L'Officier Ebba s'approcha d'elle, dans l'obscurité des couloirs, et la prit dans ses bras, la serrant contre elle, contre sa poitrine, glissant ses mains jusqu'à son dos, la touchant où elle n'avait pas d'armure pour la protéger. « ... » Aucun son ne sortit de la bouche de la générale, pétrifiée, presque tétanisée, sentant une chaleur oppressante, étouffante, la serrer à la poitrine. L'étreinte dura quelques secondes au bout desquelles, lorsque la jeune femme aux cheveux d'un blond éclatant s'éloigna enfin, Ravness dut reprendre sa respiration avant d'enfin réussir à s'exclamer, en chuchotements : « Pourquoi avez-vous fait ça, officier ?! C'est totalement inapproprié ! »

Ebba n'était pas suffisamment loin de la capitaine des gardes pour que cette dernière parvînt à ne plus éprouver cette même gêne qui l'occupait depuis qu'elle avait à faire avec cette recrue. Au lieu de ça, au lieu de provoquer chez sa vis-à-vis un sentiment de honte, elle distinguait un sourire aussi digne que fier sur les traits froids et pour ainsi dire parfaits de cette femme... qui lui était, encore il y a peu, étrangère. « Je voulais vous remercier. » chuchota Ebba. « Vous m'avez choisie pour vous accompagner. » La Générale pouvait sentir les yeux de sa subordonnée fixer ses lèvres. « C'est extrêmement embarrassant, Officier. Veuillez arrêter. » soupira Ravness.

« Je... Pour moi aussi, c'est vraiment embarrassant. » ironisa, à quelques mètres, l'Officier Milligan. « Taisez-vous, vous ! » cracha la générale, glissant une main dans son cou, encore affreusement gênée. Il n'y a avait, pour ainsi dire, vraiment rien d'amusant ou de propice à la plaisanterie. La Générale commença à marcher dans le couloir du rez-de-chaussée, en direction d'un des couloirs royaux menant au Hall de la Pierre angulaire de la lumière. « Désolée mais j'avais vraiment envie de vous prendre dans mes bras, générale. » Ravness s'immobilisa. Ses murmures dans la nuit rendaient la chose... absurdement pire, et à peine supportable. Si elle voulait ardemment que l'Officier se taise, se contente de la suivre sans se faire remarquer... une partie d'elle se noyait dans le plus spectaculaire des ridicules, en souhaitant encore davantage que Milligan ne fût pas là. C'était ridicule. Quand bien même aurait-il été ailleurs, qu'imaginait-elle ? Qu'aurait-elle fait ou dit de plus ?

« Je vous connais à peine, Officier. Et nous n'entretenons certainement pas une amitié qui justifierait des embrassades. Maintenant pouv « Dommage. » Ravness se retourna, de plus en plus en colère, pour lever les yeux sur la grande guerrière, distinguant à peine les siens, à cette heure proche de minuit. « Ca suffit ! Vous voulez passer en conseil de discipline?! »

« Je ne vois pas ce que j'ai fait de mal. » répondit-elle avec candeur. « Pitié, taisez-vous. » tenta de conclure Milligan. Bon. La Générale décida de ne plus répondre aux provocations charnelles de l'étrangère. Ce devait être ça. Ebba venait d'un monde détruit, ou endormi, sauf erreur. Ce devait être un endroit où... les gens étaient tous blonds, grands, beaux et extrêmement provocateurs. Ils continuèrent de marcher une petite minute avant de franchir une porte. Ils pouvaient désormais voir le seuil de la porte menant à la bibliothèque du Roi. Ce qui restait de la porte était... brûlé. Il y avait eu un sacré combat dans ce couloir. « Laissez-moi passer. » chuchota Ebba, dégainant de sa ceinture la dague qu'elle avait ramassée sur sa première victime. « C'est le couloir principal. Il y a forcément un piège. »

Milligan pointa du doigt le jardin, ravagé... Les combats n'avaient visiblement cessé qu'il y a peu. Heureusement, cela signifiait bien sûr que beaucoup des soldats encore dans le jeu vidéo devaient être blessés plus ou moins grièvement, et devaient se reposer ou se soigner. Elle ne pouvait donc espérer un meilleur moment que celui-ci pour se rendre à l'infirmerie... si tenté de croire que tous les félons ne s'étaient pas rendus dans ce lieu précisément pour y trouver des soins.
« Le couloir est plus éclairé par les lumières naturelles de la nuit. Si tu traverses, Ebba, tu risques d'être vue. »

« Je suis rapide, Générale. Faites-moi confiance. » Ravness hocha la tête, regardant de loin les moulures de l'encadrement de la grande porte de la Salle du Trône, n'osant imaginer l'état de celle-ci. Ebba commença à courir, d'un sprint parfait, en effet davantage éclairée, révélée par la lumière des étoiles passant entre les colonnes jonchant le hall royal, ne manquant pas de faire voler sa jupe à chacun de ses mouvements. Ravness se mordit la lèvre et guetta un mouvement dans le jardin, se détestant de réagir ainsi, maintenant, des années après Oakley, des années sans avoir ressenti quelque chose d'aussi trivial, quelque chose qui ne lui avait apporté que de la souffrance et cette détestable impression d'être une épouvantable idiote.
L'Officier allait arriver au bout du couloir, devant la porte de l'Infirmerie, quand un incroyable bruit se fit entendre, faisant trembler le château entier. Ebba se jetta au sol. Une déflagration se produisit dans le Jardin, léchant de sa chaleur le visage des quelques gardes. La Générale chercha l'origine de l'explosion avant de chercher Ebba.
« Courez, Milligan ! » Elle s'élança en avant. Quelqu'un avait lancé un sort ou fait exploser une bombe dans le jardin... non loin... Très bien. Eux trois ne semblaient pas visés.

Une autre explosion eut lieu quelques secondes plus tard... La Générale atteignit Ebba et l'aida à se relever. Une autre explosion les fit sursauter en concert. Mais ils arrivèrent devant la porte de l'Infirmerie, sains et saufs.
« Ce sont des canons, je pense. Le Château est bombardé. » tenta d'expliquer la jeune femme. Ravness ne voulut y réfléchir. Elle ouvrit la porte de l'infirmerie sans hésiter. « Derrière moi. » Elle s'avança, passant devant quelques lits, notamment certains où elle avait passé de trop nombreuses nuits, sans voir davantage que cela, incapable de distinguer quoi que ce soit à plus d'un mètre. « Si quelqu'un est là, qu'il se manifeste. Je suis la Générale Primus. » Elle fit une petite pause, posant un pas après l'autre, avec précaution. Ses armes n'étaient pas encore dans ses mains. Elle espérait pouvoir se mouvoir facilement si quelqu'un l'attaquait, et ne voulait pas donner une impression trop pugnace de sa venue. « Mes hommes et moi tenons le réfectoire et les cuisines. Nous avons une grande partie de la nourriture du château. Nous sommes foncièrement plus forts que la plupart des autres unités. » Elle vit quelqu'un, assis entre deux lits, sûrement à l’affût. Elle s'approcha mais crut discerner un regard profondément malheureux, et des couleurs ternes en lieu et place d'un teint normal. « Que voulez-vous, Générale ? » prononça une voix, plus loin dans l'obscurité de cette salle de soins.

« S'il y a des mages pratiquant le soin, ou des médecins, des infirmiers... Nous vous prions de nous rejoindre. Nous aurons une chance, mais seulement en nous unissant. »

Il ne fallut pas les convaincre davantage. Elle soupira quand elle vit quatre personnes s'approcher, encore rayonnantes de couleur, suivies par une quinzaine d'autres éliminées du jeu vidéo. « On prend aussi ceux qui ont perdu. »

La Capitaine des gardes hocha la tête, alors qu'elle remarquait les armes de ces personnes. Quatre pistolets, ou fusils – il lui arrivait de confondre – identiques, capables de faire de gros dégâts. Si certains gardes étaient bel et bien armés de fusils, aucun n'avait d'armes de ce type, et encore moins du personnel soignant. Elle détailla les quatre personnes, ignorant malheureusement ceux qui s'étaient fait battre la veille, puisqu'ils ne pourraient représenter un avantage. Elle reconnut une infirmière, un infirmier et un apprenti mage blanc. À leurs côtés, il y avait un garde qu'elle connaissait fort peu, mais qui sans surprise, avait été affecté la veille à la surveillance de l'Infirmerie.

« Caporal Wilkes. » salua-t-elle en hochant la tête. « Nous ferions mieux d'y aller. Que tous ceux qui sont tués prennent des couvertures avec eux.» Elle se retourna, faisant apparaître cette fois-ci des armes dans ses mains. Elle croisa le regard de l'Ofifcier Ebba et de l'Officier Milligan, raides, s'attendant encore à devoir se battre dans ce petit espace. Milligan mena la marche jusqu'à la porte de la pièce, alors qu'à présent, ils passaient d'un groupe de trois, à un groupe d'une vingtaine de personnes, dont beaucoup dont la seule utilité était de les rendre plus visibles, en l'état. Passer le couloir principal serait plus difficile. Milligan rouvrit légèrement la porte, observa les alentours. « Je crois qu'une des explosions s'est produite près de la caserne. » murmura l'Officier. La Générale hocha la tête. « Juste au-dessus, c'est la salle des armes. Et derrière, il y a nos dortoirs. »

« Si Hind et Fatoumata sont encore là-bas, je ne pense pas qu'on les verra sortir de leur trou avant un petit temps. »

En somme, les explosions avaient incité les rats à se cacher. « Et stationner dans les jardins, à moins de faire partie d'un groupe très important... » Milligan siffla entre ses dents. « Je n'y crois pas non plus. Bon. Officier, vous menez la marche. Tout le monde le suit. Au pas de course. Je serai en milieu de file, et j'essaierai de vous couvrir. Officier Ebba, vous fermez. »