“Tiens toi bien, sois poli, et hoche la tête.”
L’unique conseil de Yoska. Nerguei tira sur sa manche gauche, inconfortable. C’était de bien maigres recommandations, face à la tâche. Ne serait ce que préserver l’arrangement complexe de bijoux et de fourrures rares qui l’enturbannaient de toute part était une épreuve de tous les instants…
Il soupira.
Il avait suffisamment de mal à s’intégrer avec la bande de brutes ivrognes qui dirigeaient les clans de l’Ouest. Pourquoi est ce qu’il devait maintenant se frotter aux élites Han ? Les uns comme les autres le méprisaient déjà pas assez, que maintenant il devait s’humilier devant eux successivement ?
Nerveusement, il applatit le tissu gris clair. De la soie sauvage, délicatement brodé. Un motif qu’il pouvait suivre d’un doigt, le long d’une frise d’ailes et de pattes stylisées.
Tous ces luxes qu’il s’était approprié commençait presque à lui plaire. Cette pensée l’aurait horrifiée, il y a quelques mois encore. Mais, malgré l’inconfort, et tout autant qu’il ai méprisé cette opulence… Il y avait quelque chose, que ce soit dans étoffes, dans ces bijoux chatoyants, dans ces coiffures millimétrées... Quelque chose qui incitait au respect. Même lui, coincé dans ce carcan criard, se tenait plus droit que dans toutes ses années de service.
Ce faste absurde se reflétait dans les yeux de ses interlocuteurs. On le regardait avec révérence, maintenant. Pas la même soumission fébrile qu’exigeaient les Han; Quelque chose teinté de crainte et d’admiration. C’était jouissif, de pouvoir jouer de leurs attentes. Ces personnes qui aurait craché sur son passage s'inclinaient maintenant, détournant leurs regard par respect et non mépris.
Quelle absurdité. Le juger, lui, par ses vêtements…
Il frissonna.
La sorcière avait fait quelque chose de similaire… Était ce la même joie qu’elle ressentait, quand elle changeait de forme ?
Le dégout revint, plus fort que tout le reste.
Hors de question qu’il s’habitue à toute cette pompe. Toutes ses épreuves, tous ses combats, tous les coups qu’il avait pris, et toutes les têtes qu’il avait coupées, tout n’avait été fait que pour une chose : Se tirer de ce monde pourri jusqu’à la moelle.
Nerguei tira sur ses rennes.
Il était arrivé.
Au dessus de lui, les pins montaient jusqu’aux cieux. Trois pierres empilée et couvertes de mousse indiquait sa destination. Il attacha son cheval à une branche voisine, et mis pied à terre.
Trois jours qu’il chevauchait seul. Il avait eut le temps de ressasser, de se perdre. Mais l’objectif devant lui était clair.
Ce fut une déception, de savoir que son interlocuteur ne serait pas d’un autre monde. Mais, maintenant qu’il reprenait sa route à pied, Nerguei se demandait si ce n’était pas mieux ainsi. Après tout, c’était aux mains des Hans qu’il avait été d’abord mis aux fers ; il n’était que justice qu’une Han contribue à sa libération.
Et puis, pour quelques instant, il allait pouvoir respirer autre chose que l’odeur des bêtes et de l’alcool frelaté.
Mieux : l’Envoyée connaissait sa véritable nature. Elle n’irait pas lui reprocher ses manières…
La neige printanière subsistait à peine sur la terre nue. Elle crissait sous ses bottes, et laissait parfois entraperçevoir des pan de roches ou de lichen. Un corbeau le fixait, perché sur une branche non loin.
Perdue sur la frontière, la cave d’Aztai méritait à peine une mention, même sur les plus précise des cartes. Quelques paysans s’étaient réunis ici, il y a bien longtemps, pour prier une déesse devinée dans la pierre ; Rien ne subsistait, si ce n’est un petit sanctuaire abandonné.
Nerguei avait prétexté un pèlerinage. Une histoire stupide, de celles que les Hun adore, sur un père prétendument mort sur un champ de bataille et enterré ici, auprès de la Déesse dansant entre les stalactites. Après tout, maintenant qu’il avait une place auprès du feu du Kahn de l’Ouest, il lui fallait assumer ses déplacements… Mais personne ne l’avait pressé sur la questions. Etaient ils tous déjà suspicieux ? Ou peut être que sa réputation le protégeait encore ?
Il était parti seul. Avec un peu de chance, personne ne l’avait suivi… Quoiqu’il en doutât sérieusement. Il ne s’était pas fait que des amis à la cour du Kahn, et, malgré toutes leurs déclarations sur la guerre et la mort aux combat, même les Huns n’étaient pas au dessus d’un assassinat ou deux pour préserver leurs intérêts. Nerguei en était l’exemple même…
Il s’arrêta.
Un portail de bois noué de tissu bleu l’attendait, quelque mètre devant lui. Le vent faisait trembler les chiffons, et ce qui restait du soleil dardait deux rayons crépusculaires à travers les poteaux rituels.
Nerguei se redressa de toute sa stature, et inspira.
Qu’allait elle être, cette Envoyée ? Un pur produit de son monde, certainement. Une de ces vipères qui prospèrent dans les intrigues et les coups bas, qui manient aussi bien le fard à paupière que l’art de la rhétorique. Le Consulat n’aurait pas fait l’erreur de lui envoyer une courtisane à peine mature… Et les Han n’avaient pas de guerrières, à une exception près.
Une douairière, certainement. Une riche veuve qui aurait fait fructifier les avoirs de son mari, qui aurait affirmé sa place dans ce monde de paraître. Vieille, c’était une quasi certaineté… Cruelle, c’était aussi plus ou moins assuré.
Nerguei se raidi, et passa le portail.
La route de terre et d’herbe folle bifurqua alors. Deux grandes enjambées, et il pouvait apercevoir l’entrée de la grotte. Une bougie était déjà allumée - de loin, Nerguei ne voyait rien, si ce n’est la douce ondulation d’une étoffe noire.
Dernière édition par Narantuyaa le Sam 8 Fév 2020 - 10:21, édité 1 fois