Flingué, vanné, crevé, je me tapais les derniers mètres qui me ramenaient au village. Et encore, quand j’te dis crevé bah… même pas. Nan, en soi j’avais encore assez de jus pour faire la fête pendant une semaine complète, j’étais increvable mais là j’avais juste envie de me poser, qu’on me foute la paix ; bouffer un bon p’tit plat et plus rien branler.

La nuit était tombée sur le monde. Je distinguais des lueurs au loin c’qui m’avait permis de me guider. Le village avait allumé ses torches donc c’était plus simple, puis c’était sans te parler du bruit de foule qu’on entendait. Ils avaient vraiment préparé une teuf. On allait se faire péter le bide, vider les tonneaux de j’sais-pas-c’qu’on-boit-ici-non-plus, un kiff ultime.

Brûle ! Brûle ! Brûle ! Brûle !

J’arrive au coin de la première baraque et là, j’vois tout le monde rassemblé au milieu du visage, entourant un méga feu de joie. Je me demande c’qu’ils branlent tous, forcément et là, un peu en hauteur, au dessus du feu quoi, j’vois Adonia attachée à un poteau, les mains dans le dos avec les villageois qui lui balancent des trucs dans la gueule, genre des cailloux, du sel, et parfois même des gros mollards du fond de gorge. Je réfléchis pas, j’tape un sprint et j’me retrouve à sauter dans les flammes. J’arrache le poteau et j’ramène Adonia au sol. Les villageois comprennent pas ; mieux ils ferment leur gueule. La vieille peau avait raison sur ce point ; p’tite erreur stratégique.

Vous êtes revenu ? Nous croyions que les sorcières vous…

Pause, non, non, non. Y’a pas de « je croyais que ». On va poser les bases direct.

J’aide Adonia à se relever, et je la fais passer dans mon dos. Comme si je servais de rempart entre elle et la foule… c’qu’était con parce que y’en avait derrière aussi.

Putain par où je commence ? Déjà, cramer des gens c’est fini, ici. Ok ? On crame plus personne. La seule personne qui ait le droit de vie ou de mort sur ce comté c’est moi, et moi seul.

Les villageois se regardent comme si je venais de sortir un truc complètement con.

Les trois sorcières sont mortes. Je m’en suis occupé personnellement, elles ne reviendront pas, vous êtes saufs. C’était un délire, y’en a une qui a ressuscité ses deux soeurs que j’avais déjà déglingué, j’ai dû me taper les trois en même temps mais ça a été.

Ça c’est pour la frime, mais surtout pour les dissuader de jouer aux cons. J’ai pas du tout prévu d’être un tyran, mais le premier qui part en couille j’le bute. D’ailleurs ça a l’air de marcher, ils discutent vite fait entre eux, genre un petit bruit de foule, machin.

Pour ce qui est de cette sorcière, et j’me retourne vers Adonia, je la déclare la bienvenue en ces terres. Oui, c’est une sorcière. Une sorcière qui était captive des trois autres, qui vivait dans la peur, qui, chaque fois que le jour se levait se demandait si elle verrait le suivant. Comme vous, et moi.

Je prends une pause. En vrai j’essaie de choisir mes mots, parce que d’ici à c’qu’ils bitent rien à c’que j’raconte, on est pas dans la merde.

Votre libération… vous la lui devez à elle aussi. Elle m’a aidé d’une aide précieuse lors de ce combat. Sans elle, peut-être que ce soir encore les bois seraient habités, mais grâce à elle vous pouvez dormir sur vos deux oreilles. La crainte n’est plus qu’un… merde, comment on dit ?

Lointain souvenir ?

Lointain souvenir !

L’un des mecs à l’air totalement à fond dans ce que je raconte. Il se ramène avec un seau d’eau et s’apprête à le balancer dans le feu.

Non, non ! Très gentil, mais non ! J’y arrive, t’inquiètes.

Il se recule, on a évité le pire.

Peuple d’Havrevas. Je suis Roxas, je suis votre nouveau seigneur. En échange de votre loyauté, je vous promets la sécurité. Vi… Bon, ça m’saoule, essayez de comprendre c’que j’raconte. En gros, vivez votre vie, continuez vos trucs. Si un jour vous voulez vous tirer d’ici, bah faites, j’suis pas votre mère. Moi c’qui m’importe, c’est que vous soyez heureux ici. Le premier bandit qui fout les pieds sur mes terres, j’le tue. Alors… c’est pas dit que ce soit une exécution publique, je préfère m’en occuper dans mon coin, j’suis pas très cool avec ce concept. Ça fait con.

J’change de registre, mais bordel j’ai vraiment pas envie de me prendre la tête. Ça va, je crois comprendre que dans la foule, les plus jeunes font la trad’ aux plus vieux, donc est bien.

Donc si je résume. J’suis votre chef, mais j’suis pas un connard. Le premier qui vient foutre la merde dans mon bled, il ira rejoindre les sorcières là. Adonia, vous l’acceptez, je sais j’vous l’impose mais… sur la tête de la générale Cissneï qu’elle est cool. D’ailleurs y’a des moments où je serais pas là, donc quand j’suis pas là, ce sera elle qui chapeautera un peu tout c’bordel.


Y’en a un, là avec sa fourche et son trident, j’le vois du coin d’l’oeil. Depuis d’t’al’heure il veut ouvrir la bouche.

Et c’est non negociable. Sérieux j’suis pas chiant, mais respectez ce que je dis et on sera des méga potes. PEUPLE D’HAVREVAAAAS ! CE SOIR C’EST BARBECUE !

Et j’lève le poing en l’air. Rien. Je baisse la tête, je m’éclaircis la voix. C’est très, très gênant.

CE SOIR C’EST BANQUET !

Et là, foule en délire. Ça part en petites soufflettes sur le feu, l’autre il rentre chez lui en moonwalk, il ramène des saucisses, ça se met à découper des légumes. Gros gros truc quoi. T’as deux gros costauds avec leur nez rouge ravagé par la vinasse qui rentrent dans une cave et qui revienne avec deux tonneaux de pif chacun sur les épaules. Ça s’annonce bien. Et pour te dire, y’en a même un qui fait péter la mandoline.

Tout le monde s’active, ils foutent la viande sur le feu. J’trouverais ça presque bizarre de rien branler et d’pas les aider. Mais après tout c’est mes gens. Rapidement, l’odeur de viande se répand dans tout le bled, pis ça part en petite fête improvisée. Ils chantent, dansent, ça parle fort et ça hausse le coude. Vraiment bonne ambiance le truc. Même moi, j’m’amuse un peu alors que la campagne c’est pas trop mon truc.

A la fin de la soirée, t’as la moitié qu’est partie se coucher, t’as deux trois mecs en train de finir le pinard, des meufs qui discutent entre elles… Moi, j’pose mon cul sur un banc autour d’une table et j’pianote sur mon gummiphone. Adonia s’approche de moi, et j’relève la tête vers elle, j’envoie mon message, et j’le remets dans ma poche.



D.VaJe te rappelle je suis en live xD

MoiHey ! La forme ?

 

Je ne vous ai pas encore remerciée, pour tout ça.

Oh, c’est rien. J’imagine que c’est mon côté, Héros de la Lumière, tout ça.

Je suis méga gêné. Et c’est pas c’que tu crois. C’est que… bah c’est pas vraiment elle que j’ai rencontré, du coup c’est faussé et chelou. J’mise vraiment sur le fait que l’imitation de la sorcière était proche du vrai elle, la feu au cul en moins. Adonia s’asseoit.

Donc si j’ai bien compris, en votre absence, je dois m’occuper de tout ces gens.

Euh… j’avoue que je t’ai pas demandé ton avis. T’avais d’autres plans ?

C’est à dire que… c’est pas comme demander à quelqu’un de garder un double de ses clés quand on part en vacances.

Ouais… J’ai p’tête été trop enthousiaste sur le coup. J’leur dirai demain que finalement tu restes pas.

Ce n’est pas ce que je dis.

Ah ? Donc tu restes ?

Pour l’instant du moins. J’ai toujours vécu ici, pas dans ces terres mais… C’est chez moi. Peut-être qu’un jour je partirai, mais pas maintenant.

Ok ! J’suis content que tu restes.

Serait-ce des avances mal dissimulées ?

J’panique. C’est quoi cette question de merde ?

Euh, non. Pas du tout ! Genre, pas. Du. Tout. Enfin, c’est pas que t’es pas mon style c’est que…

Tout va bien. C’est plutôt moi qui était gênée à l’idée de vous…

Ouais, ouais. Ça va ! Pas de problèmes ! Par contre, tu peux me tutoyer ? Je préfère.

J’essaierai.

Pis on discute de trucs et d’autres. Elle me parle de sa vie dans les bois, j’y parle des autres mondes. Une discussion banale en fait, entre quelqu’un qui voyage et quelqu’un qui n’a jamais quitté son monde natal. Les heures passent, je me ressers à boire sans pour autant atteindre l’ivresse, j’reponds à D.Va quand elle me répond. Les gens terminent d’aller se coucher, puis on éteint le feu. La maison du chef du village est libre, puisqu’il a été tué par les sorcières. J’aurais pu m’éclipser, aller dormir dans ma piaule au château où c’était plus confort, mais j’me disais que les premières nuits, c’était mieux si je restais là, quand même. Donc j’y vais, j’ouvre la porte et je vois Adonia toujours assise au coin du feu mourant.

Si t’es fatiguée… La maison est pour toi. Je crois que y’a tout ce qu’il faut à l’intérieur, que j’dis en pianotant sur mon gummiphone.

Et toi ?

Je vais rester là encore un peu. Ça fait longtemps que j’ai pas fait une nuit à la belle étoile.

En fait c’était plus compliqué que ça. J’avais une putain de peur de me retrouver dans la même baraque, et la même chambre qu’elle. Pas que j’avais peur de faire une connerie ou quoi, mais j’voulais vraiment être méga clean avec Di. J’voulais pas qu’on me voie rentrer avec une meuf quelque part et tout. Les scandales c’était pas pour de suite d’façon.

Pis tu me connais, dans ces moments là j’suis une vraie brêle.

Bonne nuit, alors.

Ouais, bonne nuit !

Elle rentre, ferme la porte, et je vois quelques lumières dansantes s’allumer. Une bougie sûrement, peut-être la cheminée. J’me retourne vers le village pour le regarder. Tout ça maintenant c’était à moi. P’tête que j’allais avoir des trucs à faire avec le Sanctum, mais… C’était mon royaume !

J’attendrai un peu, avant de leur parler du truc. Chaque chose en son temps.  Je pense que je dormirai pas énorme cette nuit, pis demain faudrait que j’aille vite fait acheter un gummiphone pour le filer à Adonia, histoire qu’elle puisse me joindre si un trou de balle se disait que c’était une bonne idée d’attaquer ce village. Il était si paumé que le trouver relevait de l’exploit, mais j’avais appris à me méfier des cons. Ils savaient se montrer ingénieux quand ils le voulaient.

J’regarde mon gummiphone, D.Va ne m’a plus répondu, j’imagine qu’elle s’est endormie. Ouais… La seule qui ait réussi à me faire apprécier une soirée comédie musicale, tiens.