Elle avait mal. Une douleur sommeillait dans son corps et dans son coeur, indescriptible, imparable. Toutefois. Cassandra n’y pouvait rien. Elle se retrouvait au pied du chemin de terre, celui surplombant les douves du Château de Maléfique, fixant le vide à ses pieds et les montagnes se dessinant en contrebas.
Prenant une longue inspiration, elle réveillait une pointe à son torse à son souffle et terminait ce geste banal dans une quinte de toux.
Même ceci, cette vision, ne parvenait pas à lui rendre le sourire. Au loin, perçant la brume, elle imaginait le Château de son Roi. Magnifique, resplendissant, entier. Elle partageait un lien avec les vieilles pierres de cet édifice. Ils étaient deux à avoir subi les ravages de la guerre et des conflits.
Ils étaient toujours debout.
Des pierres avaient été taillés et remplacés. Les os de la guerrière ont été ressoudés. Les habitants luttaient pour voir le Château resplendir. La foi de Cassandra lui permettait de garder la tête haute.
— Haegel. Merci.
— Ce n’est pas nécessaire.
Le Haut-Prêtre se tenait à ses côtés. Lui aussi, il fixait l’horizon au côté du Chef des Paladins et conservait la poigne nécessaire pour aider la garde à tenir debout.
— Si vous n’aviez pas eu l’initiative de venir, nous n’y serons pas parvenu.
— Cassandra, pourriez-vous cesser de vous accabler du poids de vos erreurs.
— Elles sont formatrices.
Elle tournait le visage, quatre plaies supplémentaires ornaient sa joue en plus des ecchymoses. Des traits discrets partant de la base de ses paupières. Par chance, elle n’en tirerait aucune cicatrice.
— La prochaine fois que vous voudriez apprendre quelque chose, évitez de frôler la mort. Ainsi, je n’aurais pas à vous trainer de votre lit pour admirer le paysage.
Un léger sourire parcourait son visage, un rire discret.
— Il a eu une terrible idée en me nommant Paladin-en-Chef.
— Oui.
Interloquée un instant, Cassandra se retournait et remarquait le sourire en coin que le Haut-Prêtre lui adressait. Dans un soupir, elle baissait les épaules.
— Bien des erreurs auraient été évités s’il avait eu l’idée d’écouter ses conseillers. Vous, Cassandra, êtes probablement le meilleur de ses choix. Il reste quelque chose à faire de vous.
— Je dois me sentir honorer ?
— Plutôt qu’il vous reste encore beaucoup à apprendre.
Elle fermait les yeux, soupirant un instant avant de fixer le vide qui se projetait devant elle. Elle distinguait, au loin, les ombres de quelques Paladins envoyés en reconnaissance pour abattre les derniers sans-coeurs. Au moins, personne ne risquait de périr en ce jour.
— Des nouvelles de Fiathen.
— Il vient de refuser la proposition.
— Après ce qu’il vient de vivre et selon vos conditions, il n’y a rien d’étonnant là-dessus. Il a rejoint le Sanctum parce qu’il voulait défendre quelque chose, lui ôter n’apportera rien de bon.
— Vous êtes d’accord avec son choix ?
— Il s’agit de son choix, vous venez de le dire. La dernière fois que j’ai imposé quelque chose à cet homme ? Il a perdu l’usage de ses jambes, il serait de bon ton d’arrêter avant qu’il ne s’enfonce une dague dans le ventre.
Le Haut-Prêtre arquait un sourcil, regardant avec intérêt son supérieur avant de glisser d’une voix calme.
— Vous ne vous en voulez pas ?
— Si.
— Pourquoi ne pas vous rendre à son chevet pour lui dire.
Elle amenait sa main à son coeur, remémorant les paroles qu’elle avait entendues au fond du gouffre alors que tout semblait perdu. Cassandra n’avait plus aucun doute, elle savait pertinemment que c’était lui qui l’appelait.
— Je sais déjà ce qu’il aura à me dire et je n’ai pas besoin de l’entendre.
— Sachant cela, vous allez arrêter de ressasser vos erreurs. Ce serait déjà un mal pour un bien.
Suite à cela, elle reposait son bras le long de son corps. Titubant sur place avant de se redresser tout en serrant les dents. D’un mouvement, Haegel intimait au Paladin de la suivre jusqu’à sa chambre dans le Château de Maléfique.
— Maintenant que cet endroit est vidé de sa malédiction, nous allons pouvoir ordonner à tous nos hommes de se concentrer sur la finalité des travaux de reconstruction.
— Après deux années, il serait temps.
— À votre guise de rejoindre l’effort des charpentiers.
Il riait un instant, passant les lourdes portes de chêne et rentrant dans la cour jusqu’au bâtiment principal.
— Vous étiez le premier à le dire, il nous faut un endroit pour évacuer les citoyens pour la prochaine attaque.
— Si jeune et tellement pessimiste. Maintenant que c’est fait ?
— Il nous faudra trouver quelque chose, un moyen pour transférer rapidement et sans encombre les habitants de la ville jusqu’ici. En attendant, il ne restera que le strict nécessaire entre ces murs.
— Parfait.
— Lorsque mes blessures seront refermées, ce sera à mon tour de partir. Il y a encore une chose à faire en ville.
— C’est par rapport à votre dernier voyage en dehors de nos contrées.
Elle s’arrêtait un instant, tournant lentement le regard et fixant le Haut-Prêtre.
— Vous êtes au courant.
— Uniquement de ce que votre rapport signale.
— Ce n’est pas à moi de prendre cette décision, il faudra que Fabrizio soit à mes côtés.
— Tant que je n’ai pas à vous récupérer dans un lit d’hôpital, vous avez mon aval.
Lentement, elle reprenait la marche, posant sa main sur la porte menant à ses quartiers. Il y avait encore tant à faire pour ce monde, elle craignait de ne pas parvenir à y arriver malgré le temps qui passait.