Putain mais où est-ce qu’elle est ? Aucune nouvelle d’elle depuis avant-hier, avant l’annonce en fait. J’avais prévu de lui dire « Ecoute, cette histoire c’est l’opportunité rêvée pour gagner de l’argent, montrer ma valeur et ainsi me faire embaucher. Je sais que j’en suis capable ». Evidemment, on est très loin des pontes du château de la Lumière ou même du Sanctum, mais en matière de survie, je pense pouvoir dire que je me débrouille. Et si je n’arrive pas premier, il y aura forcément des bénéfices. Tout pourvu que je ne me fasse pas trop repérer, ce qui n’arrangerait pas mes affaires.

Et dire qu’elle a un gummiphone, et dire que je lui ai dit que c’était une belle connerie. C’était pourtant l’idée rêvée pour savoir où elle s’était cachée. Non, tout ce que j’ai pu faire c’est la chercher dans le village et ses environs. Mais je pouvais pas non plus me permettre de péter un câble sur le voisinage, puis ça lui aurait trop fait plaisir si elle l’avait entendu dire ensuite. Je me félicite d’avoir appris pour le battle royal par les villageois, vu que sans elle je n’étais pas équipé pour être mis au courant.

Je regarde l’heure. J’entends les gens s’agiter dehors. Tant pis, il faut que j’y aille, elle se débrouillera toute seule, ou elle mourra au premier jour.

Bien sûr que je n’étais pas emballé à l’idée qu’on parte ensemble vivre ailleurs, et elle non plus c’est sûr. Ouais, pas maintenant. Mais je n’avais pas prévu qu’un truc pareil arriverait et je n’avais pas prévu qu’elle choisirait ce moment en particulier pour disparaître. Je ne préfère pas imaginer le moment où elle va se faire descendre par un connard peu scrupuleux et profiteur —oui c’est le jeu et alors ? Des images me traversent malgré tout la tête, ça m’énerve, je prends mes cliques et je claque la porte, la laissant ouverte tout compte fait. Ça ne sert tout simplement à rien de fermer. J’ai juste pris de quoi survivre dans mon sac, à manger, mon manteau pour une raison que je ne m’explique pas vraiment, et mon arme, toujours à portée de main. Bref, tout ce que j’ai réussi à accumuler dans ma vie, si on y réfléchit bien.

Il est 23h30. Ça me laisse un peu de temps pour pouvoir me barrer des faubourgs et des petites emmerdes avant que les hostilités ne démarrent. J’entreprends ma marche vers la ville, direction les grosses emmerdes. Quitte à se faire remarquer, autant le faire là où ça a du sens. Je regarde régulièrement si je ne suis pas suivi. Je marche en dehors des sentiers, à travers les champs, histoire d’éviter le plus de monde, au hasard un cavalier fou armé d’une faux. Au début des traits de lumières rouges s’abattent un peu partout sur le monde. Je m’inquiète à l’idée qu’il puisse y avoir d’autres menaces puis comprends que ça doit être les fameuses planques d’armes mentionnées dans les « règles ». Après un moment, je vois au loin de la fumée commencer à émerger du centre du Domaine Enchanté, puis des éclats de lumière de temps à autre. Je devrais sans doute avoir peur et rebrousser chemin mais mes précédentes « morts » semblent m’avoir donné une certaine confiance en mes capacités à endurer la douleur.

Arrivé sur le pont, plus je me rapproche, plus le son se rajoute à l’image, des détonations, des vibrations, des explosions de toute part. A tout moment, je dois être prêt à dégainer ma claymore. J’assiste à ma première élimination du jour quand je vois devant moi un homme poursuivre une femme avec une hache. Vision barbare s’il en est, je décide de ne pas intervenir, autant éviter à la dame de souffrir trop longtemps de ce monde qui part—tout simplement— en couille.

-Mais chéri, tu m’avais dit qu’on ferait équipe ! Haaaaa.

Le cri s’éteint aussi rapidement qu’il est apparu. Je prends mon front dans ma main devant la scène. L’instant d’après, quand je les regarde, je vois la femme, toujours belle et bien en vie malgré le coup de hache, les couleurs en moins. Son mari lui se démarque en comparaison. C’est l’occasion de me rendre compte que contrairement à elle, je luis légèrement dans la nuit. Là où la nuit altère en général les couleurs, on voit assez distinctement le bleu de mes cheveux. Tout compte fait, mon manteau trouvera une utilité plus tôt que je ne l’avais prévu.

-Hey ! T’en veux aussi ?

L’homme vient seulement de remarquer ma présence.

-Quoi ? Moi ?
-Bah ouais toi, idiot, et ce sera d’autant plus facile que t’es pas armé.

C’est complètement dingue de voir comme de simples règles peuvent changer les conventions. Dites à un homme « sois sage, travaille, sois poli, docile, c’est ainsi que tu survivras», il le fait. Dites-lui « tu peux tuer sans conséquence, mourir sans conséquence », il devient la plus violente et froide des bêtes, capable de tuer la chair de sa chair.

-Très bien, fais voir si tu sais t’en servir, paysan.

L’homme ne se fait pas prier et approche. Le temps qu’il soit à portée d’arme, je sors ma claymore de sa cachette et lui fait fendre l’air jusqu’à l’impact avec la tête de l’homme, La force le projette l’instant d’après contre le premier muret, lourdement, violemment. Ainsi, il perd sa couleur et son échec vient grossir et initialiser mon score, aussi insignifiante soit cette élimination.

-Tu pourras faire équipe avec ton épouse, à présent.

C’est cela de donner une arme à des pèquenauds.