Je ne suis pas seul au coeur des forêts… ni la faune, ni la flore, ne s'oppose à mon avancée. Et très peu modeste, j'erre le pas leste, naturellement escortée.

Les saveurs des fruits mûrs et les chaleurs de l'ambre me suivent dans la souplesse et l'éclat de leurs chairs, et le désir de danser vit dans leur regard clair, dans l'étirement âpre et lassée de leurs membres. Leurs prunelles verdâtres, où nagent assombris le reflet de la source, le bleu des iris, ont le calme accablant des lentes attirances. On rêve alors de baisers qui seraient des souffrances, d'ébats énervants et longs aux reins taris…
Ô nymphe, ô source antique aux froides transparences !

Deux belles nymphes, aux regards sans ombres, me guident dans les forêts du Nouveau Monde ! D'aussi hauts charmes que les séquoias, je suis escortée de Sylve et Férya. L'une à pas lent et langoureux comme des flores caressés par la brise ; l'autre est vive comme éprise, agitée pareils aux buissons que le vent méprise.

Elles parlent sans un mot de ces choses du coeur qu’elle savent par cœur ! Et mon air un peu sot leurs font prendre des airs bien moqueurs ! Les étoiles que l’on voit, sont lumières par leur nombre mais ici-bas, leurs pas chuchotent à mi-voix ; et quel écho dans la pénombre ! Elles glissent si belles et si lisses, par de subtils glissements de plis. S'effeuille de leurs feuillures, s'habillent de nus : dévoilent les arts habiles de grâce extrême. Et de leurs absences d'habits dénouant chaque repli ?
Voilà pur velouté qu’elle essaiment.

Admirée pour les beautés qu'elles sèment, qui séduisent la Terre entière et la Terre-Mère ? Sylve et Férya tissent leurs toiles en forêts.

Elles ont des lèvres aussi, des lèvres si savoureuses ! Mais d'une chaire plus tendre et plus fragile encore ! De corps qui font naitre en moi des rêves de chairs roses à l'ombre de mes poils d'ors, des rêves qui palpitent légers sous leurs pas desquels je tombe amoureux.

Qui font naitre des fleurs aussi. Des fleurs molles. Des fleurs de nuits, aux pétales délicats alourdis de rosée ; qui fléchissent pliés car les fleurs épuisées pleurent le désir, goutte à goutte, sans bruit. Puis naissent des fleurs troublantes, des fleurs mystiques et brillantes ; des fleurs divines naissent alors par la grâce de l'encens mystérieux des senteurs féminines.

Non sans appel, et pâle, je chemine sur des chemins verdoyants revigorés. Je m'en vais, flairant de mes larges narines, suivre les deux nymphes qui réveillent la forêt de leurs danses divines.

Au détour des chemins, au-dessus d'une source, un ample saule pleureur se penche. Et Sylve, riant, suspendue à l'une de ses branches, frôle d’un pied craintif l’eau froide du bassin. Sa compagne, d’un bond à l’appel du bain, plonge dans l’onde jaillissante si clair que la lune fait blanche ! Et de l’écume émergent des hanches, de beaux cheveux, des bustes bombées ou la rose de quelques seins qui verdoient.
Quel émoi !

Une gaîté divine emplit le grand bois sombre et mes deux yeux, brusquement, ont illuminé l’ombre. Que j'aime ce monde. Cette terre où partout, sous leurs doigts gracieux, s’empressent de faire germer les vers les plus mélodieux.

Puisque nous savons ce que racontent les nymphes… mon regard dérive ailleurs et mes oreilles aussi, d'ailleurs.

Que racontent donc ces arbres en leur majesté nous ombrageant ?
Quelles vertus relatent-ils à travers leur douce chorégraphie… ainsi menée par le vent ?
Sont-ce des paroles augurâtes ou le récit de leur trace séculaire ?

Ces arbres demeurent le symbole d’une nature meurtrie qui s’époumone, reclus dans un bastion précaire, à l’abri de « ceux » qui la saccage puis la préserve. Zéphyr et brise bousculent alors les feuillages de leur souffle salvateur, que racontent donc ces murmures ?

Le Nouveau Monde est un temple où de vivants piliers laissent parfois sortir de confuses paroles ; l'homme y passe à travers des forêts de symboles qui l'observent avec des regards familiers.

Comme de longs échos qui de loin se confondent, dans une ténébreuse et profonde unité. La forêt de séquoias reste vaste comme la nuit mais pourtant ! Sou l'éclat lunaire, c'est en pleine clarté que les parfums, les couleurs et les sons se répondent pour un sublime concert.

S'y mélangent des parfums frais comme des chairs d'enfants, doux comme les hautbois, verts comme les prairies ; et d'autres, corrompus, riches et triomphants, ayant l'expansion des choses infinies comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens.
Toutes les flores chantent les transports de l'esprit et des sens !

J'y ouvre simplement mon coeur, doucement… pour entendre ce que me chante l'air du vent. Et après avoir écouter ses mots sereins, je lui répond avec douceur et entrain.

« Consulat. »

Le vent souffle encore, évidément, mais plus fort dans une direction bien précise à présent ! Et le suivant, lisant son dessein dans les plis de ma rouge toge, je marche à la suite de mon vêtement comme aspiré par la forêt. Les yeux fermés, je pose mes pieds nus sur du bois humide qui dessine mon chemin sous moi et j'entends la couleur vive d'oiseaux qui chantent en émoi.
Avec le sourire d'un enfant, je m'approche de la Mère-Grand du Nouveau Monde ; l'air de rien, je viens arracher ses enfants à ces terres pour… les emmener à la guerre.

« Ay ay ay… ay ay ay… »

Et je me sens un peu plus comme mes vieux frères. L'innocence m'est partis, et plus rare sont mes transes, j'ai de plus en plus des arrière-pensées. Pour me sauver, un coup d'oeil sur les nymphes en train de se baigner… tâchant de me remémorer la beautée… et l'art pour lequel nous devons batailler jusqu'à guerroyer.
Et les feuillages anciens du saule viennent m'en isoler, se refermant tel un rideau sur deux dryades en pleine baignade.

« Que Que Natura… ton coeur est lourd, enfant de l'art... »

« Vous ne l'ignorez pas, le vent non plus : Consulat. »

« Notre paisible isolement doit toucher à sa fin. »

« Et c'est, malheureusement, aussi triste que certain. »

J'en ai baissé les deux yeux, m'asseyant en tailleur.

« Consulat. » Face à sa grandeur, peu m'importe l'heure.

Tristes et sévères à la fois : « Tout ce que dit ton coeur, n'est-ce pas ? »

« Tout ce que je demande, c'est la chance d'une audience. »

« Puisque les nymphes t'ouvrent la voie, et que les oiseaux chantent pour toi, la forêt te cèdera le passage. Tu es trop sage pour être jeune, trop jeune pour être sage… »

« Mais surtout, je ne suis que de passage. »

La vieille végétation a rit ! Douce mais franchement, avec un éclat du premier jour aussi frais qu'à la première aurore. Ses grands yeux noirs en ont sans doute trop vu et son visage d'écorce ridé lui parait afficher un sourire édenté.

« Si nous parlons avec le coeur, tu sais ce que veut dire pour moi le mot Consulat ! »

« Bien sûr que je le sais… » Et avec la tendresse maternelle de la maman d'une mère, sa branche de mousse velue a caressé ma joue d'une unique larme parcourue. « …il veut dire famille. Tu sais ce qu'on dit, jeune enfant. »

« Que les roses sont rouges et que les violettes bleux ? »

« Qu'on choisit ses amis mais pas sa famille. Tu n'es pas… » Soudain, le visage solennel de grand-mère feuillage s'ombrage d'une sévérité infinie ; elle vient de se faire éclabousser ! Le rideau de feuillage s'ouvre alors et les baigneurs en nombres, deux flores et de faunes, s'immobilise à l'instant à son visage outrée alors qu'elle s'exprime aux enfants ! « Ca suffit ! »

Les Nymphes en rit et la grand-mère, vexée, refuse de le laissez passer ! Sa voix s'amplifie, porté par un écho mystique ; ce sont touts les arbres qui grondent désormais comme menaçant d'éclater l'orage épique.

« Ca suffit ! »

De la plus petite fleur aux arbres géants ; des plus petites animaux aux plus terrifiants ; tous se taisent dans l'instant ; et le rideau se referme prestement. Confuse, l'air sénile mais ne l'étant que faussement, le saule pleureur rumine et les yeux en l'air, elle cherche le fil perdu de la discussion.
Son visage s'éclaire d'une illumination ! Et elle reprend toute tranquillement.

« Il y a une jeune fille, ici… et comme toi… elle entend le chant du vent. Vous pourriez surement vous entendre. »

« Qu'ai-je donc à lui offrir ? »

« Suis ton coeur et tu sauras ! »

Je reste un peu déprimé mais… Grand-Mère Feuillage parait tellement enjoué.

« Où puis-je la trouver ? »

« Suis ton coeur et tu verras ! Maintenant va ! Mais… laisse les Nymphes dérrière toi. Ce voyage au coeur de la forêt à la poursuite de ce que te promet le vent, tu dois le faire avec ton coeur pour seul guide. »