-Et voici les staaaaaaaaars !
Il s'en sort bien le lapin pour un asphyxié. Sa voix de crooner retentit dans tout le jardin royal. Sur fond orchestral, nous sommes deux créatures fabuleuses –en particulier la petite, la grande ayant l'air un peu trop effrayante pour convaincre–, chacune adossée à la balustrade d'un grand escalier en éventail. Je descends les marches en premier déroulant successivement une jambe d'un côté puis l'autre à l'opposé. Dans ma robe fendue digne d'une remise de prix, nul doute que j'ai la meilleure tenue pour affronter la Reine de Coeur sur son terrain de prédilection.
Elle me suit, avec son style bien particulier, faisant des pirouettes acrobatiques dont on la croirait incapable –sa condition de sans-coeur aidant. Les ovations sont sans appel. La reine de Coeur est formidable. Quant à moi, je reçois quelques encouragements peu dégourdis.
Arrivées en bas de l'escalier, des files de flamants roses nous attendent. Chacune en saisit un et se met en route vers le terrain de croquet.
-Caaaaaaaartes. Que le croquet commence !
La partie commence, oui. Les cartes se répartissent dans tout le terrain miné de trous infinis, le nombre de chacune indiquant le sens du parcours. Nous prenons place toutes les deux et jaugeons quel sera le meilleur duo flamant/hérisson.
Je prends le hérisson le plus énergique et le flamant le plus réactif. Mais après tout quelle importance ? Je suis censée perdre face à la reine. Je me mets en place pour mon premier coup. C'est la première fois que je joue alors je vais forcément échouer. Je ne me concentre pas plus et je tape le hérisson avec mon flamant. Des cris retentissent dans l'assemblée. Étonnamment le hérisson démarre au quart de tour propulsé par le coup et passe la première et la deuxième carte sans difficulté.
-Aie !
Le page royal vient aussitôt m'écraser le pied.
-Si vous continuez, elle va tous nous couper la tête.
Il murmure ça sans réellement faire d'effort pour être discret. La reine ne semble pas encore contrariée c'est ma chance. Elle tape sur sa « balle » et échoue lamentablement à la toucher. Elle recommence et y parvient mais le hérisson avance à peine.
-Majesté, un avion !
-Un quoi ?
Elle lève les yeux sans savoir ce qu'est un avion, mais c'est suffisant pour que le page se mette à entreprendre de montrer le parcours au hérisson pour qu'il le fasse à la perfection.
-Là ! Regardez ! Il y a même votre photo dessus !
-Une photo ? Qu'est-ce que c'est ?
-C'est ça majesté, regardez comme elle est belle !
-Ah oui, je vois, c'est tout blanc, comme de la fumée.
Non, ça c'est de la brume. Je constate avec satisfaction que le sans-coeur a appris sa leçon.
-Oh regardez Majesté ! Votre hérisson a hérité de votre intelligence, il évite les trous !
-Ah oui !
Le hérisson franchit trois cartes et prend ainsi la tête. Quant à moi, j'attrape le flamant pour le taper avec une seule main. Mon hérisson, toujours aussi motivé, continue sur sa lancée et traverse trois cartes.
-Elle est out !
-Ah bon ?
-Oui, oui ! Vous n'avez pas levé le petit doigt pour la lancer.
-Ah oui, je recommence.
Je pars à la recherche de mon hérisson, m'enfonçant dangereusement dans ce sol meuble à cause de mes talons. Je l'attrape par la peau du coup et lui fais face.
-Écoute bien petit. Si tu ne te calmes pas, je fais des cure-dents de tes épines et je les distribue à mes collègues de la cantine.
C'est un sans-coeur lui aussi, mais ma menace semble avoir eu l'effet attendu. Je relance la balle –avec le petit doigt levé cette fois– et le hérisson avance mais s'arrête nette devant la carte.
Je lui envoie un petit signe d'approbation, ce qui semble le rassurer. La reine m'imite aussitôt en lançant elle aussi avec le petit doigt levé.
-Heureusement que la fédération galactique vous a envoyée pour nous apprendre les nouvelles règles.
Bizarrement, la reine sans-coeur est presque plus humaine que toutes les histoires que j'ai pues entendre. Mais je sais que je n'ai pas rêvé, je me souviens de la douleur la dernière fois, une douleur insoutenable qu'elle m'avait infligée alors que j'essayais de fuir.
-Oui Majesté, la fédération vous tient en haute estime et souhaite que vous vous teniez sur les devants de la scène en tant que souveraine sans-coeur, un privilège bien trop rare.
Sur ce dernier point, je ne peux m'empêcher de m'auto-approuver intérieurement. Il est vrai qu'il serait de bon ton de voir un jour les sans-coeurs remonter dans l'ascenseur social des mondes vivants.
La partie reprend son cours et nous faisons en sorte que la reine me batte à plate couture. Une bien jolie réussite puisque je parviens même à obtenir un score négatif, négatif dans le sens réellement mauvais cette fois.
-C'est tout de même fou d'être aussi peu douée pour un sport ! Mais bon... Ce n'est pas grave, vous avez le plaisir d'apprendre auprès de moi, alors c'est plutôt bien pour vous.
Merveilleux en effet. Je soupire intérieurement. Parfois j'ai l'impression de n'avoir ma place nulle part, ni parmi eux, ni parmi ceux d'en haut. Il reste que... j'ai quand même une jolie robe.
Il s'en sort bien le lapin pour un asphyxié. Sa voix de crooner retentit dans tout le jardin royal. Sur fond orchestral, nous sommes deux créatures fabuleuses –en particulier la petite, la grande ayant l'air un peu trop effrayante pour convaincre–, chacune adossée à la balustrade d'un grand escalier en éventail. Je descends les marches en premier déroulant successivement une jambe d'un côté puis l'autre à l'opposé. Dans ma robe fendue digne d'une remise de prix, nul doute que j'ai la meilleure tenue pour affronter la Reine de Coeur sur son terrain de prédilection.
Elle me suit, avec son style bien particulier, faisant des pirouettes acrobatiques dont on la croirait incapable –sa condition de sans-coeur aidant. Les ovations sont sans appel. La reine de Coeur est formidable. Quant à moi, je reçois quelques encouragements peu dégourdis.
Arrivées en bas de l'escalier, des files de flamants roses nous attendent. Chacune en saisit un et se met en route vers le terrain de croquet.
-Caaaaaaaartes. Que le croquet commence !
La partie commence, oui. Les cartes se répartissent dans tout le terrain miné de trous infinis, le nombre de chacune indiquant le sens du parcours. Nous prenons place toutes les deux et jaugeons quel sera le meilleur duo flamant/hérisson.
Je prends le hérisson le plus énergique et le flamant le plus réactif. Mais après tout quelle importance ? Je suis censée perdre face à la reine. Je me mets en place pour mon premier coup. C'est la première fois que je joue alors je vais forcément échouer. Je ne me concentre pas plus et je tape le hérisson avec mon flamant. Des cris retentissent dans l'assemblée. Étonnamment le hérisson démarre au quart de tour propulsé par le coup et passe la première et la deuxième carte sans difficulté.
-Aie !
Le page royal vient aussitôt m'écraser le pied.
-Si vous continuez, elle va tous nous couper la tête.
Il murmure ça sans réellement faire d'effort pour être discret. La reine ne semble pas encore contrariée c'est ma chance. Elle tape sur sa « balle » et échoue lamentablement à la toucher. Elle recommence et y parvient mais le hérisson avance à peine.
-Majesté, un avion !
-Un quoi ?
Elle lève les yeux sans savoir ce qu'est un avion, mais c'est suffisant pour que le page se mette à entreprendre de montrer le parcours au hérisson pour qu'il le fasse à la perfection.
-Là ! Regardez ! Il y a même votre photo dessus !
-Une photo ? Qu'est-ce que c'est ?
-C'est ça majesté, regardez comme elle est belle !
-Ah oui, je vois, c'est tout blanc, comme de la fumée.
Non, ça c'est de la brume. Je constate avec satisfaction que le sans-coeur a appris sa leçon.
-Oh regardez Majesté ! Votre hérisson a hérité de votre intelligence, il évite les trous !
-Ah oui !
Le hérisson franchit trois cartes et prend ainsi la tête. Quant à moi, j'attrape le flamant pour le taper avec une seule main. Mon hérisson, toujours aussi motivé, continue sur sa lancée et traverse trois cartes.
-Elle est out !
-Ah bon ?
-Oui, oui ! Vous n'avez pas levé le petit doigt pour la lancer.
-Ah oui, je recommence.
Je pars à la recherche de mon hérisson, m'enfonçant dangereusement dans ce sol meuble à cause de mes talons. Je l'attrape par la peau du coup et lui fais face.
-Écoute bien petit. Si tu ne te calmes pas, je fais des cure-dents de tes épines et je les distribue à mes collègues de la cantine.
C'est un sans-coeur lui aussi, mais ma menace semble avoir eu l'effet attendu. Je relance la balle –avec le petit doigt levé cette fois– et le hérisson avance mais s'arrête nette devant la carte.
Je lui envoie un petit signe d'approbation, ce qui semble le rassurer. La reine m'imite aussitôt en lançant elle aussi avec le petit doigt levé.
-Heureusement que la fédération galactique vous a envoyée pour nous apprendre les nouvelles règles.
Bizarrement, la reine sans-coeur est presque plus humaine que toutes les histoires que j'ai pues entendre. Mais je sais que je n'ai pas rêvé, je me souviens de la douleur la dernière fois, une douleur insoutenable qu'elle m'avait infligée alors que j'essayais de fuir.
-Oui Majesté, la fédération vous tient en haute estime et souhaite que vous vous teniez sur les devants de la scène en tant que souveraine sans-coeur, un privilège bien trop rare.
Sur ce dernier point, je ne peux m'empêcher de m'auto-approuver intérieurement. Il est vrai qu'il serait de bon ton de voir un jour les sans-coeurs remonter dans l'ascenseur social des mondes vivants.
La partie reprend son cours et nous faisons en sorte que la reine me batte à plate couture. Une bien jolie réussite puisque je parviens même à obtenir un score négatif, négatif dans le sens réellement mauvais cette fois.
-C'est tout de même fou d'être aussi peu douée pour un sport ! Mais bon... Ce n'est pas grave, vous avez le plaisir d'apprendre auprès de moi, alors c'est plutôt bien pour vous.
Merveilleux en effet. Je soupire intérieurement. Parfois j'ai l'impression de n'avoir ma place nulle part, ni parmi eux, ni parmi ceux d'en haut. Il reste que... j'ai quand même une jolie robe.