« Je ne sais pas ce qu’il se passe… Mais ça sent le roussi toute cette histoire ! »

Le véritable cimetière qui était habituellement un lieu plein de vie au rythme des guitares sèches frottées et des pas de flamenco accompagnés par le claquement des os des défunts, avait troqué sa paisible ambiance de fête pour une prise de bec générale. Certains défunts se battaient, avec une bonne raison ou non, dans les rues du pays des morts. L’après vie avait un arrière-goût de barouf. Des coups de poings squelettiques résonnaient dans les rues, des lampadaires se fracassaient, des alebrijes extrêmement agités hurlaient et combattaient de toutes leurs forces. Une pagaille sans précédent.

J’ai cru entendre la vieille Tarragona s’égosiller sur la fin du monde ou je n’sais quelle folie encore. En tout cas, ça m’a l’air d’en valoir sacrément l’coup pour que les gens se mettent sur la tronche de cette façon. J’crois qu’elle a parlé d’une annonce spéciale dans le monde des vivants. Mais en quoi ça nous regarde nous, les trépassés ? J’veux dire, on est juste mort. Y va pas s’passer quelque chose de plus spécial que d’habitude et on est encore loin du jour qui nous est dédié. Ma curiosité m’a déjà coûté la vie alors, j’suis pas à ça près. J’ose pas imaginer le bordel au central ou à la gare. J’vais aller voir le portail, on sait jamais, peut-être que les gardes pourront m’en dire plus une fois là-bas.

Le jeune et pourtant décédé miqo’te, discrètement maquillé, se mit à courir vers l’entrée de cet au-delà, occasionnellement une sortie. Les membres osseux partaient dans tous les sens, mais ce n’était pas si grave puisque les squelettes pouvaient comme par magie reprendre leur forme originale de carcasse vêtue. D’autres encore se battaient avec des bras comme s’il s’agissait d’une épée ou d’un marteau. Une tête vola dans un long cri de panique avant de retomber directement dans les bras de l’homme félin.

« Ho ! Holà mon petit Qina’ran ! dit le crâne parlant qui lui était tombé dessus. Où est-ce que tu cours comme ça ? C’est la folie ce soir ! il en avait presque l’air réjoui.
- Bonsoir Pol. Et toi alors ? Je peux te déposer quelque part ?
- Non ça ira niño. Balance moi quelque part et je retrouverais mon petit bonhomme de chemin ! Si tu vas vers la sortie, je te le déconseille. C’est encore plus le bordel là-bas ! Mais Ô bon sang ! Que ça fait plaisir tant d’animation ! Je me croirais presque en vie  !
- Eh bien Pol, je te laisse là. Merci du tuyau, mais tu sais que j’adore ce genre d’embrouilles. »


Alors que Qina’ran le balança littéralement dans les airs, la tête de ce qui semblait être son ami se mit à rire presque d’une manière amusée mais à la fois épouvantable en claquant des dents.
Arrivé face à l’entrée des portiques normalement contrôlés, c’était la cohue. Les gens se bousculaient, se mettaient sur la tronche et les forces de l’ordre empêchaient quiconque de passer les guichets.

La situation est assez particulière, je pourrais peut-être essayer ça pour passer. J’espère que j’m’en souviens quand même. Allez ! Qui ne tente rien n’a rien !

Il couru de toutes ses forces avant de se jeter un peu au-dessus de la foule et une sorte d’animal ailé multicolore passe devant lui en gloussant comme une poule. Ni une ni une deux, le mi-homme mi-félin s’en sert comme d’une marche en ramenant ses bras vers lui. Une lumière bleutée se mit à jaillir de lui et des petits cristaux se mirent à tournoyer autour de son enveloppe post-mortem. Il n’en croyait pas ses yeux, ça marchait pour une fois. Il n’avait jamais réussi à utiliser la magie après sa mort et seulement, là, ça fonctionnait.

«  HEY PAR ICI  ! »

S’époumonant littéralement en prononça ça, le félin n’eut besoin que d’un peu plus d’une seconde pour lancer son sort. Au-dessus de la foule, il rouvrit les bras pareil à un prédateur prêt à bondir sur sa proie. La foule était sa cible. Ils le regardèrent tous et c’était leur erreur. Ses yeux s’illuminèrent, aveuglant, tel un flash d’appareil photo. Et lorsqu’il retomba sur le toit d’une des arcades, il était stupéfait que ça ait vraiment fonctionné alors que son plan, il le pensait lui-même, était nul.
Toute l’affluence qui s’était accumulée fixait encore le haut. Ils étaient tous pétrifiés. C’était un sort de monstre habituellement, simplement, il aimait beaucoup utiliser ce genre de subterfuges disons-le inattendus. Il ne voulait bien sûr pas faire de mal à ces braves gens et cette altération d’état n’était bien sûr que temporaire. Le jeu lui ne faisait que commencer.

Putain ! J'arrive pas à croire que ça ait marché ! Bref...  Donc, la vielle peau a dit qu’on pouvait traverser le pont de fleurs aujourd’hui. C’est absurde. D’habitude on ne peut pas. Et quoi encore ? Ah merde, j’me souviens plus.

Hésitant bien sûr une première fois, Qina’ran posa un pied devant l’autre sur le pont orangé luisant de pétales. La passerelle vers les vivants. Il n’avait plus rien qui palpitait, respirait et encore moins de nez. Mais du nez, il en avait, surtout pour ce genre d’opportunités. En voyant déjà les effets de son sort se dissiper, le miqo’te couru aussi que ses os lui permettaient sur l’élégant passage vers une nouvelle vie.

Musique : 01 - Mobile Suit Gundam Iron-Blooded Orphan ~ MS Gundam IBO (OST I) - Masaru Yokoyama