Elle finit quand même par vous déposer devant le Colisée qui est accueillant ou non, selon le point de vue. L'enceinte est faite d'os, de cartilage et de piques montantes. Une gueule monstrueuse de démon vous contemple, ses dents acérées surplombant la grande porte violette. Quatre projecteurs de part et d'autre de l'entrée éclairent un peu le chasme obscur tout autour d'une lumière blanche et froide. Des Commis Ressuscités de Sécurité, le genre teigneux, sont disposés un peu partout pour s'assurer qu'il n'y ait pas de grabuge.
En entrant, vous voyez l'arène droit devant vous. Elle fait une cinquantaine de mètres au carré, le sol est en marbre poli, les murs étrangement spongieux sont contenus par de hauts piliers de cartilage. Mais vous n'allez pas par là. Des panneaux vous indiquent ou vous rendre.
Les participants vont à droite, accueillis par le diablotin rouge Peine qui, après avoir vérifié leur identité, les mène dans un couloir ténébreux creusé sous les os et qui fait le tour de l'arène. Il les arrête devant leur porte (il y en a deux, une de chaque côté de l'arène) et leur dit d'attendre là, dans la pénombre. Quand ce sera à eux, ils entendront leur nom et pourront passer leur porte à deux battants pour commencer leur combat ; les adversaires se feront ainsi face dès le début.
Les spectateurs sont salués par le diablotin bleu Panique et peuvent gravir les gradins sur la gauche. Un monte-charge est disponible pour les personnes à mobilité réduite ou ceux qui sont déjà trop fatigués. La plèbe morte et vivante se retrouve un poil en hauteur, c'est spartiate et surtout il n'y a pas de buffet. Mais VOUS ! Ah, vous êtes important, oui. Vous montez encore plus haut dans la zone VIP avec une vue surplombante sur les combats à venir. De toutes petits statues d'Hephaistos sont disposées ça et là, elles peinent sous le poids de leur lourd et large bol qu'elles portent sur le dos. Surtout, il y a un buffet. Il est indiqué de ne pas trop s'approcher du bord et que l'administration n'est pas responsable en cas de non respect des consignes.
Quand tout le monde ou presque est en place, les projecteurs s'animent, dessinant un ballet lumineux dans le gouffre noir au dessus de vos têtes. Une voix gutturale et profonde surgit des profondeurs, intimant à tout le monde de se taire par sa seule puissance.
"Chers êtres vivants. Merci de réserver un vacarme de tous les diables à votre généreux hôte, le Gardien du Tartare, le Veilleur du pré des Asphodèles, le Protecteur des Champs-Elysées, l'éternel, l'incommensurable... HADES !"
Dans les gradins, de grandes flammes bleues apparaissent dans les larges bols que portent les minuscules Hephaistos, aveuglant momentanément tout le monde. Une musique retentit, très cadencée, avec de la caisse claire et de la grosse caisse en alternance. Au milieu de l'arène, un bonhomme bleu en toge vient d'apparaître. Des flammes bleues dansent sur son crâne chauve. Il a placé son visage dans le pli de son coude en pointant le ciel noir dans l'autre direction, ses deux bras en parallèle.
Il faut applaudir. Ce serait mieux.
Non, vraiment, applaudissez. Vous ne voulez quand même pas vous éterniser ici ?
Hades finit par ouvrir grand ses bras et leva la tête comme pour accueillir en son sein tout le bonheur qu'avaient les gens à être là. La musique ne cessa pas, il chemina autour de l'arène, ses pas calés sur le rythme, l'air cool et posé.
"Salut, moi c'est Hades, Dieu des Enfers
Si tu vois ma tête, t'as plus l'temps de t'en faire
Ta vie est foutue, finie, t'es pas au paradis
Mais ici, mon âme-i, ahhhh, ca va etre ta fête."
Il se déhancha un peu, produisit quelques "han-han" et "hon", toujours en rythme, le public commençant à le suivre en tapant dans les mains.
"J'te consomme, j'te consume, j'te conserve la dans la brume,
je te plonge dans le Styx et si tu t'en plains j'te fume,
tu sanglotes, tu gémis, c'est une vraie tragédie,
mais c'est la tienne, eh. Fallait y penser, mon âme-i."
Le rythme de la musique s'intensifia et Hades alla se replacer au centre de l'arène, pointant du doigt les gradins.
"Les têtes tetues ici valent pas tripette
Les héros obtus sont sur la selette
Et si être, avoir été, c'est du pareil au même,
Vous, le pouce levé, n'avez qu'à dire : J'aime."
Il leva son propre pouce pour montrer l'exemple, l'air blasé. A cet instant, un spectacle pyrotechnique fut tiré, les contours d'un coeur d'artifice bleu se dessinèrent dans le néant au dessus de l'arène. Une petite couronne jaune scintilla au dessus du coeur, resplendissante, avant de se transformer en tête de mort. Le coeur se mit à baver et à fondre, ne restait que la tête de mort. Elle finit par disparaître à son tour et la musique cessa brutalement.
Hades disparut dans un écran de fumée grisatre et réapparut dans sa tribune, encore plus haute que l'espace VIP. De la, il pouvait voir, contrôler tout ce qui se passe.
"Ahem. Bienvenue, bienvenue à tous au Grand Tournoi de la Coupe Noire. J'espère que votre voyage jusqu'ici n'a pas été trop.. épuisant. Les bien braves combattants de ce jour vont avoir besoin de vos encouragements." Hades se frotta les mains, approuvant ses propres paroles.
"Mais avant de vous les présenter, j'attire votre attention sur... ceci !" Son bras pointait maintenant un objet volant qui émettait un fin bourdonnement dans le silence. "Souriez, vous êtes filmés !" Il adressa un sourire canin et un petit coucou de la main à la caméra. "Cet événement majeur est retransmis dans beaucoup de mondes, et en exclusivité, grâce aux moyens techniques de l'Eclaireur. L'Eclaireur.. euh..." Il fit apparaitre dans ses mains un bout de parchemin et le lit comme s'il découvrait le texte, "L'Eclaireur : L'information sur les Mondes 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. Ne manquez pas le dernier éditorial de Lulu qui réagit aux événements du Palais des Rêves. A quel groupe se fier ? Bla bla bla..." Il jeta négligemment le parchemin : "J'ai bien ma petite idée, et je pense qu'elle traverse aussi votre esprit. A celui qui peut vous protéger. Au plus fort ! Celui dont le représentant remportera le tournoi, bien entendu."
Il fit oui de la tête, plusieurs fois, encourageant la foule a réagir. Dommage pour ces groupes qui n'avaient pas pensé à envoyer de participants.
"J'espère que vous avez misé avec discernement. Discutez entre vous, haranguez les glorieux combattants qui se battent la dessous, commentez tant les actions géniales que les échecs cuisants. Vous pouvez un peu voir ça comme... notre petit forum à nous." Clin d'oeil, clin d'oeil. "Et mangez ! Régalez vous de ce buffet gratis, offert par nos soins. Mais ne touchez SURTOUT pas à la réglisse. Conseil d'ami."
Il sentait la foule s'impatienter un peu. C'était parfait.
"Laissez-moi vous présenter une vraie déesse, celle pour qui tous les participants n'ont aucun secret car elle lit dans le moût d'orge ! Venue tout droit de Mésopotamie, devant vos yeux ébahis, mes âmes, mes sieurs... la Déesse Siris !"
Apparut alors au côté d'Hades une femme d'âge mur mais encore belle, fine, le nez aquilin, drapée de riches étoffes brodées. Elle avait la tête baissée, son regard plongeant dans la grosse chope en fer qu'elle tenait dans la main droite. Tous les spectateurs purent constater qu'elle avait le hoquet.
Hades frappa dans ses mains. Incroyable. Il arrivait encore à s'auto-exciter. "J'ai toujours voulu faire ça" dit-il en aparté avant de crier : "Je déclare le Tournoi de la Coupe Noire Ouvert !"
Une musique épique et métallique surgit des profondeurs et une clameur s'éleva du Colisée pour célébrer l'instant. Le bruit assourdissant résonna dans tous les Enfers (sauf le Tartare) et dans tous les lieux du Cosmos avec une TV allumée.