« Ils arrivent ! Tout le monde à son poste ! »
Le voile de la nuit est déjà tombée alors que les troupes de Jiawei Dajisi arrivent avec une journée d’avance sur ce que nous pensions. Ils ont dû accélérer la marche et les corbeaux ont mal estimé la distance. Ils sont en nombre, comme nous nous y attendions. L’inquiétude se lit sur les visages des soldats, certains n’ont jamais tué personne. D’autres ont tout simplement peur.
« Tout le monde sur le mur ! Allez ! »
Je descends de ma monture qui halète. J’ai quitté mon manoir précipitamment pour rejoindre rapidement mes hommes et leur donner mes dernières consignes. Ma garde personnelle m’accompagne également. Ils ont pour ordre de me protéger pendant les combats, tout naturellement. J’ai mis mes protections habituelles noires. Je n’ai pas eu le temps d’enfiler les épaulières et le reste.
Wen Jing garde la partie nord avec quelques hommes. Il joue plus un rôle d’alarme qu’autre chose. Lin Meng garde le palais du gouverneur avec Zi Qiu, le chef de la garde de la ville. Lin Yong est sur le mur sud avec moi, Francis et Harch. Li Guo est également là en soutien mais ne dirige pas d’unité à lui seul.
« ARCHERS ! Suivez-moi ! »
Je suis dans la cour, juste derrière la grande porte sud. Xupeng vient immédiatement à ma rencontre. Il a enfilé lui aussi à la hâte sa tenue de protection, je vois qu’il tient nerveusement son arbalète contre lui.
« Madame Song, vous voilà ! Lin Yong est déjà en haut avec ses unités et Harch aussi ! Francis vous attend, il est juste là !
- Très bien Xupeng, merci. Va à ton poste et tient-toi près. Tu peux déjà charger les catapultes pour le moment, d’accord ?
- Oui, tout de suite ! »
Il part aussitôt en direction des engins de siège pour donner mes consignes. Malgré l’obscurité, je perçois rapidement un homme d’une assez « forte » carrure se diriger vers moi avec un large marteau dans les mains. Il s’agit de Francis. Il a mis l’armure chinoise que je lui ai assignée, c’est bien.
« Je vous attendais pour envoyer le reste de mes gars en haut ! On se conforme au plan ?
- Oui, allons-y tout de suite ! Il faut voir s’ils vont attaquer de nuit ou s’ils montent le camp !
- Pour l’instant, ils ne font qu’avancer ! Sont loins encore !
- Nous verrons ça de nous-mêmes ! Aux remparts, immédiatement !
- Ok, chef ! »
Je passe devant avec mes gardes et nous commençons à gravir les marches en direction de la tour. Une colonne de soldats nous suit, un mélange de prisonniers, de miliciens et de gardes. Ils apprendront pendant la bataille. Ce n’est pas l’idéal, mais nous n’avons pas vraiment le choix. La « tour » est une sorte de pavillon fait de bois et de pierres au-dessus de la porte, un large tambour y est disposé ainsi qu’une estrade pour me faciliter la vision. Le toit aussi est normalement suffisamment large pour protéger des flèches de haute volée. Je dirigerai les hommes depuis cet emplacement stratégique.
« ALLEZ MESDEMOISELLES AU PAS DE COURSE ! Les ennemis vont pas nous attendre pour prendre le thé ! »
Francis et Li Guo se tiennent à ma droite tandis que Lin Yong et Harch sont sur ma gauche.
Pour l’instant, nous sommes en phase d’observation et nous essayons de voir ce que fait l’armée ennemie. Peut-être vont-ils monter le camp pour la nuit et attaquer à l’aube ? Nous n’en savons rien, donc nous sommes en position. J’ai également envoyé Noah dans la forêt à l’ouest en urgence avec les corbeaux.
Ils ne sont pas loin. Il faut que nous…
« AAAAAAAH ! »
Un cri de douleur nous stoppe dans notre mise en place. Un soldat vient de se prendre une flèche. Il tombe par terre, mort. Puis de nouveaux hurlements se mettent à résonner dans la nuit. Quoi ? Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire ?! Je regarde à gauche et à droite, des hommes sont déjà blessés ! Ils ne peuvent pas déjà être…
« Ils sont devant les murs Huayan ! Ils se planquent dans le noir comme des catins ! » m’hurle Francis.
Vite, il faut improviser !
« Arbalétriers et archers ! »
Les crieurs de ma tour se tournent vers les troupes pour communiquer avec les soldats :
« ARBALÉTRIERS ET ARCHERS ! »
Les hommes répondant à cet appel se placent devant les murs et mettent en joue les formes difficilement visibles devant les murs. Ils sont à découvert !
« Feu ! »
« FEEEEEEUUUU ! »
Le sifflement des flèches et le mécanisme des arbalètes offrent une réplique de taille contre les flèches traîtresses des odieux personnages se cachant juste sous nos yeux. Ma garde se met naturellement devant moi pour palier à un éventuel tir qui me viserait.
« Catapultes ! A mon signal ! »
« CATAPULTES ! »
Je lève le bras en l’air pour marquer le bon moment. Les flammes de l’huile sur les roches devraient nous aider à y voir plus clair dans ce champ de bataille à moitié invisible. Et si nous pouvons en écraser un ou deux au passage, cela ne fera pas de mal à nos troupes.
J’abaisse le bras.
« FEEEEEUUU ! »
Cinq rochers de feu s’élèvent de notre côté du mur pour embraser la nuit noire et rejoindre avec fracas la route et les rizières du sud de la cité. Quelques cris venant d’en bas se font entendre tandis que les sillages de feu de nos projectiles donnent désormais une meilleure visibilité à nos tireurs.
« Feu à volonté, rechargez les catapultes ! » lancé-je.
« ALLEZ LES GARS ! ENVOYEZ-LES VOIR LEURS ANCÊTRES ! » crie Francis.
« Feu à volonté ! » complète plus sobrement Harch de con côté.
Je ne sais pas combien d’hommes sont accroupis dans les ténèbres devant nous mais cela ne me rassure guère. Ils tirent des flèches mais beaucoup moins que nous, ils préparent quelque chose c’est certain.
« Noah ! Quand tu es sur place avec les corbeaux ! Accomplis ta mission, c’est très important ! » pensé-je en direction de mon protégé.
Les flammes des projectiles commencent à s’éteindre. Je vais tenter de les utiliser une dernière fois avant qu’elles ne disparaissent complètement. Je tends les mains vers elles, avec un peu de concentration, je les envoûte… Pour faire une spirale de feu brûlant nos ennemis. Ils sont nombreux.
« Que vois-tu Wuhan en bas ?
- Ils ont des grappins ! »
Des grappins ? Ils vont prendre d’assaut le mur, mais comment comptent-ils avoir suffisamment de diversion pour pouvoir lancer leurs… Attendez ! le reste de l’armée là-bas, qu’est-ce qu’ils sont entrain de faire ?
« Maîtresse ! De fortes concentrations de flammes grossissent derrière cette avant-garde ! » m’informe Wuhan.
Et avant que je ne puisse ordonner quoique ce soit, trois boules de feu rejoignent les cieux pour retomber sur les remparts et faisant de nombreux blessés et de morts dans notre camp. Certains sont projetés au sol ou en arrière, d’autres encore sont brûlés à en mourir par l’attaque. Ils ont des magiciens avec eux ! Elle a de la ressource cette sorcière.
« XUPENG ! ARCHERS, FEU EN RANG ! » crié-je.
Depuis l’arrière-cour des arcs longs fournissent un nouvel appui à nos tireurs sur les murs. Ils n’arrêteront pas le flot de flèches aussi facilement !
Je jette un coup d’œil à ma droite : Les équipes de Francis ont pris des dégâts, mais ils tiennent encore et surtout il n’est pas blessé. Li Guo est aussi avec mon acolyte de toujours, en bonne santé semble t-il.
A ma gauche, ils n’ont reçu qu’une boule de feu. Quelques morts et des blessés, mais le gros des troupes est encore là. Pour montrer qu’elle n’est pas la seule à savoir jouer avec les flammes, je m’approche du rempart et charge une sphère explosive que je jette en direction de l’obscurité devant la porte.
L’explosion fait voler en éclats une bonne dizaine de ses hommes de fortune. Prenez ça bande de sauvages !
Nous n’avons pas le temps de nous reposer, ils utilisent des arbalètes lourdes pour propulser leurs grappins en haut des murs, dégommant certains de mes soldats au passage. Il y a beaucoup de cordes, impossible de toutes les retirer en même temps. J’utilise mes pouvoirs pour dégager ceux proches de ma position.
« Ils montent sur les remparts !
- Arbalétriers tirez vite !
- ARBALÉTRIERS ! »
Les archers reculent pour dégainer leurs épées tandis que les arbalètes nettoient un peu les cordes des assaillants. Certains soldats soulèvent les grappins pour les faire tomber mais avec une certaine difficulté pour certains.
Une nouvelle volée de flèches venant de la cour s’envole dans le ciel et retombe. Les complaintes de tous les soldats, les cris et le bruit des armes m’empêchent de savoir si nous faisons mouche ou non. En tout cas, nous maintenons la pression.
« Boules de feu ! »
Trois nouvelles balles magiques enflammées viennent s’écraser contre nos murs, faisant de la place pour les assaillants. Les premiers commencent à atteindre nos hauteurs bien qu’ils meurent assez rapidement. Leur avant-garde est plus coordonnée que ce que nous attendions.
Les premiers bruits d’épée résonnent. Wuhan et mes gardes se disposent autour de moi, pour bloquer l’accès à quiconque aurait l’envie soudaine de venir m’agresser directement. Francis est déjà dans la mêlée.
Il chope un assaillant par le col avant de le balancer par-dessus le mur. Il reprend son marteau à deux mains et vient frapper en pleine tête un autre avant de se retourner pour fracturer la jambe d’un ennemi derrière lui qu’il s’empresse ensuite de saisir pour lui fracasser le crâne contre les briques devenues désormais rouge sang.
« YAAAAH ! » crie un soldat adverse avant de se faire enfoncer une lance dans le torse par l’un de mes gardes.
« Francis ! Repousse-les autant que possible ! Ils ne doivent pas rejoindre la ville !
- Je fais ce que je peux ! » crie t-il avant de donner de nouveaux ordres à ses hommes.
« BUTEZ-LES TOUS ! PAS DE QUARTIERS ! »
Cela devrait suffire !
Je me tourne du côté d’Harch et de Yong. Ils tiennent mais ils ont plus de perte avec les derniers projectiles magiques enflammés. Les assaillants commencent aussi à être nombreux sur eux. Les deux commandants se battent bien, mais je dois pouvoir les aider un peu plus.
Je me concentre et prend le contrôle de plusieurs grappins que je fais tomber dans le vide entraînant une vague massive de complaintes du côté des ennemis : une chute entre un et treize mètres, cela peut en effet faire mal.
L’obscurité est revenue dans l’étendue devant nous, si ce n’est les lueurs des flammes du reste des troupes de Jiawei. Pour l’instant, ils ne bougent pas. Ils doivent attendre que leur avant-garde nettoie ma position et me force à me replier.
Cela n’arrivera pas.
Un battement d’ailes me tire de mon observation du champ de bataille. C’est Aile-Ébène. Parfait ! Noah a lancé l’opération. D’ici quelques minutes, nous pourrons mettre leurs forces en très mauvaise position.
« Nous sommes en route Madame Song ! » me lance t-il avant de s’envoler vers les cieux ténébreux.
« Xupeng ! HUILE ! » crié-je.
Les combats continuent sur les murs. De plus en plus d’ennemis sont là. Il est facile de distinguer les hommes habitués à tuer et les autres. Malgré tout, nos hommes se défendent du mieux qu’ils peuvent, menés par les ordres et la bravoure de leurs commandants respectifs.
« Madame Song ! Ils cherchent à nous couper de vous !
- Tenez vos positions, je vais m’en charger personnellement ! »
En effet, les assaillants se concentrent sur les sections au-dessus de la porte. Francis, Harch ne peuvent bientôt plus me rejoindre. Du moins ils pourraient essayer mais ce serait perdre un gros risque pour leur commandement.
« Wuhan, dégagez-moi ces accès immédiatement !
- Tout de suite ! Trois d’un côté, trois de l’autre ! »
Leur formation de protection disparaît pour laisser place à des postures plus agressives. Ils rejoignent l’unité protégeant ma position et qui tente de garder les ennemis à distance. Tandis que les premières cargaisons d’huile passent au-dessus de ma tête pour se briser dans l’étendue noire en face de nous, je tends les bras pour prendre le contrôle de plusieurs carquois de flèches.
Les projectiles se dressent dans les airs, je les envoie se positionner au-dessus des ennemis. J’abats les flèches sur eux, handicapant leur avancée. Je redonne ainsi un peu de vigueur à mes défenseurs qui ont face à eux un ennemi des plus tenaces et motivés.
J’aimerais lancer une boule de feu en direction du reste de leurs troupes, mais cela risquerait de démarrer mon plan trop tôt. Je dois encore attendre au moins quelques volées de Xupeng.
« Xupeng ! Barils de feu grégeois ! » pensé-je pour lui.
Un assaillant arrive à passer et court vers moi. Je ne perds aucun instant et alors qu’il se dresse face à moi avec son épée, mon bras éjecte un éclair qui vient le frapper en pleine poitrine. Il tombe à la renverse sous le choc et ne bouge plus. Un de moins.
« La fête est finie Huayan ! » crie une voix bien trop familière.
Sur les murs se dresse Yijun. Lame dégainée. Ne me laissant le temps de rien, il se jette vers moi. J’ai le réflexe de me reculer tandis que je vois son arme s’approcher dangereusement de moi.
Je fais un mouvement brusque avec le bras gauche, je dévie sa lame par mon esprit ce qui le déstabilise légèrement.
« Maîtresse ! »
Wuhan vient s’interposer et commence à se battre contre Yijun qui répond à son tour. Leurs lames se croisent avec force. Wuhan a deux épées courtes tandis que le traître en a une plutôt longue.
Yijun pare le coup et tente de faire tomber mon chef de garde en le cognant avec son épaule gauche. Wuhan recule de deux pas mais ne tombe pas et essaye de le frapper dans le ventre avec son genou, sans résultat probant. Le mécanisme des catapultes se fait entendre et de nouveaux barils s’élancent dans l’inconnu.
Nouvel échange de coups entre les deux combattants. J’aide Wuhan en tirant la lame d’Yijun à des positions improbables. Il arrive tout de même à se rattraper, mais mon défenseur arrive bien à lui écorcher un peu les vêtements et peut-être la chair avec un peu de chance ! Ha ! Prend ça sale chien !
« Je le veux vivant Wuhan ! Je veux le juger personnellement !
- Oui maîtresse ! »
Nouveau tir de barils. J’attends des nouvelles des corbeaux et enfin nous lancerons la fin du spectacle. Yijun essaye de profiter de mon ordre pour contourner le solide soldat devant lui. Il y arrive mais j’ai largement le temps de le repousser pour le plaquer contre la muraille. L’offrant avec plaisir à Wuhan.
« Xupeng ! Flèches de feu ! A mon signal ! » lance à l’intention des crieurs de la tour.
« Xupeng ! FLÈCHES DE FEU AU SIGNAL DE LA DAME ! » répètent-ils.
Wuhan essaye de balayer Yijun pour le désarmer, ce dernier esquive en faisant une roulade sur le côté droit. Il sort un couteau qu’il lance vers moi. Je le dévie en l’envoyant par-dessus les murs. Il attaque de nouveau en fonçant sur mon défenseur et le tranche à plusieurs endroits, heureusement qu’il a une armure pour se protéger.
J’en profite pour regarder sur mes deux flancs : la bataille fait encore rage mais le flot grimpant les murs commencent à s’atténuer. Il n’est pas stoppé mais il diminue en volume. Ce qui veut dire que… Oui !
L’armée de Jiawei va certainement se mettre en marche pour venir les aider. Le moment est parfait : plusieurs corbeaux viennent voler au-dessus de ma tête. Leur tâche est accomplie !
« XUPENG ! MAINTENANT ! » crié-je de toutes mes forces, suivie par les crieurs de la tour.
Une nouvelle volée de barils soutenue par deux lignes de flèches enflammées très nettes surgissent et illuminent un bref instant les ténèbres de la nuit de leur lumière orangée avant de disparaître dans les champs devant nous.
C’est ainsi que soudainement une série d’au moins quatre explosions retentissent et font une tempête de flammes flamboyantes embrasant les rizières et les ennemis qui s’y trouvent. Le bruit des combats s’estompe face à cette violente vague de feu qui dévale la terre pour venir lécher les pieds de nos remparts et séparant désormais nettement nos murs de l’armée adverse.
« HA ! HA ! HA ! BRÛLEZ-TOUS ! » s’écrie Francis.
De nombreux cris accompagnent ce flot ardent qui engouffre les ennemis restés en bas dans une mort chaude et particulièrement désagréable. Yijun profite de mon effet pour s’accrocher à une corde qu’il sort de je ne sais où et court le long de la muraille pour remonter du côté de Francis et de Li Guo.
Maintenant que Jiawei ne peut pas venir soutenir ses hommes, il faut finir vite avec son avant-garde.
« Commandants ! Poussez ! »
« COMMANDANTS ! POUSSEZ ! » s’écrit la tour.
Le « poussez » a été vu avant la bataille. Il faut que les chefs d’unités poussent les ennemis dans leurs retranchements et les éliminent méthodiquement en fonction de leur situation. Nous voulons les coincer et les tuer rapidement. Jusqu’au dernier s’il le faut.
« Allez les gars ! Envoyez-les à la mort ! Leurs potes sont cramés maintenant ! » s’écrie Francis quelque part dans la mêlée.
Dans le feu de l’action, je saisis deux hommes par l’esprit pour les balancer par-dessus la muraille et faire de la place. Wuhan se tient à mes côtés.
« Va aider les défenseurs ! Il faut tenir cet accès pour que Francis et Li Guo puissent les rabattre sur nous !
- Tout de suite Maîtresse ! »
Je m’approche du vide enflammé. Je prends le contrôle des flammes pour maintenir un mur homogène et ainsi gagnée du temps. Il ne faut pas que Jiawei ait l’opportunité d’engager plus d’hommes sur le front. D’ailleurs, son armée ne bouge plus, ils ont bien été stoppé.
« Xupeng, continue d’envoyer du combustible avec les catapultes ! » pensé-je.
Je jette un coup d’œil vers ma droite. Yijun se bat contre Li Guo. Un duel s’est engagé entre les deux jeunes hommes autrefois alliés. Le paria est plus entraîné que le maître-chien. Le combat est à son avantage, Francis est trop occupé à nettoyer le reste des assaillants.
« Je m’en occupe Francis, va vers la chef !
- Ok petit ! »
Ils se battent avec férocité. Je ne peux pas tout voir. Entre les corps qui tombent, les flammes à maîtriser, l’obscurité, le bruit… Je me recentre et plonge mon regard dans le feu infernal qui se voit regrossir un peu plus avec les nouveaux barils qu’envoient Xupeng depuis la cour.
Nous ne sommes pas assez organisés. Cela se sent. Nos hommes ne sont pas bien ordonnés et même nous en tant que commandants, nous n’avons pas anticipé le fait que nos informateurs n’étaient pas forcément très précis sur la plage horaire de l’arrivée de l’armée ennemie. Pour pallier le manque de connaissances de nos soldats, il faut absolument que nous soyons plus disciplinés.
J’aimerais pouvoir utiliser tous ces soldats morts grâce à la nécromancie… Mais non. Je ne suis pas l’Innommable ici. Pour mon foyer, je combattrai avec honneur et dignité. Je ne m’abaisserai pas à utiliser les cadavres de mes propres hommes ou ceux de Jiawei même s’ils n’ont que mon dégoût le plus profond. Chengdu ne sera ni souillée par elle, ni par moi.
Le vacarme du combat vient jusqu’à moi. Une lance tombe au sol, j’entends un bouclier en bois qui se brise sous les coups. Des épées s’entrechoquent, des haches volent. Quelques arbalètes à répétition se font entendre, particulièrement pratiques dans les mêlées.
Les cris de rage, de douleur et de peur parsèment les remparts. Chacun espérant que ce soit le camp d’en face qui souffre le plus. L’avant-garde se décompose peu à peu, je peux le sentir. Je vois de plus en plus mes soldats lorsque je tourne la tête, les ennemis se font déborder : ils n’ont plus de renforts, ils n’ont plus d’espoir.
« Madame Song ! Le commandant Lin Yong est blessé !
- Quoi ?! »
Et voilà que je commençais à trouver la bataille trop facile. Il ne doit pas mourir, cela mettrait un mauvais coup au moral de ses troupes, risquant de briser notre avantage tactique actuel. Vite ! Il faut le rapatrier ici !
Problème : il y a encore trop d’ennemis. Je ne peux pas le ramener à la porte. Le feu devrait pouvoir tenir encore un moment avec les barils d’huile et de feu grégeois que Xupeng envoie en continu. Je vais pouvoir aller les aider !
Il faut que je le rejoigne au plus vite.
Je sors plusieurs lames de mon armure et les fait voler autour de moi. Je m’approche rapidement de mon flanc gauche. Plusieurs ennemis se débattent comme des diables pour rester en vie… Ou emportez le plus de mes hommes possibles. Je les poignarde à différents endroits tandis que mes défenseurs en profitent pour avancer en rang serré vers l’avant et ainsi progresser sur le mur.
J’en saisis un autre pour le jeter par-dessus le vide. Je l’entends crier et s’écraser par terre treize mètres plus bas.
« Allez ! Chargez en avant ! Poussez ! »
Les troupes de Jiawei tombent une à une. La colonne de nos soldats grossit de plus en plus. Je n’ai plus qu’à marcher sur les corps laissés derrière et de faire voler les ennemis du haut des murs. Les morts sont déjà nombreux, beaucoup de sang… Cela me fait toujours un pincement au cœur de voir les visages des tombés. Certains semblent apeurés tandis que d’autres n’expriment que la douleur. Un petit nombre semble en paix, même si leur dépouille gît au milieu d’une dizaine d’autres, le long du mur tâché de la marque de leur échec au combat.
Jiawei Dajisi, tu paieras pour toutes ces vies écourtées.
La colonne arrive à se frayer un chemin jusqu’au commandant blessé, ce n’est pas bon du tout. Je m’agenouille à côté de Lin Yong. Il est adossé à la muraille, la blessure est au niveau des côtes, il semble perdre pas mal de sang. Un soldat m’annonce qu’il a été touché par une lance qu’il a ensuite retiré à mains nues lui-même.
« Continuez d’avancer ! Allez ! » ordonné-je pour que les troupes continuent leur assaut.
Je pose mes deux mains sur sa plaie et tente de le soigner du mieux que je peux. Ma magie n’est pas assez puissante pour le guérir complètement, mais peut-être qu’un petit peu de soins lui fera du bien un instant.
« Ça va aller, Madame. J’en ai vu… D’autres.
- Vous avez été lourdement blessé, Lin Yong. Il faut vous faire examiner immédiatement. »
Je me tourne vers la cour où les catapultes font encore feu. J’aperçois Xupeng qui continue de donner des ordres aux manœuvres.
« Xupeng. Il me faut deux médecins sur la section du mur de Lin Yong, il a été blessé et j’ai peur qu’on ne puisse pas le transporter jusqu’à l’infirmerie. Sa partie a été nettoyée, les ennemis ne sont plus là. »
Je retourne au combat pour faire le point. Harch semble s’en sortir et a repris le commandement des hommes de Lin Yong. Ils n’ont pas besoin de mon aide pour terminer le travail ici. Je rejoins au pas de course la tour centrale pour connaître la situation de Francis et de Li Guo.
Les flammes magiques qui se sont déversées sur le mur plus tôt commencent à s’éteindre lentement, laissant derrière elles des corps salement brûlés à l’odeur nauséabonde. On dirait du porc à la broche pas frais. Les braseros restants donnent une scène inquiétante où des ombres s’agitent pour se vaincre.
Parfois, la lueur du feu fait surgir un visage des ténèbres. Un visage bien souvent enragé par l’instinct de survie humain. Au loin, j’aperçois Li Guo qui se bat toujours en duel contre Yijun. Aucun des deux ne semble prendre l’avantage. Le maître-chien y met toutes ses forces, toute son énergie.
Francis est encore dans la mêlée, il ne peut pas le rejoindre. Je dois faire quelque chose. Et… Mince les flammes devant les murs. Je dois les maintenir en forme pour qu’il soit suffisamment uniforme pour éviter que des renforts passent.
Li Guo… C’est à toi de le vaincre.
Je reprends ma position et prend de nouveau le contrôle du feu alimenté par Xupeng. Je finis de brûler les quelques survivants qui étaient restés en bas ou qui étaient tombés. Ils ne feront plus de mal à personne ceux-là.
Je jette un regard rapide en direction d’Yijun… Il ne veut pas perdre ce chien ! Il met en difficulté Li Guo… Francis doit l’aider !
« Francis, aide Li Guo si tu peux. Il ne va pas s’en sortir tout seul. Yijun doit être capturé vivant. J’insiste sur le vivant, il est à moi ! » pensé-je en direction de mon acolyte.
Le voile de la nuit est déjà tombée alors que les troupes de Jiawei Dajisi arrivent avec une journée d’avance sur ce que nous pensions. Ils ont dû accélérer la marche et les corbeaux ont mal estimé la distance. Ils sont en nombre, comme nous nous y attendions. L’inquiétude se lit sur les visages des soldats, certains n’ont jamais tué personne. D’autres ont tout simplement peur.
« Tout le monde sur le mur ! Allez ! »
Je descends de ma monture qui halète. J’ai quitté mon manoir précipitamment pour rejoindre rapidement mes hommes et leur donner mes dernières consignes. Ma garde personnelle m’accompagne également. Ils ont pour ordre de me protéger pendant les combats, tout naturellement. J’ai mis mes protections habituelles noires. Je n’ai pas eu le temps d’enfiler les épaulières et le reste.
Wen Jing garde la partie nord avec quelques hommes. Il joue plus un rôle d’alarme qu’autre chose. Lin Meng garde le palais du gouverneur avec Zi Qiu, le chef de la garde de la ville. Lin Yong est sur le mur sud avec moi, Francis et Harch. Li Guo est également là en soutien mais ne dirige pas d’unité à lui seul.
« ARCHERS ! Suivez-moi ! »
Je suis dans la cour, juste derrière la grande porte sud. Xupeng vient immédiatement à ma rencontre. Il a enfilé lui aussi à la hâte sa tenue de protection, je vois qu’il tient nerveusement son arbalète contre lui.
« Madame Song, vous voilà ! Lin Yong est déjà en haut avec ses unités et Harch aussi ! Francis vous attend, il est juste là !
- Très bien Xupeng, merci. Va à ton poste et tient-toi près. Tu peux déjà charger les catapultes pour le moment, d’accord ?
- Oui, tout de suite ! »
Il part aussitôt en direction des engins de siège pour donner mes consignes. Malgré l’obscurité, je perçois rapidement un homme d’une assez « forte » carrure se diriger vers moi avec un large marteau dans les mains. Il s’agit de Francis. Il a mis l’armure chinoise que je lui ai assignée, c’est bien.
« Je vous attendais pour envoyer le reste de mes gars en haut ! On se conforme au plan ?
- Oui, allons-y tout de suite ! Il faut voir s’ils vont attaquer de nuit ou s’ils montent le camp !
- Pour l’instant, ils ne font qu’avancer ! Sont loins encore !
- Nous verrons ça de nous-mêmes ! Aux remparts, immédiatement !
- Ok, chef ! »
Je passe devant avec mes gardes et nous commençons à gravir les marches en direction de la tour. Une colonne de soldats nous suit, un mélange de prisonniers, de miliciens et de gardes. Ils apprendront pendant la bataille. Ce n’est pas l’idéal, mais nous n’avons pas vraiment le choix. La « tour » est une sorte de pavillon fait de bois et de pierres au-dessus de la porte, un large tambour y est disposé ainsi qu’une estrade pour me faciliter la vision. Le toit aussi est normalement suffisamment large pour protéger des flèches de haute volée. Je dirigerai les hommes depuis cet emplacement stratégique.
« ALLEZ MESDEMOISELLES AU PAS DE COURSE ! Les ennemis vont pas nous attendre pour prendre le thé ! »
Francis et Li Guo se tiennent à ma droite tandis que Lin Yong et Harch sont sur ma gauche.
Pour l’instant, nous sommes en phase d’observation et nous essayons de voir ce que fait l’armée ennemie. Peut-être vont-ils monter le camp pour la nuit et attaquer à l’aube ? Nous n’en savons rien, donc nous sommes en position. J’ai également envoyé Noah dans la forêt à l’ouest en urgence avec les corbeaux.
Ils ne sont pas loin. Il faut que nous…
« AAAAAAAH ! »
Un cri de douleur nous stoppe dans notre mise en place. Un soldat vient de se prendre une flèche. Il tombe par terre, mort. Puis de nouveaux hurlements se mettent à résonner dans la nuit. Quoi ? Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire ?! Je regarde à gauche et à droite, des hommes sont déjà blessés ! Ils ne peuvent pas déjà être…
« Ils sont devant les murs Huayan ! Ils se planquent dans le noir comme des catins ! » m’hurle Francis.
Vite, il faut improviser !
« Arbalétriers et archers ! »
Les crieurs de ma tour se tournent vers les troupes pour communiquer avec les soldats :
« ARBALÉTRIERS ET ARCHERS ! »
Les hommes répondant à cet appel se placent devant les murs et mettent en joue les formes difficilement visibles devant les murs. Ils sont à découvert !
« Feu ! »
« FEEEEEEUUUU ! »
Le sifflement des flèches et le mécanisme des arbalètes offrent une réplique de taille contre les flèches traîtresses des odieux personnages se cachant juste sous nos yeux. Ma garde se met naturellement devant moi pour palier à un éventuel tir qui me viserait.
« Catapultes ! A mon signal ! »
« CATAPULTES ! »
Je lève le bras en l’air pour marquer le bon moment. Les flammes de l’huile sur les roches devraient nous aider à y voir plus clair dans ce champ de bataille à moitié invisible. Et si nous pouvons en écraser un ou deux au passage, cela ne fera pas de mal à nos troupes.
J’abaisse le bras.
« FEEEEEUUU ! »
Cinq rochers de feu s’élèvent de notre côté du mur pour embraser la nuit noire et rejoindre avec fracas la route et les rizières du sud de la cité. Quelques cris venant d’en bas se font entendre tandis que les sillages de feu de nos projectiles donnent désormais une meilleure visibilité à nos tireurs.
« Feu à volonté, rechargez les catapultes ! » lancé-je.
« ALLEZ LES GARS ! ENVOYEZ-LES VOIR LEURS ANCÊTRES ! » crie Francis.
« Feu à volonté ! » complète plus sobrement Harch de con côté.
Je ne sais pas combien d’hommes sont accroupis dans les ténèbres devant nous mais cela ne me rassure guère. Ils tirent des flèches mais beaucoup moins que nous, ils préparent quelque chose c’est certain.
« Noah ! Quand tu es sur place avec les corbeaux ! Accomplis ta mission, c’est très important ! » pensé-je en direction de mon protégé.
Les flammes des projectiles commencent à s’éteindre. Je vais tenter de les utiliser une dernière fois avant qu’elles ne disparaissent complètement. Je tends les mains vers elles, avec un peu de concentration, je les envoûte… Pour faire une spirale de feu brûlant nos ennemis. Ils sont nombreux.
« Que vois-tu Wuhan en bas ?
- Ils ont des grappins ! »
Des grappins ? Ils vont prendre d’assaut le mur, mais comment comptent-ils avoir suffisamment de diversion pour pouvoir lancer leurs… Attendez ! le reste de l’armée là-bas, qu’est-ce qu’ils sont entrain de faire ?
« Maîtresse ! De fortes concentrations de flammes grossissent derrière cette avant-garde ! » m’informe Wuhan.
Et avant que je ne puisse ordonner quoique ce soit, trois boules de feu rejoignent les cieux pour retomber sur les remparts et faisant de nombreux blessés et de morts dans notre camp. Certains sont projetés au sol ou en arrière, d’autres encore sont brûlés à en mourir par l’attaque. Ils ont des magiciens avec eux ! Elle a de la ressource cette sorcière.
« XUPENG ! ARCHERS, FEU EN RANG ! » crié-je.
Depuis l’arrière-cour des arcs longs fournissent un nouvel appui à nos tireurs sur les murs. Ils n’arrêteront pas le flot de flèches aussi facilement !
Je jette un coup d’œil à ma droite : Les équipes de Francis ont pris des dégâts, mais ils tiennent encore et surtout il n’est pas blessé. Li Guo est aussi avec mon acolyte de toujours, en bonne santé semble t-il.
A ma gauche, ils n’ont reçu qu’une boule de feu. Quelques morts et des blessés, mais le gros des troupes est encore là. Pour montrer qu’elle n’est pas la seule à savoir jouer avec les flammes, je m’approche du rempart et charge une sphère explosive que je jette en direction de l’obscurité devant la porte.
L’explosion fait voler en éclats une bonne dizaine de ses hommes de fortune. Prenez ça bande de sauvages !
Nous n’avons pas le temps de nous reposer, ils utilisent des arbalètes lourdes pour propulser leurs grappins en haut des murs, dégommant certains de mes soldats au passage. Il y a beaucoup de cordes, impossible de toutes les retirer en même temps. J’utilise mes pouvoirs pour dégager ceux proches de ma position.
« Ils montent sur les remparts !
- Arbalétriers tirez vite !
- ARBALÉTRIERS ! »
Les archers reculent pour dégainer leurs épées tandis que les arbalètes nettoient un peu les cordes des assaillants. Certains soldats soulèvent les grappins pour les faire tomber mais avec une certaine difficulté pour certains.
Une nouvelle volée de flèches venant de la cour s’envole dans le ciel et retombe. Les complaintes de tous les soldats, les cris et le bruit des armes m’empêchent de savoir si nous faisons mouche ou non. En tout cas, nous maintenons la pression.
« Boules de feu ! »
Trois nouvelles balles magiques enflammées viennent s’écraser contre nos murs, faisant de la place pour les assaillants. Les premiers commencent à atteindre nos hauteurs bien qu’ils meurent assez rapidement. Leur avant-garde est plus coordonnée que ce que nous attendions.
Les premiers bruits d’épée résonnent. Wuhan et mes gardes se disposent autour de moi, pour bloquer l’accès à quiconque aurait l’envie soudaine de venir m’agresser directement. Francis est déjà dans la mêlée.
Il chope un assaillant par le col avant de le balancer par-dessus le mur. Il reprend son marteau à deux mains et vient frapper en pleine tête un autre avant de se retourner pour fracturer la jambe d’un ennemi derrière lui qu’il s’empresse ensuite de saisir pour lui fracasser le crâne contre les briques devenues désormais rouge sang.
« YAAAAH ! » crie un soldat adverse avant de se faire enfoncer une lance dans le torse par l’un de mes gardes.
« Francis ! Repousse-les autant que possible ! Ils ne doivent pas rejoindre la ville !
- Je fais ce que je peux ! » crie t-il avant de donner de nouveaux ordres à ses hommes.
« BUTEZ-LES TOUS ! PAS DE QUARTIERS ! »
Cela devrait suffire !
Je me tourne du côté d’Harch et de Yong. Ils tiennent mais ils ont plus de perte avec les derniers projectiles magiques enflammés. Les assaillants commencent aussi à être nombreux sur eux. Les deux commandants se battent bien, mais je dois pouvoir les aider un peu plus.
Je me concentre et prend le contrôle de plusieurs grappins que je fais tomber dans le vide entraînant une vague massive de complaintes du côté des ennemis : une chute entre un et treize mètres, cela peut en effet faire mal.
L’obscurité est revenue dans l’étendue devant nous, si ce n’est les lueurs des flammes du reste des troupes de Jiawei. Pour l’instant, ils ne bougent pas. Ils doivent attendre que leur avant-garde nettoie ma position et me force à me replier.
Cela n’arrivera pas.
Un battement d’ailes me tire de mon observation du champ de bataille. C’est Aile-Ébène. Parfait ! Noah a lancé l’opération. D’ici quelques minutes, nous pourrons mettre leurs forces en très mauvaise position.
« Nous sommes en route Madame Song ! » me lance t-il avant de s’envoler vers les cieux ténébreux.
« Xupeng ! HUILE ! » crié-je.
Les combats continuent sur les murs. De plus en plus d’ennemis sont là. Il est facile de distinguer les hommes habitués à tuer et les autres. Malgré tout, nos hommes se défendent du mieux qu’ils peuvent, menés par les ordres et la bravoure de leurs commandants respectifs.
« Madame Song ! Ils cherchent à nous couper de vous !
- Tenez vos positions, je vais m’en charger personnellement ! »
En effet, les assaillants se concentrent sur les sections au-dessus de la porte. Francis, Harch ne peuvent bientôt plus me rejoindre. Du moins ils pourraient essayer mais ce serait perdre un gros risque pour leur commandement.
« Wuhan, dégagez-moi ces accès immédiatement !
- Tout de suite ! Trois d’un côté, trois de l’autre ! »
Leur formation de protection disparaît pour laisser place à des postures plus agressives. Ils rejoignent l’unité protégeant ma position et qui tente de garder les ennemis à distance. Tandis que les premières cargaisons d’huile passent au-dessus de ma tête pour se briser dans l’étendue noire en face de nous, je tends les bras pour prendre le contrôle de plusieurs carquois de flèches.
Les projectiles se dressent dans les airs, je les envoie se positionner au-dessus des ennemis. J’abats les flèches sur eux, handicapant leur avancée. Je redonne ainsi un peu de vigueur à mes défenseurs qui ont face à eux un ennemi des plus tenaces et motivés.
J’aimerais lancer une boule de feu en direction du reste de leurs troupes, mais cela risquerait de démarrer mon plan trop tôt. Je dois encore attendre au moins quelques volées de Xupeng.
« Xupeng ! Barils de feu grégeois ! » pensé-je pour lui.
Un assaillant arrive à passer et court vers moi. Je ne perds aucun instant et alors qu’il se dresse face à moi avec son épée, mon bras éjecte un éclair qui vient le frapper en pleine poitrine. Il tombe à la renverse sous le choc et ne bouge plus. Un de moins.
« La fête est finie Huayan ! » crie une voix bien trop familière.
Sur les murs se dresse Yijun. Lame dégainée. Ne me laissant le temps de rien, il se jette vers moi. J’ai le réflexe de me reculer tandis que je vois son arme s’approcher dangereusement de moi.
Je fais un mouvement brusque avec le bras gauche, je dévie sa lame par mon esprit ce qui le déstabilise légèrement.
« Maîtresse ! »
Wuhan vient s’interposer et commence à se battre contre Yijun qui répond à son tour. Leurs lames se croisent avec force. Wuhan a deux épées courtes tandis que le traître en a une plutôt longue.
Yijun pare le coup et tente de faire tomber mon chef de garde en le cognant avec son épaule gauche. Wuhan recule de deux pas mais ne tombe pas et essaye de le frapper dans le ventre avec son genou, sans résultat probant. Le mécanisme des catapultes se fait entendre et de nouveaux barils s’élancent dans l’inconnu.
Nouvel échange de coups entre les deux combattants. J’aide Wuhan en tirant la lame d’Yijun à des positions improbables. Il arrive tout de même à se rattraper, mais mon défenseur arrive bien à lui écorcher un peu les vêtements et peut-être la chair avec un peu de chance ! Ha ! Prend ça sale chien !
« Je le veux vivant Wuhan ! Je veux le juger personnellement !
- Oui maîtresse ! »
Nouveau tir de barils. J’attends des nouvelles des corbeaux et enfin nous lancerons la fin du spectacle. Yijun essaye de profiter de mon ordre pour contourner le solide soldat devant lui. Il y arrive mais j’ai largement le temps de le repousser pour le plaquer contre la muraille. L’offrant avec plaisir à Wuhan.
« Xupeng ! Flèches de feu ! A mon signal ! » lance à l’intention des crieurs de la tour.
« Xupeng ! FLÈCHES DE FEU AU SIGNAL DE LA DAME ! » répètent-ils.
Wuhan essaye de balayer Yijun pour le désarmer, ce dernier esquive en faisant une roulade sur le côté droit. Il sort un couteau qu’il lance vers moi. Je le dévie en l’envoyant par-dessus les murs. Il attaque de nouveau en fonçant sur mon défenseur et le tranche à plusieurs endroits, heureusement qu’il a une armure pour se protéger.
J’en profite pour regarder sur mes deux flancs : la bataille fait encore rage mais le flot grimpant les murs commencent à s’atténuer. Il n’est pas stoppé mais il diminue en volume. Ce qui veut dire que… Oui !
L’armée de Jiawei va certainement se mettre en marche pour venir les aider. Le moment est parfait : plusieurs corbeaux viennent voler au-dessus de ma tête. Leur tâche est accomplie !
« XUPENG ! MAINTENANT ! » crié-je de toutes mes forces, suivie par les crieurs de la tour.
Une nouvelle volée de barils soutenue par deux lignes de flèches enflammées très nettes surgissent et illuminent un bref instant les ténèbres de la nuit de leur lumière orangée avant de disparaître dans les champs devant nous.
C’est ainsi que soudainement une série d’au moins quatre explosions retentissent et font une tempête de flammes flamboyantes embrasant les rizières et les ennemis qui s’y trouvent. Le bruit des combats s’estompe face à cette violente vague de feu qui dévale la terre pour venir lécher les pieds de nos remparts et séparant désormais nettement nos murs de l’armée adverse.
« HA ! HA ! HA ! BRÛLEZ-TOUS ! » s’écrie Francis.
De nombreux cris accompagnent ce flot ardent qui engouffre les ennemis restés en bas dans une mort chaude et particulièrement désagréable. Yijun profite de mon effet pour s’accrocher à une corde qu’il sort de je ne sais où et court le long de la muraille pour remonter du côté de Francis et de Li Guo.
Maintenant que Jiawei ne peut pas venir soutenir ses hommes, il faut finir vite avec son avant-garde.
« Commandants ! Poussez ! »
« COMMANDANTS ! POUSSEZ ! » s’écrit la tour.
Le « poussez » a été vu avant la bataille. Il faut que les chefs d’unités poussent les ennemis dans leurs retranchements et les éliminent méthodiquement en fonction de leur situation. Nous voulons les coincer et les tuer rapidement. Jusqu’au dernier s’il le faut.
« Allez les gars ! Envoyez-les à la mort ! Leurs potes sont cramés maintenant ! » s’écrie Francis quelque part dans la mêlée.
Dans le feu de l’action, je saisis deux hommes par l’esprit pour les balancer par-dessus la muraille et faire de la place. Wuhan se tient à mes côtés.
« Va aider les défenseurs ! Il faut tenir cet accès pour que Francis et Li Guo puissent les rabattre sur nous !
- Tout de suite Maîtresse ! »
Je m’approche du vide enflammé. Je prends le contrôle des flammes pour maintenir un mur homogène et ainsi gagnée du temps. Il ne faut pas que Jiawei ait l’opportunité d’engager plus d’hommes sur le front. D’ailleurs, son armée ne bouge plus, ils ont bien été stoppé.
« Xupeng, continue d’envoyer du combustible avec les catapultes ! » pensé-je.
Je jette un coup d’œil vers ma droite. Yijun se bat contre Li Guo. Un duel s’est engagé entre les deux jeunes hommes autrefois alliés. Le paria est plus entraîné que le maître-chien. Le combat est à son avantage, Francis est trop occupé à nettoyer le reste des assaillants.
« Je m’en occupe Francis, va vers la chef !
- Ok petit ! »
Ils se battent avec férocité. Je ne peux pas tout voir. Entre les corps qui tombent, les flammes à maîtriser, l’obscurité, le bruit… Je me recentre et plonge mon regard dans le feu infernal qui se voit regrossir un peu plus avec les nouveaux barils qu’envoient Xupeng depuis la cour.
Nous ne sommes pas assez organisés. Cela se sent. Nos hommes ne sont pas bien ordonnés et même nous en tant que commandants, nous n’avons pas anticipé le fait que nos informateurs n’étaient pas forcément très précis sur la plage horaire de l’arrivée de l’armée ennemie. Pour pallier le manque de connaissances de nos soldats, il faut absolument que nous soyons plus disciplinés.
J’aimerais pouvoir utiliser tous ces soldats morts grâce à la nécromancie… Mais non. Je ne suis pas l’Innommable ici. Pour mon foyer, je combattrai avec honneur et dignité. Je ne m’abaisserai pas à utiliser les cadavres de mes propres hommes ou ceux de Jiawei même s’ils n’ont que mon dégoût le plus profond. Chengdu ne sera ni souillée par elle, ni par moi.
Le vacarme du combat vient jusqu’à moi. Une lance tombe au sol, j’entends un bouclier en bois qui se brise sous les coups. Des épées s’entrechoquent, des haches volent. Quelques arbalètes à répétition se font entendre, particulièrement pratiques dans les mêlées.
Les cris de rage, de douleur et de peur parsèment les remparts. Chacun espérant que ce soit le camp d’en face qui souffre le plus. L’avant-garde se décompose peu à peu, je peux le sentir. Je vois de plus en plus mes soldats lorsque je tourne la tête, les ennemis se font déborder : ils n’ont plus de renforts, ils n’ont plus d’espoir.
« Madame Song ! Le commandant Lin Yong est blessé !
- Quoi ?! »
Et voilà que je commençais à trouver la bataille trop facile. Il ne doit pas mourir, cela mettrait un mauvais coup au moral de ses troupes, risquant de briser notre avantage tactique actuel. Vite ! Il faut le rapatrier ici !
Problème : il y a encore trop d’ennemis. Je ne peux pas le ramener à la porte. Le feu devrait pouvoir tenir encore un moment avec les barils d’huile et de feu grégeois que Xupeng envoie en continu. Je vais pouvoir aller les aider !
Il faut que je le rejoigne au plus vite.
Je sors plusieurs lames de mon armure et les fait voler autour de moi. Je m’approche rapidement de mon flanc gauche. Plusieurs ennemis se débattent comme des diables pour rester en vie… Ou emportez le plus de mes hommes possibles. Je les poignarde à différents endroits tandis que mes défenseurs en profitent pour avancer en rang serré vers l’avant et ainsi progresser sur le mur.
J’en saisis un autre pour le jeter par-dessus le vide. Je l’entends crier et s’écraser par terre treize mètres plus bas.
« Allez ! Chargez en avant ! Poussez ! »
Les troupes de Jiawei tombent une à une. La colonne de nos soldats grossit de plus en plus. Je n’ai plus qu’à marcher sur les corps laissés derrière et de faire voler les ennemis du haut des murs. Les morts sont déjà nombreux, beaucoup de sang… Cela me fait toujours un pincement au cœur de voir les visages des tombés. Certains semblent apeurés tandis que d’autres n’expriment que la douleur. Un petit nombre semble en paix, même si leur dépouille gît au milieu d’une dizaine d’autres, le long du mur tâché de la marque de leur échec au combat.
Jiawei Dajisi, tu paieras pour toutes ces vies écourtées.
La colonne arrive à se frayer un chemin jusqu’au commandant blessé, ce n’est pas bon du tout. Je m’agenouille à côté de Lin Yong. Il est adossé à la muraille, la blessure est au niveau des côtes, il semble perdre pas mal de sang. Un soldat m’annonce qu’il a été touché par une lance qu’il a ensuite retiré à mains nues lui-même.
« Continuez d’avancer ! Allez ! » ordonné-je pour que les troupes continuent leur assaut.
Je pose mes deux mains sur sa plaie et tente de le soigner du mieux que je peux. Ma magie n’est pas assez puissante pour le guérir complètement, mais peut-être qu’un petit peu de soins lui fera du bien un instant.
« Ça va aller, Madame. J’en ai vu… D’autres.
- Vous avez été lourdement blessé, Lin Yong. Il faut vous faire examiner immédiatement. »
Je me tourne vers la cour où les catapultes font encore feu. J’aperçois Xupeng qui continue de donner des ordres aux manœuvres.
« Xupeng. Il me faut deux médecins sur la section du mur de Lin Yong, il a été blessé et j’ai peur qu’on ne puisse pas le transporter jusqu’à l’infirmerie. Sa partie a été nettoyée, les ennemis ne sont plus là. »
Je retourne au combat pour faire le point. Harch semble s’en sortir et a repris le commandement des hommes de Lin Yong. Ils n’ont pas besoin de mon aide pour terminer le travail ici. Je rejoins au pas de course la tour centrale pour connaître la situation de Francis et de Li Guo.
Les flammes magiques qui se sont déversées sur le mur plus tôt commencent à s’éteindre lentement, laissant derrière elles des corps salement brûlés à l’odeur nauséabonde. On dirait du porc à la broche pas frais. Les braseros restants donnent une scène inquiétante où des ombres s’agitent pour se vaincre.
Parfois, la lueur du feu fait surgir un visage des ténèbres. Un visage bien souvent enragé par l’instinct de survie humain. Au loin, j’aperçois Li Guo qui se bat toujours en duel contre Yijun. Aucun des deux ne semble prendre l’avantage. Le maître-chien y met toutes ses forces, toute son énergie.
Francis est encore dans la mêlée, il ne peut pas le rejoindre. Je dois faire quelque chose. Et… Mince les flammes devant les murs. Je dois les maintenir en forme pour qu’il soit suffisamment uniforme pour éviter que des renforts passent.
Li Guo… C’est à toi de le vaincre.
Je reprends ma position et prend de nouveau le contrôle du feu alimenté par Xupeng. Je finis de brûler les quelques survivants qui étaient restés en bas ou qui étaient tombés. Ils ne feront plus de mal à personne ceux-là.
Je jette un regard rapide en direction d’Yijun… Il ne veut pas perdre ce chien ! Il met en difficulté Li Guo… Francis doit l’aider !
« Francis, aide Li Guo si tu peux. Il ne va pas s’en sortir tout seul. Yijun doit être capturé vivant. J’insiste sur le vivant, il est à moi ! » pensé-je en direction de mon acolyte.