Une canzone improbable s’invitait, glissant dans l’air, enjaillait les habitants de la ville dans laquelle la Danseuse était parvenue à se perdre. En plein coeur des tumultes à l’Académie, d’étranges histoires étaient parvenue à capter l’attention la rêveuse et celle-ci n’avait attendu plus de temps pour se rendre à la source de ces rumeurs.

C’est ainsi qu’Irelia se retrouvait, à Santa Ceclia, les mains enfouies dans ses poches et un sourire indéfrichable à ses traits.

Elle en découvrait la beauté des mondes. Voici qu’elle quittait les Jardin Radieux dont les chrysanthèmes venaient d’imposer leur présence, triste et monotone, en mémoire aux défunts que tout à chacun pleurait. Avant cela, elle avait vécu dans un monde où l’on honorait ses ancêtres et affectionnait leurs mémoires. Il restait encore sa terre de naissance, où elle n’avait encore jamais négligé un rendez-vous à la sépulture de sa grand-mère.

Demain, elle accompagnerait Airi pour y brûler de l’encens. Bienheureuse d’être Fille de Muse, elle n’en oublierait pas d’être la petite-fille d’une regrettée.

À l’instar qu’à l’instant, elle se refusait à s’attarder à son état du lendemain. Ici, dans les rues de la ville, c’était une expérience nouvelle qui l’attendait.

Le pas de la Danseuse s’enfonçait dans des pétales d’or, corolle inondant la ville et guidant un nuancier improbable à la fête qu’elle imaginait se dérouler. Un corail profond, glissant en grenadine, habillait les pavés. Les rayons s’y réfléchissaient, offrant une teinte unique dans ce camaïeu safran, sur les surfaces trop ternes pour s’y abreuver.

Fenêtre, volet, habitant. Il semblait que rien n’en soit épargné.

Ivre de cette palette, voici qu’Irelia levait ses yeux et y découvrait de bien étrange guirlande. Elle n’y retrouvait pas le carnaval lumineux de fanal, simplement un étrange découpage et rappelant le plus funèbre des choix. Des papiers brodés, représentant des crânes nus, arborant une pogne de couleur à l’opposé du spectacle de la nature. Il y en avait aussi des scènes, des moments d’histoire d’ivoire ou de paon, ou encore des lettres sculptées dans ces notes.

Au travers de ce mélange d’odeur, de ton et d’aubade publique. Elle restait quasiment figée à une information qu’elle risquait de manquer.

Il y avait une offre, une demande, à moins que ce soit de l’intérêt du public. Un spectacle invitant a quiconque de s’afficher et à sublimer, un intérêt parvenant quasiment à occulter le canevas dans lequel Irelia se dressait. Elle s’y rua, agrippant le papier et l’étudiant pour remarquer l’annonce du spectacle à la fin des célébrations. Un désir naissait, grandissait, s’appropriait les pensées de la Danseuse qui envisageait sa participation. En écho des paroles de Genesis, elle y voyait sa notoriété croître et les enfants scander le nom de l’héritière de Terpsychore en un monde qui n’avait connaissance du Consulat.

Semblable à un voile se levant, elle en découvrait seulement l’authenticité d’un tel endroit et voici qu’elle aiguisait ses sens à ces révélations.

Toutefois, une encre vient dépeindre le tableau que la Danseuse dressait. Elle avait revendiqué sa tendance à être présente à l’avance, « Dia de Muertos » ne s’annonçait qu’au prochain lever de soleil. Irritée, elle réprimait sa colère en enterrant à même ses poches l’annonce de la célébration. Effectuant une pirouette, elle chercha une autre source d’attention et s’enfonçait dans les rues bigarrées de Santa Cecilia.

- Vamos, Renato. Le pastel est encore chaud.
- Pilar, attends-moi !

Au travers d’un village en émoi, elle distinguait ce couple arpentant les parterres ponceau d’une passe précipitée. Ils remontaient le fleuve en amont, franchissant une arche de pierre et disparaissant sous son grillage.

Intriguée, les yeux vairons de la rêveuse dansaient aux environs à la recherche d’une même singularité. Perdant rapidement patience, elle levait son regard à l’horloge du clocher pour hausser les épaules et suivre le même enchaînement. Le pas agité par l’excitation, emprunt de trépignement, elle franchissait l’arcade au moment où le beffroi offrait sa représentation à treize coups.

Irelia fut alors frappée par deux sentiments contraires, fruit d’une même constatation.

L’étonnement d’un tel entrain de la part du couple, franchissant l’enceinte d’un lieu de repos, paraissant à des lieux d’un quelconque deuil. Á moins que ceci soit la réalisation de l’atmosphère régnant au sommet des tombes. Elle qui s’amusait à comparaître ce qu’elle découvrait à chaque nouvelle terre, elle s’impressionnait devant le flagrant de cette scène. Là où sa mère l’intimait au respect de l’austérité de l’endroit, à un silence afin de veiller au repos des parents nous ayant quitté et à la sobriété d’une stèle ? La Danseuse en découvrait son parfait contraire.

L’hilarité de la rue remontait le tapis de fleur, s’invitant entre chaque tombe et décoration. Il n’y avait que les ribambelles qui s’absentait à défaut du patchwork pigmenté. Le regard de celle-ci se posait sur les centaines de bougies illuminant les images des défunts, tout en appuyant les traits joyeux de leurs visiteurs. Elle percevait aussi quelques sont, les grattements de guitare ou encore le souffle des cuivres.

Cette sensation, elle ressentait la lourdeur ainsi que de la légèreté de l’enterrement de Rivy.

- Hijo
- Regarde Alma, c’est ton grand frère.

Un pas, une manœuvre, une enjambée discrète. Irelia s’avançait et réalisant seulement le bambin que le père avait emmené un bambin, une fille, remontant la stèle et posant ses mains sur le cliché d’un jeune garçon.

- Oui, c’est ça.
- Espléndido ! Tu as vu, Raul, elle te reconnaît.
- Pardon… ?

Irelia venait d’interrompre cette rencontre, les parents se retournant en duo et affichant la surprise d’une question plutôt qu’un agacement.

- Oh, une guiri ! Vous venez profiter du Dia de Muertos, on ne parle que de ça, en ville.
- Vous êtes en avance, señorita. Ce jour est dédié aux Angelitos.

Renato s’écartait, d’un roulement d’épaule, divulguant volontairement la tombe. Le bambin, lui-même, affichait un sourire à jalouser les quelques personnes présentes dans le cimetière. Attendrie, elle s’en allait à la même mimique alors que l’état de l’endroit s’affinait à son regard. Un repas, des sucreries et jouets s’étalait sur la pierre étrangement chaude en un jour si froid.

- Qu’est-ce que c’est ?
Elle pointait d’un doigt discret la stèle, cherchant seulement à aiguiller le sens de sa question avant de fixer le père et la mère à tour de rôle. En réponse, la mère attrapait sa fille dans ses bras et déposait celle-ci à ses hanches.

- Notre hijo est mort l’année derrière, il était malade.
- Cette année, il va pouvoir venir nous rendre visite. Alors ? Nous lui avons préparé son plat préféré et ramené ses jouets, qu’il trouve le chemin jusqu’à l’ofranda demain.
- L’ofranda ? Qu’est-ce que c’est ?

Le père souriait, plaquant sa main à sa nuque et reprenant dans un léger soupire.

- Chez nous, à Santa Cecilia, nous ne fêtons pas la mort comme dans les autres mondes. Nous ne pleurons pas les disparus. Il est de notre devoir de nous rappeler d’eux afin de faire vivre leur recuerdo, c’est important pour nous et pour notre pequeño Raul.
- La veille de la Dia de Muertos est pour nos hijo, et comme c’est sa première fois.

Cette fois, Irelia distinguait un sourire triste au regard de Pilar. La petite à ses bras aussi, posant mollement une main sur sa joue, effaçant ce malaise et forçant une étreinte.

Nerveusement, gigotant, la Danseuse tentait alors d’honorer cette tradition.

- Comment était-il, Raul ?
Ils souriaient alors, tendrement. Déposant un regard à la stèle.

- Il était si amable, toujours un sourire aux personnes qui lui parlaient. Et sa mama ? Elle l’adorait. Il lui rendait bien.
- Tu te souviens, Renato ? Quand il était sur la place des mariachi et qu’il accompagnait les bailaora, il causait plus de dégât qu’autre chose.

Ils rigolaient un instant, tendrement, apportant de nouvelle couleur à ce nuancier qu’était le cimetière.

- Il avait une voix d’ange, de quoi rendre fier son papa.
En contrebas, c’est alors que le beffroi orchestrait une nouvelle mélodie et ajoutait un coup à sa dernière interprétation. Pila et Renato se redressaient alors, se fixant un instant et retournant leur attention sur la rêveuse. Elle reprenait une besace en oser, il attrapait sa fille à bout de bras.

- Nous devons nous en aller, nous devons encore préparer la journée de demain. Merci, señorita.
- Ce n’était rien.

Irelia regardait les parents s’écarter, quitter le cimetière et disparaître en aval du parterre de fleurs. D’une volte, elle se fixait alors devant la tombe et fixait celle-ci de long instant.

Un souvenir.

Elle souriait brièvement, heureuse d’une certaine manière à entretenir cette mémoire. D’un pas, d’un second, elle contournait la demeure et déposait une main sur la pierre. Un geste de chez elle, un mot se murmurant à ses lèvres et l’attention qu’elle portait à un jouet en bois qui reposait en son sommet.

Un souvenir.

Malgré elle, ou à l’égal de ce qu’elle venait d’écouter, elle ne voulait pas l’oublier. Ce souvenir de ce petit garçon qui faisait rire sa « mama » et qui accompagnait les « mariachis » sur la place. Fébrilement, elle attrapait le jouet de bois et lui offrait son attention. Une sculpture de chien, un animal haut en couleur et dont une paire d’ailes ornait son dos. Elle s’amusait devant l’objet, l’offrant ensuite à sa poche avant de faire demi-tour.

Les pieds dans la corolle de fleur, elle entamait sans lente descente jusqu’à la ville. Pourtant, une sensation étrange l’emportait.

Cadençant sa marche, s’apprêtant à franchir les grillages de l’endroit, une lumière vive l’envahissait et faisait vrombir les fleurs à ses pieds. l’éclat brillait et éclatait alors, surprenant la Danseuse un instant et la forçant à scruter ce qui l’entourait. Rien ne semblait avoir été dérangé. Du moins, jusqu’à ce qu’elle retourne à son départ et qu’un étranger vienne de passer au travers d’elle.

Sous le choc, une étrange toile se dessinait en son dos alors qu’elle se retrouvait tétanisée devant cette singularité.