Le train va sur ses rails à vitesse constante comme il est supposé le faire, à un rythme de croisière reposant. Rien n'y est plus banal que l’image d’un passager assis proche de la fenêtre, le regard errant sur le paysage stellaire qui défile. C'est la première fois que Nazik prend un transport Shinra… et ça lui parait bien suspect d'y être aussi serein. Curieux, le jeune homme détourne ses yeux mi-clos de la vitre, se prive un instant du plaisir esthétique qui existe à regarder par la fenêtre. Certains, comme lui, rêvassent en observant l'espace infini… celui-ci si proche de vous et de vous tuez, si près qu'à la moindre fêlure du verre, il vous avalerait tout entier. D'autres lisent ou dorment, la seule chose qui semble régner par ici, c'est un doux ennui.
Son attitude, apparemment si répandu et commune à en mourir, n’est envisageable qu’en présupposant certains éléments.

Cela implique la certitude que le train arrivera à destination et à l’heure prévue. De manière plus élémentaire, cela suppose que les rails sont bien en place et que l’infrastructure est suffisement bien gérée pour que l'on ne s'en inquiète pas. Qui a construit le train ? Qui l'entretient ? Est-ce qu'il a vraiment besoin de rails dans l'espace ? En a-t-il seulement ? Pourtant, ceux qui ne dorment pas rêvassent et nul ne s'inquiète que la transport soit victime d'une défaillance.
Ce train est un lieu où les gens ne parlent pas, ne communiquent pas, s’isolent dans leur monde et font ainsi de ce trajet en commun un parcours solitaire

Nazik lui-même s'endort presque aux doux sons des machines, juste assez réguliers pour l'apaiser mais pas trop pour ne pas l'irriter. Comme tant de passagers avant lui, et tant d'autres après, il se laisse faire. Accepte d'être le prisonnier temporaire de ce huis clos traversant l’espace à vive allure avec l’illusion que c’est l’espace qui fuit, non le train qui file. Ca lui parait un espace d’une autre dimension, où l’on est emporté dans un univers différent, un espace où l’on pourra effectuer un autre voyage, intérieur cette fois.
Un monde dans une coquille de noix, se dit-il, avant de s'éteindre sans dormir, les yeux mi-clos sans regarder les routes stellaires qui défilent désormais dans ses pensées.

Jusqu'à ce qu'une vision transcendantale vienne le sortir de son demi-sommeil. Ses yeux s'ouvrent lentement et s'éveillent, stupéfait, sa bouche s'entrouvre avec hébètement. Des concepts aussi simples et fondamentales que ceux d'un cycle jour/nuit volent soudain en éclat ! Que sait Nazik, finalement ? Il sait plusieurs choses mais… était si loin de savoir qu'un soleil pouvait être noir et, malgré tout, en mesure d'illuminer tout un monde de son éclat violet.
Le jeune s'en lève de son siège, les mains plaqués contre la vitre et les yeux pleins d'étoiles. De jour comme en pleine nuit, sauf qu'un drôle de soleil brille… serait-ce la nuit fantasmée de ses sombres rêves ?

Si une telle folie est possible, quoi d'autres… ? Soudain agité et reprenant vie, brusquant la quiétude du train, le jeune homme parut comme un enfant surpris d'apercevoir le parc d'attraction de ses rêves. Il trépigne désormais, en silence, incapable de réellement contenir son excitation. Quelques regards interloqués, parfois dérangés, ne parviennent pas à le faire se rasseoir.
Quelque chose, au plus profond de lui, résonne et vibre à la vue de l'astre noir, fait entrer son coeur en émoi. Ce dernier bat si vite, le jeune homme ne peut que subir cette vision, désarmé, s'agrippant la poitrine sur le point d'exploser.

" C'est… incroyable… " Nazik le dit, juste pour lui, se sentant obliger de le préciser tant personne autour de lui ne semble relever un soleil noir.

Pourquoi ? Pourquoi un train capable de relier deux mondes en moins d'une journée… doit se faire si lent au moment d'y entrer ? Quelle est cette allure si monotone, si molle ? L'espace et quelques étoiles l'ont bien vite lassés, sont passés à la même allure. Là où le voyage prend désormais bien trop son temps, alors que Nazik a perdu toute patience. Ce train doit accélérer, se dit-il… et l'on peut peut-être l'y forcer ?
Agité, le jeune homme regarde d'un côté et de l'autre du wagon, s'arrêtant un instant pour observer en direction de la cabine du chauffeur.

Finalement, il croise les bras et se laisse tomber assis sur la banquette, devant bien se contenter d'admirer le soleil noir depuis l'autre côté de la vitre. Pour l'instant. En quelques secondes à peine, son visage redevient serein et son regard, fasciné, se perd dans l'étrangeté de ce trésor obscur. Quels sombres merveilles peuvent bien se cacher dans cette ville qui, dessiné au loin, baigne dans une éclat digne de la Fin des Mondes ? Une impression, et plus concrète que ça même, une sensation, l'envahit et lui dessine un sourire.
Bien qu'il tapote furieusement du doigt sur son bras croisé, désormais bien impatient d'arriver.

" Quand je pense à toutes ces créatures qui vivent dans la nuit… je n'ose imaginer celles qui vivent sous un tel soleil… "