Derrière lui, les tours de la citadelle se réduisent à vue d’œil. Sous ses pattes, la poussière s’élève et virevolte à chaque foulée. Cela fait un petit moment qu’il n’a pas croisé d’âmes qui vivent. Visiblement, la majorité des combattants ont préféré accourir vers l’intérieur des remparts. Qui s’intéressera à la campagne dans un événement pareil ?

Et c’est parfait, exactement ce que le fauve espérer. Redressant la tête, son objectif bien visible au loin. Des montagnes se démarquent à la ligne d’horizon, leur sommet blanc témoigne de l’hiver qui est toujours là.

Bien vite, les nuages commencent à se rassembler au-dessus du fauve. Tournoyant, changeant la couleur des environs dans des teintes de gris et noir. S’en suit une première goutte, puis une deuxième… Et il ne faut pas attendre plus pour que la pluie s’en suive.

La fourrure bleue ne tarde pas à changer de forme, s’écrasant dans des touffes humides le long de sa peau. Le fauve relève brièvement la tête vers le ciel. Visiblement, malgré les nouvelles règles et logiques du monde, la météo demeure à son compte.

Cela a un quelque chose d’apaisant. Après les clameurs, les cris, et les bruits de batailles. Le chaos qui a secoué toute la citadelle. Ici, juste un fin silence meurtri par les quelques gouttes, frappant en un rythme presque régulier les champs.

Un grondement vient se mêler, forçant le fauve à s’arrêter un instant. Immobile, comme victime soudainement d’un sort de paralysie. Le ronso attend ainsi quelques minutes, comme pour s’assurer de ce qu’il a entendu. La confirmation ne tarde pas à venir, sous le son d’un nouveau bruit sourd.

Comme emplis d’une soudaine joie, le fauve fixe un instant le ciel, avant de fermer son œil unique. Qu’il savoure ce moment, qui n’est pas arrivé depuis ce qui lui semble être des mois. Il entend son dieu, et il ne peut que ressentir le besoin d’une pause dans sa route.

De quelques enjambés, il se décale vers le champ, avant d’élire domicile temporaire sur un gros rocher. Jambes croisées, presque comme méditant. Le fauve se laisse bercer par la grondante mélodie.

Ce qu’il aimerait avoir son tambour. Ce qu’il voudrait jouer en harmonie avec sa divinité, dans ces moments si particuliers qu’il raffole plus que tout. Cette pensée fait naître un sincère souhait. Que cette mongole, où qu’elle puisse être, chérisse cette relique qu’il a tant aimé.

La foudre vient enfin percer le ciel, dans un dessin complexe aux lumières éblouissante. Les babines du fauve s’entrouvrent brièvement, tandis qu’il hume l’air. Cette odeur d’herbe mouillé, cette lourdeur qui vient lui chatouiller les poils…

… Et autre chose.

Quelqu’un, un villageois à en juger par sa tenue, est en train de le viser à l’arc depuis une fosse proche.

Le fauve, trop perdue dans sa contemplation, n’y prête guère. Et la flèche ne tarde pas à rebondir contre sa poitrine. Bien que cette dernière ne puisse s’accrocher, la cause à son revêtement numérique, la douleur elle, est bien réelle.

Feulant, le fauve se redresse immédiatement. Sa fourrure luit toujours, preuve qu’il est encore dans la course. Mais c’est autre chose qui s’empare du prêtre-guerrier. Une grande et puissante colère.

Comment ose-t-il ? Cet humain ? A le déranger dans un tel événement ? Peut lui importe qu’il y ait un jeu, peu lui importe cette bataille royale. Il ne souhait que l’oublier un instant, que méditer et prier devant cet orage. Aberration, catastrophe !

Dans un rugissement plus bruyant et bestial que jamais, le fauve se redresse de toute sa hauteur devant son attaquant.

Ce dernier déglutit, avant d’encocher une nouvelle flèche.

Et bien que le fauve ne s’approche pas, ce sont ses mains qui s’agitent.

Il serre en premier ses mains en poing, avant de les accoler l'un contre l'autre. L'index et le majeur de la main gauche, par-dessus le poing serré. "Retsu".

Au-dessus de lui, plusieurs lignes blanchâtres se laissent entrevoir dans le ciel, tels des serpents d’électricités, nageant vers un point de rassemblement au-dessus du ronso.

Suivi de la même mudra, deux fois de suite. Main écartés, l'index, pouce et majeur de chaque main joint par le bout des doigts et écarté. Petit doigt et annulaire de chaque main liée. "Rin + Rin"

Le point de rassemblement devient visible, un point blanc crépitant, trouant le ciel de sa lumière.

Il vient conclure son enchaînement par le signe de confirmation. Il vient redresser sa main droite, le coude accole à son torse. Avant de tendre un index, comme s’il demandait le silence.

La foudre se fracasse contre l’archer, dans un bruit assourdissant tandis que ce dernier, paralyser sur le moment, tombe à la renverse.

Parcouru de soubresauts, incapable de seulement gémir, sa couleur vive se ternis à vue d’œil. Le tout, sous le regard courroucé du fauve.

Peu lui importe qu’il ne soit plus en combat, cet affront, cette colère, doit être mener à bien. Le fauve dégaine son arme tandis qu’il se dirige vers son opposant. Son œil unique frémissant d’une haine bestiale avant de s’estomper immédiatement.

Un nouvel éclair à surgit dans le ciel, un message de Rai. N’est-ce pas ce qu’il souhaite ?

Le prêtre-guerrier redresse le regard vers le ciel, attendant.

Un deuxième éclair. Comment doit-il l’interpréter ?

Reposant son regard sur sa victime, dans les quelques soubresauts commencent à peine à s’atténuer.

Le ronso hésite de longues minutes, avant de rengainer son arme.

Ainsi soit-il.