompit. « Non, bien sûr que je te fais confiance. »

« Pardon, Générale. » murmura Nathalie avant de s’en aller, avant d’en arriver à pleurer devant deux dizaines de témoins. Fiona, bouche-bée, laissa son regard dériver dans le vide quelques secondes. « Bon. Continuez. »

Cela lui prit un peu de temps, mais sa seconde parvint à réunir ses esprits. « Nous nous sommes cachés, la veille, dans le hall de la pierre angulaire, en pensant que personne ne viendrait avant un moment. » Ravness haussa les sourcils. C’était stupide. « Oui. D’accord. Les combats ont éclaté. Et des hommes ont commencé à descendre. Nous n’étions même pas une dizaine, donc j’ai décidé de tricher. Je me suis engouffrée, avec mes gars, dans la Rivière Intemporelle. »

La Générale se figea, avant de demander aussitôt. « Vous avez perdu la raison ? Cet endroit est sous chronostase ! Et il y est pour de bonnes raisons ! »

« C’était… notre idée. Lord Business va tout rétablir, normalement, à la fin du mois. Nous nous disions qu’il nous sortirait de la chronostase et que… comme nous serions dans un monde figé dans le temps, nous… en sortirions forcément vainqueurs. »

En quelques secondes, une colère emporta la générale, une colère qu’elle eut bien du mal à maîtriser. Elle détailla sa seconde, la personne à qui elle avait confié ses hommes pendant si longtemps, et ne vit en elle qu’une épouvantable idiote, une incroyable déception. Ce procédé était si imprudent, pour les gardes concernés comme pour la Lumière toute entière.

« Shiva est enfermée là-bas pour l’éternité et rien ne doit l’en sortir ! »

« Et elle n’y est plus. » annonça Fiona. « Nous sommes revenus. Le monde n’était pas figé. Il ne l’était plus. Il a dû se passer quelque chose. Alors… nous avons fouillé la Rivière Intemporelle, à la recherche de la Sorcière. Les habitants savaient, pour le jeu, et on a eu beaucoup de mal à maintenir l’équipe. Toujours est-il que Shiva n’est plus enfermée là-bas. Nous venons juste de sortir de cette dimension, en fait… »

La colère de la générale s’apaisa assez vite, car à présent, il était question de bien plus qu’un battle royale. Shiva, l’ancienne maîtresse d’Astral, ce groupe qui avait détruit les Îles du Destin et la Jungle Profonde, qui avait tué Alexandre bien avant qu’elle ne rejoigne la lumière, était libre. « Un problème à la fois, Générale. »

« Oui. Rejoignez-nous. »

Fiona secoua la tête. « Vous avez vos chances, ici, mais vous savez que vous prenez des risques en tenant un campement avec autant de personnes, avec autant de civils à protéger. On va essayer d’une autre manière. Pour la lumière. » La Capitaine Fiona se mit au garde-à-vous. Ravness hocha la tête. « Où partez-vous ? »

« Nous allons prendre quelques vaisseaux et attaquer la Coalition noire. Nous la chasserons à travers les mondes et essaierons d’en éliminer un maximum. »

« Alors… Nous nous reverrons en mars, je suppose. »