Après la visite du Temple des Arts par le Prince et les notables locaux, nous sommes de retour au palais du gouverneur, soit ma demeure, pour un dîner plus simple que le déjeuner du même jour. Il est de bon ton de ne pas trop charger les dépenses exceptionnelles, les risques de se faire critiquer par l’administration, voir le Prince en personne.
Un repas similaire à ce qu’on peut servir dans la vie de tous les jours à la Cité Interdite devrait être suffisant. Il mange avec appétit et semble même ravie de goûter aux spécialités du Sichuan. Il ne doit pas souvent manger ce type de mets dans le nord, loin de chez nous.
Il n’est pas avare de paroles et se laisse courtiser par mon frère Gao et moi-même. La soirée se passe tranquillement et agréablement bien. Les convives commencent à repartir chez eux peu à peu au fur et à mesure que la Lune se lève dans le ciel. Il n’est pas encore très tard, mais très vite, nous nous retrouvons tous les trois. Le prince commence à fatiguer. Xupeng nous apporte une petite infusion pour aider à la digestion. Hailong en profite donc pour débuter une conversation plus particulière :
« Songzi Huayan, je vous remercie encore une fois pour cet accueil chaleureux dans le sud. C’est la première fois que je viens à Chengdu et j’en garderais un souvenir inoubliable. La nourriture est excellente. La réputation des cuisiniers du Sichuan n’est pas exagérée !
- Je vous remercie Votre Altesse. C’est un plaisir de recevoir le Prince Héritier dans mon humble résidence de gouverneur ! »
Il a l’air de vouloir dire autre chose. Il sort de sa tenue un document scellé… C’est le sceau de l’Empereur. Un décret impérial ? Qu’est-ce que cela peut-il être ?
« J’ai un décret de mon Père Royal pour vous, ma Dame. Ouvrez-le je vous en prie. » dit-il avec un ton plus sérieux qu’auparavant.
Je saisis le document et l’ouvre pour le lire attentivement. La salle est silencieuse, il ne reste que Xupeng, ma garde personnelle, Gao et le Prince Hailong. Au fur et à mesure de la lecture, mes mains se crispent de plus en plus sur la missive de l’Empereur. Après l’avoir fini, je le pose sur ma table et perd mon sourire de circonstance.
« Pouvez-vous m’expliquer ce que cela signifie, Votre Altesse ? » demandé-je, sans hausser le ton.
Le Prince se cale bien sur son coussin avant de me répondre. Il dessine un faux sourire sur son visage -cela se voit qu’il n’est pas habitué à ce genre de situations- et tente de garder « la face ».
« Mon Père Royal a décidé d’offrir une chance inestimable à l’héritier de la famille Wang. Vous devez être submergée par la joie Songzi Huayan ! » répond-il le sourire aux lèvres.
Submergée par la joie ? Moi ?!
Je l’accueille dans MON palais, sous MON toit, je l’invite à MA table et cette espèce de prince de pacotille vient me prendre ce qui compte le plus pour moi ?! Je vais te submerger avec quelque chose de bien pire que de la joie mon petit bonhomme !
« Je suis l’Ambassadrice du Consulat en Terre des Dragons, Votre Altesse.
- Et c’est justement pour cela que l’Empereur vous offre une chance inespérée en faisant de Wang Yue, votre fils, pupille de la Cité Interdite. Il vivra aux côtés des personnalités les plus importantes du gouvernement et recevra une éducation de choix à la Cour Impériale. Il aura l’opportunité unique d’apprendre au plus proche de Sa Majesté l’Empereur. »
Restons calme. Restons zen. Restons raisonnable.
« Vous comprendrez qu’en tant que mère, cette décision m’affecte quelque peu.
- Et je suis certain que vous comprendrez l’intérêt supérieur de votre fils à vivre au sein de la Cour pour l’avenir glorieux de l’Empire. Au vu des talents de sa mère, il servira un jour autant que vous Sa Majesté.
- Bi… Bien. C'est effectivement un honneur.»
Très honnêtement, je fais un effort surhumain pour ne pas l’égorger sur-le-champ, là tout de suite et d’envoyer sa tête à son vieux père croupissant dans la salle du trône de Beijing. En y réfléchissant, je sais très bien ce qu’il essaye de faire : il prend mon fils comme un otage pour me garder sous contrôle. Il a dû prendre ombrage de mon influence et celle de ma famille dans le sud de l’Empire. Il veut garantir la sécurité intérieure de notre pays… Mais emmener mon fils comme ça aussi brutalement… Il a dû faire ça pour éviter que des espions me rapportent cette décision.
Très bien, Votre Majesté. C’est bien joué. Vraiment.
« Très bien… Yue repartira donc avec vous comme le décret impérial l’ordonne.
- Mon père sera ravi ! Vous faites le bon choix, croyez-moi.
- Certainement, oui. Cependant le décret indique que je peux désigner un gardien pour accompagner mon fils à la Cité Interdite.
- Si c’est marqué, c’est que cela doit être vrai. Je ne connais pas les détails du décret.
- Le « Lieutenant » Harch l’accompagnera. C’est un étranger avec une apparence atypique mais il sait bien se tenir et il veillera sur mon fils. Nuit et jour. J’ai bon espoir également qu’il puisse vous apporter de bons conseils si vous le souhaitez. C’est un homme avec de nombreux talents.
- Comme vous le souhaitez, Songzi Huayan. Je vous remercie pour votre auxiliaire, c’est un geste rare ! »
La dégustation de l’infusion s’achève dans une ambiance plus détendue. Mon frère faisant en sorte de divertir le Prince… Ce simple d’esprit. Il ne se doute pas de la bête qu’il est entrain de réveiller.
Après qu’il ait pris congé, nous nous retrouvons avec Gao dans mon bureau, bien loin de la chambre où séjourne le fils du Porteur du Mandat Divin.
« Quel enfoiré ! » lâché-je sans retenue.
« Il ose me défier ?! Moi ?! Je suis la personne la plus puissante du sud de l’Empire, je mets sa bannière dès que j’en ai l’occasion et je lui écris des dizaines de rapports pour au final quoi ?! Qu’il vienne prendre mon fils en otage pour s’assurer de notre docilité ?
- Ça part peut-être d’un bon sentiment.
- Oui, bien sûr. Quand tu sépares le poussin de sa mère, c’est pour mieux t’occuper de lui ? Tssss… Il va m’entendre ce vieux sage d’Empereur.
- Et que comptes-tu faire ?
- … »
Sans voix, je me mue dans le silence.
On ne peut rien faire. C’est l’Empereur et il fait ce qu’il veut. Sans compter que ce n’est pas le moment de créer des conflits en interne. Il va falloir ruser. Alors que les secondes passent, des plans plus tordus les uns que les autres se dessinent dans mon esprit.
« Huayan… Ce n’est pas totalement étranger à ce dont je souhaitais te parler aujourd’hui. » continue-t-il avec une voix douce, fraternelle.
« Nous sommes devenus, et toi la première, une force politique et militaire majeure de l’Empire. Même si tu officies pour le Consulat, les liens entre toi et notre famille sont nombreux… C’était écrit que tôt ou tard, notre place et nos statuts créeraient des craintes dans les grands notables impériaux, y compris l’Empereur. J’ai… J’ai eu des cauchemars où je nous ai vu mourir. Je pense que c'est un signe qu'il faut que nous changions de... D'approche.
- Comment ça ? » demandé-je, commençant à devenir inquiète.
Il s’assoit à côté de moi, comme quand nous étions enfants, pour se confier.
« Je t’ai vu assassinée. Je me suis vu mourir. J’ai vu des enfants, peut-être les miens… Mourir, tués aussi.
- Quelle mouche t’a piqué pour avoir des cauchemars pareils ?
- Je ne sais pas. Mais cela fait sens. Je pensais, probablement naïvement, que nous pourrions conserver notre paix en oubliant nos anciens stratagèmes mais…
- Mais tu te rends compte que la nature humaine est injuste. Qu’ils prendront ombrage de notre réussite, de notre gloire, de notre nom ou de notre argent.
- Oui… Je regrette de m’être fâché contre toi. Tu avais raison dès le début…
- Ce n’est pas vrai. » coupé-je.
Il me regarde, attendant la suite, quelque peu étonné.
Je me relève et marche dans la pièce, partiellement apaisée par l’aveu de mon frère.
« Tu as raison, Gao. Malheureusement, la nature humaine est mauvaise. Tôt ou tard, les mauvais côtés de la race humaine finissent par sortir d’une façon ou d’une autre. Tu as raison, c’est le monde qui est trop injuste et ingrat. » commencé-je.
« Je crains fort que pour un ennemi que nous éliminons, nous en créons un autre.
- Il va donc falloir repasser à nos anciennes tactiques.
- Tu es vraiment prêt à cela ?
- Je n’ai pas envie que notre famille souffre pour de belles valeurs. La morale je l’ai, au fond de moi. Je dois protéger ma famille, qu’importe les moyens.
- Tu parles de façon bien passionné… Y a-t-il quelque chose que tu ne m’as pas annoncé encore ? » demandé-je, suspicieuse.
Il me regarde en souriant légèrement… Il est un peu gêné.
« Je suis navré de devoir te l’annoncer au vu des circonstances mais… ma femme Mingming est enceinte de notre première enfant. » répond-il.
C’est une excellente nouvelle !
Il est certain que j’aurai préféré l’apprendre avant mais il m’avait ordonné de ne pas placer d’espions trop près dans sa maisonnée… J’aurai peut-être du, mais c’est un autre sujet.
« Je suis très heureuse pour toi et la famille, Gao. C’est une merveilleuse nouvelle… Tu transmettras tous mes vœux les plus sincères à Mingming. Après la difficile période qu’elle a vécu, cela la comblera de bonheur.
- Je n’y manquerai pas. Merci ma sœur. »
Il faudra que je demande à Xupeng d’envoyer des cadeaux de circonstances à la future maman. Je crois qu’elle m’aime bien… Pauvre enfant.
« Ils vont prendre mon fils… Je ne sais pas ce que je dois faire, Gao.
- Pour l’instant, laisse couler… Tu le récupèreras. Nous trouverons un moyen.
- Il a fait une grossière erreur en s’en prenant à Yue. Je ne lui pardonnerai pas cet acte. Je ne suis pas une chef de clan rebelle qui a fomenté une rébellion !
- Il cherche à garder le contrôle de la situation, ce n’est pas une menace voilée qu’il essaye de te faire je crois. Il veut juste se préserver lui, et son fils.
- Tssss… Si tu le dis. C’est certainement ça, oui. »
Je tourne en rond dans mon bureau. Réfléchissant profondément à comment récupérer mon fils. Ils repartiront demain… Le temps me manque cruellement.
« J’ai une question cependant… Pourquoi avoir désigné Harch comme gardien ? Pourquoi pas Francis ? Tu lui fais plus confiance non ? Il est moins effrayant aussi…
- Francis est un guerrier. Harch est un psychopathe meurtrier.
- C’est sensé me rassurer ?
- Francis pourrait le protéger en cas d’attaques frontales, violentes. Or la Cité Interdite n’est pas un champ de bataille. Si Yue est menacé, ce sera par des menaces… Plus indirectes disons. Et dans ce cas-là, Harch est suffisamment tordu pour voir les mauvais coups venir.
- Tu n’as peur qu’il se retourne contre toi s’il sent le vent tourné ?
- Ne t’en fais pas. J’ai un contrat très spécial avec lui que nous avons conclu en secret il y a quelques lunes de ça. Il ne peut pas me trahir.
- Ne m’en dis pas plus, cela me suffit pour le moment. »
Nous nous rapprochons l’un de l’autre et nous nous lançons dans un grand câlin fraternel.
« Je crains que de longues heures nous attendent ma très chère sœur.
- Oh oui, mon frère. Nous protégerons notre famille.
- Et nous montrerons à tous que la famille Song est indomptable, insubmersible, insoumise.
- Puisse les ancêtres nous apporter force et sagesse. »
La nuit passe lentement. Le lendemain matin, moi et mes proches assistent au départ du prince et de Yue qui part loin au nord. Je lui ai promis de lui rendre visite souvent au Palais Impérial. Alors que le cortège s’enfonce dans les rues pour quitter la ville, je me change en corbeau pour rejoindre les portes.
Je regarde mon fils partir, impuissante et en colère. Les larmes coulent sur mon visage. Des larmes froides.
Un repas similaire à ce qu’on peut servir dans la vie de tous les jours à la Cité Interdite devrait être suffisant. Il mange avec appétit et semble même ravie de goûter aux spécialités du Sichuan. Il ne doit pas souvent manger ce type de mets dans le nord, loin de chez nous.
Il n’est pas avare de paroles et se laisse courtiser par mon frère Gao et moi-même. La soirée se passe tranquillement et agréablement bien. Les convives commencent à repartir chez eux peu à peu au fur et à mesure que la Lune se lève dans le ciel. Il n’est pas encore très tard, mais très vite, nous nous retrouvons tous les trois. Le prince commence à fatiguer. Xupeng nous apporte une petite infusion pour aider à la digestion. Hailong en profite donc pour débuter une conversation plus particulière :
« Songzi Huayan, je vous remercie encore une fois pour cet accueil chaleureux dans le sud. C’est la première fois que je viens à Chengdu et j’en garderais un souvenir inoubliable. La nourriture est excellente. La réputation des cuisiniers du Sichuan n’est pas exagérée !
- Je vous remercie Votre Altesse. C’est un plaisir de recevoir le Prince Héritier dans mon humble résidence de gouverneur ! »
Il a l’air de vouloir dire autre chose. Il sort de sa tenue un document scellé… C’est le sceau de l’Empereur. Un décret impérial ? Qu’est-ce que cela peut-il être ?
« J’ai un décret de mon Père Royal pour vous, ma Dame. Ouvrez-le je vous en prie. » dit-il avec un ton plus sérieux qu’auparavant.
Je saisis le document et l’ouvre pour le lire attentivement. La salle est silencieuse, il ne reste que Xupeng, ma garde personnelle, Gao et le Prince Hailong. Au fur et à mesure de la lecture, mes mains se crispent de plus en plus sur la missive de l’Empereur. Après l’avoir fini, je le pose sur ma table et perd mon sourire de circonstance.
« Pouvez-vous m’expliquer ce que cela signifie, Votre Altesse ? » demandé-je, sans hausser le ton.
Le Prince se cale bien sur son coussin avant de me répondre. Il dessine un faux sourire sur son visage -cela se voit qu’il n’est pas habitué à ce genre de situations- et tente de garder « la face ».
« Mon Père Royal a décidé d’offrir une chance inestimable à l’héritier de la famille Wang. Vous devez être submergée par la joie Songzi Huayan ! » répond-il le sourire aux lèvres.
Submergée par la joie ? Moi ?!
Je l’accueille dans MON palais, sous MON toit, je l’invite à MA table et cette espèce de prince de pacotille vient me prendre ce qui compte le plus pour moi ?! Je vais te submerger avec quelque chose de bien pire que de la joie mon petit bonhomme !
« Je suis l’Ambassadrice du Consulat en Terre des Dragons, Votre Altesse.
- Et c’est justement pour cela que l’Empereur vous offre une chance inespérée en faisant de Wang Yue, votre fils, pupille de la Cité Interdite. Il vivra aux côtés des personnalités les plus importantes du gouvernement et recevra une éducation de choix à la Cour Impériale. Il aura l’opportunité unique d’apprendre au plus proche de Sa Majesté l’Empereur. »
Restons calme. Restons zen. Restons raisonnable.
« Vous comprendrez qu’en tant que mère, cette décision m’affecte quelque peu.
- Et je suis certain que vous comprendrez l’intérêt supérieur de votre fils à vivre au sein de la Cour pour l’avenir glorieux de l’Empire. Au vu des talents de sa mère, il servira un jour autant que vous Sa Majesté.
- Bi… Bien. C'est effectivement un honneur.»
Très honnêtement, je fais un effort surhumain pour ne pas l’égorger sur-le-champ, là tout de suite et d’envoyer sa tête à son vieux père croupissant dans la salle du trône de Beijing. En y réfléchissant, je sais très bien ce qu’il essaye de faire : il prend mon fils comme un otage pour me garder sous contrôle. Il a dû prendre ombrage de mon influence et celle de ma famille dans le sud de l’Empire. Il veut garantir la sécurité intérieure de notre pays… Mais emmener mon fils comme ça aussi brutalement… Il a dû faire ça pour éviter que des espions me rapportent cette décision.
Très bien, Votre Majesté. C’est bien joué. Vraiment.
« Très bien… Yue repartira donc avec vous comme le décret impérial l’ordonne.
- Mon père sera ravi ! Vous faites le bon choix, croyez-moi.
- Certainement, oui. Cependant le décret indique que je peux désigner un gardien pour accompagner mon fils à la Cité Interdite.
- Si c’est marqué, c’est que cela doit être vrai. Je ne connais pas les détails du décret.
- Le « Lieutenant » Harch l’accompagnera. C’est un étranger avec une apparence atypique mais il sait bien se tenir et il veillera sur mon fils. Nuit et jour. J’ai bon espoir également qu’il puisse vous apporter de bons conseils si vous le souhaitez. C’est un homme avec de nombreux talents.
- Comme vous le souhaitez, Songzi Huayan. Je vous remercie pour votre auxiliaire, c’est un geste rare ! »
La dégustation de l’infusion s’achève dans une ambiance plus détendue. Mon frère faisant en sorte de divertir le Prince… Ce simple d’esprit. Il ne se doute pas de la bête qu’il est entrain de réveiller.
Après qu’il ait pris congé, nous nous retrouvons avec Gao dans mon bureau, bien loin de la chambre où séjourne le fils du Porteur du Mandat Divin.
« Quel enfoiré ! » lâché-je sans retenue.
« Il ose me défier ?! Moi ?! Je suis la personne la plus puissante du sud de l’Empire, je mets sa bannière dès que j’en ai l’occasion et je lui écris des dizaines de rapports pour au final quoi ?! Qu’il vienne prendre mon fils en otage pour s’assurer de notre docilité ?
- Ça part peut-être d’un bon sentiment.
- Oui, bien sûr. Quand tu sépares le poussin de sa mère, c’est pour mieux t’occuper de lui ? Tssss… Il va m’entendre ce vieux sage d’Empereur.
- Et que comptes-tu faire ?
- … »
Sans voix, je me mue dans le silence.
On ne peut rien faire. C’est l’Empereur et il fait ce qu’il veut. Sans compter que ce n’est pas le moment de créer des conflits en interne. Il va falloir ruser. Alors que les secondes passent, des plans plus tordus les uns que les autres se dessinent dans mon esprit.
« Huayan… Ce n’est pas totalement étranger à ce dont je souhaitais te parler aujourd’hui. » continue-t-il avec une voix douce, fraternelle.
« Nous sommes devenus, et toi la première, une force politique et militaire majeure de l’Empire. Même si tu officies pour le Consulat, les liens entre toi et notre famille sont nombreux… C’était écrit que tôt ou tard, notre place et nos statuts créeraient des craintes dans les grands notables impériaux, y compris l’Empereur. J’ai… J’ai eu des cauchemars où je nous ai vu mourir. Je pense que c'est un signe qu'il faut que nous changions de... D'approche.
- Comment ça ? » demandé-je, commençant à devenir inquiète.
Il s’assoit à côté de moi, comme quand nous étions enfants, pour se confier.
« Je t’ai vu assassinée. Je me suis vu mourir. J’ai vu des enfants, peut-être les miens… Mourir, tués aussi.
- Quelle mouche t’a piqué pour avoir des cauchemars pareils ?
- Je ne sais pas. Mais cela fait sens. Je pensais, probablement naïvement, que nous pourrions conserver notre paix en oubliant nos anciens stratagèmes mais…
- Mais tu te rends compte que la nature humaine est injuste. Qu’ils prendront ombrage de notre réussite, de notre gloire, de notre nom ou de notre argent.
- Oui… Je regrette de m’être fâché contre toi. Tu avais raison dès le début…
- Ce n’est pas vrai. » coupé-je.
Il me regarde, attendant la suite, quelque peu étonné.
Je me relève et marche dans la pièce, partiellement apaisée par l’aveu de mon frère.
« Tu as raison, Gao. Malheureusement, la nature humaine est mauvaise. Tôt ou tard, les mauvais côtés de la race humaine finissent par sortir d’une façon ou d’une autre. Tu as raison, c’est le monde qui est trop injuste et ingrat. » commencé-je.
« Je crains fort que pour un ennemi que nous éliminons, nous en créons un autre.
- Il va donc falloir repasser à nos anciennes tactiques.
- Tu es vraiment prêt à cela ?
- Je n’ai pas envie que notre famille souffre pour de belles valeurs. La morale je l’ai, au fond de moi. Je dois protéger ma famille, qu’importe les moyens.
- Tu parles de façon bien passionné… Y a-t-il quelque chose que tu ne m’as pas annoncé encore ? » demandé-je, suspicieuse.
Il me regarde en souriant légèrement… Il est un peu gêné.
« Je suis navré de devoir te l’annoncer au vu des circonstances mais… ma femme Mingming est enceinte de notre première enfant. » répond-il.
C’est une excellente nouvelle !
Il est certain que j’aurai préféré l’apprendre avant mais il m’avait ordonné de ne pas placer d’espions trop près dans sa maisonnée… J’aurai peut-être du, mais c’est un autre sujet.
« Je suis très heureuse pour toi et la famille, Gao. C’est une merveilleuse nouvelle… Tu transmettras tous mes vœux les plus sincères à Mingming. Après la difficile période qu’elle a vécu, cela la comblera de bonheur.
- Je n’y manquerai pas. Merci ma sœur. »
Il faudra que je demande à Xupeng d’envoyer des cadeaux de circonstances à la future maman. Je crois qu’elle m’aime bien… Pauvre enfant.
« Ils vont prendre mon fils… Je ne sais pas ce que je dois faire, Gao.
- Pour l’instant, laisse couler… Tu le récupèreras. Nous trouverons un moyen.
- Il a fait une grossière erreur en s’en prenant à Yue. Je ne lui pardonnerai pas cet acte. Je ne suis pas une chef de clan rebelle qui a fomenté une rébellion !
- Il cherche à garder le contrôle de la situation, ce n’est pas une menace voilée qu’il essaye de te faire je crois. Il veut juste se préserver lui, et son fils.
- Tssss… Si tu le dis. C’est certainement ça, oui. »
Je tourne en rond dans mon bureau. Réfléchissant profondément à comment récupérer mon fils. Ils repartiront demain… Le temps me manque cruellement.
« J’ai une question cependant… Pourquoi avoir désigné Harch comme gardien ? Pourquoi pas Francis ? Tu lui fais plus confiance non ? Il est moins effrayant aussi…
- Francis est un guerrier. Harch est un psychopathe meurtrier.
- C’est sensé me rassurer ?
- Francis pourrait le protéger en cas d’attaques frontales, violentes. Or la Cité Interdite n’est pas un champ de bataille. Si Yue est menacé, ce sera par des menaces… Plus indirectes disons. Et dans ce cas-là, Harch est suffisamment tordu pour voir les mauvais coups venir.
- Tu n’as peur qu’il se retourne contre toi s’il sent le vent tourné ?
- Ne t’en fais pas. J’ai un contrat très spécial avec lui que nous avons conclu en secret il y a quelques lunes de ça. Il ne peut pas me trahir.
- Ne m’en dis pas plus, cela me suffit pour le moment. »
Nous nous rapprochons l’un de l’autre et nous nous lançons dans un grand câlin fraternel.
« Je crains que de longues heures nous attendent ma très chère sœur.
- Oh oui, mon frère. Nous protégerons notre famille.
- Et nous montrerons à tous que la famille Song est indomptable, insubmersible, insoumise.
- Puisse les ancêtres nous apporter force et sagesse. »
La nuit passe lentement. Le lendemain matin, moi et mes proches assistent au départ du prince et de Yue qui part loin au nord. Je lui ai promis de lui rendre visite souvent au Palais Impérial. Alors que le cortège s’enfonce dans les rues pour quitter la ville, je me change en corbeau pour rejoindre les portes.
Je regarde mon fils partir, impuissante et en colère. Les larmes coulent sur mon visage. Des larmes froides.