Une nuit se profilait à la suite de la journée, s’enchaînant ainsi et inéluctablement dans une folle monotonie. À la fenêtre de cette résidence de passage, la Danseuse s’en allait à une douce mélancolie, marmonnant sans public et soupirant sans relâche.
Il y avait eu la visite d’Arthur, probablement l’une de ses uniques distractions.
Elle qui s’enivrait de leçon et de recommandation, prenant plaisir en enfilant ses vêtements de scène, prônant ses gestes et sa dictée aux habitants d’une cité. Une fois que la nuit faisait place au jour, voici qu’elle se reléguait à un palais en attentant à la suite du lendemain.
Devant la fenêtre, elle regardait les lumières de la ville s’effacer. L’envie d’y aller, l’ennui d’y aller. Invité par la Dame de Chengdu, peut-être que l’étiquette lui interdirait de se joindre aux festivités nocturnes de cette capitale aux arts. Râlant, elle se laissait tomber de cette position et rejoignait les draps que fréquentait Morphée et à qui elle se refuse de rencontrer.
Peut-être, pouvait-elle…
D’un geste négligeant, elle attrapait son portable et s’attristait devant les quelques pourcents d’autonomie qu’il affichait.
Il était tard, il ne devait y avoir personne à cette heure-ci.
Empruntant le sourire des toiles de l’établissement, la Danseuse ajustait sa robe de nuit et rejoignait la sortie de sa chambre.
Calme, tel que la nuit lui suggérait, Irelia se glissait dans le labyrinthe que formait le Palais du Gouverneur. Elle avait déjà rajouté deux positions à ses mouvements, ceux projetant jusqu’à la sortie et le second l’invitant dans les jardins de la Dame. Loin de ses habitudes, proche des envies, la rêveuse s’aventurait à la beauté des plantes maintenant que leur maîtresse côtoyait ses rêves. Refuserait-elle que la Danseuse s’y rende sans son accord ?
Probablement qu’elle ne le saura jamais.
À force de geste se répétant sans harmonie, les pieds nus de la Danseuse rencontraient les dalles de la cour intérieure. Au reflet d’une lune timide, le sourire de celle-ci s’aiguisait aux merveilles de la pénombre. Il y avait le ruissellement de l’eau, l’invitant à enfreindre le chemin. Le souffle parcourant les arbres, caressant ses songes à leur réalisation. Le chant des nocturnes, un tapage relatif guidant en secret ses mouvements.
Loin du confinement de sa chambre, voici qu’Irelia déambulait dans les jardins du Palais à la recherche de sa prochaine activité.
Rattrapée par un frisson de saison, la Danseuse récupérait les manches de sa robe et y engouffrait ses bras, laissant à son public la vision des traits à l’encre à ses épaules. Ainsi, sous le souffle, la chevelure s’engouffrait et guidant son sillage jusqu’à son point de distraction.
Un croassement, une quenouille vibrant sous le bond de l’animal et le bruit d’un choc dans l’eau. Au plus près de l’étang, Irelia s’abandonnait au reflet triste de la lune.
Paix, douceur, harmonie.
Elle en avait tant entendu, mais ne connaissait rien du dernier adjectif. Elle désirait tant à s’associer à ses partenaires, se retrouvait toujours recluse à l’apprentissage du Laoshi.
Harmonie, elle désirait s’y adonner et cesser de l’attendre.
Les paupières de la rêveuse clignaient, s’éteignaient et voici qu’elle créait son propre ballet. Ses doigts s’agitaient, tissaient telle l’araignée au sommet des bâtiments, créant un lien invisible avec ce qu’elle découvrait. Il y avait les pierres bordant l’étang, commençant à s’agiter sous la volonté d’Irelia et glissant jusqu’à elle. Quelques roseaux et plantes s’y amassaient, dessinant une tunique à ce golem qu’elle créait.
Elle ouvrait alors les yeux.
Deux pierres, plates, suivaient le regard et s’installaient en symétrie aux pieds d’Irelia. Brièvement, d’autres pierres se joignaient à la démarche et parachevaient une longue paire de jambes et terminant sur une pierre plus imposante. La poigne droite de la rêveuse se resserrait, bloquant l’assemblage et provoquant un soupir. D’autres se rassemblaient, se posant sur le buste et imitaient la tête pendant que les roseaux plagiaient la chevelure de la Danseuse.
Elle figeait ses expressions, une céphalée s’invitait déjà alors que les dernières pierres se liaient et parachevaient les bras de cette réplique. Il ne fallait plus qu’un large soupir, le frisson de l’effort de la Danseuse et voici que son partenaire se présente à elle.
Un signe de tête entendue, la réplique le répétant, voici qu’elle pouvait s’amuser jusqu’à ce que la fatigue l’emporte dans son perchoir.
Hochant le crâne, l’un et l’autre commençait la farandole en s’écartant de deux sens opposés. La marionnette plagiant à la perfection, la maîtresse laissait son esprit s’inhiber de ce qu’elle découvrait à chaque cycle de l’astre. Bras tendue, loin de son corps et glissant un par-dessus le second, elle avançant au rythme d’un hululement. Forçant ensuite la marche, elle glissait l’une de ses mains à l’épaule et ses hanches dessinaient l’infini tout en oscillant.
Irelia en prenait plaisir, se délectant du coin de l’œil et au grincement des pierres l’imitant.
Un demi-tour entendu, elle passait ses manches trop courte dans une pirouette, le sillage de sa main dessinant la lune sur son crâne. Répétant le geste, guidant la fluidité, elle se voulait parfaite avant de s’avancer au côté de son homonyme.
La sculpture et la Danseuse se trouvaient, se découvrait, s’accompagnait dans un pas de côté et glissant la pointe de leurs pieds à l’herbe même.
Quatrième et cinquième parties de l’enchaînement, elle s’inventait la mélodie à cette répétition, déposant le dos de sa main à son épaule et souriant à sa marionnette. Elle quittait ce masque de scène, s’amusant dans un nouveau pas, forçant la farandole pendant que ses bras s’envolaient sous la brise que les arbres chérissaient en cette saison.
Un tour, un nouveau et voici que la révérence parachevait les quelques pas de la marche.
Irelia et sa marionnette, doucement se relevaient et s’offrait leur politesse. D’un clignement d’œil, la Danseuse brisait le lien et les pierres chutaient les unes sur les autres, changeant ce partenaire en un amas.
Un sourire triste, la Danseuse offrait un revers avant de quitter les jardins, rejoignant les chemins jusqu’au Palais. Elle pouvait dorénavant sombrer et attendre la suite.