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Nous sommes quatorze ans après les évènements de Kingdom Hearts 2. En tant d’années, les choses ont considérablement changé. Les dangers d’hier sont des soucis bénins aujourd’hui, et au fil du temps, les héros ont surgi de là où on ne les attendait pas. Ce sont les membres de la lumière qui combattent jour après jour contre les ténèbres.

Ce n’est plus une quête solitaire qui ne concerne que certains élus. C’est une guerre de factions. Chaque groupe est terré dans son quartier général, se fait des ennemis comme des alliés. Vivre dehors est devenu trop dangereux. Être seul est suicidaire. A vous de choisir.

La guerre est imminente... chaque camp s'organise avec cette même certitude pour la bataille.

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Le garçon entrouvrit les yeux, bercé par le roulement du fer contre les rails. Une petite confusion s’emparait de lui — du grand vaisseau joueur aux ailes droites, à sa douce clairière enneigée, à la vaillante banquette de cuir rouge où il reposait désormais, il peinait à tisser le sens de ce qu’il avait vécu et rêvé, et les connexions de l’un à l’autre qui lui semblaient manquer. Peut-être devait-il apprendre l’art de la couture, se suggérait-il. Machinalement, il passa les mains sur ses yeux, pressant contre eux ses paumes, alors que la lumière de l’extérieur — un vibrant, chaud après-midi — secouait ses yeux bleus.

Où était-il, le vaisseau qui… mais qu’importait, réalisait-il soudain !

Ses paumes ! Ses mains ! Il avait ses mains ! Ioan se redressait avec excitation ! « Elles — » Sa voix ! Il avait sa voix ! Elle lui sonnait étrange, fausse, comme enrouée, mais il la retrouvait avec un certain plaisir. Comme une vieille amie, après une longue séparation. L’enfant secouait les bras vivement, s’amusant du mouvement erratique de ses doigts s’entrechoquant et du blanc de son manteau, qui lui avait tant manqué — et enfin, il regardait dehors.

Son cœur s’arrêta pour une demi-mesure. Son souffle retrouvé se coinça dans ses poumons.

Il voyait là, s’étendant depuis le train jusque si loin qu’il ne savait l’estimer, de grandes plaines d’herbe jaunie, comme une fine couche d’or terne, cerclées au loin par des plateaux rouge-orangés qui venaient, de toute leur hauteur, cacher l’horizon.

Comment était-ce, là haut ?

Pouvait-on toucher les nuages ?

Ioan posait sa main sur la vitre du wagon, comme s’il espérait pouvoir les atteindre.

Bong.

Ses yeux coulèrent jusqu’au sol, où quelque chose était tombé. Il tendit les bras pour s’en saisir.

Ses doigts s’enfoncèrent dans la fourrure synthétique d’une peluche en forme d’éléphanteau, rosé, aux motifs élaborés et abstraits, multicolores ; de grands yeux cousus. Ioan sourit de toutes ses dents. « Eh bah, tu es resté ! » S’immisçait en lui plus de joie encore ! Lui qui avait tant espéré pouvoir échanger avec cet ami ! Pouvoir lui dire, enfin ! Pourquoi parler avec ce qui avait été créé, et avait tant à exprimer !

Mais l’éléphanteau restait muet. Parfaitement immobile.

Pire. Son regard avait perdu de sa vivacité. De sa lumière. De sa nuance.
L’enfant n’y voyait qu’une inertie navrée, et peinée.

Il perdit tout sourire. « Hey… ça ne va pas..? » Ioan caressait la tête et le pelage de son ami, en vain. Il n’obtenait aucune réaction. Sa gorge se serra. « Hey… » tentait-il, sans trouver les mots adéquats. Que faire ? Que pouvait-il faire ? L’éléphanteau ne voulait-il plus lui parler ? Pourquoi ? Est-ce qu’il avait fait quelque chose de mal ? De si mal ? Son regard se plissa d’une tristesse toute commune.

« Est-ce que… »

La porte derrière lui s’ouvrit d’un coup, d’un seul — fort, en grand ! — lui arrachant un sursaut. L’enfant plaqua la peluche contre son torse.
Le train s’était arrêté.

« Tiens tiens tiens… » claquait l’homme qui passait sa tête dans le wagon, un sourire peu amène sur ses lèvres sèches. « On a un pov’ chaton qui s’est perdu. » Ioan cherchait son regard, d’instinct. Un regard bleu, comme le sien, mais ô combien plus froid. Un froid tranchant avec le chaud des couleurs extérieures, bien qu’il tentait de le dissimuler sous d’imposants sourcils broussailleux. Le garçon retint un frisson. Ioan croyait entendre des éclats de voix, au loin, dehors, qui lui échappaient. « J’en ai un là ! » hélait l’homme face à lui vers l’arrière, redressant nonchalamment sur l’enfant un il-ne-savait-quoi de fer et de bois. L’objet l’intriguait ; long, replié contre la paume de son porteur, et finement ouvragé. Ioan distinguait les motifs de feuilles gravés sur le métal. Seul un maître artisan pouvait avoir réalisé pareil ouvrage ! Le garçon se redressait lentement, intrigué. Il voulait… « Hep ! On bouge pas, gamin. Tu sais comment ça finit sinon, hein ? » le mettait-il en garde avec un sourire factice.

Non, Ioan ne le savait pas. Mais il entendait la lame de rasoir, au fond de la voix de cet homme, discrète mais efficace. Alors, comme poussé par un petit élan d’instinct, il se tut.

Schling.

Schling.

Schling.


Un pas cinglant, cliquetant. L’enfant redressait la tête vers ce bruit inhabituel et régulier.

De l’autre côté du wagon, un grand homme à la chevelure blonde s’appuya contre l’encadrement de la porte, ponctuant la fin des cliquettements. Sa peau rendue pêche par le soleil était parsemée, au visage, d’une barbe rêche. Ses yeux d’un brun clair brillaient d’une lueur mutine — de ceux qui savent avoir le dessus — et prédatrice.

« — Allez, fit-il après avoir observé un moment Ioan, de loin. On a moyen de s’amuser avec quelques jours. Il est pour toi. Embarque-le, ordonnait-il plus qu’il ne le suggérait.
- T’as entendu gamin ? T’as gagné un jour d’plus, dis merci. »

Ioan reportait son attention sur le premier homme, muet.

Une seconde de ce silence suffit — « Bah alors t’as pas d’langue ?! » L’homme le saisit au col. « S.. si… »

« — Bien c’qui m’semblait. Alors remercie-moi de pas t’en coller une dans la tête maintenant, pour l’manque de respect.
- M… merci, balbutiait le garçon sans comprendre.
- C’est con, hein ? se mettait soudain à ricaner l’inconnu. Un peu moins et t’étais hors du jeu vu ta tronche. »

« Allez. Debout. Pour Hill Valley. Et sois gentil, hein, comme une bonne petite putain. »
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Il ne comprenait pas, Ioan Kappel. Il ne comprenait pas les gestes brusques qui ne se liaient de rien, et les paroles amères qui se déliaient sans qu’une bribe de conversation y invita. Il ne savait que faire des bousculades qu’on lui imposait, qu’il suivait comme une feuille morte, portée par le courant ; ou des ordres qu’on lui hélait, qu’il exécutait lorsqu’il savait les interpréter, ou qu’on lui forçait tant bien que mal dans l’occipital.

Il ne comprenait pas, Ioan Kappel. Et son souffle était court. Il ne comprenait pas Ioan Kappel, pris dans l’étreinte d’une femme dont il ne connaissait pas le nom. Il n’avait pas saisit la tension dans l’air, il n’avait pas perçu la gravité qu’il pouvait y avoir, dans la chute d’un verre. Pour sûr, il s’était navré de voir son contenu répandu sur le parquet, qui, bien loin d’être assoiffé, se tassait se mécontentement — mais allons. Tout ceci était fort remédiable. Et le verre allait bien — pas une brisure au transparent de sa robe !

Alors il n’avait pas compris, Ioan Kappel, quand celui-ci qui lui ressemblait tant avait pali. Quand il avait fui, couru. Quand il vit la plus indescriptible des peurs au fond de ses prunelles ambrées. Quand ils l’arrêtèrent. Quand ils le précipitèrent contre le comptoir qui en grinçait de surprise. Quand ils recommencèrent. Une fois. Une autre. Il ne comprit pas non plus quand ils le trainèrent dehors, ni quand cette dame à côté de lui le prit contre elle pour l’empêcher de s’approcher.

Il ne comprenait pas, Ioan Kappel.

Mais il entendait.

Un coup.

Deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix — 

— plus.

Au rythme de son cœur, au rythme des détonations.

Spoiler :
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Un coup derrière le crâne. Ioan se crispait momentanément. « Une bière. Magne-toi. » Les lueurs du jour, par-delà les portes battantes du saloon, l’attiraient… mais celles-ci restaient désespérément closes. Elles avaient aimé, pourtant, valser au passage régulier des clients ! Aujourd’hui leurs gonds laissaient s’échapper une plainte triste, dès lors qu’on effleurait leur bois sec. L’enfant les dépassait et se glissait sans bruit derrière le comptoir ; un espace étriqué aux placards fermés. Bien en rang ! Une belle procession sans fioritures. Le garçon s’était bien demandé ce qui pouvait s’y cacher. Il avait voulu s’y risquer. Voir, juste un instant ! Mais ils n’avaient pas aimé. Les autres ; ceux qui parlaient si fort et riaient si haut, mangeant de leur seule voix, de leur seule présence, tout l’espace.

Ceux qui n’étaient pas de leurs amis étouffaient. Ils les regardaient, anxieux malgré leurs joues rosies. Ils attendaient une instruction, un ordre. Ils espéraient, peut-être. Ioan pensait le lire dans la lueur qui brillait au fond de leurs prunelles — à chaque symphonie de sabots, au-dehors ! Bien souvent, pourtant, le dernier mouvement reposait sur leur déception commune.

L’enfant ne comprenait toujours pas. Mais il n’aimait pas tout ceci. Il n’aimait pas la violence toute commune que Ceux-là Qui Riaient avaient pour Ceux-ci Qui ne Riaient Pas. Il passa la main sur son avant-bras endolori et releva la manche de son manteau pour dévoiler sa chair marquée.
Il trouvait, à tout le moins, dans les teintes verdâtres, violacées, et jaunies de sa peau, quelque tableau original, qui finirait bien par lui suggérer une histoire inédite. Il se fendit d’un sourire, fin, et redressa la tête.

Bleu - Vert - Brun - Blanc - Bleu ; ses yeux se balançaient de bouteille en bouteille. Il oubliait, momentanément. Son pas se fit léger, presque sautillant, suivant en rythme les passages de son regard d’un contenant à un autre, et ralentissant occasionnellement, agrippé par le clin d'œil aguicheur d’une égérie-sur-étiquette. 

« EH ! Faut que je vienne te chercher ?! »

Ses pieds manquèrent une latte, et il se rattrapa d’un titubement maladroit. Bière. Il connaissait la forme de ce qui la contenait, désormais, on lui avait montré ; un immense tonneau de bois clair, qui avait subi une mauvaise aventure à la livraison. Sur son flanc droit, Ioan pouvait voir, encore, les traces du frottement brutal des chaînes de transport. On l’avait bien chahuté. Alors, il le caressait du bout des doigts, dans un geste doux, tranquille, rassurant, puis il saisit délicatement une chope sur l’étagère de pin à sa gauche, et tourna le robinet de cuivre. Son pouce passait machinalement sur le verre épais et opaque. Hier. Hier. Un murmure, au fond de son esprit. Hier. Un coup. Deux, trois… Il fixait le niveau du liquide brun-or monter, lentement, dans la chope. Quatre, cinq, six… Ses yeux bleus et fatigués semblaient, dans les bribes de reflet qu’il percevait sur les bouteilles, bien peu radieux. Sept, huis, neuf - plus ! La Belle Pêcheresse, d’ailleurs, semblait s’en inquiéter. Bien installée sur le papier, enroulée autour de sa liqueur, son sourire de la veille s’était perdu sous une tâche graisseuse. Mais il ne le fallait pas. Il ne fallait pas qu’elle s’alourdisse ainsi. L’enfant sentit une légère tristesse secouer ses traits — mais il se fendit d’un sourire bienveillant.

Tout irait bien. Il lui suffisait — leur suffisait — de retrouver le chemin. 

Le froid de la bière sur sa main le rappela au robinet ! D’un sursaut, l’enfant le ferma d’un geste expert, et se releva avec précaution et précision. Il ne devait pas en faire tomber une goutte. Il ne devait pas la gâcher. Il savait comme il était complexe de faire pareille boisson. Il avait essayé, déjà ! — Avec Chen. Avec son ami. Avec son monstre généreux. La langue coincée contre l’arrière de ses dents, les lèvres pincées, Ioan marchait d’un pas prudent. Un pas, puis un autre. Le parquet, amusé par tant d’attention, craquait, ricanait bêtement, révélant le mouvement lent et laborieux du garçon. 

Alors, l’homme au regard de neige serra la mâchoire, depuis le fond de la pièce. 

« Mais merde c’est pas compliqué ! Une vieille unijambiste a plus de putain d’jugeote qu’toi ! »

Les autres éclataient de rire. Lui, n’était pas amusé. Lui, faisait crisser les pieds de sa chaise contre les lattes de bois, qui ne riait plus, non plus. Ioan, se dégageant du comptoir, l’avisait avec une mine confuse. « D’accord, » acceptait-il simplement.

Il ne connaissait, de fait, aucune personne âgée privée de l’une de ses jambes. 

« - D’accord ? C’est tout ? sifflait l’homme entre ses dents, sourire acide aux lèvres.
- Désolé. »

Le garçon ne comprenait toujours pas. Mais tous semblaient insister pour qu’il soit désolé de tout, et les autres de Ceux-ci Qui Ne Riaient Pas l’étaient aussi. Alors, il s’y conformait.

Une jeune femme à la longue chevelure blonde se crispa lorsque Celui-là Qui Riait qui ne riait plus se releva. Elle savait. Elle savait comme les autres — pantins muets frémissant en fond de salle. « J’préfère. » L’homme prit la chope entre ses mains, sans y faire attention. Il en reversait le tiers d’un geste brusque. Pestait. Ioan détaillait l'usure de sa longue veste de cuir. Il tentait d'y lire ses aventures — les lieux où elle s'était rendu. Les espaces où elle avait reposé.
Et il se sentit partir. D'un coup. Basculer. Sentit la main resserrée sur ses cheveux à les lui en tirer du crâne. Et le bois. Le choc du bois. Le choc.

Il avait mal. Il avait mal.

Pourquoi s’excuser, oui ?
Il ne comprenait pas.

Aujourd’hui, comme hier.

Cela ne changeait rien.
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« — Est-ce que tu as moins mal ? lui demandait-elle, ses yeux noisette parcourant son front avec attention.
- Je crois, répondit-il simplement.
- Tu crois ?
- Hm. Aïe. »

Elle ôta sa main, ne risquant plus ses doigts sur la tâche prune qui longeait la tempe du garçon. « Tu devrais faire attention, à la façon dont tu leur parles. » Son ton se voulait doux, mais il avait des accents graves ; quelques reproches dissimulés, dont Ioan s’interrogeait. « Ils trouvent ça amusant, de te malmener. »

« — Pourquoi ?
- Parce qu’ils aiment s’en prendre aux autres. Et que tu prends sans rendre.
- C’est important, de rendre ce que l’on a reçu. »

La jeune femme posa sur lui un regard confus, qu’elle lui soustrayait brièvement pour aviser un vieil homme, au fond de la salle, avant de lui revenir. « Pourquoi ne dis-tu rien, alors ? » l’interrogeait-elle. Et il ne savait que répondre. Ioan était convaincu par ce principe — sans savoir comment le mettre en œuvre. Ou plutôt, en quel sens il le pensait légitime. Ses doits se resserrèrent sur l’éléphanteau rose, qu’il maintenait sur ses cuisses, au rebord de son matelas. Ses épaules s’alourdirent, cédant sous le poids de pensées qu’il n’ordonnait pas. Il n’aimait pas la violence, il pensait pouvoir le dire. Elle le mettait mal à l’aise. Il pouvait cependant reconnaître la grande force et la prestance des combattants les plus aguerris. Ils avaient cette aura : cet élan charismatique, par lequel lui, comme d’autres, se laissait emporter et porter. S’il fallait rendre ce que l’on recevait, Ioan n’était pas sûr d’avoir reçu quoi que ce soit de ces hommes, qu’il ait à leur restituer. Après tout, ils ne faisaient que retirer, ôter, s’arroger. Ils ne donnaient pas, si ? Etait-ce cela, le cœur de la chose ? Ou bien pensait-il trop petit ? Ne voyait-il pas assez loin ? Sa tête tomba légèrement, pensif qu’il était. « Petit ? » Il la releva. « Ce n’est rien, va. C’est bientôt fini. » Elle lui offrit un sourire doux, un sourire qui se voulait rassurant — comme celui qu’il avait adressé la veille à la Belle Pêcheresse — et il le lui rendit simplement, en parfait miroir.

Il se demandait, pourtant. « Qu’est-ce qui est bientôt fini ? »

« — Tout ça. Pour le moment ils profitent… ils s’amusent du fait qu’on ne puisse pas mourir. Mais bientôt, d’autres vont arriver. D’autres participants. On aura notre chance.
- Est-ce qu’il va revenir, alors ? Celui qui est comme moi ? »

Elle ne parut pas comprendre. « Hier d’hier. Celui qui a fait tomber le verre. » Les lèvres de la jeune femme s’amincirent. « Oui… oui. J’espère. On… »

Ioan se perdit dans le creux de ses joues, remontant jusqu’à ses pommettes. Son malaise se faisait sillon sur sa peau ; sa fatigue se faisait boulet à ses yeux ; son désarroi agitait ses mains fines. L’enfant la détaillait non sans une petite et délicate tristesse. « On ne sait pas exactement ce qu’ils font à ceux qu’ils éliminent. » Elle n’était pas méchante. Il voulait la voir sourire, encore. Alors, il glissa ses mains jusqu’aux siennes. « Ca va a — »

« Il faut qu’on fasse quelque chose. Ca ne peut plus durer. »
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Ioan n’avait qu’une mission : courir jusqu’à la grande grange, à l’est, et ouvrir les portes. Leurs amis, disaient-ils, pensaient-ils, devaient s’y trouver enfermés. S’ils pouvaient les libérer, cela leur ferait un soutien non négligeable.

« Ca » ne pouvait plus durer. Ceux qui se trouvaient autour de lui s’enhardissaient, croyait-il comprendre, de ne pas pouvoir mourir.

Au pire, raisonnaient-ils, que pouvait-il se passer ?

Qu’avaient-ils à perdre ?

Ceux-ci Qui Ne Riaient Pas voulaient renverser Ceux-là Qui Riaient. Assis sur son matelas, l’enfant attendait le signal, entrechoquait ses pieds dont le talon reposait sur le parquet, à un rythme régulier. Il ne portait en lui aucune excitation, aucun enthousiasme particulier. Une révolution, pourtant ! Un acte héroïque, même ! — A en croire les récits de quelques hommes et femmes, Ceux-là Qui Riaient avaient tout des vilains que Daisy insérait dans ses histoires d’enfant, et qu’elle l’avait porté à destituer. Toute cette situation, et l’idée de se trouver à nouveau dans un rôle si mélioratif, peinait pourtant à l’enchanter. Il ne savait pas pourquoi. Il avait pourtant été McMara dans une autre existence ! — Un autre rôle. Ne devait-il pas porter cet héritage ?

Le garçon trouvait néanmoins son réconfort dans l’idée que, si de pauvres âmes étaient enfermées dans cette vieille grange tassée, il était certainement bon, en soi et pour soi, de leur donner la liberté de la quitter si elles l’entendaient ainsi.

Demain.

Demain tout changerait. D’autres avaient leurs missions à accomplir. Du matériel à rassembler. Des messages à tenter d’adresser. Aujourd’hui Ioan devait simplement attendre.

Il serrait contre lui son ami, son éléphanteau rose — toujours immobile, toujours muet, le regard vide de toute intention et lueur. Il enfonça sa tête dans son poitrail délavé.
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Ils se regardèrent les uns les autres emplis d’une détermination telle que l’enfant n’était pas sûr d’en avoir déjà vue. Ioan prit une inspiration, comme étouffé par cet élan de volonté oppressant, contrit par l’appréhension de chacun des participants.

Il se tenait là, penaud, confus, grossi par son ami synthétique bien coincé sous les pans de sa veste blanche.

« Dès qu’Everett donne l’alerte, on fonce. »

Tous hochèrent – à la différence notable du garçon qui, de toute évidence, ne savait dire de qui ils parlaient. Il se fierait à leurs actions et réactions, se disait-il simplement.

Trois coups de feu.

Un.

Deux.

Trois.

« C’est le signal ! » Le vieil homme serra les mains sur la pelle gémissante qu’il précipitait contre la porte : ils étaient une dizaine de citoyens, peut-être, parqués dans l’une des arrière-salles du saloon, et ils s’engouffrèrent vers celle qui servait de bar. L’enfant s’immobilisa un instant, ses oreilles l’agrippant aux cris qu’ils se donnaient pour courage !

Mais il fut bien vite chamboulé, bousculé, poussé, jusqu’à la première place forte. Trois de Ceux-là Qui Riaient, demeurés sur place, mirent un court laps de temps avant de réagir. Leurs visages tournés vers la rue, les coups de feu avaient détourné leur attention.

Le premier prit un cinglant coup de pelle au visage.
Le second se vit renverser une table dessus, et se fit marteler à la chaise. De deux coups, trois, quatre…
Le troisième eut le temps de tirer une fois. Le vieil homme s’effondrait – mais surgissaient quatre autres hommes à peine était-il tombé, dont le nombre dépassèrent l’agresseur, et il disparut sous les cris et les coups. Cinq, six…

Ioan avançait d’un pas hésitant. Une part de lui restait là, à regarder. A s’imprégner, sans qu’il le recherche. A vouloir savoir.

Mais Celle-ci Qui Ne Riait Pas et qui s’était occupée de lui, lui donna une bonne tape dans le dos. Rigide, crispée – comme elle n’était pas, d’ordinaire. « Cours ! » intimait-elle !

Alors, il courut.
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Il courut en suivant les cailloux dans la terre sèche — un mouton grisâtre, et une dame ronde qu’il avait aperçus lorsqu’on l’avait guidé jusqu’à Hill Valley. Il n’écoutait pas, il n’écoutait plus, les détonations et le bois qui craque ; le sable qui crisse, et les cris qui retentissent. Il traversait la grande rue au sol tassé par les passages, s’engageait aux côtés d’une bâtisse au bois peint de blanc, donc il effleurait les planches salies par la poussière et la terre, et longeait un porche tranquille sous lequel une chaise se roulait encore d’avant en arrière, récemment délaissée par son occupant.

Il y en avait un, peut-être, qui tentait de le suivre. Ioan avait cru être interpelé, mais cette interjection s’était perdue, comme le reste, au profit de sa mission si importante.

Une part de lui se sentait McMara à nouveau. Un héros concentré sur ses objectifs. Un individu sur lequel reposait le sort d’un royaume entier. Pourtant, il n’était pas certain que ce qu’il faisait pouvait avoir un tel impact. On le lui avait toutefois assuré : c’était très important. Cela pouvait peut-être aider beaucoup de monde — beaucoup de Ceux-ci qui ne riaient pas et qui s’étaient perdus, que l’on ne trouvait plus.

L’enfant profitait de l’ombre des maisons. Ses yeux furent momentanément attirés par cette flèche de bois et de vitraux, à la base de pierre, sous le regard de laquelle il se glissait. Il se figurait sur ses vitres colorées la triste histoire d’un homme ayant souffert, de trop, au regard triste mais doux. Ioan se sentit s’alourdir. Le vent soufflait un air chaud.

Quand tournerait-il ?

L’enfant poursuivait — quittant les maisonnées pour des ilots d’herbe cassante, émergeant ça et là dans la terre ocre. Il prenait garde à ne pas les fouler, le regard bas. Il ne le remontait qu’occasionnellement pour chercher son objectif : une grande grange, s’élevant seule au milieu de champs en jachère ; un temple oublié. Son bois sombre se découpait sur le ciel d’un bleu saisissant, vif, criard. Seuls quelques nuages tempéraient sa vivacité d’un peu de douceur. Mais ils étaient clairs, eux aussi.

Alors, la grange conservait pour elle tout son solennel.
Comme un mauvais présage, au milieu d’une belle journée ensoleillée.

Ioan prit une grande bouffée d’air, soulagé par son ombre salvatrice.
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Les balles, expulsées des cylindres de fer, brûlées, frappées, criaient leur douleur tandis qu’elles traversaient les airs, d’un bout à l’autre de la rue principale de Hill Valley.

Pourtant, leur grondement, près de la grande grange, était distant, étouffé par les grillons. Ioan reprit son souffle. Enfin. Il se sentait, qui se glissait entre deux courants chauds : une brise fraîche, qui caressait sa nuque. Il se fendit d’un sourire heureux — cette sensation, à elle seule, le rappelait à des jours qu’il avait aimés, à des aventures qu’il chérissait ! — et se serait plu à revivre.

— Quoiqu’encore : n’était-il pas plus enthousiasmant d’en vivre de nouvelles ? L’enfant prit le chemin de la porte. Entre deux regards pour la sombre bâtisse, il laissait ses yeux suivre le tracé des passages dans le sol. Ioan allait d’un pas trop grand pour lui, calant ses pieds dans la piste marquée par un autre ; par un individu aux grandes bottes talonnées, plus lourd qu’il ne l’était.

Face à lui, enfin, les deux battants de bois s’étaient fermement liés l’un à l’autre par une épaisse chaîne. Son fer s’était tâché de rouille, par endroits, mais le garçon ne savait trop déterminer s’il s’agissait là d’une envie, d’un style, tout original qu’il fut, ou bien, au contraire, de cicatrices témoignant d’une existence triste, morne, délaissée. La chaîne ne lui était pas loquace ; moins encore que tout le reste. « Je te remets en place, oui ? Je dois juste… » Il devait juste ouvrir.

Tout changeant qu’était son état d’esprit, sautillant de joie en tristesse, en enthousiasme, à autre chose, il avait une forme de conscience de ce qui était attendu de lui… pour peu qu’on ait pris le temps de le lui faire assimiler.

La chaîne n’avait cependant pas dit son dernier mot ; plutôt, elle n’avait pas dans l’idée de lui simplifier la tâche. Ses extrémités étaient en effet fermement rattachées entre elles par un imposant cadenas : simple, mais grand, et robuste. Ioan se fendit d’une moue. « Tu ne m’aides pas beaucoup… » dit-il en relâchant la chaîne momentanément.

Il s’éloignait, faisait le tour du bâtiment en quête de quelque chose qui accepterait bien de l’aider.
Rien. Personne. A croire que cette chaîne n’était vraiment pas commode. Personne ne voulait s’en approcher.

Mais, pourtant, le bout de son oreille saisit un bruit de fer. Un bruit de chaînons qui s’entrechoquent. Ses pommettes rosirent et il affichait un large sourire ! Peut-être avait-elle décidé de bouger d’elle-même ?! Ioan se hâtait jusqu’aux portes de la grange.

Non, la chaîne n’avait pas bougé seule.

L’homme qu’il avait vu dans le wagon, à son arrivée, relevait vers lui ses yeux brun clair, aux éclats miel, avec un sourire fin mais trop aiguisé. « Et qu’est-ce que tu fais là, hein, p’tite souris ? » Ses gestes étaient lents, et l’enfant les détaillait. Il se figurait un chasseur qui tâche de ne pas effrayer sa proie. L’idée qu’il puisse être celle-ci ne faisait que l’effleurer, tout en lui laissant une désagréable sensation, au fond de la gorge. Il resta muet. « Approche, allez. Me fais pas te courir après… Et puis… » Il glissait la main jusqu’à son ceinturon. « … j’ai pas envie de jouer à chat avec ça, et toi non plus, eh ? » L’homme y découvrait l’une de ces armes — les leurs. Ioan la fixait sans pouvoir s’en détacher. Son métal était soigné, lustré.

Comme on en prenait soin.
Comme à la prunelle de ses yeux.
Comme un objet des plus importants.

Le garçon entrouvrit les lèvres, mais il ne savait que dire. Les mots ne lui venaient pas.

Et il lui fit signe d’approcher.

Quelque chose inquiétait Ioan. Il fit un pas dans la direction de l’homme mais… ralentit, et secoua doucement la tête.

« Quoi ? Pas confiance ? » Il dégaina l’arme à sa hanche. « Sois gentil. »

Le garçon secoua la tête de nouveau. Il esquissait un pas en arrière. Sa respiration se faisait plus difficile. Il n’arrivait pas à comprendre. Jusque récemment, il ne ressentait pas ça. Cette inquiétude. Pas ainsi. Pourquoi ?

« Tu vas me forcer la main. » Son rictus s’effaçait pour plus de sérieux, contrarié. Ses sourcils épais assombrissaient son regard, suppléés par l’ombre de l’imposant bâtiment.

D’où cela lui venait-il ? Qu’était-ce, exactement ? Lentement, image par image, Ioan voyait celui qui lui faisait face relever le cylindre dans sa direction. Il le voyait au rythme de ses inspirations et expirations. Une, deux, trois… Les lèvres sèches de l’homme bougeaient. Il n’entendait pas. Il ne faisait pas attention. Tout en lui restait concentré sur ça. Ce qu’il tenait. Il voyait l’index se resserrer lentement sur la petite gâchette de métal.

Ne le voyant pas réagir, l’homme risqua un mouvement rapide, vers l’avant, le saisissant par le poignet. Mais les yeux du garçon ne se détachaient pas de l’arme. Alors, il sourit de nouveau. D’une impulsion, il força l’enfant juste devant lui. « Bah alors ? » lui faisait-il. « T’as vraiment des bras de p’tit chat toi. »

« Allez, ouvre. » De sa main libre, il lui força la lourde clef de fonte, et le flanqua face à la porte.
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« Ouvre. »

Ioan enfonçait la clef dans la serrure. Il déglutit. Il avait un mauvais pressentiment. L’enfant la faisait tournoyer sur la droite. C’était une clef qui avait son poids, épaisse, toute aussi robuste que la chaîne que le cadenas retenait. Son ballet était celui de femmes aux mille parures, dont la poitrine délicate soutient pourtant l’or et les pierres — mais elle n’était pas aussi joliment pourvue ; elle, la clef de fonte. Alors elle grinçait. Elle grinçait dans la serrure pour témoigner son mécontentement. L’enfant aurait aimé la réconforter ; sécher sa rancœur d’un peu d’huile.

Cependant, il n’était pas tout à fait certain d’en avoir le luxe. Sa main gauche se pressait sur son estomac, retenant l’éléphanteau sous son manteau qui, guère plus rassuré qu’il l’était, cherchait à fuir.

L’homme, pourtant, souriait.
Ce n’était pas un beau sourire.
Il n’était pas sincère.

Ioan se fendit d’une moue. Ses lèvres se pincèrent. Et clic, et clic, clonk. Le cadenas cédait aux avances de sa cavalière. Le garçon les gardait ensemble, bien au creux de ses mains devenues moites avec la chaleur. « T’attends quoi ? Il fait meilleur, à l’intérieur. » Il appuyait ses fins de mots, comme pour souligner sa rime. Ioan s’en laissait bercer une demi-seconde, laissant retomber les bras flasques de la chaîne, dépourvus du lien qui les unissait.

Il la remettrait en place, s’était-il dit.

L’homme pressait le cylindre de métal contre la nuque de l’enfant, tirant la chaîne pour la faire tomber et libérant les poignées des grands battants de la grange. Il les repoussait d’un geste vif. « Dedans, maint’nant, » ajoutait-il, non sans presser le garçon comme il avait pressé la porte. Titubant, Ioan pénétrait dans la vieille bâtisse à l’odeur de foin chaud.

La lumière perçait à travers les planches de bois — certaines trouées, d’autres écartées à force de batailles et d’intempéries — et s’abattaient en lames intangibles jusqu’au sol laissé à nu. Elles tombaient des mansardes arrondies, et découpaient paisiblement l’espace.

Elles caressaient les étagères, les outils, la paille, et glissaient sur les corps gémissants.

Ioan s’immobilisa.
Une partie de lui voulait occulter ce qu’il percevait pourtant avec certitude.
Quelque chose au coin de son regard, mais sur lequel il n’osait pas le poser.
Peut-être parce qu’il ne pourrait pas faire marche arrière.

Les battements de son cœur lui parurent ralentir. Il inspirait sans pouvoir expirer — comme si quelque chose, en lui, avait cessé de fonctionner comme cela devrait. Là, entre les selles et les cordages — contre les poutres, contre les clous et les échardes — s’étendaient une dizaine de corps soupirants. L’un d’eux lui était familier. Un visage semblable au sien. Jeune, légèrement rond, mais aux cheveux blonds comme le colza éclos.

Mais, maintenant, ses joues étaient creusées. Et son regard vide. Maintenant, il avait perdu ses couleurs.
Les autres, aussi.

« Désolé, petit. »

Le garçon avait un mauvais pressentiment.
Quelque chose en lui hurlait.
Il entendit le cliquetis du métal. De la gâchette.
Il resserra les mains sur son ami, bien caché contre lui.
Ses poumons refusaient de le laisser respirer.
Son cœur marquait un silence.

Il ne voulait pas.
L’homme tira.
Ioan se sentit vaciller.
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Il tituba en avant, comme s’il avait été poussé, bêtement, anodinement. Mais cela lui parut immédiatement étrange. Il y avait eu une détonation. Ses oreilles sifflaient. Il entendait mal. Son regard sautait sur chaque caillou au sol. Il s’était crispé, tassé. Le bruit l’avait ratatiné comme il ratatine un animal acculé. Ses bras se trouvaient croisées sur son ventre, retenant son ami synthétique. Le crissement dissonant à ses oreilles persistait à les embrasser — et il n’entendait plus l’homme. Lui parlait-il, seulement ?

Il avait pourtant été si bavard.
Ioan secoua la tête et cligna un peu des yeux. Lentement, il se retournait. Il voulait comprendre.

L’homme lâchait son arme avec une main tremblante.
C’est cette main, que Ioan vit en premier. De grandes paumes. Fortes. Marquées. Et pourtant hésitantes, et faibles.
Or il n’avait jamais dégagé ça, auparavant.
Le garçon parcourait ses manches abîmées, et coulait en cascade sur son buste rougi.

Rougi en flots, rougi en rivières.

Sa chemise de lin, sous son manteau de cuir,
Ne parvenait plus à soutenir son sourire.

Il tombait à genoux. Ses couleurs s’étiolaient — se perdaient.

Et l’enfant ne comprenait pas, pourquoi d’aventure, un homme serait allé contre lui-même porter son arme. Mais celui qui lui faisait face l’avait observé avec une telle confusion. Comme une bête perdue, prise au piège, qui le réalise tout juste. Le garçon ne l’avait pourtant point chassé. Tout au plus s’était-il plié à ses interventions, ses envies et ses directives. Alors il ne comprenait pas ; cette défiance, cette surprise, cette peur. Elles mouraient et s’effritaient, comme ses couleurs, comme la lueur mutine au fond de ses yeux. L’homme tombait, face contre le sol.

Ioan restait muet, encore. Encore, il ne comprenait pas; Il ne comprenait plus. Il ne voulait pas comprendre. Il recula de quelques pas, maladroits, et tombait à la reverse. Il s’écrasait sur des corps à demi-mort qui ne s’accrochaient plus qu’à une bouffée d’air chaud, et sec. Il y en avait un, pourtant, qui le saisit. Un corps aussi mort que vivant, mais bien plus vif que les autres. Un être aux cheveux broussailleux, et à la peau halée. Deux traces sombres, autrefois nettes, aujourd’hui difformes, marquaient ses joues. La chose rampait, puisait dans ses dernières forces pour tenir sur deux échasses aujourd’hui frêles. Elle lui révélait une taille droite, un corps fin serti d’une poitrine discrète, laissant toute leur place et leur splendeur à deux immenses prunelles sombres mais fermes.

Elle collait sous ses yeux une corde toute aussi dure, toute aussi déterminée. Nouée et guère prête à s’ouvrir. Le garçon la détaillait. Elle lui parlait. Elle lui soufflait les liens qui la retenaient. Qui serrait son chanvre. Qui la tiraillaient. Alors, il la soulageait, simplement. L’exercice avait quelque chose d’apaisant, de réconfortant. Le sentiment de faire une chose appréciable et apprécié, dusse être pour une corde fort fière.

A peine eut-il fini de la délasser, toutefois ; avant même qu’il n’ait pu la saluer, cette corde, sa non-interlocutrice bien humaine le saisit au col, le fichant sur ses deux jambes.

« Tu as toujours tes couleurs ? » lui demandait-elle.

Voilà qui était bien curieux, comme question. Mais il était obligé de lui avouer… « On dit que je n’en ai pas. »

Elle hocha sobrement la tête. Les franges de sa tunique de cuir assouplie par le temps caressaient ses bras nus.

« Gnh… »

A moins d’une dizaine de mètres d’eux, le sans-couleurs — celui qui ne les avait plus, celui qui les avait perdu — se redressait difficilement. Il grognait. Toussait. Pestait. Crachait. L’enfant voulait le rejoindre, lui demander, savoir, pourquoi. Mais il se fit entraîner par Celle-ci Aux Yeux Sombres.

Il n’avait pas eu l’opportunité d’interroger, comme de s’interroger.

Elle l’entraînait dehors.

Ils couraient, vers les plaines d’or et les canyons de feu.
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