Le garçon entrouvrit les yeux, bercé par le roulement du fer contre les rails. Une petite confusion s’emparait de lui — du grand vaisseau joueur aux ailes droites, à sa douce clairière enneigée, à la vaillante banquette de cuir rouge où il reposait désormais, il peinait à tisser le sens de ce qu’il avait vécu et rêvé, et les connexions de l’un à l’autre qui lui semblaient manquer. Peut-être devait-il apprendre l’art de la couture, se suggérait-il. Machinalement, il passa les mains sur ses yeux, pressant contre eux ses paumes, alors que la lumière de l’extérieur — un vibrant, chaud après-midi — secouait ses yeux bleus.
Où était-il, le vaisseau qui… mais qu’importait, réalisait-il soudain !
Ses paumes ! Ses mains ! Il avait ses mains ! Ioan se redressait avec excitation ! « Elles — » Sa voix ! Il avait sa voix ! Elle lui sonnait étrange, fausse, comme enrouée, mais il la retrouvait avec un certain plaisir. Comme une vieille amie, après une longue séparation. L’enfant secouait les bras vivement, s’amusant du mouvement erratique de ses doigts s’entrechoquant et du blanc de son manteau, qui lui avait tant manqué — et enfin, il regardait dehors.
Son cœur s’arrêta pour une demi-mesure. Son souffle retrouvé se coinça dans ses poumons.
Il voyait là, s’étendant depuis le train jusque si loin qu’il ne savait l’estimer, de grandes plaines d’herbe jaunie, comme une fine couche d’or terne, cerclées au loin par des plateaux rouge-orangés qui venaient, de toute leur hauteur, cacher l’horizon.
Comment était-ce, là haut ?
Pouvait-on toucher les nuages ?
Ioan posait sa main sur la vitre du wagon, comme s’il espérait pouvoir les atteindre.
Bong.
Ses yeux coulèrent jusqu’au sol, où quelque chose était tombé. Il tendit les bras pour s’en saisir.
Ses doigts s’enfoncèrent dans la fourrure synthétique d’une peluche en forme d’éléphanteau, rosé, aux motifs élaborés et abstraits, multicolores ; de grands yeux cousus. Ioan sourit de toutes ses dents. « Eh bah, tu es resté ! » S’immisçait en lui plus de joie encore ! Lui qui avait tant espéré pouvoir échanger avec cet ami ! Pouvoir lui dire, enfin ! Pourquoi parler avec ce qui avait été créé, et avait tant à exprimer !
Mais l’éléphanteau restait muet. Parfaitement immobile.
Pire. Son regard avait perdu de sa vivacité. De sa lumière. De sa nuance.
L’enfant n’y voyait qu’une inertie navrée, et peinée.
Il perdit tout sourire. « Hey… ça ne va pas..? » Ioan caressait la tête et le pelage de son ami, en vain. Il n’obtenait aucune réaction. Sa gorge se serra. « Hey… » tentait-il, sans trouver les mots adéquats. Que faire ? Que pouvait-il faire ? L’éléphanteau ne voulait-il plus lui parler ? Pourquoi ? Est-ce qu’il avait fait quelque chose de mal ? De si mal ? Son regard se plissa d’une tristesse toute commune.
« Est-ce que… »
La porte derrière lui s’ouvrit d’un coup, d’un seul — fort, en grand ! — lui arrachant un sursaut. L’enfant plaqua la peluche contre son torse.
Le train s’était arrêté.
« Tiens tiens tiens… » claquait l’homme qui passait sa tête dans le wagon, un sourire peu amène sur ses lèvres sèches. « On a un pov’ chaton qui s’est perdu. » Ioan cherchait son regard, d’instinct. Un regard bleu, comme le sien, mais ô combien plus froid. Un froid tranchant avec le chaud des couleurs extérieures, bien qu’il tentait de le dissimuler sous d’imposants sourcils broussailleux. Le garçon retint un frisson. Ioan croyait entendre des éclats de voix, au loin, dehors, qui lui échappaient. « J’en ai un là ! » hélait l’homme face à lui vers l’arrière, redressant nonchalamment sur l’enfant un il-ne-savait-quoi de fer et de bois. L’objet l’intriguait ; long, replié contre la paume de son porteur, et finement ouvragé. Ioan distinguait les motifs de feuilles gravés sur le métal. Seul un maître artisan pouvait avoir réalisé pareil ouvrage ! Le garçon se redressait lentement, intrigué. Il voulait… « Hep ! On bouge pas, gamin. Tu sais comment ça finit sinon, hein ? » le mettait-il en garde avec un sourire factice.
Non, Ioan ne le savait pas. Mais il entendait la lame de rasoir, au fond de la voix de cet homme, discrète mais efficace. Alors, comme poussé par un petit élan d’instinct, il se tut.
Schling.
Schling.
Schling.
Un pas cinglant, cliquetant. L’enfant redressait la tête vers ce bruit inhabituel et régulier.
De l’autre côté du wagon, un grand homme à la chevelure blonde s’appuya contre l’encadrement de la porte, ponctuant la fin des cliquettements. Sa peau rendue pêche par le soleil était parsemée, au visage, d’une barbe rêche. Ses yeux d’un brun clair brillaient d’une lueur mutine — de ceux qui savent avoir le dessus — et prédatrice.
« — Allez, fit-il après avoir observé un moment Ioan, de loin. On a moyen de s’amuser avec quelques jours. Il est pour toi. Embarque-le, ordonnait-il plus qu’il ne le suggérait.
- T’as entendu gamin ? T’as gagné un jour d’plus, dis merci. »
Ioan reportait son attention sur le premier homme, muet.
Une seconde de ce silence suffit — « Bah alors t’as pas d’langue ?! » L’homme le saisit au col. « S.. si… »
« — Bien c’qui m’semblait. Alors remercie-moi de pas t’en coller une dans la tête maintenant, pour l’manque de respect.
- M… merci, balbutiait le garçon sans comprendre.
- C’est con, hein ? se mettait soudain à ricaner l’inconnu. Un peu moins et t’étais hors du jeu vu ta tronche. »
« Allez. Debout. Pour Hill Valley. Et sois gentil, hein, comme une bonne petite putain. »
Où était-il, le vaisseau qui… mais qu’importait, réalisait-il soudain !
Ses paumes ! Ses mains ! Il avait ses mains ! Ioan se redressait avec excitation ! « Elles — » Sa voix ! Il avait sa voix ! Elle lui sonnait étrange, fausse, comme enrouée, mais il la retrouvait avec un certain plaisir. Comme une vieille amie, après une longue séparation. L’enfant secouait les bras vivement, s’amusant du mouvement erratique de ses doigts s’entrechoquant et du blanc de son manteau, qui lui avait tant manqué — et enfin, il regardait dehors.
Son cœur s’arrêta pour une demi-mesure. Son souffle retrouvé se coinça dans ses poumons.
Il voyait là, s’étendant depuis le train jusque si loin qu’il ne savait l’estimer, de grandes plaines d’herbe jaunie, comme une fine couche d’or terne, cerclées au loin par des plateaux rouge-orangés qui venaient, de toute leur hauteur, cacher l’horizon.
Comment était-ce, là haut ?
Pouvait-on toucher les nuages ?
Ioan posait sa main sur la vitre du wagon, comme s’il espérait pouvoir les atteindre.
Bong.
Ses yeux coulèrent jusqu’au sol, où quelque chose était tombé. Il tendit les bras pour s’en saisir.
Ses doigts s’enfoncèrent dans la fourrure synthétique d’une peluche en forme d’éléphanteau, rosé, aux motifs élaborés et abstraits, multicolores ; de grands yeux cousus. Ioan sourit de toutes ses dents. « Eh bah, tu es resté ! » S’immisçait en lui plus de joie encore ! Lui qui avait tant espéré pouvoir échanger avec cet ami ! Pouvoir lui dire, enfin ! Pourquoi parler avec ce qui avait été créé, et avait tant à exprimer !
Mais l’éléphanteau restait muet. Parfaitement immobile.
Pire. Son regard avait perdu de sa vivacité. De sa lumière. De sa nuance.
L’enfant n’y voyait qu’une inertie navrée, et peinée.
Il perdit tout sourire. « Hey… ça ne va pas..? » Ioan caressait la tête et le pelage de son ami, en vain. Il n’obtenait aucune réaction. Sa gorge se serra. « Hey… » tentait-il, sans trouver les mots adéquats. Que faire ? Que pouvait-il faire ? L’éléphanteau ne voulait-il plus lui parler ? Pourquoi ? Est-ce qu’il avait fait quelque chose de mal ? De si mal ? Son regard se plissa d’une tristesse toute commune.
« Est-ce que… »
La porte derrière lui s’ouvrit d’un coup, d’un seul — fort, en grand ! — lui arrachant un sursaut. L’enfant plaqua la peluche contre son torse.
Le train s’était arrêté.
« Tiens tiens tiens… » claquait l’homme qui passait sa tête dans le wagon, un sourire peu amène sur ses lèvres sèches. « On a un pov’ chaton qui s’est perdu. » Ioan cherchait son regard, d’instinct. Un regard bleu, comme le sien, mais ô combien plus froid. Un froid tranchant avec le chaud des couleurs extérieures, bien qu’il tentait de le dissimuler sous d’imposants sourcils broussailleux. Le garçon retint un frisson. Ioan croyait entendre des éclats de voix, au loin, dehors, qui lui échappaient. « J’en ai un là ! » hélait l’homme face à lui vers l’arrière, redressant nonchalamment sur l’enfant un il-ne-savait-quoi de fer et de bois. L’objet l’intriguait ; long, replié contre la paume de son porteur, et finement ouvragé. Ioan distinguait les motifs de feuilles gravés sur le métal. Seul un maître artisan pouvait avoir réalisé pareil ouvrage ! Le garçon se redressait lentement, intrigué. Il voulait… « Hep ! On bouge pas, gamin. Tu sais comment ça finit sinon, hein ? » le mettait-il en garde avec un sourire factice.
Non, Ioan ne le savait pas. Mais il entendait la lame de rasoir, au fond de la voix de cet homme, discrète mais efficace. Alors, comme poussé par un petit élan d’instinct, il se tut.
Schling.
Schling.
Schling.
Un pas cinglant, cliquetant. L’enfant redressait la tête vers ce bruit inhabituel et régulier.
De l’autre côté du wagon, un grand homme à la chevelure blonde s’appuya contre l’encadrement de la porte, ponctuant la fin des cliquettements. Sa peau rendue pêche par le soleil était parsemée, au visage, d’une barbe rêche. Ses yeux d’un brun clair brillaient d’une lueur mutine — de ceux qui savent avoir le dessus — et prédatrice.
« — Allez, fit-il après avoir observé un moment Ioan, de loin. On a moyen de s’amuser avec quelques jours. Il est pour toi. Embarque-le, ordonnait-il plus qu’il ne le suggérait.
- T’as entendu gamin ? T’as gagné un jour d’plus, dis merci. »
Ioan reportait son attention sur le premier homme, muet.
Une seconde de ce silence suffit — « Bah alors t’as pas d’langue ?! » L’homme le saisit au col. « S.. si… »
« — Bien c’qui m’semblait. Alors remercie-moi de pas t’en coller une dans la tête maintenant, pour l’manque de respect.
- M… merci, balbutiait le garçon sans comprendre.
- C’est con, hein ? se mettait soudain à ricaner l’inconnu. Un peu moins et t’étais hors du jeu vu ta tronche. »
« Allez. Debout. Pour Hill Valley. Et sois gentil, hein, comme une bonne petite putain. »