NergueïSans Nom Jochi le fixait comme un chat fixerait un cafard. Ses yeux encore largement poudrés le détaillèrent longuement, bouche pincée, lèvres blanches malgré le rouge appliqué au matin. Son menton s’éleva, quelques millimètres impérieux qui signifiaient que Nerguei n’était pas digne de son temps.
Fort heureusement, Nerguei avait une certaine habitude de tels regards. Même, avec la pratique, il arrivait à prétendre que ce dédain ne le concernait pas le moins du monde.
“Dame, j’ai à vous parler.”Il avait autant envie de lui parler que d’avaler un gallon de pisse. Mais les ordres étaient les ordres… Et il n'échappera pas longtemps à cet entretien.
La Khatun était en train de se détourner. Elle revint vers lui, et, non, il n’était plus un cafard, mais un rat à moitié étripé, suscitant en cette femme un savant mélange de mépris, de cruauté et de gourmandise.
La pensée lui donna la nausée.
“Suivez moi, alors.”C’était l’avantage de l’étiquette hun : Pas besoin de demander d’audience des mois à l’avance, il suffisait d’être au bon endroit au bon moment.
Le bon endroit, c’était l’entrée de la seconde tente à l’Est de la tente princière. La yourte du clan Nirun y bouillonnait déjà d’activité, alors que femmes et enfants sortaient les tentures et que les hommes dénouaient les mâts extérieurs.
Le bon moment, c’était le jour du départ.
Depuis la mort de la première épouse du Prince Ganzorig, Jochi était la femme de plus haut rang de la maisonnée princière. En conséquence, c’était elle qui menait le lent ballet d’étoffes, de roues et de bêtes qui prenait place à chaque migration.
Comme un général sur le champs de bataille, la dame parcourait les allées de boue qui s’étaient formé entre les tentes. Contrastant avec sa coiffure sophistiquée et ses soies délicate, elle était vêtue d’une épaisse paire de botte de cuir qui martelaient la boue.
Nerguei suivit ses enjambées impatientes, patientant alors qu’elle échangeait des remarques et quelques jurons frustrés avec ses deux servantes.
Quand, enfin, le silence se fit pendant plus d’un instant, l’apatride commença :
“J’ai remarqué l’absence de votre fils lors de mes entrainement.”Khan Ganzorig, son protecteur officiel, avait attaché Nerguei à son service en le nommant Champion du Tournois, Chef de Bannière, mais surtout Danzin. Ce titre pompeux, équivalent d’instructeur princier, supposait surtout de tirer du lit une dizaine de gosses un peu trop gâtés pour leur marteler quelques bases du combat à coup de poing ou d’épée de bois....
Ceci dit, c’était ce rang de professeur qui lui assurait un véritable revenu, là sa réputation en duel et ses prouesses lors des derniers raids ne lui rapportait qu’un modicum de respect.
Toutefois, l’absence de Dorji, jeune Khan du clan Nirun et vassal de Ganzorig, remettait en question son rôle d’instructeur. C’était aussi une justification suffisante pour s’entretenir avec sa mère, Jochi.
Cette dernière ne lui accorda pas un regard. Elle fit signe à l'une de ses servanteS, et l’on vint lui tendre un deel de fourrure à peine brodé qu’elle enfila sans manière.
“Il est déjà Khan. Il n’a aucun besoin d’une leçon de la part d’un… parvenu.”Un temps, Nerguei avait pensé les Huns plus méritocratique que les Hans. C’était vrai... Jusqu’à un certain point : Qu’un inconnu soit soudainement admis à la Cour d’un grand Khan avait fait quelque vagues.
L’apatride observa un instant la matriarche.
Alors qu’elle aboyait ordres et recommandation, une mèche grisonnante s’échappa de son étroit chignon. Etrange, pour une femme de haute naissance, mais ses cheveux blanchissaient alors qu’elle n’avait pas encore atteint sa cinquantième année.
De ce que Nerguei avait pu entendre, le fils de Jochi était devenu Khan avant ses onze ans. C’était inhabituel, dans un peuple où la place de Khan se mérite. Néanmoins, le clan Nirun était matrilinéaire : C’était donc de sa mère qu’il tenait sa légitimité. Pas si étonnant, donc, qu’elle ait obtenue elle-même la loyauté des clans affiliés, assurant ainsi une place de choix pour son fils.
Ce dernier, seul survivant d’une fratrie de six garçons, aurait pu devenir un enfant gâté et impétueux. Pourtant, le jeune Khan se faisait discret, même aux plus fastueuses occasions. Aujourd’hui âgé de 14 ans, il ne s’était pas encore démarqué, que ce soit sur le champ de bataille ou lors des banquets.
“Si ses devoirs monopolisent ses journées, je peux le former dans la soirée.”C’était parier que ce qui retenait Dorji était la fierté, voir la honte de ne pas être à la hauteur. Un entraînement individuel auprès de son clan lui éviterait de s’humilier face à des jeunes de son âge mais de rang inférieur…
Jochi l’ignora d’abord.
Elle l’avait entendu - il avait su placer ses mots entre la clameurs des bêtes qui les entouraient maintenant. Mais, plutôt que de répondre, la dame attrapa un agneaux qui peinait à les suivre.
Ses mains gantées de daim saisirent des pattes noires de l’animal. Elle le souleva sans peine, l’inspectant sous toutes ses coutures, avant de le lâcher sans un égard.
Nerguei, immobile, attendit sa réponse.
Finalement, Jochi se détourna du troupeau agité.
“Très bien. Je vous prend à l’essai.”Voilà qu’elle le traitait comme son serviteur personnel. Nerguei ne pris pas la peine de la corriger - après tout, c’était une place rêvée pour enquêter sur les intérêts de la matriarche.